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Art poétique
Auteur Horace
Pays Empire romain
Genre art poétique
Version originale
Langue latin
Titre Ad Pisones
Date de parution après 10 av. J.-C.
Version française
Traducteur François Villeneuve
Éditeur Les Belles Lettres
Collection Collection des Universités de France
Lieu de parution Paris
Date de parution 1934
Chronologie

L’Épitre aux Pisons (Ad Pisones), plus connue sous le nom d’Art poétique (Ars poetica), est un poème latin de 476 versHorace décrit sa conception de la poésie dramatique.

Histoire et contenu modifier

Dédicataires et titre modifier

Le poème est habituellement désigné d'après ses dédicataires, les Pisons (Ad Pisones), et son titre est explicité en français comme Épître ou Lettre aux Pisons. La première mention du titre Ars poetica, ou Liber de arte poetica (« Livre sur l'art poétique »), se trouve chez Quintilien[a 1], mais peut avoir été attribué au poème plus tôt[1].

Les Pisons sont une grande famille romaine qui a fourni à l'État romain plusieurs hommes politiques importants, dont des consuls. Parmi ses membres éminents, Lucius Calpurnius Piso Caesoninus (consul en -58) était le protecteur de Philodème de Gadara, qui nous a transmis des informations sur Néoptolème de Parion, une des sources de l’Art poétique. Son fils, Lucius Calpurnius Piso Frugi (consul en -15), a rassemblé dans sa villa d'Herculanum un cénacle où on discute de philosophie[2]. Il avait deux fils, Lucius Piso et Caius Calpurnius Piso (ce dernier nom est incertain). D'après Porphyrion, commentateur d'Horace, l’Art poétique est adressé à Lucius Calpurnius Piso Frugi et à ses deux fils, notamment l'ainé. Cette identification pose quelques problèmes de chronologie, et il a été aussi proposé de voir dans le dédicataire de l'œuvre Cnaeus Calpurnius Piso (consul en -23)[3].

Composition et édition modifier

La composition du poème est datée par la majorité des chercheurs (Perret 190) de 10 av. J.-C., bien que certains la fassent remonter jusqu'en 23 av. J.-C.[4]. Elle est très liée à l’Épitre à Auguste, qui aborde le même sujet du théâtre, et doit avoir lieu après la composition de celle-ci[5]. Avant l'épitre à Auguste pour Villeneuve 195.

Place à part des Epitres

Résumé modifier

Le poème est une série de préceptes sur la technique poétique et le travail du poète. Ses 476 vers peuvent être partagés en trois parties[6] : d'abord des préceptes généraux sur l'œuvre poétique ; ensuite un développement sur le théâtre ; enfin des considérations sur le poète.

Après avoir proclamé la nécessité de l'unité (vers 1-23) et de l'harmonie du poème (24-37), Horace demande au poète de choisir un sujet qui lui convienne ; pour présenter de nouvelles idées, il ne doit pas hésiter à créer des néologismes d'origine grecque (38-72). Horace passe ensuite en revue les mètres et les genres qui les utilisent : l'hexamètre dactylique pour l'épopée, le distique pour l'élégie, l'iambe pour l'épigramme et le théâtre ; à chaque œuvre son style (73-98). Les sentiments doivent prendre l'âme, le rire provoquer le rire, et les malheurs des héros les larmes de l'auditeur (99-118). Deux possibilités s'offrent pour le choix du sujet : soit il est tiré de la tradition, en respectant les caractères des héros ; soit il est nouveau, et le poète doit alors traiter son personnage également d'un bout à l'autre de son œuvre (119-135). Le poème doit commencer sans enflure et son unité être marquée dès les premiers vers (136-152).

Suit une série de recommandations concernant le théâtre (153-274) : cohérence des personnages et des caractéristiques de leur âge (la jeunesse est ardente, les hommes d'âge mûr ont le souci de la carrière, les vieillards sont nostalgiques) ; ce qui doit être montré sur scène et ce qui doit être raconté (les scènes horribles comme le meurtre de ses enfants par Médée) ; un nombre maximum de cinq actes et de trois personnages ; rôle du chœur ; importance de la musique et du costume ; mesure à conserver dans le drame satyrique ; emploi du trimètre iambique. Horace conclut le développement par un survol rapide des origines de la tragédie, avec Thespis et Eschyle, puis de la comédie, et marque l'infériorité des Latins sur les Grecs, à cause de la négligence de leur style (275-294).

