Lors de l’émission « Controverses » à RTL –TVI en décembre 2000, j’ai été surpris par les réactions des participants, de différentes confessions, confrontés aux questions suivantes: 1- « Comment concilier l’existence du mal avec la notion d’un Dieu de bonté ? » 2- « Pourquoi Dieu n’intervient-il pas de façon visible pour imposer la paix ? » La première question semble poser problème aux croyants. Elle sert à certains autres pour justifier leur incroyance. Ils nient l'existence d'un Dieu de bonté qui accepterait sans sourciller toutes les manifestations du mal. N’ayant ni la formation ni les connaissances de ces spécialistes, je voudrais intervenir ici en tant que candide. Pour tenter de répondre à la première question, il convient de la diviser en deux parties bien distinctes : 1.1 Si Dieu existe, est-il un Dieu de bonté ? 1.2 Est-il possible de concevoir un monde « vivable » dont le mal serait exclu ? 1.1- Un Dieu de bonté Le croyant a généralement besoin d’une représentation de Dieu à sa portée. Dieu sera donc un père, un monarque au pouvoir absolu ou tout autre forme anthropomorphique qui soit à sa portée. Dans l'ancien testament, Dieu n'apparaît pas comme une source d'amour et de bonté. Il est à l'image des chefs de tribus de l'époque, au pouvoir absolu et particulièrement sévères. C'est cette image qui a été conservée dans l'islam par exemple où la crainte de Dieu constitue le fondement même des principes de base. Elle n'est pas étrangère aux religions chrétiennes qui ont conservé les notions d'enfer et de paradis. Le nouveau testament ouvre d'autres perspectives: l'amour, le pardon, la miséricorde… Des notions qui malheureusement ont bien du mal à s'intégrer. Des bien-pensants se permettent de fixer eux-mêmes les limites de la miséricorde de leur Dieu tout en admettant qu'elle est infinie! La crainte de Dieu restant fondamentale, on n’oserait pas lui attribuer des défauts. Il vaut mieux lui reconnaître toutes les qualités concevables. Il sera donc d’une infinie bonté, ce qui n'est guère compatible avec la notion d'enfer, mais les religions ne s'embarrassent pas de paradoxes. Cependant, ces notions humaines ne doivent avoir aucun sens lorsqu'elles sont appliquées à Dieu. S’il était infiniment bon, il serait incapable d’un acte mauvais et une telle incapacité n’est pas compatible avec sa toute puissance. On constate ainsi que les qualités qu’on pourrait attribuer à Dieu deviennent rapidement incohérentes. Un homme peut être bon et en même temps sévère car on admet les limites et imperfections de l’une et l’autre de ses « qualités ». S’il existe, Dieu n’est certainement pas conforme aux images que nous nous en faisons, car cela est hors de notre portée. Nos mots et concepts conviennent bien aux réalités de notre existence mais ils sont limités au milieu perceptible qui nous entoure. Attribuer à Dieu des qualités humaines est tout simplement réducteur sinon naïf. « Naïf » est sans doute exagéré, car l’homme qui admet l’existence de Dieu lui associe tant bien que mal une image avec des mots nécessairement inadaptés. Ne nous attardons pas trop sur les mots pour analyser les concepts religieux. Certaines incohérences des religions résultent de la pauvreté de notre vocabulaire, des limites de notre compréhension et de la simplification des notions qui doivent être conviviales pour le plus grand nombre. Ajoutons à cela le besoin de la hiérarchie religieuse de "corriger" et d'adapter le message révélé selon ses propres aspirations. La transposition et l’interprétation des mots et concepts d’une époque à une autre conduit le plus souvent à des principes et comportements religieux archaïques qui survivent malgré leur ridicule affligeant. 1.2 L’existence du mal Nous touchons maintenant au nœud de la question. Créer consiste à dissocier les contraires : le bien du mal, la haine de l’amour, la lumière de l’obscurité, la bonne santé de la maladie, le bonheur du malheur. L’un n’existe que confronté ou comparé à son contraire. Supprimer le mal ne permettrait plus de définir le bien qui n’existerait donc plus. Si nous avions le pouvoir de créer un Paradis, nous y bannirions le mal. Pas de maladies, pas d’épines sur les roses, du feu qui ne brûle pas si on y met la main, pas de travail pénible, pas de chagrin, une température ambiante constante, du soleil en permanence, pas d’inégalité entre les hommes (égaux donc identiques). L’uniformité absolue dans un monde où tout est prévu. Un monde figé de robots inconscients ! Ce n’est sans doute pas l’enfer mais le paradis non plus. N’allons pas jusqu’à bannir le mal, mais diminuons son ampleur. Plus de guerres, plus de drogue… On admettrait quelques rhumes et maladies bénignes, juste de quoi pouvoir apprécier les périodes de bonne santé. Mais dans l’échelle relative des valeurs, ce rhume serait la limite du mal et perçu comme tel, donc insupportable. D’ailleurs, nous n’aurions que peu de choses à apprécier. Comment apprécier la chaleur s’il ne fait jamais froid ? Comment apprécier une bière si on n’a jamais soif ? Nous sommes donc parfaitement incapables de créer un paradis, ni même d’imaginer comment il pourrait ou devrait être. En fait, tels que nous sommes, nous devons souffrir pour pouvoir être heureux, car nous ne percevons que les discontinuités et les différences. A notre niveau, on peut tirer de cet examen une conclusion surprenante et pourtant évidente : Le mal est la source du bien. Sans souffrances, il n’y aurait pas de charité, de don de soi, d’amour du prochain … mais un monde neutre, figé et amorphe. Cette conclusion peut sembler inconvenante face aux souffrances de ceux qui subissent la faim, les persécutions et jusque la torture. Et pourtant !

