4 juin 2014: Reprise de la section: "Situation de l'œuvre de Jean Sulivan" et du Début d'article:

Jean Sulivan
Nom de naissance Joseph Lemarchand
Naissance
Montauban-de-Bretagne
Décès (à 66 ans)
Paris
Activité principale
Prêtre et écrivain
Auteur
Langue d’écriture français

Jean Sulivan, pseudonyme de Joseph Lemarchand, est un écrivain français né le à Montauban-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, et mort le à Paris.

À cette différence importante près qu'il est d'abord prêtre et entend rester fidèle à son sacerdoce, cet écrivain s'inscrit avec le style « rebelle » qui le caractérise dans la suite d'une Renaissance littéraire catholique en France.

Biographie

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L'enfance et la mort du père, tué à la guerre, sont déterminantes dans la vie de Joseph Lemarchand devenu Jean Sulivan sous le nom de plume adopté finalement. Le contexte historique et culturel de l'après-guerre, de même que la permission octroyée à l'époque par l'institution de l'Église catholique vont aussi faciliter à Sulivan l'accès à son métier principal d'écrivain.

De Fonténigrou à Rennes

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Enfance, adolescence

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Joseph Lemarchand, né en 1913 à Montauban-de-Bretagne, est le fils aîné d’Angèle Delaunay et Joseph Lemarchand, métayers au lieu-dit Fonténigou, les « Fontaines Noires ». Jean Sulivan, qui écrira en 1976 dans ses Matinales avoir renoncé à tout enracinement, précisera néanmoins : « Mais il est vrai que lorsqu'on a vécu son enfance et son adolescence dans un village, on le porte avec soi toute sa vie ». Dans sa biographie de Jean Sulivan, Édith Delos[1] évoque « le bonheur fondamental de cette immersion première dans la nature : la mère, la terre, les bêtes, l'eau, l'air, les arbres, l'herbe... ».

Le père du futur « Jean Sulivan » a été mobilisé et meurt au front en Algonne en 1916.

La mère se remarie en 1919. Pour l'enfant, c'est une blessure. Il aura trois frères et une sœur, nés du second mariage de sa mère.

L'école signifie aussi une rupture : « Petite mère dut me contraindre à aller en classe, me cogner dessus avec une gaule qu'elle avait arrachée à un fagot, me traîner hurlant. Pendant la première récréation je pris la fuite vers la forêt ». Jean Sulivan ne commence de parler des premières blessures mémorisées obscurément dans l'enfance qu'à partir de 1965-1966, dans Devance tout adieu, après la mort de sa mère.

Il entre au petit séminaire de Châteaugiron, à une vingtaine de kilomètres de Rennes, en 1926, et il ne revient plus alors à la ferme qu'aux vacances. Il a choisi le petit séminaire « dans l'idée d'être surveillé de moins près... pour faire plaisir à sa mère, pour ne pas déplaire aux prêtres, à cause de la lecture des vies de saints qui étaient une sorte de récits d'aventure, par manque de goût pour les métiers ordinaires...»[2].

Vers la prêtrise

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Il entre au grand séminaire de Rennes en 1932, et est ordonné prêtre en 1938.

Il peut avoir accès un peu clandestinement à un certain nombre de lectures plus « libres » (il énumère dans Le plus petit abîme: « Maritain, Gilson, Gabriel Marcel, Heidegger, Kierkegaard, Claudel, Lubac, Montcheuil, Congar et quelques autres »)

En 1938, après son ordination, il devient professeur au collège Saint-Vincent de Rennes. Peut-être parce qu'il est le fils d'un « tué à la guerre », il est dispensé du service des armes.

Ce faisant, et indépendamment, après le séminaire : études universitaires

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Il suit des cours de lettres et de philosophie à l'université : « L'université m'aura plus appris que le séminaire. [...] J'y ai trouvé la liberté spirituelle [...] ».

C'est une période de formation.

L'entrée en lice: culture et cinéma

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En 1945, ce prêtre atypique fonde un centre de conférences, la « Résistance spirituelle », renommée ensuite la « Renaissance spirituelle ». Les rencontres ouvertes au public ont lieu tous les quinze jours au cinéma « Le Français ».

En 1946, Sulivan est nommé aumônier des étudiants.

