Ta zoa trekhei
Ta zoa trekhei (Τὰ ζῷα τρέχει / Tà zỗia trékhei) est une phrase en grec ancien signifiant littéralement « Les animaux courent », mais dont un calque donnerait « Les animaux court ». Elle illustre le fait que, dans cette langue, les sujets de genre neutre, au pluriel, induisent un verbe au singulier.
Il s'agit de la même règle que pour l'expression Panta rhei (Πάντα ῥεῖ / pánta rheî).
Grammaire
modifierLa locution est constituée des éléments suivants :
- τά / tá, nominatif pluriel neutre de l'article défini ὁ / ho[1] ;
- ζῷα / zỗia, nominatif pluriel du nom ζῷον / zỗion, « animal », qui est de genre neutre[2] ;
- τρέχει / trékhei, 3e personne du singulier, présent de l'indicatif du verbe τρέχω / trékhô, « courir »[3].
Cette locution illustre une règle grammaticale du grec ancien : un verbe se conjugue au singulier si son sujet est un nom neutre pluriel. Mot à mot, elle signifie : « les animaux court » et doit se comprendre « les animaux courent » (la 3e personne du pluriel du présent de l'indicatif de τρέχω / trékhô est τρέχουσιν / trékhousin, qui n'est donc pas employé ici).
En indo-européen commun, langue préhistorique reconstituée supposée être à l'origine des langues indo-européennes, certains noms neutres athématiques (voire tous) possèdent un nombre collectif plutôt qu'un pluriel[4], ce qui indique que cette forme collective est considérée comme leur norme et qu'il convient de spécifier lorsqu'on parle d'un élément en particulier.
Le grec ancien, dérivé de l'indo-européen, possède trois nombres : singulier, pluriel et duel. L'irrégularité de la conjugaison plurielle des noms neutres est une subsistance de ce collectif indo-européen, disparu entretemps. Une traduction plus fine de la phrase initiale serait peut-être plutôt « l'ensemble des animaux court »[5].
Évolution
modifierDans les faits, la forme plurielle du verbe (dans notre cas, τὰ ζῷα τρέχουσιν / tà zỗia trékhousin) se rencontre déjà chez les auteurs grecs classiques[6].
La parabole du lis de l'évangile selon Matthieu, rédigé en grec au Ier siècle, contient le texte suivant : « καταμάθετε τὰ κρίνα τοῦ ἀγροῦ πῶς αὐξάνουσιν », soit « considérez comment croissent les lis des champs » (Matthieu 6:28[7]). Ici, le sujet neutre τὰ κρίνα / tà krína, nominatif pluriel de τὸ κρίνον / tò krínon, le lis) et le verbe αὐξάνουσιν / auxánousin (3e personne du pluriel de αὐξάνω / auxánô, « croître »), ont le même nombre.
La règle est totalement abandonnée en grec moderne. La traduction de « les animaux courent » est τα ζώα τρέχουν / ta zóa tréchοun, avec le verbe et le sujet au pluriel.
Dans la culture
modifierOn trouve une référence à cette phrase chez Pascal, dans la pensée n°70 de l'édition Brunschvicg.[1]
Annexes
modifierEn arménien ancien, à partir du VIe siècle, cette forme apparaît dans des textes traduits du grec. Les traducteurs ont suivi le grec. Par exemple, dans la traduction arménienne du Livre V du Contre les hérésies d'Irénée de Lyon, au chapitre 2 (Irénée écrivait en grec) :
- մարմինքս ի սմանէ սնեալք, խոնարհեալք եւ ընկողմանեալք յերկիր եւ քակտեալք ի նմա, յարիցէ յիւրում ժամանակի
- les corps nourris par elle (l'Eucharistie), inclinés et étendus sur la terre, et dissous en elle, ressuscitera en son temps
Liens internes
modifierRéférences
modifier- (en) « τά », Greek Word Study Tool - Perseus Digital Library
- (en) « ζῷα », Greek Word Study Tool - Perseus Digital Library
- (en) « τρέχει », Greek Word Study Tool - Perseus Digital Library
- (en) Don Ringe, From Proto-Indo-European to Proto-Germanic, Oxford University Press, , 355 p. (ISBN 978-0-19-955229-0, lire en ligne)
- Murray Fowler et Jean Humbert, « Syntaxe grecque », Language, vol. 31, no 1, , p. 110 (ISSN 0097-8507, DOI 10.2307/410903, lire en ligne, consulté le )
- Marcel Bizos, Syntaxe grecque, Vuibert, , 284 p. (ISBN 978-2-7117-7210-0)
- Matthieu, Évangile (lire en ligne)