« Histoire des inégalités économiques » : différence entre les versions

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{{Infobox Discipline|pratiqué par=[[Économiste]], [[Historien]]|objets=Évolution de la répartition des richesses entre les hommes et entre les sociétés dans l'Histoire.|personnes=[[Branko Milanović]], [[Simon Kuznets]], [[Thomas Piketty]], [[Walter Scheidel]], [[Thorstein Veblen]], [[David Graeber]], [[Karl Marx]]|image=Evolution des inégalités de revenu dans le monde de 1820 à 2020.png|légende=Évolution des inégalités de revenu dans le monde, 1820-2020.}}
L''''histoire des inégalités économiques''' est un domaine d'étude [[Histoire économique|historico-économique]] cherchant à rendre compte de l'évolution de la répartition non-uniforme des richesses matérielles produites ou détenues au cours de l'Histoire entre les différents groupes d'une même société, ou entre différentes sociétés.
 
Les [[inégalités de richesse]] existent dès la [[Préhistoire]] avec des logiques de domination entre sociétés et entre individus. Bien que le niveaudegré d'inégalités ait été hétérogène sur la période, les inégalités continueront d'être en moyenne élevées jusqu'à la complète émergence du [[capitalisme]] avec la [[révolution industrielle]].
 
La révolution industrielle exacerbe aux niveaux international et intranationaux les inégalités économiques à des niveaux inédits jusqu'à atteindre son niveaupalier historiquement le plus haut lors de la [[Belle Époque]], avant que les guerres mondiales et le développement de l'[[État-providence]] pour les pays capitalistes, et le socialisme pour les pays du bloc de l'est, ne réduisent considérablement le niveaudegré d'inégalité économique parmi les hommes.
 
Cependant les inégalités recommencent à augmenter au niveau mondial à partir de la fin du {{s-|XX}} jusqu'à nos jours, notamment à cause de la chute des régimes socialistes côté Est et du [[tournant de la rigueur]] côté Ouest. Des économistes, politiciens et millionnaires regrettent cette « hausse {{Citation|inefficace}} ou {{Citation|injuste}} » du niveaudegré d'inégalité et réclament une plus forte intervention étatique et une plus grande taxation des plus riches{{refsou|date=mars 2024}}.
 
Les économistes craignent par ailleurs que les inégalités ne cesseront d'augmenter à une échelle mondiale au cours du {{s-|XXI}}, accusant les politiciens de délibérément favoriser les plus riches, et accusant plus récemment les possibles conséquences de l'[[intelligence artificielle]] sur le [[marché du travail]].
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{{Article détaillé|Courbe de Kuznets}}
[[Fichier:Kuznets curve.png|vignette|La [[courbe de Kuznets]] .]]
D'après [[Simon Kuznets]], l'augmentation des inégalités est inévitable avec l'apparition de la [[révolution industrielle]], car cette dernière nécessite une forte concentration de capitaux pour permettre l'[[industrialisation]], avant que le niveaudegré d'inégalités ne s'abaisse au cours du temps par la nécessité pour les propriétaires d'employer une main d’œuvre qualifiée à mesure que les tâches se complexifient, dès lors les salaires montent<ref name=":18">{{Article|auteur1=Marie-Hélène Duprat|titre=La dynamique des inégalités : existe-t-il un modèle général ?|périodique=Variances|volume=Inégalités, Sélection janvier 2020|date=20 janvier 2020|lire en ligne=https://variances.eu/?p=4663}}.</ref>.
 
Cette évolution est dite « naturaliste » puisqu'elle devrait s'appliquer à tout pays à l'étape de son développement industriel, c'est-à-dire lors de son décollage économique (''{{lang|en|take-off}}'').
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=== Théorie des Quatre Cavaliers de l'Apocalypse ===
[[Fichier:Walter Scheidel - Annual Meeting of the New Champions 2012.jpg|vignette|redresse|[[Walter Scheidel]] en 2012.]]
L'historien [[Walter Scheidel]] rejette tout déterminisme des inégalités historiques quel qu’il soit {{incise|des cycles de l'égalité de Milanović à l'{{Citation|[[eschatologie]] marxiste}}}}, puisqu'il n'existe pas d'{{Citation|inégalités insoutenables}}. En effet selon l'historien, des régimes économiques hyper-inégalitaires ont pu se maintenir en place pendant des siècles<ref name=":19">{{Chapitre|auteur1=[[Louis Chauvel]]|titre chapitre=Préface|auteurs ouvrage=[[Walter Scheidel]]|titre ouvrage=une histoire des inégalités|sous-titre ouvrage=de l'âge de pierre au {{s-|XXI}} |année=2021|passage=III,VII-IX|isbn=978-2-330-14077-9}}.</ref>. En revanche les inégalités extrêmes sont un prérequis à l'apparition des « [[Quatre Cavaliers de l'Apocalypse]] », mais simplement une hausseélévation des inégalités n'accélère pas leur temps d'apparition, qui reste extrêmement imprévisible<ref>{{Chapitre|auteur1=[[Louis Chauvel]]|titre chapitre=Préface|auteurs ouvrage=[[Walter Scheidel]]|titre ouvrage=une histoire des inégalités|sous-titre ouvrage=de l'âge de pierre au {{s-|XXI}} |année=2021|passage=XIV-XVI|isbn=978-2-330-14077-9}}.</ref>.
 
Cependant, lorsque les inégalités économiques reculent, c'est systématiquement à partir de quatre phénomènes distincts{{Note|texte=En revanche la réciproque est fausse selon Scheidel, l'apparition d'un des « Cavaliers de l'Apocalypse » n'amène pas systématiquement à une baisse des inégalités. Par exemple, l'apparition de la peste dans les années 1630 en Italie n'a pas amené à une diminution des inégalités, ou encore la [[pandémie de Covid-19]] ([[Note du traducteur|NDT]]) qui a augmenté les inégalités au lieu de les réduire.|groupe=note}}, que Scheidel métaphorise comme des Cavaliers de l'Apocalypse étant donné qu'ils induisent chacun une explosion de violence : {{Citation|Tout comme leurs homologues bibliques, ils sont allés « ôter la paix de la terre » et « tuer par l'épée, par la famine, par la peste et pas les bêtes de la terre ». [...] Des centaines de millions d'hommes ont péri sur leur passage{{sfn|Scheidel|2021|p=21-24}}.}}<ref name=":19" /> :
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Ainsi, les [[Sumer|Sumériens]] du Sud de la [[Mésopotamie]], les Chinois des dynasties [[Dynastie Zhou de l'Ouest|Zhou occidentaux]] et [[Dynastie Shang|Shang]], les [[Aztèques]] du Mexique et les ''[[ayllu]]kuna'' du Pérou travaillent sur des terres agricoles collectives ou du moins réparties équitablement entre tous par la communauté{{sfn|Scheidel|2021|p=89}}.
 
