Loi sur la propriété des absents
La loi sur la propriété des absents est une loi israélienne de 1950. Elle transfère au Gardien des propriétés des absents les biens (terres, bâtiments, entreprises, etc.) des Palestiniens ayant fui la Palestine lors de la Nakba, lequel Gardien les transmet ensuite à diverses agences qui se chargent de les mettre à disposition des Israéliens. Cette loi permet donc l’expropriation légale des biens palestiniens au profit des Israéliens. Elle fait partie des lois fondamentales du droit foncier israélien (en). Elle constitue aussi un élément du crime contre l’humanité d’apartheid commis par Israël envers le peuple palestinien, selon l’ONU.
Contexte
modifierLe comité des transferts créé par Yossef Weiz collectait des informations sur les transferts de population à grande échelle ayant eu lieu, notamment entre la Grèce et la Turquie (Grande Catastrophe en 1922), en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale ou encore entre l’Inde et le Pakistan au moment de la partition des Indes en 1947. L’historien Rephael G. Stern relève que les technocrates israéliens qui ont rédigé la loi ont probablement tiré leur inspiration des dispositifs légaux pakistanais concernant les évacués indiens et utilisés afin de loger les 7 millions de musulmans ayant fui l’Inde. Le Pakistan avait en effet autorisé le Gardien des propriétés des évacués [Indiens] du Pendjab à distribuer ces propriétés aux réfugiés musulmans ayant quitté l’Inde. Simultanément, une ordonnance de réhabilitation permettait à une Autorité de réhabilitation de distribuer ces biens (à des personnes réfugiées ou non). Le ministre des Finances Eliezer Kaplan a indiqué lui-même la filiation pakistanaise de la loi israélienne. Eliahu Epstein (en), Ben-Shemesh (en) et Joseph Schechtman sont aussi impliqués dans la conception de la loi. Les juristes israéliens ont également puisé leur inspiration dans la législation britannique préexistante sur les propriétés de l’ennemi[1].
La loi est adoptée sous la pression de l’adoption de la résolution 194 des Nations unies, qui demande à Israël de garantir le droit au retour des réfugiés palestiniens[2].
Principales dispositions
modifierCette loi remplace la loi d’urgence de 1948. Selon Sabri Jiryis[3], la définition de l’« absent » dans la loi est rédigée de manière assez large pour s’assurer qu’elle puisse s’appliquer à tout Palestinien ou résident de la Palestine ayant quitté sa résidence habituelle pour tout autre lieu, dans ou à l’extérieur du pays, après l’adoption de la résolution de l’ONU sur la partition de la Palestine. L’article 1(b) définit l’« absent » comme :
« L’absent signifie :
- (1) une personne qui, à n’importe quel moment pendant la période entre le 16 Kislev 5708 (29 novembre 1947) et le jour où une déclaration est publiée qui, selon les termes de la section 9(d) de l’ordonnance sur la loi et l’administration, 5708-1948(1), fait cesser l’état d'urgence déclaré par le conseil provisoire d’État le 10 Iyar, 5708 (19 mai 1948), était un propriétaire légal de toute propriété située dans le territoire d’Israël ou en jouissait ou le détenait, lui-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne, et qui, à n’importe quel moment durant la dite période
- (i) était un national ou un citoyen du Liban, d’Égypte, de Syrie, d’Arabie Saoudite, de Transjordanie, d’Irak ou du Yémen, ou
- (ii) était dans un de ces pays ou dans toute partie de la Palestine hors de l’État d’Israël, ou
- (iii) était citoyen palestinien et a quitté sa résidence habituelle en Palestine
- (a) pour un lieu situé hors de Palestine avant le 27 Av 5708 (1er septembre 1948) ; ou
- (b) pour un lieu en Palestine contrôlé par des forces qui cherchaient à empêcher l’établissement de l’État d’Israël ou qui ont combattu contre son établissement ;
- (2) un groupe de personnes qui, à n’importe quel moment durant la période spécifiée dans le paragraphe (1), était le propriétaire légal de tout bien situé sur le territoire d’Israël ou en bénéficiait ou le détenait, lui-même ou par l’intermédiaire d’une autre personne, et dont tous les membres, associés, actionnaires, directeurs ou gérants étaient absents au sens du paragraphe (1) ou dont la gestion des affaires était principalement contrôlé par des absents, ou dont la totalité du capital était détenu par de tels absents; »
Selon Cohre et Badil[4], les précautions prises dans la rédaction de la loi font qu’aucun juif ne peut être déclaré « absent ». La loi s’applique aussi aux Arabes qui sont devenus citoyens de l’État d’Israël mais n’étaient pas à leur résidence habituelle telle que définie par la loi. Dans ce cas, ils sont définis comme « présents absents » (voir plus loin).