Pour devancer une décision de l'évêché dans la nomination d'une personnalité plus « conforme », il donne sa démission en 1949. Le cardinal Roques lui donne cependant toute liberté pour continuer et développer ses activités culturelles: il crée un ciné-club d'art et d'essai, « La Chambre Noire », et un journal mensuel, Dialogues-Ouest.

Joseph Lemarchand est en train de muer; divers pseudonymes apparaissent: Jacques Moreuil, Jean des Houches...

Il a déjà eu deux accidents de moto, et a traversé l'expérience du coma et du lent retour à la vie après le premier qui a été grave.

Dialogues-Ouest cesse de paraître en 1954 au quarante-cinquième numéro, de par la volonté de celui qui l'a créé.

Jean Sulivan : voyages, et écrivain « terreux » à Paris

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En 1958, Jean Sulivan a quarante-cinq ans lorsqu'il publie sous ce pseudonyme son premier livre, Le voyage intérieur.

Il écrira un jour: « Autour de quarante ans, je suis né à la lumière, à la jeunesse de l'écriture en Engadine, à Gaeta, Sorrente, en Sicile, comme à Taroudant, Tafraout, Zagora ».

Les voyages de Sulivan, à côté des courses en montagne, et des pèlerinages littéraires sur les traces de Rainer Maria Rilke et de Nietzsche, comprennent également le travail en usine chez Salmson à Boulogne-Billancourt.

En 1964, en Inde, il rencontre Henri Le Saux, « Abhis » dans Le plus petit abîme : « Je suis né dans l'Inde du Sud, au bord d'un fleuve » ; « Soudain la chose est là, bondit, vous coupe le souffle, vous tord; un vent de panique vous secoue comme un arbre, vous dépouille, la fulgurante intuition de la contingence, de l'inimportance de tout, du vide, tandis qu'une joie inexplicable se déplie, vous ouvre... Il faut s'asseoir, se laisser aller aller tant le choc est brutal ». Édith Delos rapporte qu'à son retour en France, son frère Maurice Récan ne l'a pas reconnu, car « c'était un autre homme ».

En juillet 1965, la mère de Jean Sulivan meurt en refusant les « consolations » de la religion.

En 1967, Jean Sulivan s'installe définitivement à Paris: « Terreux. En tout homme des villes il y a un terreux [...] » (La traversée des illusions).

De 1970 à 1980, il fonde et dirige la collection Voies ouvertes chez Gallimard, puis Connivence chez Desclée de Brouwer.

II décède, le 16 février 1980, une semaine après avoir été renversé par une voiture à Paris en traversant une route du Bois de Boulogne.

De mémoire d'écrivain : l'Association des Amis de Jean Sulivan

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L'Association des Amis de Jean Sulivan est fondée en 1985 « pour promouvoir la connaissance et la diffusion de l'œuvre de l'écrivain »; sa présidente statutaire est Édith Delos, légataire de Jean Sulivan.

Les autres membres fondateurs sont : Jacques de Bourbon-Busset(†), Jean Bousquet(†), Patrick Gormally, Gilles Farcet, Claude Goure, Henri Guillemin (†), Lucien Guissard, Jacques Madaule (†), Joseph Majault (†), Georges Morel (†), Jean-Claude Renard(†), Bruno Ribes(†).

L'Association a publié 13 numéros de sa revue « Rencontres avec Jean Sulivan ».

L'Association aura vécu vingt-cinq années, et aidé ainsi à faire connaître l'œuvre de l'écrivain en l'accompagnant jusqu'à son « passage » dans le troisième millénaire. Fin novembre 2010, à la demande de sa présidente Édith Delos, qui écrit dans sa biographie à propos de Jean Sulivan, ce « fils sans père, fils de tué » - comme il disait : « Personnellement, je l'aurai toujours vu saluer avec humour les monuments aux morts », l'Assemblée Générale des « Amis de Jean Sulivan » s'est prononcée sur la dissolution de l'Association, devenue nécessaire. Sûrement en toute fidélité aussi et finalement à la mémoire de Jean Sulivan !

Au début de l'année 2011, Édith Clanet-Delos a déposé les archives de Jean Sulivan à l'I.M.E.C.. Édith Clanet-Delos est décédée à Paris le 13 mai 2011.

