Théorème de Taylor
En mathématiques, plus précisément en analyse, le théorème de Taylor (ou formule de Taylor), du nom du mathématicien anglais Brook Taylor qui l'établit en 1715, montre qu'une fonction plusieurs fois dérivable au voisinage d'un point peut être approchée par une fonction polynomiale dont les coefficients dépendent uniquement des dérivées de la fonction en ce point. Cette fonction polynomiale est parfois appelée polynôme de Taylor.
Définition
modifierFormulation standard
modifierDe manière plus précise, soit :
- un intervalle réel ;
- un élément de ;
- un espace vectoriel normé réel ;
- une fonction de dans dérivable en jusqu'à un certain ordre .
Alors pour tout nombre réel appartenant à , on a la formule de Taylor-Young (voir infra) :
ou de façon équivalente :
où le reste est une fonction négligeable par rapport à au voisinage de .
Autre formulation
modifierPar changement de variable de en , la formule de Taylor-Young peut aussi s'exprimer sous la forme :
ou de façon équivalente :
où le reste est une fonction négligeable par rapport à au voisinage de 0 (c'est-à-dire pour petit).
Expressions et estimations du reste
modifierEn présentant cette formule en 1715[1],[2],[3], Taylor propose ainsi une méthode de développement en série[4], mais sans se préoccuper du reste . En effet, pendant tout le XVIIIe siècle, les mathématiciens n'établissent pas encore de différence entre développement limité et développement en série entière. C'est Joseph-Louis Lagrange qui, en 1799, souligne le premier la nécessité de définir rigoureusement ce reste[5],[6]. Les propriétés de celui-ci s'énoncent différemment selon les hypothèses sur la fonction.
Formule de Taylor-Young
modifierLa formule de Taylor-Young porte le nom de William Henry Young.
Si la fonction (à valeurs réelles ou complexes, ou même dans un espace normé) est dérivable en jusqu'à l'ordre , alors la fonction est négligeable devant :
La formulation suivante est équivalente :
L'énoncé se démontre par récurrence simple, à l'aide d'une « intégration » terme à terme d'un développement limité[7], ou encore par application itérée de la règle de l'Hôpital[8].
Formule de Taylor-Lagrange
modifierLa formule de Taylor-Lagrange porte le nom de Joseph Louis Lagrange.
Si la fonction est à valeurs réelles et est dérivable sur jusqu'à l'ordre , alors, pour tout , il existe un nombre réel strictement compris entre et tel que
Cette relation s'appelle également la forme de Lagrange. L'existence de se déduit directement[7] du théorème de Rolle (ou de sa variante, le théorème des accroissements finis[9]).
Le nombre est parfois noté , et la condition qu'il soit compris entre et s'écrit alors .
Inégalité de Taylor-Lagrange
modifierS'il existe tel que
alors, pour tout :
Formule de Taylor-Cauchy
modifierLa formule de Taylor-Cauchy porte le nom d'Augustin Louis Cauchy.
C'est une variante de la formule de Taylor-Lagrange[9],[10]. Si la fonction est à valeurs réelles et qu'elle est dérivable sur jusqu'à l'ordre alors, pour tout , il existe un nombre strictement compris entre et tel que
Formule de Taylor avec reste intégral de Laplace
modifierLa formule de Taylor avec reste intégral de Laplace porte le nom de Pierre-Simon de Laplace.
Si la fonction est de classe sur et à valeurs dans un espace de Banach réel, alors, pour tout :
Cet énoncé se démontre par récurrence, à l'aide d'une intégration par parties[7].
Remarques
modifierFormule de Taylor-Maclaurin : lorsque = 0, la formule s’écrit
Contrairement à la formule de Taylor-Lagrange, les théorèmes de Taylor-Young et de Taylor-Laplace sont vrais pour des fonctions à valeurs complexes ou dans un espace vectoriel normé, complet pour pouvoir parler d'intégrale (de Bochner) pour le second.
Pour une fonction à valeurs réelles, l'inégalité de Taylor-Lagrange est un corollaire immédiat de la formule de Taylor-Lagrange. Pour une fonction à valeurs dans un espace vectoriel normé, on ne dispose pas de cette formule mais on peut déduire l'inégalité de Taylor-Lagrange de l'inégalité des accroissements finis pour les fonctions à valeurs vectorielles.
La formule de Taylor-Lagrange pour est le théorème des accroissements finis.