Le fait que l’état d'urgence n’a jamais été aboli en Israël depuis 1948 permet de déclarer « absent » des Palestiniens qui ont reçu la nationalité d’un des pays cités en (ii)[5].
Les biens concernés sont autant les biens immeubles que les biens meubles, les liquidités, les stocks, les meubles, les livres, les entreprises, les banques et tous les autres actifs[6], y compris les actions et les comptes bancaires[5].
Les biens sont transférés au ministère des Finances, qui les confie à un conseil de tutelle (ou de garde) pour la propriété des absents, créé par la loi[7]. Le président du conseil est le Gardien pour la propriété des absents (article 2). Le Gardien dispose des mêmes droits que le propriétaire d’origine. Selon l’article 4.(a)(2):
« Tous les droits que l’Absent avait sur toute propriété sont automatiquement transmis au Gardien au moment où le bien lui est dévolu ; le Gardien aura le même statut que le propriétaire »
Selon Cohre et Badil[4], ceux qui occupent ces propriétés en violation de cette loi peuvent être expulsés, et ceux qui construisent sur ces propriétés peuvent voir leurs constructions démolies. La loi ne s’appliqua pas qu’aux Palestiniens ayant fui, mais aussi à ceux qui se trouvaient en-dehors de leur résidence habituelle.
Le Gardien ne pait pas les dettes liées aux propriétés qui lui sont dévolues, sauf les impôts et taxes, sauf si un jugement l’y oblige[8].
Amendements
modifierLoi sur l’acquisition des terres (validation des actes et indemnisation) 5713-1953
modifierSelon Cohre et Badil[9], le gouvernement d’Israël ne reçoit pas automatiquement des titres de propriété sur les terres saisies grâce à la loi sur la propriété des absents. Le transfert à l’État s’accomplit avec la loi sur l’acquisition des terres (validation des actes et indemnisation), loi 5713-1953, qui légalise les expropriations (de manière rétroactive dans de nombreux cas) pour les besoins militaires ou pour l’installation de colonies juives.
La loi autorise le gouvernement à revendiquer la propriété de terres qui ne sont pas en possession de leur propriétaire le 1er avril 1952. L’article 2 (a) prévoit que :
« Biens pour lesquels le ministre atteste par un certificat de sa main
- (1) qu’au 6 Nisan, 5712 (1er avril 1952) il n’était pas en possession de ses propriétaires ; et
- (2) durant la période entre le 5 Iyar 5708 (14 mai 1948) et le 6 Nisan 5712 (1er avril 1952) il a été utilisé ou destiné à des usages de développement, de colonisation ou de sécurité essentiels ; et
- (3) il est toujours nécessaire à ces usages. »
D’autres dispositions sont relatives à l’indemnisation de ceux qui sont privées de leurs terres, et de ceux qui détenaient des terres agricoles qui étaient leur principale source de revenu ; d’autres terres peuvent être offertes en remplacement.
Selon Alexandre Kedar, jusqu’en 1959, l’indemnisation était calculée sur la base de la valeur des terres en 1950. L’auteur cite un rapport de l’Israël Land authority (autorité foncière israélienne) de 1965 qui montre que plus de 1,2 millions de dunams (environ 1 200 km²) de terres arabes ont été prises de cette manière[10].
