Wikipédia:Lumière sur/s:mars 2013 Invitation 1
Luc Dietrich – Le ventre des villes
Je vis se déballer les trains qui venaient de banlieues, et de toutes les bouches de la gare, les femmes de Paris vinrent vers moi, portées comme des bouchons par les moulinets de la foule. Les couples déjà formés faisaient des grumeaux çà et là qui s’embrassaient, qui commençaient à onduler debout. Dehors, la ville me montra tous ses trous, ses coins, ses appels, ses escaliers comme des trappes, ses boîtes qui se referment, ses lumières sèches qui s’allument et s’éteignent, ses rideaux qui se tirent, ses rues où les foules remontent comme des mauvaises digestions, ses souterrains où elles pendent par grappes, ses ronds-points où elles font exprès d’être nombreuses et de grouiller sur place et de coller ensemble comme les œufs des poissons, ses cafés où les jambes s’entremêlent sous les tables, ses taxis où les bras se croisent sur des dos. L’amour mouillait tout ça, coulait dessus comme une rinçure de vaisselle, y gloussait comme un évier qui se vide.
Luc Dietrich (17/03/1913-12/08/1944) - Le Bonheur des Tristes - Introduction à la vie commune ch. II (éd. Denoël, 1935)