=== La hausseflambée des inégalités à partir de l'Holocène ===
[[Fichier:Agriculture work 1.jpg|vignette|L'[[agriculture]] a contribué à l'apparition des inégalités.]]
Les inégalités ont seulement commencé à augmenter à la fin de la période glacière lors de l'[[Holocène]] il y a {{Nombre|9000|ans}} avec l'introduction de l'agriculture, de l'élevage et plus spécifiquement des droits sur la propriété privée au profit des plus riches, concentrant de plus en plus de ressources et de richesse{{sfn|Scheidel|2022|p=}} grâce à des surplus agricoles et de bétail de plus en plus conséquents et réguliers grâce à la nouvelle atmosphère chaude{{sfn|Scheidel|2021|p=60}}. Ainsi, les sociétés de [[Chasseur-cueilleur|chasseurs-cueilleurs]] et d'[[horticulteur]]s possèdent en moyenne un [[coefficient de Gini]] patrimonial de 0,36 là où la société d'éleveurs et d'agriculteurs possède un coefficient compris entre 0,51 et 0,57{{sfn|Scheidel|2021|p=66}}.
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L'usure est également fréquente dans l'empire, où les taux d'intérêts annuels sont de 6 % en zone urbaine et peuvent atteindre le niveautaux de 48 % en zone rurale{{sfn|Scheidel|2021|p=118}}.
 
Il existe certes une certaine redistribution au sein de l'empire, mais elle se faisait des riches vers les riches, grâce à des séries massives d'exécutions-expropriations parfois pour des motifs infondés{{sfn|Scheidel|2021|p=120}}.
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=== Afrique pré-coloniale ===
La période pré-coloniale en Afrique est une période de fortes inégalités déjà marquée par des [[Esclavage|sociétés esclavagistes]], l'historien [[Ewout Frankema]] estime ainsi que durant cette période, le [[coefficient de Gini]] était de 0,86 au total, et de 0,80 en excluant les esclaves, ce qui est un niveaudegré d'inégalité très élevé même pour l'époque{{sfn|Frankema|Haas|Waijenburg|2023}}.
 
== Époque moderne ==
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Les intellectuels contemporains à la [[Révolution française]] étaient parfaitement convaincus {{incise|qu'ils s'en lamentent ou qu'ils s'en réjouissent}} que l'abolition des privilèges permettra un grand niveau d'égalité notamment économique. Le [[Gironde (Révolution française)|girondin]] [[Nicolas de Condorcet]] affirme que l'abolition des privilèges permettra à tout agent économique de prospérer économiquement non plus à partir de son statut social mais de ses propres mérites ; dès lors, à effort égal, les Français transformeront très rapidement la France en un pays économiquement très égalitaire{{sfn|Piketty|2019|p=|loc={{chap.}} 4 et 10}}. Le [[sociologue]] [[Alexis de Tocqueville]], plus pessimiste, craint que la nouvelle démocratie ne fasse naître un {{Citation|goût dépravé pour l'égalité}} au détriment de la liberté ; étant donné que le régime politique ne donne pas le pouvoir aux particuliers mais à la masse, il est à prévoir l'apparition d'une certaine {{Citation|[[tyrannie de la majorité]]}}, permettant aux pauvres d'illégitimement et arbitrairement taxer les riches pour leur propre bénéfice{{sfn|Piketty|2019|p=|loc={{chap.}} 4 et 10}}{{,}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Alexis de Tocqueville]]|titre=[[De la démocratie en Amérique]]|année=1835 et 1840}}.</ref>.
 
Pourtant, quelques années à peine après la Révolution française, malgré les promesses d'une plus grande [[Égalité sociale|égalité]] entre tous, les pauvres continuent d'être autant marginalisés que dans l'[[Ancien Régime]]<ref>{{Ouvrage|prénom1=Julia|nom1=Cagé|prénom2=Thomas|nom2=Piketty|titre=Une histoire du conflit politique: élections et inégalités sociales en France, 1789-2022|éditeur=Éditions du Seuil|collection=Éco-histoires|date=2023|isbn=978-2-02-145454-3|consulté le=2024-03-17}}.</ref>{{,}}<ref name=":15">{{ArticleSfn|langue=fr|auteur1=Jean-Clément Martin|titre=La Révolution française et l’inégalité|périodique=Cités|volume=89|numéro=1|pages=137-150|date=2022}}.</ref>, les femmes sont davantage soumises encore, et les esclaves ne sont que partiellement libérés. Dans la seule décennie les inégalités s'accroissent au profit des plus riches<ref name=":15" />{{Sfn|Martin|2022}}. Pour cette raison, entre autres, la révolution de 1789 a pu être qualifiée de {{Citation|révolution bourgeoise}}, notamment par le philosophe, sociologue et économiste allemand [[Karl Marx]]<ref>{{Lien web |titre=Le manifeste du parti communiste - K. Marx, F. Engels (IV) |url=https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000.htm |site=marxists.org |consulté le=2024-03-17}}.</ref>, ou encore par l'homme politique [[Jean Jaurès]]<ref>{{Ouvrage|langue=FR|prénom1=Jean (1859-1914) Auteur du texte|nom1=Jaurès|titre=Histoire socialiste de la Révolution française / Jean Jaurès ; édition revue, par A. Mathiez|date=1922-1924|lire en ligne=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5458931g|consulté le=2024-03-17}}.</ref>. L'historien [[Jean-Clément Martin]] affirme que cela n'aurait pas été possible sans la complicité des députés contournant habilement la question des inégalités économiques et sociales :
 
