Histoire de la corrida (en remplacement de « Présentation ») modifier

Origines modifier

Affiche de corrida à Séville en 1894
Mithra et le taureau[1] (scène d'un sacrifice d'un taureau, entre 168 et 256 ap. J.-C.)

Dans le langage courant, la « corrida » désigne de nos jours la course de taureaux telle qu'elle se pratique principalement en Espagne, au Portugal, en France et dans certains pays d'Amérique latine. Cependant, avant d'exister sous leur forme actuelle, les courses de taureaux ont connu en Espagne une longue histoire étalée sur de nombreux siècles.

Les « jeux taurins », éventuellement la mise à mort du taureau en public dans la corrida, sont peut-être [2] une survivance des sacrifices d'animaux qui ont été si importants dans certaines cultures, même si leur origine romaine est fréquemment réfutée, à commencer par le premier des historiens de la tauromachie, Nicolás Fernández de Moratín[3]. Mais en tout état de cause, les origines de la corrida et son déroulement restent opaques jusu'aux alentours du XIIIe siècle, même si les premières courses de taureaux dont on ait connaissance datent des fêtes royales données par Alphonse II des Asturies en l'an 815[4].

La corrida moderne doit ses fondements aux jeux taurins organisés pour divertir la noblesse espagnole au Moyen Âge[5]. Les opposants à la corrida, qui contestent cette analyse en soulignant sur divers sites, ses origines issues des jeux du cirque romain, n'apportent toutefois aucune preuve à leurs affirmations.

Évolution modifier

Au Moyen Âge, les nobles organisent entre eux des chasses aux taureaux et des joutes équestres pendant lesquelles ils attaquaient le taureau à l’aide d’une lance. Ainsi, selon une chronique de 1124, des « fêtes de taureaux » ont lieu à Saldaña alors que Alphonse VII s'y trouve. La chronique rappelle également que Le Cid est lui-même friand de ces jeux[6].

Au XIIe siècle, le succès d'une fête royale repose essentiellement sur un personnage inconnu dans les provinces du sud de la péninsule, le mata-toros, qui tue vraisemblablement l'animal d'un jet de javelot[7].

Plus tard, Charles Quint sera grand amateur de ce spectacle lorsqu'il se présente sous forme de joutes équestres, c'est-à-dire des « jeux de toros » avec une codification précise dont l'habileté des cavaliers est consignée dans de nombreux traités[8].

Au cours des XVIe et XVIIe siècles, la tauromachie à cheval réservée à la noblesse se codifie avec notamment, en 1643, la publication du Traité d’équitation et diverses règles pour toréer de Don Gregorio de Tapia y Salcedo. Les cavaliers pratiquent un combat à l’aide de lances, ancêtre de la corrida de rejón et de la corrida portugaise modernes.

Les taureaux sont en général mis à mort par les cavaliers ; cette mise à mort est parfois effectuée par les valets à pieds. Il arrive également que le taureau ne soit pas immédiatement tué ; après le combat, il est livré à la populace qui s’en sert pour faire des jeux : pose et retrait de banderilles, sauts de pied ferme ou à la perche par-dessus le taureau, etc. Quand le taureau est trop affaibli pour que ces jeux restent possibles, il est mis à mort : on lui tranche les jarrets à l’aide d’une lame fixée au bout d’une perche ; il ne reste plus qu’à le tuer d'un coup d’épée.

À partir du XVIIe siècle, le principal acteur reste encore le cavalier, mais c’est désormais un varilarguero (« porteur de longue lance », par opposition aux nobles dont la lance était en fait une sorte de javelot). Au lieu de poursuivre le taureau, ou de se faire poursuivre par celui-ci, il l’attend de pied ferme pour l’arrêter avec sa lance, comme le font les picadors actuels.

Forme moderne modifier

Dans les premières années du XVIIIe siècle, à Ronda, un certain Francisco Romero, à la fin d’une course, demande l’autorisation de tuer lui-même le taureau. Après l’avoir fait charger deux ou trois fois un leurre fait de toile, Francisco Romero estoque le taureau à l’aide de son épée. Par la suite, il recommence dans d’autres arènes et devient un véritable professionnel. Aussi Francisco Romero est-il généralement considéré comme « l’inventeur » de la corrida moderne, même s'il est possible que cette mise à mort du taureau par estocade ait été pratiquée avant lui.

Ses succès entraînent un changement radical dans l’art de toréer : jusqu’à lui, le personnage principal est encore le picador ; après le picador, l’important, ce sont les jeux ; la mise à mort n’est que la fin du spectacle, non sa finalité.

En 1726, Moratín écrit : « À cette époque-là, un homme commence à se faire remarquer : Francisco Romero, celui de Ronda, qui fut un des premiers à perfectionner cet art avec la muletilla, attendant le taureau face à face[9]. ». Ce fameux affrontement en face n'est autre que l'estocade a recibir que Romero expérimente avec succès.

À la suite de Francisco Romero, nombre de ses compatriotes se font aussi matadores de toros, notamment son petit-fils Pedro Romero, « Costillares » et « Pepe Hillo ». Ce dernier sera en 1796 l’auteur de La tauromaquia, o el arte de torear de pie y a caballo (« La tauromachie, ou l’art de toréer à pied et à cheval »), premier traité de tauromachie moderne.