L’amendement no 3 : loi sur la propriété des absents : cession et utilisation des propriétés de dotation, 5725-1965
modifierCette loi étend le champ d’application de la loi sur la propriété des absents et d’autres réglementations concernant les dotations musulmanes, les Waqf. L’article 29A (c) définit le waqf :
« Pour l’application de cette section et des sections 29B à 29H, propriété en dotation signifie propriété musulmane immobilière sous le régime du waqf, inaliénable et valablement consacré. »
Selon Cohre et Badil[4], cette loi permet au gouvernement de confisquer de vastes étendues de terres cultivables destinées à la charité et d’autre propriétés, dont des cimetières et des mosquées et les place sous l’administration du gouvernement. Selon la loi, les revenus de ces propriétés devaient être utilisés en partie pour construire des institutions et fournir des services aux musulmans vivant à proximité de ces waqfs. Cette loi amende la loi de 1950 ainsi :
« Dans la section 4 de la loi sur la propriété des absents 5710-1950(1) (appelée ici « la loi principale »), la sous-section suivante est insérée après la sous-section (a) :
- (1) Si un bien est une dotation en vertu d’une loi, la propriété du bien est dévolue au Gardien sans restriction d’aucune sorte, ni condition ou toute autre limitation similaire, ni avant ni après la dévolution, que ce soit par une loi ou un document relatif à la dotation, si le propriétaire du bien, ou la personne en charge de gérer le bien, ou le bénéficiaire de la dotation, est un absent. La dévolution prend effet le 10 Kislev 5709 (12 décembre 1948) ou le jour où un des précités devient un absent, selon la date la plus tardive.
- (2) Les dispositions de cette sous-section ne peuvent annuler aucune restriction, condition ou autre limitation prescrites par la loi ou imposée par le Gardien, et ne peuvent annuler aucune transaction effectuée par lui.
(b) Cette section prend effet rétroactivement à la date de promulgation de la loi principale. »
Selon Meron Benvenisti « la plus grande partie des biens des waqfs ont été expropriés par la loi sur la propriété des absents (donnant lieu à la boutade : « Apparemment Dieu est absent d’Israël ») et confiés à l’Autorité de développement, en apparence pour éviter qu’ils soient négligés, mais en réalité pour qu’il soit possible de les vendre. Seul un tiers des biens des waqfs, principalement des mosquées et des cimetières, n’ont pas été expropriés. En 1956, leur gestion a été confiée au Bureau d’administration des waqfs musulmans, alors composé de collaborateurs nommés par les autorités. Ces « administrateurs » vendraient ou « échangeraient » les terres avec l’Israel Land Authority (en) sans aucune responsabilité vis-à-vis de la communauté musulmane. La colère suscitée par ces actes conduit à des actes de violence au sein de la communauté, dont des assassinats[11]. »
La loi d’indemnisation de la propriété des absents, 5733-1973
modifier« Quelque soit le sort final des Arabes concernés, il est évident que leur droit à leurs terres et à leurs biens en Israël, ou à leur valeur monétaire, ne sera pas oublié, ni ignoré par les Juifs… La conquête par la force ne peut, ni en droit ni moralement, abolir les droits du propriétaire légal sur sa propriété. Donc, le FNJ paiera les terres qu’il a prises, à un prix juste et déterminé[12] ».
Cette loi fixe la procédure pour indemniser les propriétaires de terres qui ont été confisquées par la loi sur la propriété des absents de 1950. Elle établit les conditions d’éligibilité à une indemnité.
« Article 1 : Les personnes ayant droit à une indemnisation sont toutes celles qui, vivant en Israël le 1er juillet 1973, ou s’installant en Israël par la suite, et qui avant que leur propriété ne soit dévolue au Gardien de la propriété des absents étaient
- 1. les propriétaires de biens, dont leur héritiers, ou
- 2. les locataires de biens en ville, dont les conjoints vivant avec eux à la dernière date mentionnée, ou
- 3. les locataires de biens,
- 4. les bénéficiaires de toute servitude dans une propriété. »
D’autres dispositions fixent le délai légal pour former une demande. L’indemnisation pouvait être versée sous forme de versement monétaire ou en obligations selon les circonstances, l’échéancier des paiements (en général sur une période de quinze ans). Le mode de calcul de l’indemnisation en fonction des biens, urbain ou agricole, figurait en annexe de la loi. Quelques dispositions de la loi ont été modifiées par la suite[9].