{{Citation bloc|Sans doute la rédaction de la Déclaration d’{{date|août 1789}} s’est-elle enrichie de ces deux articles [sur la liberté, la propriété et la sécurité] parce que, sonnant bien, ils avaient séduit les députés. Il semble surtout qu’ils ont été retenus parce qu’ils évitaient de poser clairement la question de l’inégalité. Sous leur forme synthétique et allusive, ils rassemblaient l’opinion autour de la Déclaration sans rien promettre et sans engager la Révolution dans une démarche précise. L’État social n’était en effet pas cité, seul l’État de droit, dans lequel s’inscrivaient la liberté et l’égalité, était retenu. Plus qu’une avancée politique, il s’agit d’un tour de passe-passe [...]. Pour la quasi-totalité des députés, [la propriété privée] ne pouvait donc pas être abolie par principe politique. C’est ce que la Déclaration de 1795 exprime clairement en revendiquant un libéralisme ordinaire : « Article 1er. Les droits de l’homme en société sont la liberté, l’égalité, la sûreté, la propriété… Article 3. L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoir. » Ne nous étonnons donc pas que la Révolution n’ait pas trouvé une résolution aux inégalités entre les hommes puisque même ses déclarations les plus audacieuses ne les avaient pas affrontées clairement – sans parler des omissions caractérisées. [...] Les revendications avancées par les rébellions en France combinaient les oppositions aux mesures de la monarchie avec la défense d’habitudes communautaires les plus traditionnelles et les plus inégalitaires, si bien qu’il est vain, si l’on veut respecter les faits, de chercher dans les innombrables mouvements de contestation les prémisses claires d’une demande d’égalité politique que la période révolutionnaire aurait été chargée de satisfaire. [...] S’il y eut bien un moment de notre histoire, de l’histoire du monde osons-le, pendant lequel le désir, le besoin, même la nécessité de l’égalité furent proclamés, ce fut bien pendant les premières années de cette période révolutionnaire, avant que la réalisation de cette envie, la mise en forme de cette exigence et le respect de ce principe soient éludés, instrumentalisés et finalement reniés<ref name=":15"/>{{Sfn|Martin|2022}}.|Jean-Clément Martin|La Révolution française et l’inégalité.}}
 
À partir de la [[Révolution française]] s'est instauré un mouvement d'extension de la logique marchande dans les sociétés européennes qui envahira toutes les sphères de la vie, et notamment celles des terres : en France, le [[décret d'Allarde]] du [[Mars 1791|17 mars 1791]] autorise tout individu à développer son activité comme il le souhaite ; ainsi, les [[paysan]]s propriétaires de certaines terres peuvent exclure, notamment par des [[cloisonnement]]s, les autres paysans qui dépendent de la solidarité des propriétaires fonciers pour pouvoir laisser le bétail manger le reste des récoltes. Ainsi, la solidarité et le lien social se rompent et les inégalités entre individus augmentent rapidement{{sfn|Polanyi|2009|loc=}}. La loi [[Loi Le Chapelier|Le Chapelier]] du [[Juin 1791|14 juin 1791]] interdit les [[corporation]]s et les [[syndicat]]s patronaux et ouvriers{{sfn|Serfaty|2024|loc={{chap.}} 7}}.
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Les écarts de revenu d'un pays à un autre s'accroissent sensiblement : en 1870 le revenu moyen des pays les plus riches est 11 fois supérieur à celui des pays les plus pauvres<ref name=":12" />.
 
À partir du ''[[Gilded Age]]'', l’apparition de trusts rapproche le niveaudegré d'inégalités en [[Amérique du Nord]] de celui des sociétés de l’[[Europe]] : en 1920, 2 % des Américains possèdent 50 % du patrimoine du pays tandis que les deux tiers des plus pauvres ne possèdent presque rien<ref>{{Ouvrage|prénom1=Willford Isbell|nom1=Harvard University|titre=The wealth and income of the people of the United States|éditeur=New York, The Macmillan Company; London, Macmillan & Co., ltd.|date=1915|lire en ligne=http://archive.org/details/wealthandincome00kinggoog|consulté le=2024-01-13}}.</ref>.
 
D'un point de vue mondial, le ratio entre les revenus détenus par les 10 % les plus riches relativement aux revenus détenus par les 50 % les plus pauvres est passé de {{Nombre|1800|%}} à {{Nombre|4100|%}} de 1820 à 1900<ref name=":6">{{Lien web |titre=Rapport sur les inégalités mondiales 2022. World Inequality Lab. Avril 2022. — Sciences économiques et sociales |url=https://ses.ens-lyon.fr/actualites/rapports-etudes-et-4-pages/rapport-sur-les-inegalites-mondiales-2022-world-inequality-lab-avril-2022 |accès url=libre |site=ses.ens-lyon.fr |consulté le=2024-01-27}}.</ref>.
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=== Continuité du système capitaliste ===
[[Fichier:Revenu_top_10_us.png|vignette|Évolution de la part du revenu des 10 % les plus riches dans le revenu total aux [[États-Unis]] au cours du {{s-|xx}}<ref>{{Article|langue=en|auteur1=Thomas Piketty|auteur2=Emmanuel Saez|titre=The Evolution of Top Incomes: A Historical and International Perspective|périodique=NBER|numéro=11955|date=2006|lire en ligne=https://eml.berkeley.edu/~saez/piketty-saezAEAPP06.pdf|format=pdf}}.</ref>.]]
Le développement de l’[[État-providence]] et de la pensée [[Keynésianisme|keynésienne]] font chuter le niveaudegré d'inégalités dans les pays du bloc capitaliste et ce jusqu'aux années 1980.
 
Les multiples chocs économiques à partir de 1973 commencent à remettre en doute les bienfaits du keynésianisme, au profit d'une résurgence de la logique libérale à partir du début des années 1980, réaugmentant jusqu'à nos jours le niveaudegré d'inégalités économiques.
 
==== Les Trente Glorieuses ====
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Sur le plan idéologique, la [[Grande Dépression|crise de 1929]] fait drastiquement changer la perception de beaucoup d’économistes et de politiciens sur la question du capitalisme, en parallèle les conséquences de la [[Seconde Guerre mondiale]] rendent nécessaires des réparations et réinvestissements massifs. C’est pourquoi plusieurs pays vont s’atteler à développer l'[[État-providence]] au cours de la seconde moitié du {{s-|XX}}.
 
Avec un contexte d'inflation extrêmement élevée causée par la [[Seconde Guerre mondiale]] (en France, les prix sont multipliés par six dès la fin de la guerre<ref>{{Article|auteur1=Pierre Villa|titre=Une histoire macroéconomique de la France au {{s-|XX}} |périodique=Cahiers du séminaire d'économétrie|éditeur=CNRS|date=1993|lire en ligne=https://www.cnrseditions.fr/catalogue/economie-droit/une-analyse-macroeconomique-de-la-france-au-xxe-siecle/|accès url=payant}}.</ref>{{,}}{{sfn|Serfaty|2024|loc={{chap.}} 10}}), d'un très haut niveau de capital détruit par les bombardements, les gouvernements n'ont d'autre choix que de massivement intervenir par des investissements publics massifs et des prélèvements obligatoires très élevés sur les grandes fortunes afin de réparer les dégât de la guerre. Ainsi apparaitra le compromis fordiste<ref group="note" name=":0">Terme inventé par [[Michel Aglietta]] pour parler d'une très forte hausse de la productivité permise par le [[fordisme]] mise en parallèle à une indexation des salaires sur la productivité.</ref>, un haut niveaudegré de [[consommation]], une massification scolaire et un dégourdissement de l'activité économique par l'effondrement via l'inflation et les bombardements d'une économie de [[rente]]. Ces différents phénomènes ont permis ainsi de déclencher une croissance économique exceptionnelle dans les pays développés au cours des [[Trente Glorieuses]], croissance motorisée par l’égalité{{sfn|Piketty|2013}}{{,}}{{sfn|Piketty|2019|p=662-687}}.
 
