Wikipédia:Lumière sur/s:décembre 2007 Invitation 5

Conrad - La remontée du fleuve

La remontée de ce fleuve, c’était comme une remontée aux premiers commencements du monde, au temps où la végétation se déchaînait sur la terre, où les grands arbres étaient rois. Un fleuve vide, un vaste silence, une forêt impénétrable. L’air était chaud, épais, lourd, léthargique. Il n’y avait nulle joie dans l’éclat du soleil. Les longues lignes droites de la voie d’eau couraient, désertes, se perdre dans l’obscurité des lointains ombreux. Sur des bancs de sable argentés, hippopotames et crocodiles, prenaient le soleil. Les eaux s’élargirent, coulant au milieu d’une foule d’îles boisées ; on se perdait sur ce fleuve comme on le fait dans un désert, et l’on donnait de la proue dans les hauts-fonds du matin au soir, en essayant de trouver le chenal, jusqu’à se croire ensorcelé, et coupé à jamais de tout ce qu’on avait connu jadis...

Joseph Conrad (3/12/1857-1924) – Au cœur des ténèbres (1899 – trad. fr. Gallimard 1996)

Wikisource
Wikisource