Cette possibilité d’indemnisation ne concerne que les « présents-absents » ; les sommes censées indemniser sont « déraisonnablement faibles » et les chances d’obtenir une indemnisation sont très faibles pour un Palestinien. Cette loi, valide 15 ans, n’est plus en vigueur depuis 1989[5]. Elle peut encore s’appliquer deux ans après l’obtention de la nationalité israélienne par un Palestinien[5]. Sans qu’il s’agisse d’une indemnisation, il existe des cas où des Palestiniens se sont installés sur les terres d’un « absent » ; le gouvernement israélien, dans certains cas, a considéré qu’ils en avaient le droit en échange de leurs biens saisis[7].
Historique
modifierVote et amendements
modifierC’est le ministre des Finances Eliezer Kaplan qui présente le projet de loi à la Knesset[1]. L’ordonnance est promulguée le 12 décembre 1948 comme la Loi d’urgence sur les régulations (des propriétés des absents), loi 5709-1948 ; l’article de la loi définitive (5710-1950) indique que celle-ci remplace celle de 1948, mais que la loi originelle doit être considérée comme amendée par la nouvelle[13]. D’autres lois traitent du même sujet[4],[8].
Selon Cohre et Badil[4], contrairement aux autres lois destinées à établir le contrôle légal du gouvernement d’Israël sur les terres, cette loi se concentre sur la définition des personnes (pour la plupart arabes) qui ont quitté ou ont été forcées de fuir ces terres. La loi sur la propriété des absents été suivie d’autres du même type, de portée plus restreinte, qualifiées d’amendements :
- la loi sur l'acquisition des terres (validation des actes et indemnisation), loi 5713-1953 ;
- la loi sur la propriété des absents (expulsion), loi 5718-1958 ;
- la loi sur la propriété des absents (amendement no 3 cession et usage des propriétés de dotation), loi 5725-1965 ;
- la loi sur la propriété des absents (amendement no 4, cession et usage des propriétés de l’Église évangélique épiscopale), loi 5727-1967 ;
- la loi sur la propriété des absents (indemnisation), loi 5733-1973.
D’autres amendements ont été votés en 1951 et 1956[8]. Un amendement voté après l’annexion de Jérusalem Est limite la loi pour que les Palestiniens physiquement présents ne soient pas considérés comme absents[14].
Mise en application : le pillage des biens palestiniens
modifierCette loi permet à l’État israélien de confisquer les biens palestiniens[6]. Elle est officiellement motivée pour contrôler le pillage des biens que les Palestiniens ont abandonné lors de la Nakba. Elle encourage le signalement d’« absents » et de leurs biens au Gardien ; ne pas le faire est susceptible d’être réprimé par une amende ou une peine de prison[6]. C’est la principale, mais pas la seule, loi israélienne sur les biens des Palestiniens exilés (qui ont quitté volontairement, ou fui, ou été déportés par Israël)[5]. Elle permet de confisquer tous les biens et droits d’un Palestinien déclaré « absent » ; et un Palestinien ne peut être déclaré « absent » s’il ne détient pas de biens[5]. Les Palestiniens, citoyens d’Israël ou non, sont traités comme des ressortissants d’un pays en guerre contre Israël[7].
Le Gardien n’a pas à enregistrer les biens concernés pour que le transfert de droits sur les biens des absents soit effectif ; il n’est pas non plus nécessaire qu’il connaisse ses droits sur un bien pour que ces droits existent. De même, il peut ordonner l’arrêt de travaux, la démolition de bâtimens construits sur les biens d’un « absent » sans sa permission. Toute personne qui détient le bien d’un « absent » doit le transférer au Gardien[5]. Le Gardien ne peut transférer ces biens, sauf à l’Autorité de développement, créée en même temps (loi 5710-1950 sur l’autorité de développpement (Transfert de propriété), qui sert d’écran au gouvernement qui ainsi n’a pas à s’impliquer directement dans le transfert des propriétés palestiniennes aux colons. Le Gardien ne peut décider de restituer des biens aux absents que si cette restitution est recommandée par un comité gouvernemental. La restitution a peu de chances de se produire, même si la résidence en Israël, l’absence de résidence dans un pays ennemi d’Israël, l’absence d’action hostile envers Israël de sa part et si l’existence de raisons diplomatiques, des raisons humanitaires et les intérêts d’Israël peuvent jouer en la faveur du requérant[5]. Un des rares cas est celui de la famille Daoud, qui se trouvait en Amérique du Sud en 1948 : il a donc été considéré qu’ils n’étaient pas « absents »[15].