[[Daron Acemoğlu]] considère que le [[fordisme]] du {{s-|XX}} permettait d’ouvrir de nouvelles tâches aux ouvriers à chaque fois qu’une tâche était automatisée, ce qui faisait croître effectivement le salaire des ouvriers contrairement au {{s-|XIX}}, permettant d'augmenter la [[consommation]], donc le revenu des entreprises, qui se mettaient dès lors à produire plus, et ainsi de suite, forgeant un [[cercle vertueux]] entre [[croissance économique]] et égalité économique{{sfn|Acemoğlu|Johnson|2023}}.
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Quant à l'[[impôt sur les sociétés]], en moyenne au niveau mondial, de 1985 à 2019, il a été divisé par deux, passant de 49 à 24 %{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 4}}.
 
En Allemagne, le ralentissement de la croissance économique depuis le milieu des années 1970 coïncide avec une hausse du niveaudegré d'inégalité patrimoniale<ref>{{Article|prénom1=Thilo N. H.|nom1=Albers|prénom2=Charlotte|nom2=Bartels|prénom3=Moritz|nom3=Schularick|titre=The Distribution of Wealth in Germany, 1895-2018|périodique=EconStor|numéro=001|pages=26|éditeur=ECONtribute Policy Brief|date=2020|lire en ligne=https://www.econstor.eu/handle/10419/268554|consulté le=2024-03-02|accès url=libre|format=pdf}}.</ref>.
 
Aux États-Unis, de 1980 à 2019, le salaire minimum fédéral s'abaisse de 30 %, ce qui s'est fortement répercuté sur les bas salaires, alors même que dans les années 1950 et 1960 le salaire minimum américain était le plus élevé au monde{{sfn|Piketty|2019|p=816}}.
 
La France reste cependant une exception dans le monde lors de cette période quant aux inégalités de revenu, puisque des années 1970 à 2019 ce niveaucran d'inégalités aurait même très légèrement baissé (à l'inverse, il est vrai, des inégalités de patrimoine en France{{Note|texte=Charles Serfaty précise bien que dans le même temps les inégalités de patrimoine ont augmenté en France, notamment à cause de la hausse des prix de l'immobilier de 1990 à nos jours.|groupe=note}}), le [[tournant de la rigueur]] n'aurait ainsi été suivi par la France que de manière relativement marginale dans la sphère politique{{sfn|Serfaty|2024|loc={{chap.}} 10}}. Le pays a néanmoins effectivement vécu une vague de privatisation : de 1970 à 2021, 39 entreprises publiques ont été privatisées partiellement, et 40 l'ont été entièrement<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Les économistes atterrés]]|titre=La dette publique|sous-titre=Précis d'économie citoyenne|éditeur=[[Éditions Points]]|date=février 2024|numéro édition=2|année première édition=2021|passage=29|isbn=978-2-7578-9949-6}}.</ref>. Ainsi de 1980 à 2015, la part du patrimoine public dans le patrimoine total passe de 17 à 3 %<ref name=":17">{{Ouvrage|auteur1=[[Les économistes atterrés]]|titre=La dette publique|sous-titre=Précis d'économie citoyenne|éditeur=[[Éditions Points]]|date=février 2024|numéro édition=2|année première édition=2021|passage=30|isbn=978-2-7578-9949-6}}.</ref>.
 
AuSur niveaule plan international, il en résulte une baisse tendancielle de la part du patrimoine public dans le patrimoine total<ref name=":17" />.
 
[[Milton Friedman]] justifie ces privatisations et ces baisses d'impôt en expliquant que l’État est autant sinon moins efficace que les entreprises privées, y compris les [[monopole]]s, et que l'[[Impôt négatif sur le revenu|impôt négatif]] est préférable à l'[[impôt progressif]], car ce dernier désinciterait les plus riches à travailler{{Note|texte=[[Milton Friedman|Friedman]] prétend que l'impôt négatif allie l'avantage de l'[[impôt progressif]] et de l'[[impôt proportionnel]], puisque l'impôt négatif serait socialement plus juste et serait moins désincitatif car l'imposition marginale serait constante : un revenu supplémentaire de 500 € ou de 1000 € sera taxé à un même pourcentage. L'impôt négatif de Friedman a connu une grande médiatisation et un grand succès depuis 1962, puisque ce principe est encore d'actualité de nos jours. En France notamment on retrouve cette logique dans le [[Revenu de solidarité active|RSA]].|groupe=note}}{{,}}<ref>{{Ouvrage|prénom1=Milton|nom1=Friedman|traducteur=André Fourçans|titre=[[Capitalisme et liberté]]|éditeur=Leduc.s éd|date=2010|année première édition=1962|isbn=978-2-84899-369-0|consulté le=2024-01-27}}.</ref>.
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=== Expériences socialistes ===
Les différents [[Socialisme|régimes socialistes]] à partir de la [[Révolution russe|révolution russe de 1917]] se fondent en opposition au [[Capitalisme|système capitaliste]], notamment en réponse aux inégalités économiques dont le capitalismemode de production capitaliste est tenu pour responsable. Les [[Socialisme|régimes socialistes]] connaissent une baisse drastique des inégalités économiques, mais les différents échecs économiques rehaussent sérieusement le niveau d'inégalités à partir des années 1990 par de fortes privatisations et libéralisations des économies, volontaires ou imposées.
[[Fichier:Russia v India income share.png|vignette|redresse=1.5|La part des 1 % des revenus les plus élevés en Russie (rouge) et en Inde (bleu) de 1900 à 2022.]]
 
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Certains pays recourent même au [[collectivisme]] : notamment en [[Tanzanie]], la politique de [[Julius Nyerere]] menée du milieu des années 1970 à 1985 est la plus extrême, puisqu'elle consistait à collectiviser de force l'agriculture, l'éducation et la santé ; ou encore le [[gouvernement militaire provisoire de l'Éthiopie socialiste]], ouvertement [[Marxisme-léninisme|marxiste-léniniste]], ayant collectivisé l'agriculture. Les deux expériences se révèlent malgré tout être des échecs ayant abouti à des [[famine]]s{{sfn|Frankema|Haas|Waijenburg|2023}}{{,}}<ref>{{en}} [[Archie Brown]], ''The Rise and fall of communism'', Vintage Books, 2009, {{p.|367}}</ref>.
 