La dernière partie du texte traite du travail du poète. Il doit d'abord avoir quelque chose à dire, et avoir suivi une bonne formation, comme chez les Grecs, moins utilitaire que chez les Romains (295-332). Il mêle l'agréable à l'utile (333-346). Quelques petits défauts ne sont pas rédhibitoires, mais il faut se garder d'écrire si on n'en a pas le talent ; dans tous les cas, il faut soumettre ses vers à de nombreux auditeurs et tenir compte de leurs critiques, et même retarder leur publication si on n'est pas sûr de leur valeur (347-390). Horace évoque ensuite brièvement les origines mythiques de la poésie (Orphée, Amphion, Homère, Tyrtée) et insiste sur l'association nécessaire du génie et du labeur pour produire des poèmes de qualité (391-418). Le poète à succès attire les flatteurs ; il doit se méfier de leurs propos hypocrites mais écouter les critiques justes des amis sincères (419-452). Le poème se conclut sur la description satirique du poète maniaque qui veut forcer le public à écouter ses vers, et qu'il fait fuir. Cette figure d'être monstrueux se rattache aux premiers vers du poème, qu'ils viennent comme illustrer (453-476).

Sources modifier

Aristote et la Poétique modifier

Les deux premiers préceptes revendiqués par Horace sont aristotéliciens : la création artistique est une mimesis (« imitation ») soumise aux lois de la Nature, et donc à l'εἶδος / eîdos, traduit par Horace en forma[7]. C'est de là que découle la première qualité du poète : appréhender le réel pour exprimer une réalité stable. Il doit s'attacher à révéler la cause formelle de son objet.

Comme Aristote, Horace limite ses exemples à la poésie dramatique, qui réalise mieux que les autres formes poétiques l'imitation de la vie[8]. Comme le philosophe grec, il traite brièvement l'épopée, mais surtout pour louer les qualités dramatiques d'Homère.

Horace reprend la conception aristotélicienne du rôle du chœur, vu comme un acteur à part entière, qui participe à l'action[9].

Épicure modifier

La théorie du langage d'Horace est inspirée d'Épicure, et non d'Aristote : « le mot reflète le réel[10] » et la combinaison des mots permet d'atteindre la réalité des choses.

Néoptolème de Parion modifier

Le commentaire de Porphyrion au premier vers de l’Art poétique indique qu'Horace aurait repris les préceptes de la Poétique (Περὶ ποιητικῆς / Perì poiêtikês) de Néoptolème de Parion, écrivain hellénistique du IIIe siècle av. J.-C.. Certains de ces préceptes sont repris par Philodème de Gadara (mort vers 40 av. J.-C.), dont des fragments nous sont parvenus ; un passage de Cicéron[a 2] mentionne Philodème comme client de Lucius Calpurnius Pison, père du dédicataire principal[11]. Parmi les principes de Néoptolème mentionnés par Philodème et présents chez Horace, on peut relever l'unité et la cohérence, l'alliance de la technique et du talent, du charme et de l'édification morale ; ces idées ne sont cependant pas originales, et elles ont été reprises dans la littérature latine avant Horace[12].

En dépit de ces incertitudes, une idée plus spécifique à Néoptolème parait se retrouver dans l’Art poétique : la structure tripartie qui oppose le poème (ποίημα (poiêma), c'est-à-dire la diction ou le style), la poésie (ποίησις (poiêsis), le contenu) et le poète (ποιητής (poiêtês))[12]. C'est dans cette dernière partie, la conception du poète, qu'Horace semble suivre Néoptolème avec le plus de fidélité[13].

Commentaire modifier

Grecs et Romains modifier

Horace s'inscrit dans le lieu commun selon lequel les Romains sont un peuple prosaïque, buté et utilitariste, mal né pour la création poétique ; leur langue, épaisse et lourde, constitue un obstacle supplémentaire à leur expression artistique. En regard, les Grecs sont doués pour la création. Horace reprend cette opposition, mais la précise : les Grecs possèdent une facilité naturelle à la poésie, tandis que les Romains doivent en passer par un travail long et ardu pour les égaler[14] (« limae labor et mora » (« le travail lent de la lime »)[a 3]).