Oeuvres

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Fin des années 1950

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  • Le Voyage intérieur, Plon, 1958; réédité dans Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
  • L'insurrection du prince, récit inédit, 1959, édité dans Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
  • Provocation ou la faiblesse de Dieu, Plon, 1959

Années 1960

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  • Le bonheur des rebelles, Plon, 1960, réédité dans Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
  • Le Prince et le mal, Paris, Spes, 1960
  • Ligne de crête Plon, 1961, réédité et suivi de Les Hommes de souterrain, Desclée de Brouwer, Coll. « Connivence », 1978.
  • Paradoxe et scandale, Plon, 1962, réédité sous le titre Dieu au-delà de Dieu, Gallimard, 1968, puis aux éditions Desclée de Brouwer, 1982
  • Du côté de l'ombre, Gallimard, 1962
  • Mais il y a la mer, Gallimard, 1964 ; collection Folio, no 628, 1974.
  • Le plus petit abîme, Gallimard, 1965
  • Devance tout adieu, Gallimard, 1966; collection Folio no 1451, 1983. Prix des écrivains de l'Ouest 1988.
  • Car je t'aime, ô Éternité !, Gallimard, 1966
  • L'Obsession de Delphes, Gallimard, 1967
  • Bonheur des rebelles, Gallimard, 1968
  • Consolation de la Nuit, Gallimard, 1968
  • Dieu au-delà de Dieu, Gallimard, coll. « Les Essais », 1968 (réédition de Paradoxe et scandale, Plon, 1962, avec quelques ajouts), réédité aux Éditions Desclée de Brouwer, coll. « Connivence », 1982.
  • Les Mots à la gorge, Gallimard, 1969 et éditions Apogée, 2008
  • Miroir brisé, Gallimard, 1969

Années 1970

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  • D'Amour et de mort à Mogador, Gallimard, 1970
  • Petite littérature individuelle suivi de « Logique de l'écrivain chrétien », Gallimard, Collection « Voies ouvertes » dirigée par Jean Sulivan, 1971.
  • Joie errante, Gallimard, 1974; coll. Folio no 1917, 1988.
  • Je veux battre le tambour, Gallimard, 1975
  • Matinales I : Itinéraire spirituel, Gallimard, 1976; Folio essais no 367, 2000, Prix Bretagne 1976
  • Matinales II : La Traversée des illusions, Gallimard, 1977. « Passez les passants », postface à Henri Guillemin, Sulivan ou la parole libératrice, Gallimard, 1977.
  • « La Dévotion moderne », introduction à L'imitation de Jésus-Christ, nouvelle traduction du latin par Michel Billon, Desclée de Brouwer, coll. « Connivence »,1979
  • L'instant l'éternité, Entretiens avec Bernard Feillet, Ed. du Centurion, 1978
  • Quelque temps de la vie de Jude et Cie, Stock, 1979

1980, et après

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  • L'Exode, Desclée de Brouwer, 1980; réédition avec une préface de Jacques de Bourbon Busset, Cerf, 1988
  • Parole du passant, Le Centurion-Panorama Aujourd'hui, Paris, 1980, réédité aux Éditions Albin Michel, coll. « Paroles vives », 1991

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Archives de Jean Sulivan

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Au début de l'année 2011, les archives de Jean Sulivan ont été déposées par Édith Delos, légataire de Jean Sulivan, à l'I.M.E.C. (Institut mémoires de l'édition contemporaine).

Situation de l'œuvre de Jean Sulivan

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Au cours de la biographie établie par Édith Delos [3], celle-ci rend compte de l'ensemble de l'œuvre du point de vue chronologique en ces termes :

« En 1958 il publie son premier livre, Le voyage intérieur, sous le pseudonyme de Jean Sulivan. À partir de cette date, chaque année (sauf entre 1971 et 1974) il publiera un ou deux ouvrages: essais, nouvelles et romans se succèdent. Cette abondance de publications ne doit pas cacher le mouvement intérieur qu'il trouve toujours pour avancer. Il semble que sa vie réponde à une impulsion »

— Jean Sulivan: biographie, par Édith Delos

Naissance de l'œuvre dans l'après-guerre français

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Une page de synthèse littéraire, intitulée « Roman et idéologies d'après-guerre » au paragraphe « Orthodoxies et création », dans le volume Littérature XXe siècle de la collection Henri Mitterand - « Textes et documents »[4] situe Jean Sulivan au chapitre 19. « Années 50... Hussards et Chevau-légers », 2. « Romans de mal du siècle », en tant que romancier inspiré par le christianisme, aux côtés de Pierre-Henri Simon, Luc Estang, Paul-André Lesort, Roger Bésus, Henri Queffélec ou Gilbert Cesbron...