Selon [[Ewout Frankema]], dans les pays d'[[Afrique du Nord|Afrique du nord]] à l'exception du [[Maroc]], ces expériences ont permis le niveau d'inégalités historiquement le plus bas jamais enregistrées pour la région, et aurait même permis dans la plupart des cas de la [[croissance économique]]. En revanche, le reste des régimes socialistes africains ont abouti sur un échec à cause de [[dette]]s écrasantes, entraînant des [[Politiques d'Ajustement Structurel]] (PAS) et ''de facto'' une hausseélévation des inégalitésdisparités économiques après la chute des régimes socialistes{{sfn|Frankema|Haas|Waijenburg|2023}} : [[Les Économistes atterrés]] affirme ainsi que de 1980 à l'an 2000 les PAS dans les [[pays en développement]] ont accru les inégalités entre pays de 20 %, et les inégalités intranationales<ref>{{Ouvrage|auteur1=[[Les économistes atterrés]]|titre=La dette publique|sous-titre=Précis d'économie citoyenne|éditeur=[[Éditions Points]]|date=février 2024|numéro édition=2|année première édition=2021|passage=65|isbn=978-2-7578-9949-6}}.</ref>.
 
==== Période post-communiste ====
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La [[Chute des régimes communistes en Europe|chute du bloc soviétique]] en 1991 pousse des économistes libéraux, tant venant du bloc soviétique que du bloc capitaliste, à privatiser les pays anciennement communistes le plus rapidement possible, notamment grâce à la [[Thérapie de choc (économie)|thérapie de choc]] consistant notamment à appliquer une politique de [[privatisation par coupons]] ({{anglais|voucher privatization}}) dès {{date|janvier 1993}} où l'intégralité des droits des entreprises collectivisées sont distribuées de manière équitable à tous, qui peuvent librement vendre leurs droits de propriétés pour un prix donné{{sfn|Piketty|2019|loc=|p=917}}{{,}}<ref>{{Ouvrage|prénom1=Jacques|nom1=Sapir|titre=Les économistes contre la démocratie: les économistes et la politique économique entre pouvoir, mondialisation et démocratie|éditeur=Albin Michel|collection=Biblioth`eque Albin Michel Economie|date=2002|isbn=978-2-226-13427-1|consulté le=2024-01-27}}.</ref>.
 
[[Thomas Piketty]] estime que la {{anglais|voucher privatization}} aurait précipité de riches propriétaires à racheter une très grande quantité de droits de propriété, augmentant ainsi très rapidement le niveaudegré d'inégalités dans les pays post-soviétiques. Cette politique serait ainsi à l'origine de l'[[oligarchie russe]]. L'économiste se désole que l'on n'ait pas emprunté une troisième voie différente du « désastre soviétique »{{Note|texte=Terme employé par Thomas Piketty|groupe=note}} et de la logique ultra-libérale{{sfn|Piketty|2019|loc=|p=924,925}}.
 
La [[Chine]] maoïste voit son niveau d'inégalités augmenter, en particulier grâce au pouvoir étatique chinois. Ainsi, [[Forbes (magazine)|''Forbes'']] estime qu'en 2015 le [[Haute fonction publique|haut fonctionnaire]] [[Zhou Yongkang]] aurait accumulé grâce au [[parti communiste chinois]] (PCC) une fortune supérieure à {{nobr|16 milliards}} de dollars, ce qui le placerait à la {{55e|place}} du [[Fortune Global 500|classement Forbes]] de 2015. Ce pouvoir n'est pas exclusif aux hauts fonctionnaires de l’État, ''Forbes'' révèle par exemple qu'un fonctionnaire intermédiaire a réussi à accumuler une fortune supérieure à {{nobr|180 millions}} de dollars{{sfn|Scheidel|2021|p=115}}.
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À partir du [[tournant de la rigueur]], les inégalités ont commencé à augmenter partout dans le Monde : la pauvreté et l’[[extrême pauvreté]] ont certes reculé, mais les inégalités entre pays développés et pays en développement, entre les capitalistes et les travailleurs, et entre travailleurs peu qualifiés et très qualifiés ont fortement augmenté, le revenu des 10 % les plus riches est passé de 1980 à 2021 en Europe est passé de 27 à 36 % et aux États-Unis de 35 à 47 %<ref>{{Lien web |auteur=[[Thomas Piketty]] |titre=Les inégalités de 1900 à 2020: Europe, Etats-Unis, Japon |url=http://piketty.pse.ens.fr/files/ideologie/pdf/G0.6.pdf |format=pdf |site=ens |date=2019 |consulté le=13 janvier 2024 |id=PikettyG06}}.</ref>.
 
AuSur niveaule plan mondial, les 50 % les plus pauvres détiennent 2 % des richesses mondiales{{Note|texte=Alors qu'ils détenaient 1,5 % des richesses en 1995.|groupe=note}}, contre 76 % des richesses pour les 10 % les plus riches, dont 38 % allant aux 1 % les plus riches, dont 12 % allant aux 0,01 % les plus riches{{Note|texte=Alors que ces derniers détenaient 7,5 % de la richesse mondiale en 1995.|groupe=note}}. Ainsi les inégalités de richesse ont augmenté de 50 % entre les 50 % les plus pauvres et les 0,01 % les plus riches de 2008 à 2022<ref>{{Lien web |langue=en-US |titre=What’s new about wealth inequality in the world? |url=https://wid.world/news-article/whats-new-about-wealth-inequality-in-the-world/ |accès url=libre |site=WID - World Inequality Database |consulté le=2024-01-28}}.</ref>.
 