Mais c'est avec Francisco Montes « Paquiro » que se met en place l’organisation de tous les intervenants de la corrida. Dans un traité rédigé en 1836, La Tauromachie ou l'art de toréer dans les plazas à pied comme à cheval[10], il organise en effet le spectacle dont le premier règlement officiel sera promulgué en 1852[10]. Désormais, picadors et banderilleros ne sont plus que les subalternes du matador ; leur but est de permettre la mise à mort du taureau avec le maximum de chances de réussite possible. Les suertes devenues dès lors inutiles, telles que les sauts à la perche, disparaissent.

Outre « Paquiro », les principales figuras (« vedettes ») de cette époque sont « Cúchares », « Frascuelo » et « Lagartijo »[11].

Aux XXe siècle et XIXe siècle modifier

La mauvaise réputation de l'Espagne du fait des chevaux éventrés et la difficulté d'approvisionnement résultante amènent Primo de Rivera à imposer le carapaçon protecteur pour les chevaux, le peto. La corrida change alors de caractère en se recentrant sur l'affrontement entre taureau et matador. La pénurie de taureaux entraînée par la Guerre d'Espagne et la Seconde Guerre mondiale amène dans l'arène des taureaux trop jeunes, dont le petit format et les cornes afeitées quasi-systématiquement permettent un toreo rapproché, où excelle Manolete.

La fin du XXe siècle voit une forte progression du nombre de corridas, encouragée par le tourisme, en même temps que s'accroît l'opposition à la corrida, freinée pour un temps par l'introduction du peto protecteur. Les noms les plus connus des dernières décennies regroupent des figures comme « El Cordobés », « El Viti » et Paco Camino. Puis viennent Francisco Rivera « Paquirri », Antonio Chenel « Antoñete » Paco Ojeda et Juan Antonio Ruiz Román « Espartaco ».

Au début du XXIe siècle, les principales figuras sont Enrique Ponce et Julián López Escobar « El Juli ».

En Amérique latine modifier

Plaza de Acho à Lima, Pérou.

La corrida en Amérique latine s'est implantée dans les pays où l'empreinte espagnole a été la plus ancienne et la plus forte[12].

Les courses de taureaux telles qu’elles se pratiquaient alors en Espagne s’implantent en effet dans ses colonies d’Amérique. La première course de taureaux à Mexico, ordonnée par Hernán Cortés a eu lieu le 13 août 1529, jour de la Saint-Hippolyte et anniversaire de la reddition de Tenochtitlán (nom aztèque de Mexico)[13] avec des taureaux importés d’Espagne. Interdite au Mexique une seule fois, de 1867[14] jusqu'à 1887[15], la corrida y dispose aujourd'hui de la plus grande arène du monde avec 50 000 places[16]. Elle a continué à se développer au Vénézuela malgré l'interdiction de 1894. Elle est aussi restée très populaire au Pérou avec la feria de Lima et les Arènes d'Acho, en Colombie avec les ferias de Manizales, Cali, Carthagène des Indes, Bogota, en Équateur avec les ferias de Quito, Riobamba[17]. En ce qui concerne la Bolivie, la corrida a souvent lieu lors des grandes fêtes patronales[18], tandis qu'au Panamáexiste une certaine activité tauromachique[19].

Le cas de Cuba est un peu particulier puisqu'il est lié à deux formes de colonisation : la colonisation espagnole, suivie de l'occupation américaine. L'interdiction de la corrida y a été promulguée en 1899 par le général John R. Brooke, qui avait pris le commandement de l'île, puis confirmée l'année suivante par le général Leonard Wood, son successeur, le 28 mai 1900[20]. Les Américains installés à la place des Espagnols ont remplacé un spectacle relativement peu populaire par le baseball.

D'autre part, l'implantation de la corrida ne s'est pas révélée durable dans les pays du « cône sud », c'est à dire en Uruguay, en Argentine, au Paraguay et au Chili, d'où elle a disparu aujourd'hui en pratique[21].

Références
  1. Mithra, fresque de Doura Europos.
  2. Flanet et Veilletet 1986, p. 12
  3. Jean Testas, « La Tauromachie», PUF, Que sais-je, Paris, 1974p. 11
  4. article de Véronique Flanet dans Le Peuple du toro, ouvrage collectif, sous la direction de Véronique Flanet et Pierre Veilletet, édition Hermé, Paris, 1986 p. 13 (ISBN 2866650344)
  5. Histoire et dictionnaire de la Tauromachie, ouvrage collectif sous la direction de Robert Bérard, Bouquins Laffont, Paris, 2003, p. 5 (ISBN 2221092465)
  6. Testas 1974, p. 14
  7. Véronique Flanet et Pierre Veilletet, Paris, 1986 p. 14
  8. Jean Testas, Que sais-je, p. 15
  9. Véronique Flanet, p. 24
  10. a et b Bennassar 1993, p. 58
  11. Bennassar 1993, p. 66
  12. Bennassar 1993, p. 99
  13. Bérard 2003, p. 93
  14. Jean-Baptiste Maudet 2010, p. 202.
  15. Élisabeth Hardouin-Fugier 2005, p. 128.
  16. Bérard 2003, p. 94.
  17. Ortiz 2004, p. 160.
  18. Santisima Trinidad – Trinidad (Beni) The festival of the Holy Trinity with folkloric processions and a corrida de toros (bull fight). Voir en juin.
  19. « Calendrier des ferias 2010 », sur Interreal Panamà (consulté le ).
  20. Ortiz 2004, p. 124.
  21. Sous la direction de Robert Bérard 2003, p. 94.
Biblio