Le poème est à la fois « descriptif et iconoclaste » dans sa manière de présenter la littérature grecque et de critiquer les limites des productions épiques et lyriques latines, et « prescriptif et classique[15] ».

« examiné avec bienveillance ces espoirs d'un renouveau du théâtre romain [et] défini, même, les conditions de leur succès[16] »

Horace n'aime pas donner de préceptes trop précis qui enfermeraient les poètes dans un carcan peu propice à la création. S'il admire les Grecs, il adapte ses conseils au contexte romain : il précise ainsi ce dont, selon lui, la poésie latine a besoin pour s'élever[13].

L'idée générale est que les Romains doivent imiter avec plus de rigueur les productions grecques et limiter le relâchement, caractéristique de Plaute, Ennius, Accius, qu'ils mettent souvnt dans leur travail poétique[17].

Réformer le théâtre modifier

En donnant des conseils concrets pour écrire une pièce de théâtre, Horace prétend réformer le théâtre latin pour lui permettre d'accéder à une grandeur égale au théâtre grec : cinq actes équilibrés (Horace est le premier à proposer cette division) ; un chœur qui se mêle à l'action et ne se contente pas de la commenter ; créer un drame satyrique romain ; soigner l'écriture, en particulier la métrique[18].

Horace s'intéresse au drame satyrique, genre moyen entre la tragédie et la comédie, qu'il souhaiterait voir introduit à Rome. Cet entre-deux n'est pas sans rappeler la tonalité de ses propres Satires, où Horace exprime dans des vers apparemment faciles et légers des réflexions plus profondes[19]. Le drame satyrique latin s'appuierait sur la tradition religieuse (des satyres étaient présents dans certaines cortèges) et répondrait au gout des Romains pour la parodie.

Théorie esthétique modifier

De nombreux préceptes présentés par Horace peuvent paraitre évidents au lecteur contemporains, tant ils ont été repris (et les citations correspondantes citées). Il devait pourtant sembler nécessaire à Horace de formuler le premier de ces préceptes, l'unité de l'œuvre, qui devait manquer à certaines œuvres anciennes, comme les cycles épiques et les annales historiques, et contre une certaine tendance pointilliste, à la recherche de bons morceaux littéraires, sur le point d'éclore[20].

Pour Horace, l'art est un facteur de cohésion dans la société[21].

Place du poète modifier

Contrairement à ce qu'il professe dans ses Satires, publiées plus de vingt ans plus tôt, où il célèbre les poètes amateurs contre les professionnels sans scrupules, Horace fait maintenant l'éloge des poètes de métier, dont il fait partie, et qui sont apparus récemment, comme Virgile et Properce[22].

Autres modifier

Dès le premier vers, Horace donne l'impression que son poème traitera du peintre et de la peinture. Si le lecteur comprend vite le vrai sujet du texte, les allusions à l'art pictural émaillent le texte[23] : Vt pictura poesis (« Il en est de la poésie comme d'une peinture »)[a 4].

Pour Jacques Perret, cette épitre n'est pas un art poétique, car il ne traite ni de l'épopée, ni de la poésie lyrique (191) : « lettre sur l'art dramatique » (199).

Existence et reconnaissance de règles qui sont aussi faites pour être transgressées[24]

« l'Art poétique est bien plus un guide qui éclaire le jugement des lecteurs et du public que le manuel pour écrivains qu'il prétend être[15]. »

Horace traite dans le poème de la grande poésie, c'est-à-dire la poésie sublime ; il n'a d'ailleurs jamais désigné ses satires et ses épitres comme des poèmes[17].

Postérité modifier

La postérité de l’Art poétique est immense et encore plus significative pour les auteurs postérieurs que pour ses contemporains : « il a exercé une influence beaucoup plus importante qu'aucun autre poème individuel [d'Horace], et même plus importante que ses recueils de poèmes[1] ».

« Vos exemplaria Graeca / nocturna uersate manu, uersate diurna. » (v.268-9) + 291-4

Tout au long l'Antiquité, le poème est considéré comme une véritable « Poétique », en particulier par Quintilien (dès le Ier siècle), le grammairien Quintus Terentius Scaurus et Priscien de Césarée[25].