Dans les années 2010 et 2020, des Palestiniens vivant en Syrie ou au Liban, États considérés comme des ennemis par Israël, se voient déclarés « absents » et confisquer leurs biens[6].
Cette loi concernait aussi la bande de Gaza jusqu’en 2005[6].
La cour suprême d'Israël a validé son application à Jérusalem-Est[6].
Anna Roiser considère que cette loi sert à exproprier les Palestiniens, et à assurer le contrôle juif sur les terres et empêcher les Palestiniens de retourner en Palestine[16].
Confiscation des terres
modifierLa loi aboutit à la confiscation de deux millions de dunams, confiés au Gardien des propriétés des absents d'Israël, qui transmet ensuite les propriétés à l’autorité de développement[17].
Selon Simha Flapan[18], « un récit détaillé de la façon dont les propriétés arabes abandonnées ont contribué à l’installation des nouveaux immigrants est préparé par Joseph Schechtman » :
« Il est difficile de surestimer le rôle considérable des propriétés arabes abandonnées a joué dans l’installation de centaines de milliers d’immigrants Juifs arrivés depuis la déclaration d’indépendance en mai 1948. 47 nouvelles colonies rurales installées sur les sites de villages arabes abandonnés abritaient 25 255 nouveaux immigrants en octobre 1949. Au printemps 1950, plus d’un million de dunams ont été loués par le Gardien aux colons juifs et aux fermiers pour les cultures céréalières.
De grandes zones de terres appartenant aux Arabes sont aussi louées aux colons juifs, anciens ou nouveaux, pour le maraîchage. Rien que dans le Sud, 15 000 dunams de vignes et de vergers sont loués aux coopératives de colons ; une superficie équivalente est louée par l’association des Yéménites, l’association des fermiers et le bureau de réinsertion et d’installation des soldats. Des millions de dollars ont pu être économisés par l’Agence juive et le gouvernement. Alors que le coût moyen d’installation d’une famille migrante dans une nouvelle colonie était de 7 500 à 9 000 $, dans les villages arabes abandonnés il ne dépassait pas les 1500 € (750 $ pour les réparations des bâtiments et 750 $ pour le matériel et le cheptel).
Les logements arabes abandonnés dans les villes ne sont pas restés vides non plus. À la fin de juillet 1948, 170 000 personnes, notamment des nouveaux immigrants et d’anciens soldats, plus 40 000 anciens locataires, autant Juifs qu’Arabes, furent logés dans des locaux contrôlés par le Gardien ; et 7000 boutiques, ateliers et entrepôts ont été sous-loués aux nouveaux arrivants. L’existence de ces maisons arabes vides et prêtes à être occupées à résolu, pour une large part, l’important et urgent problème de l’absorption des immigrants auquel les autorités israéliennes faisaient face. Le fardeau financier de cet accueil a aussi considérablement été allégé[19] »
Le Gardien des propriétés des absents a répondu à Robert Fisk que ces terres confisquées aux Arabes pouvaient représenter 70% du territoire d’Israël[20]. Le fonds national juif (FNJ), dans Villages juifs en Israël, en 1949 :
« Dans l’ensemble d’Israël, entre 300 et 400 000 dunams – sans compter la zone rocailleuse désolée du sud du Néguev, pour le moment impropre à la culture – font partie du domaine de l’État que le gouvernement a repris du régime mandataire. Le FNJ et les propriétaires privés juifs possèdent un peu moins de deux millions de dunams. Le reste appartient à des Arabes, dont beaucoup d’entre eux ont quitté le pays. Leur sort sera fixé quand les termes des traités de paix entre Israël et ses voisins arabes seront connus. Le FNJ, cependant, ne peux attendre jusque là pour obtenir les terres dont il a un besoin urgent. Il achète donc une partie des terres abandonnées par leurs propriétaires arabes, par l’intermédiaire du gouvernement d’Israël, l’autorité souveraine en Israël[12]. ».