Beaucoup d'[[économiste]]s craignent que les inégalités ne cesseront d'augmenter au {{s-|XXI}} si les États n'interviennent pas massivement.
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| colspan="5" align="right" |<small>''Source : {{Ouvrage|auteur1=[[Walter Scheidel]]|titre=Une histoire des inégalités|année=2021|passage=575-577}}''</small>
|}
À l'heure actuelle, les États-Unis connaissent en réalité un niveaustade d’inégalité sans précédent : alors qu’à la veille de la [[Grande Dépression|Grande Dépression de 1929]] {{incise|qui était en partie causée par les inégalités entre travailleurs et capitalistes}} les 1 % les plus riches possédaient 24 % des revenus du pays, ce taux est en 2019 de 27 %{{Note|texte=L'économiste [[Thomas Piketty]] assure même qu'en 2007, la hausse des inégalités américaines a fragilisé le système financier à cause d'un pouvoir d'achat presque stagnant pour les classes populaires et moyenne, ce qui les aurait incités à davantage s'endetter. Sans être le seul facteur, la hausse des inégalités aurait ainsi contribué à la [[crise des subprimes]]. Source : Thomas Piketty, ''[[Le Capital au XXIe siècle]]'', 2013, {{éd.}} Points, {{p.|469}}.|groupe=note}}. De 1980 à 2015, là où les revenus des 50 % des Américains les plus pauvres ont parfaitement stagné{{Note|texte=En termes réels 2015, en 1980 le revenu moyen des 50 % les plus pauvres était de {{dollar|15988}}, contre {{dollar|16186}} en 2015, soit une augmentation réelle de {{dollar|198}}, soit une augmentation annuelle réelle de 0,035 %.|groupe=note}}, les 15 % les plus pauvres ont eu un niveau de revenu en moyenne décroissant depuis 1980 et les revenus des 1 % les plus riches ont triplé{{Note|texte=En termes réels 2015, en 1980 le revenu moyen des 1 % les plus riches était de {{dollar|428781}}, contre {{dollar|1305301}} en 2015, soit une augmentation réelle de 204 %, soit une augmentation annuelle du revenu réel de 3,2 %.|groupe=note}}{{,}}<ref>{{Lien web |auteur=Thomas Piketty |titre=Bas et hauts revenus aux Etats-Unis, 1960-2015 |url=http://piketty.pse.ens.fr/files/ideologie/pdf/G11.7.pdf |format=pdf |site=piketty.pse.ens.fr |date=2019 |consulté le=28 janvier 2024 |id=PikettyG117}}.</ref>{{,}}{{sfn|Piketty|2019|p=808-810}}{{,}}{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 8}}, et depuis 1970 les revenus des 0,1 % les plus riches ont quadruplé, et ceux des 0,01 % les plus riches ont sextuplé{{sfn|Scheidel|2021|p=14}}. Par ailleurs, de 1977 à 2007, 75 % de la [[croissance économique]] américaine a bénéficié aux 10 % des Américains les plus riches, tandis que 60 % de la croissance a bénéficié aux 1 % les plus riches ; les 90 % restants ont bénéficié d'une croissance annuel du revenu moyen de moins de 0,5 %{{sfn|Piketty|2013|p=469-470}}. Au final, les 1 % des ménages plus riches au monde détiennent plus de 50 % du patrimoine net mondial{{sfn|Scheidel|2021|p=13}}. Jusqu'en 2013, cette évolution est similaire dans les pays anglo-saxons (Angleterre, Canada, Australie), mais n'est pas comparable dans les autres pays développés (France, Allemagne, Japon)<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Facundo|nom1=Alvaredo|prénom2=Anthony|nom2=Atkinson|lien auteur2=Anthony B. Atkinson|prénom3=Thomas|nom3=Piketty|lien auteur3=Thomas Piketty|prénom4=Emmanuel|nom4=Saez|lien auteur4=Emmanuel Saez|titre=The Top 1 Percent in International and Historical Perspective |périodique=[[Journal of Economic Perspectives]] |volume=27|numéro=3|pages=3-20|année=2013|doi=10.1257/jep.27.3.3}}.</ref>. Depuis 1980, les pays en développement vivent quant à eux une hausse significative des niveaux d'inégalité intranationaux<ref name=":28">{{Lien web |langue=fr |auteur=Thomas Mahler et Laetitia Strauch-Bonart |titre=Branko Milanovic : "Les inégalités mondiales diminuent, c’est l’ère de la grande convergence" |url=https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/branko-milanovic-les-inegalites-mondiales-diminuent-cest-lere-de-la-grande-convergence-RRYTRUATNFHCRK42BZTIK6YBR4/ |accès url=limité |périodique=[[L'Express]] |date=2024-02-03 |consulté le=2024-03-01}}.</ref>.
 
Cette hausseélévation des inégalités aux États-Unis peut également se retrouver dans l'[[espérance de vie]] : alors que l'espérance de vie des riches n'a cessé de croître depuis 1980, celle des pauvres a diminué de 3,5 ans relativement aux pays de l'[[Organisation de coopération et de développement économiques|OCDE]]{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 8}}.
 
Ainsi, dans le monde en 2005, l'[[Coefficient de Gini|indice de Gini]] est monté à 0,70 point contre 0,65 point auparavant<ref>{{Article|langue=en|prénom1=Branko|nom1=Milanovic|titre=Global inequality recalculated and updated: the effect of new PPP estimates on global inequality and 2005 estimates|périodique=The Journal of Economic Inequality|volume=10|numéro=1|pages=1–18|date=2012-03-01|issn=1573-8701|doi=10.1007/s10888-010-9155-y|lire en ligne=https://doi.org/10.1007/s10888-010-9155-y|consulté le=2024-01-26}}.</ref>. Plus précisément aux États-Unis, de 1970 à 2018, le coefficient de Gini associé aux revenus nets est passé de 0,65 à 0,75, tandis qu'en France ce coefficient est passé de 0,37 à 0,29<ref>{{Article |langue=en |auteur1=Antoine Bozio |auteur2=Bertrand Garbinti |auteur3=Jonathan Goupille-Lebret |auteur4=Malka Guillot |auteur5=Thomas Piketty |titre=Predistribution vs. Redistribution: Evidence from France and the United States |éditeur=[[Université de Liège]] |date=juillet 2023 |lire en ligne=https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/311624/1/BGGGP_July2023_main.pdf |format=pdf |accès url=libre}}.</ref>.
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Le [[World Inequality Lab]] estime que la [[croissance économique]] aurait bénéficié depuis 1995 à hauteur de 38 % aux multimillionnaires, contre 2 % de la croissance ayant bénéficié aux 50 % les plus pauvres dans le monde, et depuis 2020, deux tiers de la croissance aurait bénéficié aux 1 % les plus riches<ref name=":7" />. L'augmentation des richesses aurait bénéficiait en particulier aux milliardaires, dont le nombre a été multiplié par près de 19 depuis 1987<ref name=":20">{{Article |prénom1=Simon |nom1=Kuper |titre=Time to tax billionaires |périodique=[[Financial Times]] |date=2024-02-08 |lire en ligne=https://www.ft.com/content/f0eee3a9-52b1-4edb-bc1c-b0155735ece5 |consulté le=2024-02-09 |accès url=payant}}.</ref>. [[Oxfam]] déplore notamment le fait que sur la seule période 2020-2023, la fortune des milliardaires a augmenté de {{Nombre|3300|milliards de dollars}} tandis que la fortune des cinq hommes les plus riches du monde a plus que doublé de {{nobr|405 milliards}} à {{nobr|869 milliards}} de dollars<ref>{{Lien web |langue=fr |titre=Des «inégalités obscènes» : avant Davos, Oxfam dénonce l'enrichissement des milliardaires |url=https://www.europe1.fr/economie/des-inegalites-obscenes-avant-davos-oxfam-denonce-lenrichissement-des-milliardaires-4225206 |accès url=libre |site=[[Europe 1]] |date=2024-01-15 |consulté le=2024-03-01}}.</ref>.
 