En fait, cette perception de la création n’est pas neuve. Dans l’ancienne Egypte, le « temps » avant la création était défini comme « le temps avant que deux choses existent » La dualité entre le Bien et le Mal était représentée par la lutte d’Apophis contre Râ ou Seth contre Horus. Luttes qui ne peuvent conduire à une victoire définitive car « l’équilibre entre les forces du bien et du mal serait rompu et le monde retournerait au chaos d’où il est sorti ; il n’y aurait plus ni Dieux ni Déesses, sinon Atoum qui existe encore lorsque tout a disparu ». Ces concepts nous paraissent aujourd'hui puérils, mais il faut bien avouer qu'ils ne manquaient pas de cohérence. Finalement, la question que nous avons abordée est purement émotive. Elle se fonde d’une part sur l’erreur inévitable d’attribuer à Dieu des qualités humaines et d’autre part sur l’utopie de concevoir une société évolutive dont le mal serait exclu. 2- « Pourquoi Dieu n’intervient-il pas de façon visible pour imposer la paix ? » Cette question est une variante de la première, mais elle ouvre néanmoins d'autres perspectives. Il est évident que si Dieu intervenait pour supprimer les guerres, pourquoi n’interviendrait-il pas pour supprimer les maladies, les catastrophes naturelles, donner la fessée au garnement qui fume dans le WC, en fait à l’occasion de toutes les manifestations de ce que nous considérons être le mal ? Si l’existence de Dieu était évidente ainsi que son ou ses buts, tout ce qui motive aujourd’hui notre existence deviendrait dérisoire. Il n’y aurait plus aucun progrès, aucune évolution, car l’homme ne serait plus libre mais englué dans son Dieu. Le doute est un garant de notre liberté intellectuelle donc du progrès. Un être auquel on implanterait un programme pour psalmodier des prières et proclamer sa foi ne serait en fait qu’un robot limité à sa programmation. Depuis des millions d’années, notre monde évolue et il semble logique d’imaginer que l’homme n’est qu’un maillon de cette chaîne tendant inexorablement vers un but que nous ne pouvons imaginer. Dans l’état actuel des choses et en ce qui nous concerne, cette évolution ne peut se poursuivre que si l’homme est libre donc ignorant de cette finalité. C’est dire qu’il est vain de croire que nous pourrions atteindre le stade de la Connaissance. Cette conclusion agnostique ne s’oppose pas aux religions. Il est possible que celles-ci, adaptées à la culture spécifique des peuples et communautés, servent de guide à cette évolution en balbutiant quelques bribes de la vérité absolue. Que des hommes intelligents et de bonne foi, adeptes de religions différentes, revendiquent chacun disposer de cette vérité, montre clairement qu’aucun d’eux ne la possède.

Si les croyants et incroyants admettaient la possibilité du doute, alors seulement pourrait éclore la tolérance, car celui qui ne doute pas ne peut être tolérant, il peut seulement feindre de l’être lorsqu’il n’a pas d’autre choix.

Ce qui reste déplorable est l’utilisation des religions à des fins politiques. Notons le fait que les autorités religieuses qui ne disposent pas ou plus du pouvoir politique sont ou semblent devenir un peu plus tolérantes ! Néanmoins, la disparition des religions fondamentales aurait certainement plus de conséquences néfastes que bénéfiques. En dehors des manipulations malveillantes qui conduisent certains à agir à l’encontre des principes qu’ils défendent au nom même de ces principes, il n’en reste pas moins une convergence de ces religions vers un ensemble de valeurs morales supérieures. Cette polarisation imprègne positivement nos cultures. Les vrais croyants trouvent souvent un grand réconfort dans leur religion et nous aurions une bien lourde responsabilité de semer le doute dans leur esprit par simple satisfaction intellectuelle. Que cela ne nous empêche pas de nous exprimer avec mesure surtout lorsque ces croyances sont teintées d’intolérance et menacent notre liberté ou notre existence ! J’espère donc que les croyants sincères trouveront essentiellement, dans ce texte, une proposition d’approche moins négative de l’existence du mal. Notre monde reste confronté à des luttes fratricides dans lesquelles se mélangent la religion et la culture, la politique et les intérêts économiques. Dans ce contexte, tant de bonnes volontés se perdent en luttes souvent stériles. Mais ces confrontations sont-elles réellement stériles à long terme ? Ne sont-elles pas un des moteurs du progrès contre le conservatisme, un accouchement perpétuel de l'évolution dans la douleur ? Même à cela nous ne pouvons répondre et cela doit probablement en être ainsi.

Robert Petitjean