Selon l’Annuaire du gouvernement d’Israël 5719 (1958) (p. 235), les propriétés rurales des Arabes absents dévolues au Gardien incluent les terres de « 350 villages arabes complètement ou partiellement abandonnés, représentant une surface de 750 000 dunums… Dans ces surfaces agricoles, se trouvaient 80 000 dunums de vergers abandonnés et plus de 200 000 dunums de plantations ont été pris par par le Gardien. On estime que les propriétés urbaines incluent 25 416 bâtiments, dans lesquels se trouvent 57 497 habitations et 10 727 locaux commerciaux »[21].
Selon Cohre et Badil[4], « les estimations du total des terres abandonnées pour lesquelles Israël a émis une revendication varient entre 4,2 et 5,8 millions de dunams (4 200 à 5 800 km²). Rien qu’entre 1948 et 1953, 350 des 370 nouvelles colonies juives furent créées sur des terres confisquées grâce à la loi sur la propriété des absents ». Sandy Kear estime qu’entre 40 et 60 % des terres détenues par des Palestiniens ont été confisqués de cette manière[22].
Logements
modifierLa propriété des absents a joué un rôle extrêmement important pour rendre viable l’État d’Israël. En 1954, plus d’un tiers de la population juive d’Israël vivait sur des propriétés d’absents, et près d’un tiers des immigrants (environ 250 000) étaient installés dans des zones urbaines que les Arabes avaient quittées. Sur 370 nouvelles colonies juives créées entre 1948 et 1953, 350 le furent sur des propriétés d’absents[23],[16].
La plupart du temps, le Gardien transfère les biens immobiliers à l’agence Amidar (ma nation demeure en hébreu), qui les loue ou les vend à des particuliers. Amidar a géré jusqu’à 300 000 appartements dans les années 1980[24].
Certaines maisons confisquées étaient de luxueuses villas, comme la villa Harun ar Rashid, et sont attribuées aux principales personnalités de la nation israéliennes. La villa Harun ar Rashid a ainsi été occupée par Golda Meir dans les années 1950, et par un ancien juge de la Cour suprême au début des années 2000[25]. La profusion de biens palestiniens subitement disponible provoque une mode de la maison arabe, très recherchée par les Israéliens dès les années 1950[26].
Entreprises
modifierToutes les principales sociétés exportatrices d’agrumes de Haïfa, qui appartenaient à des Palestiniens, ont été judaïsées, ainsi que la société du tabac d’Haïfa[6].
Critiques
modifierC’est le principal instrument juridique pour la confiscation des terres palestiniennes et celles des waqfs par les Israéliens et de la judaïsation du pays[27],[28]. Elle est considérée comme une des lois les plus racistes et les plus arbitraires d’Israël par l’association Adalah[29].
Selon M. T. Samuel, cette loi fait partie d’un ensemble de dispositions juridiques israéliennes visant à « justifier et légaliser la dépossession fondamentalement violente de la population [...] palestinienne. [Cette loi] justifie de manière rétroactive l’expropriation des terres et des biens appartenant à plus de 750 000 Palestiniens qui ont été ethniquement nettoyés [...]. Elle légalise l’expropriation de plus de 1 000 000 de dunums de Palestiniens qui ont survécu au nettoyage ethnique. [...] L’oxymore [des présents-absents], vu sous l’angle du colonialisme des colons, incarne la même logique sur laquelle se fondaient les fictions juridiques de terra nullius, à savoir le déni de l’existence d’une population autochtone palestinienne ayant droit sur la terre conquise, et la sanctification juridique de l’idée apocryphe que le terrain exproprié a été abandonné par ses propriétaires et est donc disponible pour l’expropriation. »[30].