Le nombre de milliardaires est par ailleurs non-uniformeréparti engéographiquement fonctionde desmanière régions du mondenon-uniforme :
{| class="wikitable sortable mw-collapsible mw-collapsed center alternance"
|+Nombre de milliardaires par région du monde en 2023
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|{{Nombre|4686502180|$}}<ref name=":0" />
|}
L'ensemble des revenus des [[milliardaire]]s américains est imposé à 23 %, un niveautaux similaire à celui de 1910, ce qui signifie que les milliardaires sont moins taxés que les [[Classe moyenne|classes moyennes]] et [[Classes populaires|populaires]]{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} introduction}}. En effet, en [[juin 2021]], [[ProPublica]] révèle que les impôts sur le revenu pour les milliardaires sont si basses que des personnalités telles que [[Jeff Bezos]] (en 2007 et 2011), [[Elon Musk]] (en 2018), [[Michael Bloomberg]] et [[George Soros]] ont légalement versé {{dollar|0}} au fisc américain sur une période pouvant aller jusqu'à 3 ans<ref name=":4">{{Lien web |langue=en |prénom=Jesse Eisinger,Jeff Ernsthausen,Paul |nom=Kiel |titre=The Secret IRS Files: Trove of Never-Before-Seen Records Reveal How the Wealthiest Avoid Income Tax |url=https://www.propublica.org/article/the-secret-irs-files-trove-of-never-before-seen-records-reveal-how-the-wealthiest-avoid-income-tax |accès url=libre |site=ProPublica |date=2021-06-08 |consulté le=2024-03-16}}.</ref>{{,}}<ref>{{Article|langue=fr|titre=Quand Jeff Bezos, Elon Musk et George Soros ne paient pas d’impôt sur le revenu|périodique=Le Monde.fr|date=2021-06-09|lire en ligne=https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/09/quand-jeff-bezos-elon-musk-et-george-soros-ne-paient-pas-d-impot-sur-le-revenu_6083387_3234.html|consulté le=2024-03-16|accès url=limité}}.</ref>. Le philanthrope américain [[Warren Buffett]], notamment à l'origine de la [[règle Buffett]], est un des milliardaires échappant le mieux au fisc, puisque sur la période 2014-2018 il n'aurait versé que 0,10 % de ses revenus sous forme d'impôt<ref name=":4" />. De manière analogue, en [[France]] les revenus des [[milliardaire]]s sont en moyenne taxés à 25 %, soit deux fois moins que le reste de la population ; au [[Danemark]], les revenus des milliardaires sont taxés à 20 %, soit deux fois moins que la moitié la plus pauvre du pays<ref name=":0" />.
 
Par ailleurs au sein des milliardaires les inégalités économiques augmentent également : en 2010, {{nobr|388 milliardaires}} possèdent ce que détient la moitié la plus pauvre du monde en patrimoine net ; en 2014, leur nombre se réduit à 85 milliardaires ; et en 2015 enfin, il ne suffit plus que de {{nobr|62 milliardaires}}{{sfn|Scheidel|2021|p=13}}.
 
==== HausseMontée des inégalités dans le revenu secondaire ====
Dans la continuité du [[tournant de la rigueur]], là où les [[taux de prélèvements obligatoires]] dans les autres pays développés n'ont pas varié depuis les années 1990, les impôts étasuniens continuent de baisser tendanciellement. Les économistes [[Emmanuel Saez]] et [[Gabriel Zucman]] chiffrent que dans les années 1990 le taux de prélèvements obligatoires était de 31,5 % du revenu national contre 28 % en 2019, ce qui selon eux est une baisse inouïe des prélèvements obligatoires ; plus spécifiquement, le taux effectif moyen d'imposition des revenus du capital est passé de 36 % dans les années 1990 à 26 % après le [[Présidence de Donald Trump|mandat de Donald Trump]] ; sur la même période, l'impôt sur les [[dividende]]s est passé de 39,6 % à 20 %. Les deux auteurs précisent par ailleurs que depuis le début du {{s-|XXI}}, pour la première fois de l'Histoire des États-Unis, le taux d'imposition sur les revenus du capital est plus faible que celui sur les revenus du travail (ce dernier est passé de 35 à 37 % des années 1990 à 2019), augmentant ainsi les inégalités entre détenteurs de patrimoine et travailleurs, donc ''de facto'' les disparités entre riches et pauvres{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 5}}.
 
Outre une baisse de l'imposition pour les plus riches, on retrouve une haussemontée des inégalités dans la baisse des [[Prestation sociale|prestations sociales]] accordées aux plus modestes<ref>{{Lien web |langue=fr |auteur=Sandrine Foulon |auteur2=Laurent Jeanneau |titre=« On est dans une logique de sélection des pauvres méritants » |url=https://www.alternatives-economiques.fr/on-une-logique-de-selection-pauvres-meritants/00109818 |accès url=inscription |site=[[Alternatives économiques]] |date=2024-03-02 |consulté le=2024-03-02}}.</ref> :
 
* États-Unis : depuis [[Présidence de Donald Trump|Donald Trump]], les [[Supplemental Nutrition Assistance Program|food stamps]] désormais alloués aux travailleurs effectuant plus de {{nobr|20 heures}} de travail dans les États où le chômage est inférieur à 10 % ;
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==== Essor de l'évasion fiscale ====
Cette hausseaugmentation des inégalités est en partie expliquée par le développement des [[Paradis fiscal|paradis fiscaux]] et des [[Société écran|sociétés écrans]], ce qui a incité les États à réduire leurs impôts pour éviter que les plus riches ne fuient le pays, de fait, une augmentation de 10 % du taux d’imposition réduit d’autant le nombre de sportifs étrangers de hauts niveaux dans ce même pays. Dans les faits, dans les pays nordiques, les 0,1 % les plus riches placent 30 % de la somme qu’ils étaient censés s’acquitter par l’impôt dans des paradis fiscaux<ref name=":2">{{Ouvrage|prénom1=Abhijit V.|nom1=Banerjee|prénom2=Esther|nom2=Duflo|traducteur=Christophe Jaquet|langue originale=anglais|titre=Économie utile pour des temps difficiles|éditeur=Éditions du Seuil|collection=Les livres du nouveau monde|date=2020|isbn=978-2-02-136656-3|consulté le=2024-01-13}}.</ref>. Ainsi, [[Gabriel Zucman]] estime que l'équivalent de 12 % du PIB mondial serait contenu dans des paradis fiscaux en 2022 (contre 10 % dans les années 2000) avec une baisse continuelle des recettes fiscales sur les sociétés à cause de ce système financier : en 1980, 1 % des recettes étaient perdues au niveau mondialemondial, contre près de 10 % en 2024<ref name=":0" />.
 
