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Théophile Gautier - Qu'est-ce qu'un Jeune-France?
Deux ou trois de mes camarades, voyant que je devnais tout à fait ours et maniaque, se sont emparés de moi et se sont mis à me former : ils ont fait de moi un Jeune-France accompli. J'ai un pseudonyme très long et une moustache fort courte ; j'ai une raie dans les cheveux, à la Raphaël. Mon tailleur m'a fait un gilet… délirant. Je parle art pendant beaucoup de temps sans ravaler ma salive, et j'appelle bourgeois tous ceux qui ont un col de chemise. Le cigare ne me fait plus tousser ni pleurer, et je commence à fumer dans une pipe, assezcrânement et sans trop vomir. Avant-hier, je me suis grisé d'une manière tout à fait byronnienne ; j'en ai encore mal à la tête : de plus, j'ai fait l'acquisition d'une mignonne petite dague de Toscane, pas plus longue qu'un aiguillon de guêpe, avec quoi je trouerai tout doucement votre peau blanchette, ma belle dame, dans les accès de la jalousie italienne que j'aurai quand vous serez ma maîtresse, ce qui arrivera indubitablement bientôt. On m'a présenté dans plusieurs salons, par-devant plusieurs coteries, depuis le bleu de ciel le plus clair jusqu'à l'indigo le plus foncé. Là, là j'ai entendu infiniment de cinquièmes actes, et encore plus d'élégies sur le malheur d'être abandonnée par son ou ses amants. J'en ai moi-même récité un nombre incalculable. Je me culotte, comme disent mes dignes amis, et il paraît que je deviens un homme à la mode. Mes deux cornacs prétendent même que j'ai eu plusieurs bonnes fortunes : soit, puisqu'on est convenu d'appeler cela ainsi.
Théophile Gautier (1811 - 1872) - Les Jeune-France (Préface)