Son application aux biens palestiniens situés à Jérusalem-Est au début du XXIe siècle a provoqué une polémique lancée par le journal Haaretz, qui l’a notamment qualifié de « vol, d’injustice, et de stupidité »[31].
En 2022, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement convenable a donné la loi sur la propriété des absents comme un exemple de loi discriminatoire constitutive du crime d’apartheid[32],[33].
Les « présents-absents »
modifierCette loi crée une catégorie nouvelle de citoyens, qualifiée d’orwellienne par Bethan Staton[17] : les « présents absents » (nifkadim nohahim[34]), personnes présentes en Israël mais considérées comme absentes aux termes de cette loi. Ces Arabes israéliens bénéficient de tous leurs droits civils, dont celui de voter aux élections à la Knesset, sauf un : le droit de propriété (sur leurs biens d’avant la conquête israélienne). Environ 30 à 35 000 Palestiniens sont devenus des « présents absents »[35]. Cela concerne 12,8 % des Palestiniens dans le nord d’Israël, 20,5 % dans le centre et 22,7 % dans le sud[17].
Parmi les « présents-absents », se trouvent de nombreux Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne s’étant absentés pour une courte période[5].
La loi sur la propriété des absents au début du XXIe siècle
modifierL’état d’urgence voté en 1948 en Israël continue de s’appliquer, donc la loi sur les « absents » elle aussi[5]. Selon Anwar Abu Eisheh, la cessation de l’état d’urgence entraînerait l’abolition du statut légal de l’« absent »[7].
Depuis 1998, une cérémonie annuelle a lieu pour manifester la permanence de la présence palestinienne[6].
Depuis 2004[34], la loi sur la propriété des absents s’applique à Jérusalem-Est, puisqu’au moment de son annexion par Israël, ses habitants étaient citoyens d’un État ennemi (la Jordanie) et présents hors de l’État d’Israël tel que défini dans la loi[14]. Actuellement, des groupes de colons radicaux, comme Elad, Ateret Cohanim, Nahalat Simon, déclarent des propriétés comme appartenant à des « absents » au Gardien, qui valide cette catégorisation. Le bien est ensuite transmis au fonds national juif, qui le vend aux colons[6]. Le Norvegian Rights Council considère aussi que cette loi est un outil des colons israéliens pour s’emparer des biens palestiniens[5]. Son application étant secrète, il est impossible de savoir combien de maisons palestiniennes ont été expropriées à Jérusalem-Est[16].
Souvent, notamment à Jérusalem-Est, les Palestiniens découvrent que leur bien est considéré par Israël comme celui d’un « absent » au moment où ils veulent le vendre, le transmettre ou construire, puisqu’ils ont l’obligation de passer par le Gardien pour vendre ou transmettre un bien ou pour obtenir un permis de construire, ce qui constitue un important frein psychologique à s’engager dans de telles procédures[5].
Revendications palestiniennes
modifierSi le droit au retour des Palestiniens est contesté par Israël, à deux périodes, après la guerre des Six Jours et la politique d’ouverture des ponts sur le Jourdain suivie par Israël, et dans les années 1990 dans le contexte des accords d'Oslo, des Palestiniens en exil sont revenus visiter leur maison, spoliée en vertu de la loi sur la propriété des absents[36]. Edward Saïd rend ainsi visite à la maison familiale à Talbiya en 1992 ; d’autres visites sont revendicatives, d’autres moins, certains se contentent d’aviver le souvenir à chaque fois qu’ils passent devant leur ancienne maison, certains ressentent un sentiment de défaite permament[37].
Le service de cartographie de la maison d'Orient à Jérusalem constitue une base de données des archives des titres de propriété des Palestiniens sur les maisons de Jérusalem-Ouest[15].
L’ONG Adalah estime que les ventes de biens par le Gardien des propriétés des absents peuvent être qualifié d’illégales, la loi israélienne le créant de manière provisoire, jusqu’à ce que le problème des refugiés soit résolu[2].
L’utilisation de l’appelation « propriété des absents » pour qualifier les propriétés des Palestiniens afin de les mettre en vente fait partie de la négation israélienne des Palestiniens et de la valeur de leur culture[2].