Pourtant, on pourrait assez facilement s’attaquer aux [[Paradis fiscal|paradis fiscaux]] notamment par la mise en place d’un impôt mondial et de réglementations sur des cabinets d'avocats et de sanctions dédiées aux pays refusant d’être fiscalement transparents. Le système fiscal actuel se ferait au détriment des 50 % les plus pauvres et favoriserait les 1 % les plus riches, ces derniers payent moins d'impôt relativement à leurs revenus<ref name=":20" />{{,}}{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 8}}. Selon [[Gabriel Zucman]] et [[Emmanuel Saez]], si l’on ne lutte pas contre les paradis fiscaux, ce n’est pas par manque de solution, mais par choix politique délibéré{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 4}}{{,}}{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 6}}.
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=== Certaines sphères épargnées par la hausse des inégalités ===
[[Lucas Chancel]] considère qu'en 2021, ausur niveauun plan mondial les 10 % des plus hauts revenus détiennent un revenu 5,2 fois supérieur au revenu moyen, alors que la moitié la plus pauvre de la population détient 0,17 fois le revenu moyen mondial. L'économiste analyse ainsi que depuis 1982 les inégalités au sein des pays se sont certes accrues, mais que les inégalités de revenu entre pays ont été réduites<ref name=":6" />. L'économiste spécialiste des inégalités [[Branko Milanović]] parle même de {{Citation|grande convergence}} entre les pays du monde, un phénomène qui serait sous-estimé puisque les individus sont beaucoup plus sensibles aux inégalités intranationales<ref name=":28" />.
 
[[Fichier:Evolution_des_écarts_de_salaire_entre_les_hommes_et_les_femmes_dans_le_secteur_privé_en_France,_1995-2022.png|vignette|Évolution des écarts de salaire entre les hommes et les femmes dans le secteur privé en France, 1995-2022. En rouge, [[Salaire|revenu salarial]] ; en rose, salaire en [[Équivalent temps plein|EQTP]] ; en bleu, volume de travail annuel.]]
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[[Barack Obama]] en 2011 puis [[Hillary Clinton]] en 2016 ont proposé la [[règle Buffett]] une politique d'imposition plancher à taxer ''a minima'' à 30 % des revenus du contribuable touchant plus d'un million d'euros par an, ce qui concerne seulement 0,3 % des Américains{{sfn|Saez|Zucman|2020|loc={{chap.}} 7}}. Cette règle Buffett n'a cependant jamais encore été mise en place.
 
En 2013, lors de son second mandat, [[Barack Obama]] révèle son inquiétude quant à la haussemontée des inégalités états-uniennes et ses implications sur la [[méritocratie]] : {{Citation|La dangereuse croissance des inégalités et l'absence de possibilités d'ascension sociale ont compromis les fondements socioéconomique de la classe moyenne américaine — selon lesquels, en travaillant dur, tout le monde a une chance de réussir{{sfn|Scheidel|2021|p=15}}.}}
 
En {{date|mars 2024}}, [[Joe Biden]] propose pour les États-Unis une imposition minimale de 25 % sur les milliardaires, ainsi qu'une hausse de l'[[impôt sur les sociétés]] de 21 à 28 %<ref>{{Article|langue=en|titre=Joe Biden to propose big tax rises for billionaires and corporate America|périodique=[[Financial Times]]|date=7 mars 2024|lire en ligne=https://www.ft.com/content/65b77e89-6c4f-4820-b697-5c3852909ada|accès url=payant}}.</ref>.
 
===== Espagne =====
En 2022, en réaction à la haussel'augmentation des inégalités, le [[Parti socialiste ouvrier espagnol|gouvernement socialiste (PSOE)]] de [[Pedro Sánchez]] fait passer un impôt temporaire pour 2022-2023 sur les grandes fortunes. Ainsi, les fortunes supérieures à {{nobr|3,7 millions}} d'euros sont taxées annuellement jusqu'à 3,5 %<ref name=":5" />.
 
==== Sphère diplomatique ====
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==== Intelligence artificielle et marché du travail ====
[[Fichier:OpenAI Logo (2).svg|vignette|L'intelligence artificielle, potentielle contributrice aux inégalités de revenu ?.]]
Par ailleurs, l’[[intelligence artificielle]] risque également de fortement accroître les inégalités économiques ; en effet la massification scolaire a cessé de croître au profit des riches salariés et des entreprises du numérique<ref>{{Article|langue=en|auteur1=[[Claudia Goldin]]|auteur2=[[Lawrence F. Katz]]|titre=The Race between Education and Technology: The Evolution of U.S. Educational Wage Differentials, 1890 to 2005|périodique=National Bureau of Economic Research|date=2005|lire en ligne=https://www.nber.org/papers/w12984|accès url=libre}}.</ref>. Selon certaines estimations l’intelligence artificielle pourrait non seulement accroître les inégalités mais aussi précariser les travailleurs : on estimait en 2014-2015 que 7 % des emplois qualifiés seront menacés et 45 % des emplois en général le seront d'ici 2050<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Four fundamentals of workplace automation |url=https://www.mckinsey.com/capabilities/mckinsey-digital/our-insights/four-fundamentals-of-workplace-automation |accès url=libre |site=[[McKinsey & Company|McKinsey]] |consulté le=2024-01-18}}.</ref>{{,}}<ref name=":2" />, mais ces chiffres datent d’avant l’accélération du développement de l’intelligence artificielle depuis [[OpenAI]], une étude du FMI de 2024 considère que 60 % des emplois seront fortement menacés par l’intelligence artificielle dans les pays développés d’ici 2040 (contre 40 % à une échelle mondiale), le FMI explique néanmoins que cela permettrait d’accroître fortement le revenu des salariés si l’intelligence artificielle permet de compléter leurs tâches<ref name=":3">{{Lien web |langue=en |titre=Gen-AI: Artificial Intelligence and the Future of Work |url=https://www.imf.org/en/Publications/Staff-Discussion-Notes/Issues/2024/01/14/Gen-AI-Artificial-Intelligence-and-the-Future-of-Work-542379 |accès url=libre |site=[[Fonds monétaire international]] |consulté le=2024-01-18}}.</ref>.