La formule de Taylor avec reste de Laplace est une généralisation du second théorème fondamental de l'analyse.
Pour certaines fonctions , le reste tend vers zéro lorsque tend vers l'infini ; ces fonctions peuvent ainsi être développées en série de Taylor dans un voisinage du point . Si cette propriété se vérifie en tout point du domaine de définition, la fonction est dite analytique.
Formule de Taylor pour les fonctions de plusieurs variables
modifierLa formule de Taylor est extensible aux fonctions de plusieurs variables.
Formule de Taylor-Young dans les espaces vectoriels normés[11],[12] — Soient et deux espaces vectoriels normés.
Si une fonction est fois différentiable en un point , alors elle admet en ce point un développement limité à l'ordre , donné par
où désigne le -uplet .
Pour une fonction deux fois différentiable en , on a :
où est le gradient de et est sa matrice hessienne évaluée en .
Ceci se réécrit « en coordonnées » : par exemple pour une fonction deux fois différentiable en , on a :
On peut de même développer « en coordonnées » la formule de Taylor-Young globale ci-dessus, pour des fonctions fois différentiables en un point de et à valeurs dans (ou dans n'importe quel espace vectoriel normé). On voit apparaître des coefficients multinomiaux.
On a également une inégalité de Taylor-Lagrange dans les espaces vectoriels normés[13] qui, développée « en coordonnées » dans le cas particulier et , donne :
Soient un ouvert de et une fonction fois différentiable de dans . Alors pour tout :
où les sommes portent sur les multi-indices , et où le reste vérifie l'inégalité
pour tous les tels que (si est de classe , le majorant ci-dessus est fini).
Notes et références
modifier- Taylor, Methodus incrementorum directa & inversa, Prop.VII, theo. III, p. 21.
- Voir à ce sujet l'article « Brook Taylor ».
- Dans son ouvrage Calcolo differenziale e principii di calcolo integrale (1884), p. XVII, Giuseppe Peano signale qu'en 1694, Jean Bernoulli donna une formule équivalente à la formule de Taylor. Cf. Jean Bernoulli, Additamentum effectionis omnium quadraturarum & rectificationum curvarum per seriem quandam generalissimam, Opera Omnia, t. I, p. 126.
- (en) Brook Taylor (trad. Ian Bruce), Methodus incrementorum directe et inversa, proposition VII, théorème III, corollaire II, Londres, 1715 [lire en ligne].
- Jean-Luc Chabert et al., Histoire d'algorithmes, du caillou à la puce, Belin, 1993, p.455
- Joseph-Louis Lagrange, Leçons sur le calcul des fonctions, 1799, réédité en 1806, leçon neuvième, p. 88 : « Tant que ce développement ne sert qu'à la génération des fonctions dérivées, il est indifférent que la série aille à l'infini ou non ; il l'est aussi lorsqu'on ne considère le développement que comme une simple transformation analytique de la fonction ; mais, si on veut l'employer pour avoir la valeur de la fonction dans les cas particuliers, comme offrant une expression d'une forme plus simple […], alors, ne pouvant tenir compte que d'un certain nombre plus ou moins grand de termes, il est important d'avoir un moyen d'évaluer le reste de la série qu'on néglige, ou du moins de trouver des limites de l'erreur qu'on commet en négligeant ce reste. »
- Voir par exemple le .
- Voir par exemple .
- Formules de Taylor, cours de Jean-François Burnol.
- (en) Eric W. Weisstein, « Cauchy Remainder », sur MathWorld.
- (en) Rodney Coleman, Calculus on Normed Vector Spaces, Springer, (lire en ligne), p. 108.
- Pour une démonstration, voir par exemple .
- Coleman 2012, p. 110.
Bibliographie
modifier- Jacqueline Lelong-Ferrand et Jean-Marie Arnaudiès, Cours de mathématiques, t. 2 : Analyse, Bordas, .
- Claude Deschamps et André Warusfel, J'intègre, Mathématiques première année, Dunod, .
- Joseph-Louis Lagrange, Théorie des fonctions analytiques contenant les principes du calcul différentiel, dégagés de toute considération d'infiniment petits ou d'évanouissants, de limites ou de fluxions et réduits à l'analyse algébrique des quantités finies (1797), Journal de l'École polytechnique, 9e cahier, t. III, § 52, p. 49.