« Fils de tué » (Joie errante, 1974[5]) de la première guerre mondiale, ce doit être en effet le contraire du hasard qui se trouve à l'origine de la vocation du « prêtre-écrivain » sous son nom de plume de Jean Sulivan :

« [Guerre[6]:] Je crois n'avoir jamais vu un film des anciennes actualités de guerre sans avoir fermé les yeux de honte, comme s'ils pouvaient se voir les soldats, comme si j'étais parmi eux, les hommes arrachés à leur petite vie, pantins tressautant dans les boyaux des tranchées, bénis par leurs prêtres, mécaniques remontées par l'alcool aussi bien que par les propagandes monstrueuses où tout est confondu, l'argent, la patrie, la religion, Dieu... Ce sont toujours les vivants qui racontent les guerres. On aimerait connaître le point de vue des morts. Sans doute sont-ils devenus trop sérieux ou trop légers pour avoir un point de vue. »

— Jean Sulivan, Devance tout adieu, pp. 31-32

Liberté d'écriture et « rajeunissement » d'un christianisme « rebelle »

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La liberté de plume, qui ne fait que s'accentuer au cours de l'évolution de l'œuvre, rend l'écrivain beaucoup plus inclassable que la mention de son nom dans le manuel scolaire de qualité signalé ci-dessus ne le laisserait supposer (selon un point de vue de l'histoire littéraire du XXe siècle en France n'excédant quand même pas la fin des années 1980 ).

L'ouvrage d'Eamon Maher, Jean Sulivan, 1913-1980. La marginalité dans la vie et l'œuvre, par lequel l'auteur « entend mettre en lumière l’originalité d’un parcours et d’une écriture des marges », souligne le fait suivant : « le prêtre-écrivain Jean Sulivan est encore peu connu en France. Pourtant, Jacques Madaule a dit de lui dans Témoignage chrétien du 30 avril 1964 qu’il était ’un auteur capable de continuer Bernanos.’ »

Au-delà des fractures

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Henri Guillemin, dans l'essai biographique de l'œuvre, qu'il consacre à Jean Sulivan, observe une certaine mutation dans la vie d'âme de l'écrivain vers 1970.

« Traversée d'un désert, après D'Amour et de mort à Mogador (1970). Silence; si l'on excepte Petite littérature individuelle (1971). Avec Joie errante (1974), une respiration, une expression inédites. »

— Henri Guillemin, Sulivan ou la parole libératrice, p. 54.

Ce moment de suspens sensible au début des années 1970 entraînerait dans l'après-coup un accent et un style plus intensément modernes de l'écriture, brillante, discontinue, à partir de Joie errante (1974). Jean Sulivan a lui-même relevé ce moment de « fracture » au travers du personnage d' « Imagine », lorsque, écrit Édith Delos dans sa biographie de l'écrivain, « entre 1971 et 1974 il ne publie rien: durant des mois " tout s'effondre ", " les mots flottent et ne s'emboîtent plus. " » : il vit alors « dans le vide d'Imagine », déraciné.

Au cours de son analyse, Henri Guillemin pousse alors un peu Jean Sulivan dans ses retranchements:

« On se prend à déplorer que Sulivan n'ait pas écrit les deux ouvrages que la vie lui proposait, l'un centré sur cette "Lucie" fugitivement sous nos yeux au début de Mogador, l'autre dont l'héroïne eût été celle qu'il a nommée "Imagine". Lucie la croyante, Lucie l'adultère et qui ne regrette rien; [...] Lucie qui ne demanderait qu'à s'enfuir avec son amant, mais "la femme qui partirait avec toi serait une autre"; leur séparation consentie dans le déchirement. Et l'aventure Imagine, ce déferlement de bonheur. [...] Pourtant, il l'avait avertie: "Le mariage, jamais"; et, à présent, ce désarroi; cette impression d'arrachement injuste; l'être éperdu qui saigne, et qui ment, laissant croire, quand il parle d'elle, qu'elle est morte, qu'elle s'est tuée. Puis il fait la connaissance de Joss et Géri [...] »

— Henri Guillemin, Sulivan ou la parole libératrice, p. 153-154.