Galerie
modifier-
Ancien cinéma l’Alhambra à Jaffa, bâtiment Art Déco d’Elias Al Mor, déclaré bien d’« absent » et actuellement siège de l’Église de scientologie en Israël.
-
Old Jaffa Hostel.
Notes
modifier- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Israeli land and property laws » (voir la liste des auteurs).
- Rephael G. Stern, « Uncertain Comparisons: Zionist and Israeli Links to India and Pakistan in the Age of Partition and Decolonization », Law & History Review, août 2021, volume 39, no 3.
- Lauren Gelfond Feldinger, « Fears for cultural heritage as Israel sells off property », Art Newspaper, juin 2015, volume 24, no 269.
- Sabri Jiryis, (1981): « Domination by the Law », Journal of Palestine Studies, Vol. 11, no 1, 10e anniversaire : Palestinians under Occupation, automne 1981, p. 67-92.
- Ruling Palestine, A History of the Legally Sanctioned Jewish-Israeli Seizure of Land and Housing in Palestine. Publishers: Cohre & Badil, mai 2005, p. 41.
- [https://www.nrc.no/globalassets/legal-opinions/absentee_law_memo.pdf The Absentee Property Law and its Application to East Jerusalem, Norwegian Rights Council, février 2017.
- Mustafa Abu Sneineh, « Comment la loi sur la propriété des absents prive les Palestiniens de leurs maisons », Middle East Eye, 11 février 2022.
- Anwar Abu Eisheh, « Loi sur la propriété des Absents », International Solidarity Movement, 11 juin 2005 (extrait de la thèse Le régime juridique des immeubles en Palestine, soutenue en 1988 à l’université de Paris-Nanterre.
- Texte de la loi, Israel Law Resource Center, février 2007.
- Cohre, Badil, op. cit., p. 42.
- Alexandre Kedar, Israeli Law and the Redemption of Arab Land 1948-1969, thèse présentée en application partielle des exigences requises pour le diplôme de docteur de science juridique, Harvard University, Cambridge, MA, mai 1996, p. 153.
- Meron Benvenisti (2000): Sacred Landscape. University of California Press, p.297-298
- Jewish Villages In Israel. Fonds national juif (Keren Kayemeth Leisrael), été 1949, Jérusalem. p. XXI.
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- D. Piroyanski, op. cit., p. 104-109.
Bibliographie complémentaire
modifier- Michael R. Fischbach, Records of Dispossession : Palestinian Refugee Property and the Arab-Israeli Conflict, New York : Columbia University Press, 2003
- Adnan Abdelrazek, « Israeli Violation of UN Resolution 194 (III) and Others Pertaining to Palestinian Refugee Property », Palestine-Israel Journal of Politics, Economics & Culture, 2008, volume 15/16, no 4/1, p. 47-53.
- Hashem Abushama, « A map without guarantees: Stuart Hall and Palestinian geographies: Israel has imposed different forms of settler colonialism across the map of historic Palestine, but there is no inevitability about future outcomes », Soundings, été-automne 2024, no 87, p. 18-37.
- Ziad AbuZayyad, « Legalizing the Illegal », Palestine-Israel Journal of Politics, Economics & Culture, 2015, volume 20, no 2/3, p. 59-63.
- Geremy Forman, Alexandre (Sandy) Kedar, « From Arab land to 'Israel Lands': the legal dispossession of the Palestinianss displaced by Israel in the wake of 1948 », Environnement and Planning D: Society and Space, 2004, vol. 22, 809, p. 819-820.
- Michal Huss, « Paths of Erasure and Trails of Resistance in a Neo‐Settler‐Colonial City », Antipode, novembre 2023, volume 55, no 6
- M. T. Samuel, « The jurisprudence of elimination: starvation and force-feeding of Palestinians in Israel's highest court », International Journal of Law in Context, juin 2022, volume 18, no 2
- Wakim Wakim, « The Exiled », Palestine-Israel Journal of Politics, Economics & Culture, 2002, volume 9, no 2, p. 52.
Voir aussi
modifierDans la littérature
modifier- Elias Sanbar, Le Bien des absents, Actes sud, 2001