Une soixantaine d'années après le poème, Sénèque écrit des tragédies qui suivent les préceptes d'Horace[18].

Commentaire de l'œuvre par Cristoforo Landino au XVe avec de nombreux exemples tirés de Virgile[26]

« Cette œuvre énigmatique apparait différente à un lecteur et à un autre et, à chaque lecteur, différente tous les dix ans[27]. »

Au XIXe siècle modifier

Une trentaine de traductions sont publiées au cours du siècle[28]. Face à l'émergence du drame romantique, l’Art poétique devient un argument solide des partisans du classicisme ; la moitié des traductions sont d'ailleurs publiées dans la période 1828-1842. Les romantiques s'opposent en même temps à l'Art poétique de Boileau, d'ailleurs fréquemment publié avec celui d'Horace.

Plus étonnamment, l’Art poétique est utilisé comme punition pour les élèves qui témoignent de goûts romantiques « pour se former le goût[29] » : Maxime Du Camp et Victor Hugo ont dû le copier au collège.

Au XXe siècle modifier

Arté poética de Jorge Luis Borges

Notes et références modifier

Notes modifier

Références anciennes modifier

Références modernes modifier

  1. a et b Laird 2007, p. 132.
  2. Grimal 1964, p. 440.
  3. Villeneuve 1934, p. 194.
  4. Laird 2007, p. 133.
  5. Perret 1959, p. 186.
  6. Perret 1959, p. 199.
  7. Grimal 1964, p. 441.
  8. Villeneuve 1934, p. 186.
  9. Perret 1959, p. 206.
  10. Grimal 1964, p. 445.
  11. Laird 2007, p. 134.
  12. a et b Laird 2007, p. 135.
  13. a et b Villeneuve 1934, p. 189.
  14. Perret 1959, p. 204.
  15. a et b Laird 2007, p. 142.
  16. Perret 1959, p. 189.
  17. a et b Villeneuve 1934, p. 192.
  18. a et b Perret 1959, p. 205.
  19. Perret 1959, p. 208.
  20. Perret 1959, p. 201.
  21. Perret 1959, p. 202.
  22. Perret 1959, p. 203.
  23. Laird 2007, p. 138.
  24. Laird 2007, p. 140.
  25. Villeneuve 1934, p. 182.
  26. Laird 2007, p. 141.
  27. Johann Wolfgang von Goethe, cité par Villeneuve 1934, p. 181.
  28. Merle 1999, p. 99.
  29. Citation du proviseur de Maxime Du Camp dans les Souvenirs littéraires, cité par Merle 1999, p. 100

Voir aussi modifier

Éditions commentées modifier

  • Horace et François Villeneuve (introduction, édition, apparat critique et traduction), Œuvres d'Horace : Épîtres, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Collection des Universités de France »,
Comprend aussi l’Art poétique
  • (en) Horace et Colin Macleod (traduction et commentaire), The Epistles, Rome, Edizioni dell'Ateneo,

Sur Horace modifier

  • (en) Stephen Harrison (dir.), The Cambridge companion to Horace, Cambridge University Press,
    • (en) Andrew Laird, The Cambridge companion to Horace : The Ars Poetica
  • Denis Merle, « Sur les traductions d'Horace en France, au XIXe siècle », Romantisme « Traduire au XIXe siècle », no 106,‎ , p. 97-108 (lire en ligne)
  • (en) Ellen Oliensis, Horace and the Rhetoric of Authority, Cambridge, Cambridge University Press,
  • Jacques Perret, Horace, Paris, Hatier, coll. « Connaissance des lettres »,
  • [1]

Sur l’Art poétique modifier

  • (de) August Arnold, Des Horaz Brief an die Pisonen oder Über die Dichtkunst, Berlin / Posen / Bromberg,
  • Pierre Grimal, Essai sur l'art poétique d'Horace, Paris, SEDES,
  • Pierre Grimal, « De l'art de vivre à l’Art poétique », Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, no 23,‎ , p. 436-447 (lire en ligne)
  • (en) O. B. Hardison, Jr, Horace for Students of Literature : The "Ars Poetica" and its Tradition, University Press of Florida,
  • (en) Ross S. Kilpatrick, The Poetry of Criticism : Horace, Epistles II and Ars Poetica, Edmonton, Alberta, The University of Alberta Press,