Le romancier auteur de D'Amour et de mort à Mogador aura donné au personnage de « Lucie » le prénom d'une personne proche de sa mère, évoquant l'enfance et la première rencontre du corps féminin. Le récit le plus autobiographique de Sulivan, sur la mort de sa mère, est Devance tout adieu. Dans la biographie de l'écrivain, Édith Delos laisse Jean Sulivan raconter:

« Je vis Lucie, notre servante, parfaitement nue qui se considérait dans la glace. Je ne crois pas avoir éprouvé autre chose qu'un tranquille éblouissement, le même bonheur que me donnaient les arbres, les bêtes. Plus tard on m'expliqua que les images étaient un péché. Ou bien avais-je mal compris? En tout cas, je sais que je m'accusai souvent de ce péché, sans comprendre en quoi c'était un péché. Quand les images se mirent à naître du dedans. L'angoisse vint, puis la peur. »

— Jean Sulivan cité dans la Biographie établie par Édith Delos.

« Ainsi parlait »... Jean Sulivan

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Cependant chez Sulivan, les blessures de la vie doivent donner des ailes. Et le chrétien, qui n'est pas forcément un saint, est tout de même une sorte de héros qui saute par-dessus les abîmes à l'instar du Zarathoustra bondissant de Nietzsche.

Le caractère percutant et provocateur de cette parole de prédicateur jeté dans le siècle, qui s'entend à jouer de l'aphorisme appliqué à une modernité de la « mort de Dieu », demeure prégnant, soutenu comme sur un fil tout au long de l'œuvre de l'écrivain chrétien « rebelle ». Jean Sulivan, poète et penseur, a bien fréquenté la philosophie et la danse joyeuse de Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, fréquentation dont on retrouve la trace inscrite dans certains titres qui parlent d'eux-mêmes: Car je t'aime ô éternité!, L'instant, l'éternité... « Nietzsche se parle en moi », confie à ses lecteurs - « coauteurs », Jean Sulivan dans Miroir brisé[7].

L'éternité, c'est aussi la jeunesse d'esprit:

« La vraie jeunesse est au-delà de l'âge, conquise »

— Jean Sulivan, Provocation, p. 177[8]

Éternité de l'instant et « poésie » vécue du christianisme

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Le « prédicateur », petit frère moderne des « pauvres en esprit » au sens évangélique des Béatitudes et familier des poètes, est en quête d'un instant de grâce.

Instant de poésie avec des clochards du Champ-de-Mars à Paris, en train de s'entretenir avec les oiseaux:

« Six heures du matin, au Champ-de-Mars. Quatre clochards au bord de la pelouse se font la barbe près d'une prise d'eau, tandis que deux autres cassent la croûte. C'est un dimanche de mai. Pigeons et moineaux se sont assemblés autour. Il y a des rires mélangés aux piaillements dans l'air léger. Un merle, un peu à l'écart, tente de s'envoler avec un morceau de plastique rouge. Et l'un des clochards qui mange, son couteau à la main, lui cause: Vlàti pas que tu te mets toi aussi au plastique asteure, tu f'rais mieux de piquer des brindilles et des plumes, p'tit connard... Mais le merle a réussi à s'envoler avec sa trouvaille, et les voici, tous les six, couteaux en main, rasoirs, visages savonneux, le nez levé sous un marronnier, pour voir, des fois, s'il n'aurait pas son nid par là l'oiziau. [...] J'aimerais bien engager la conversation avec tel ou tel. Je ne me sens pas assez pauvre ce matin. Ce sont des seigneurs, vous comprenez. [...] »

— Jean Sulivan, La traversée des illusions (Matinales II), pp. 60-61[9]

« Aveuglement et orgueil à refuser la finitude », écrit Sulivan dans Petite littérature individuelle. « À chaque pas » il doit « prendre terre pour aller plus loin ». « Aveuglement et orgueil à s'enraciner dans les mots, sous peine de devenir heureux comme un arbre. » [10] !

La foi en « la Sainte Église »

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Plus chrétien que nietzschéen, Jean Sulivan reste cependant un prêtre complètement fidèle à l'Église catholique romaine:

« Je puis suivre Nietzsche quand il écrit: L'Église est exactement ce contre quoi Jésus a prêché — ce qu'il enseignait à ses disciples de combattre.Mais il y a une chose que Nietzsche à son époque, ne pouvait sans doute percevoir. Le "poème", la communion issus de la Parole et de la logique de l'Évangile, qui existent avec et contre l'entreprise, c'est aussi l'Église qui les garde, notre mère, Henri, la Sainte Église, dans sa réalité indivisible. »

— Jean Sulivan, Passez les passants, dans: Henri Guillemin, Sulivan ou la parole libératrice, pp. 209-210.

« Jean Sulivan, contemporain »

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Où est l'auteur? Où sont les « auteurs »: celles et ceux que Bruno Frappat, dans son article du 6 janvier 2011 du journal La Croix, intitulé « Jean Sulivan, contemporain », estime être des « coauteurs », non sans avoir rappelé auparavant, selon lui, que chez Sulivan, « l'invite » était « constante [...] à oublier les auteurs » ? Voilà un paradoxe et ce qui peut rendre en effet Jean Sulivan très « contemporain », la condition ayant été posée que pour ce faire, il faut au « prêtre-écrivain » en référer à la religion catholique. La foi en Dieu représente le lieu « commun » de la « nouvelle alliance », l'adresse des « amis » de Jean Sulivan et d'un amour humain possible.

Jean Sulivan est-il d'accord avec Bruno Frappat dans La Croix sur sa « contemporanéité » actuelle? Il écrit:

« C'est maintenant, se dit l'écrivain dont je parle, à peine né, que j'ai à regarder le monde dans sa vérité, à l'aimer et à dire ce quelque chose, consubstantiel à la vie, qui passe la vie, ici, maintenant. Refuser d'être contemporain c'est pêcher contre la chair du monde. »

— Jean Sulivan, Passez les passants, dans: Henri Guillemin, Sulivan ou la parole libératrice, p. 203.

L'écrivain chrétien à venir

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Sulivan, qui aime la jeunesse, est sensible aux courants nouveaux des années 1960. Témoin dans Miroir brisé (1969), sa nouvelle « La miséricorde »[11] marquée par le printemps de mai 1968 qu'incarne le personnage de la jeune fille « Brune » (« Brunhilde ou Hildegarde, mettons 1,74m... ») vis à vis du « bâtonnier Solage », (« Lucien Solage, 1,80m 62 ans »): Sulivan relie alors le message « révolutionnaire » de mai 68 au message d'un renouvellement chrétien fondu dans la jeunesse spirituelle que retrouve Solage, personnage dans lequel il semble manifestement se projeter en tant que romancier.

Jean Sulivan, qui écrit « dans l'angoisse de l'inconnu », sait cependant, dit-il, « de science presque certaine », que « d'autres parlent par [sa] voix, écoutent déjà » [...] :

« Et enfin un dernier coup de cymbale. Les craquements qui se font entendre dans le monde entier, dans l'Église sont l'annonce d'un printemps après le dur et long hiver des siècles. Un nouveau type d'écrivain chrétien viendra lui aussi, guéri des conformismes, des moralismes et de l'idolâtrie, aussi bien que de tout ressentiment, sans peur des mots, sans message, sans clientèle. Ce serait une assez grande joie de pouvoir lui tracer la voie. »

— Jean Sulivan, Miroir brisé, pp. 52-53.

Bibliographie et documents

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Anthologies

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  • Pages, édition de Marie Botturi, Edith Delos, Marguerite Genzbittel,Gallimard, 1996.
  • Jean Sulivan. Libre sous le regard de Dieu, présentation par Patrick Gormally et Mary Ann Mannion, Fides, Quebec, 2006.
  • L'incessante marche. Extraits de Jean Sulivan, choix de Joseph et Maryvonne Thomas, Mine de Rien, Néant-sur-Ivel, 2003.
  • Jean Sulivan Abécédaire, Édition établie et présentée par Charles Austin, Gallimard, novembre 2010 (ISBN 978-2-07-013178-5)

À propos de Jean Sulivan

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  • « Jean Sulivan », mentionné au chapitre « Roman et idéologies d'après-guerre. 2.:Orthodoxies et création » dans Littérature XXe siècle - Textes et documents, Collection Henri Mitterand, Éditions Nathan, Édition revue et mise à jour - Impression février 2001, p. 525.
  • Henri Guillemin, Sulivan ou la Parole libératrice suivi de Passez les passants par Jean Sulivan, Paris, Gallimard, 1977.
  • « Le sacrement de l'instant. Présence de Jean Sulivan », Question de, no 80
  • Rencontres avec Jean Sulivan, Revue de l'Association des Amis de Jean Sulivan, directrice de publication : Édith Delos, directeur de rédaction : Claude Goure
  • Claude Lebrun, Invitation à Jean Sulivan, Le Cerf, 1981.
  • Jean Lavoué, Jean Sulivan, je vous écris, Éditions Desclée de Brouwer, 2000
  • Collectif, Yvon Tranvouez (dir.), Jean Sulivan, L'écriture insurgée, Éditions Apogée, Rennes, 2007 [3][4]
  • Eamon Maher, Jean Sulivan, 1913-1980 : la marginalité dans la vie et l'œuvre, L'Harmattan, 2008.
  • Franck Delorme, « La parole vive de Jean Sulivan », dans Études - revue de culture contemporaine, mars 2010.
  • Jean Sulivan, une parole d'intériorité pour aujourd'hui, Actes du Colloque de Ploërmel des 24 et 25 avril 2010, Les Sources et les Livres, 2, rue de la Fontaine, 44410 Assérac.
  • Jean Lavoué, Jean Sulivan, la voie nue de l'intériorité, Éditions Golias, Lyon, 2011.
  • Bruno Frappat, « Jean Sulivan, contemporain » - sur Jean Sulivan Abécédaire par Charles Austin (novembre 2010), Journal La Croix, 6 janvier 2011.

Documentation audio-visuelle

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  • La flûte de Jean Sulivan, film de Patrick Chagnard, diffusé par TF1 le 18 février 1968, et « La parole inachevée », interview de Jean Sulivan par Marie-Thérèse Maltèse, diffusé sur TF1 le 24 septembre 1978 - Association des amis de Jean Sulivan, Les Films du Parotier et CFRT, 2006 (DVD).

Liens externes et sources de l'article

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  • Association des Amis de Jean Sulivan, Jean Sulivan : Biographie par Édith Delos : [5].
  • Source d'information bibliographique, site Maurice Zundel: [6].
  • Nouvelle source bibliographique: Bibliographie mise à jour, dans « Appendices » de Jean Sulivan Abécédaire, Édition établie et présentée par Charles Austin, Gallimard, novembre 2010 (ISBN 978-2-07-013178-5).
  • Sur Jean Sulivan par rapport à la littérature française « contemporaine » des trente dernières années, journaux: La Croix, article de Bruno Frappat, 6 janvier 2011 ; Le Monde des livres, Spécial Salon 26 mars 2010, et N° du 14 janvier 2011.
  • Association Sulivan 2013

Notes et références

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  1. Les repères biographiques donnés dans cet article « Jean Sulivan » sur Wikipédia-fr se fondent principalement sur le texte d'Édith Delos, Jean Sulivan : Biographie [1], qui se trouve sur le site de « Jean Sulivan » [2], consulté au 1er décembre 2010. Le texte biographique sur Jean Sulivan établi par Edith Delos-Clanet a été déposé auprès des Archives de Jean Sulivan à l'I.M.E.C. en 2011.
  2. Cité dans la biographie établie par Édith Delos.
  3. « Jean Sulivan: Biographie. Par Edith Delos »; déposée auprès des archives de Jean Sulivan à l'I.M.E.C.
  4. Collection Henri Mitterand, Littérature Textes et Documents XXe siècle, Bernard Lecherbonnier, Dominique Rincé, Pierre Brunel, Christiane Moatti, Introduction historique de Pierre Miquel, Paris, Editions Nathan, Edition revue et mise à jour, Impression février 2001, p. 525.
  5. Cf. Biographie de Jean Sulivan par Édith Delos
  6. Cité dans Jean Sulivan Abécédaire, éd. établie et présentée par Charles Austin, Paris, Gallimard, p. 130 (à la lettre G...).
  7. Jean Sulivan, Miroir brisé,p. 14.
  8. Cité dans Jean Sulivan Abécédaire, éd. établie et présentée par Charles Austin, Paris, Gallimard, p. 231 (à la lettre R... pour « rajeunir », « rebelles »...)
  9. Cité dans Jean Sulivan Abécédaire, édition établie et présentée par Charles Austin, Paris, Gallimard, novembre 2010, pp. 50-51 (à "Clochard").
  10. J. Sulivan, Petite littérature individuelle, p. 27.
  11. J. Sulivan, Miroir brisé, Gallimard, 1969, p. 61-89.