Wikipédia:Wikimag/2023/11/Entretien
Cette semaine, nous mettons à l'honneur le travail de Tambuccoriel (d · c · b) qui nous en dévoile un peu plus sur ses passions et son parcours. Voici un bref aperçu de l'entretien que nous vous invitons à découvrir dans son intégralité !
C'est par mon professeur et directeur de recherche que j'ai commencé à contribuer. Au début, c'était plutôt étrange, mais je m'y suis vite habitué, et puis ça a quelque chose de très universitaire, quand on travaille sur Wikipédia notamment : rechercher des sources, les citer, c'est exactement ce qu'on fait quand on fait un état de l'art.
Je travaille très principalement sur la musique. Ma spécialité, ce sont les compositrices, donc je garde surtout un œil sur elles. Mais cela ne m'empêche pas de contribuer sur des compositeurs, leurs œuvres, ou même d'autres sujets. J'aime beaucoup l'Art Nouveau, notamment, mais aussi les arts de façon globale et toutes périodes confondues.
Wikipédia a changé ma vie, mais les autres projets aussi. Lorsque j'ai commencé à travailler sur les projets Wikimédia, j'ai commencé aussi à rencontrer des gens qui contribuaient aussi. Et qui contribuaient depuis toute la francophonie, et c'est merveilleux, cela ouvre un horizon des possibles immense !
Bonjour Tambuccoriel ! Pourrais-tu m'expliquer la signification de ton pseudonyme et te présenter pour nos lecteurs ?
Tambuccoriel est un pseudonyme qui se compose de trois parties. La première partie, Tam, vient d'un vieux pseudonyme qui me vient du domaine du JdR (jeu de rôle). La deuxième partie, bucco, provient d'un de mes opéras favoris, le Nabucco de Giuseppe Verdi. Mais Nabuccoriel, ça ne sonnait pas bien, donc j'ai transformé le Na en Tam. La dernière parti, riel, vient tout simplement de la fin de mon prénom : Gabriel. Je voulais un pseudonyme ou la musique soit encadrée par ce qui fait mon identité.
Comment s'est passée ta rencontre avec Wikipédia ? Combien de temps as-tu attendu avant de devenir contributeur ?
Alors, étrangement, je suis pas mal passé à côté de Wikipédia pendant une longue partie de ma vie. J'ai beaucoup lu, écouté de la musique, regardé des films, mais jusqu'à tardivement, je traînais assez peu sur internet. Ce n'est qu'à partir de mes 18 ans, à peu près que j'ai croisé le chemin de Wikipédia, d'abord, comme beaucoup de gens, en tant que lecteur. Cela me servait surtout à me renseigner sur les œuvres que j'écoutais, plus qu'autre chose, mais ça n'allait jamais vraiment loin. Il a fallut attendre dix ans plus tard, et mon master en musicologie pour que je mette le doigt dans l'engrenage Wikimédia. C'est par mon professeur et directeur de recherche que j'ai commencé à contribuer. Au début, c'était plutôt étrange, mais je m'y suis vite habitué, et puis ça a quelque chose de très universitaire, quand on travaille sur Wikipédia notamment : rechercher des sources, les citer, c'est exactement ce qu'on fait quand on fait un état de l'art. Je suis donc devenu contributeur en 2019, de façon assez sporadique. Mais à partir de 2020, le confinement aidant, je suis devenu un contributeur acharné, puisque j'ai alors travaillé sur plusieurs projets à la fois : Wikipédia, bien sûr, mais aussi Commons, Wikidata, Wikisource et le Wiktionnaire.
Quels sont tes thèmes de prédilection, et pourquoi ?
Je travaille très principalement sur la musique. Ma spécialité, ce sont les compositrices, donc je garde surtout un œil sur elles. Mais cela ne m'empêche pas de contribuer sur des compositeurs, leurs œuvres, ou même d'autres sujets. J'aime beaucoup l'Art Nouveau, notamment, mais aussi les arts de façon globale et toutes périodes confondues.
Pour ce qui est du pourquoi, il faut remonter huit ans en arrière, lorsque je suis tombé sur une vidéo Youtube de la vidéaste et musicologue Scherzando. Elle présentait justement des compositrices, et c'est à ce moment que je me suis rendu compte que, malgré mes connaissances déjà relativement étendues, je ne connaissais pas une seule femme ayant composé de la musique. J'ai alors eu un déclic et j'ai cherché de façon compulsive à partir de ce moment là des compositrices, des œuvres (notamment pour piano, puisque je suis pianiste)… Et c'est notamment grâce à cette vidéaste que j'ai choisi mon sujet de mémoire (alors que je n'étais qu'en L1, c'est dire). Donc à partir de là, je me suis orienté full compositrices.
En 2019, tu effectues tes premières contributions, en lien avec la musique classique, pourtant ce n'est pas le cas du premier article que tu crées apparemment. Te souviens-tu de ce bon vieux Grégoire Bibesco-Brancovan ?
Et bien, en réalité, si, Grégoire Bibesco-Brancovan est lié à la musique, mais de façon subtile. En réalité, il s'agit du père d'Anna de Noailles et de sa sœur Hélène de Brancovan, mariée au prince Alexandre de Caraman-Chimay. Alexandre de Caraman Chimay est le frère de la Comtesse Greffulhe, qui a notamment inspiré le personnage de la duchesse de Guermantes Marcel Proust pour son œuvre pharaonique À la recherche du temps perdu. Il s'agit là de personnages gravitant dans un même milieu social, ayant chacun les mêmes cercles amicaux et fréquentant les mêmes personnes.
Anna de Noailles et Hélène de Brancovan se sont liées, au début du XXI siècle, à la compositrice Ethel Smyth. Et c'est justement la compositrice qui faisait l'objet de mon mémoire de fin d'études. Ethel Smyth a organisé, grâce à l'aide des sœurs Brancovan, de la comtesse de Greffulhe, mais aussi de Gabriel Fauré, un concert, en juin 1908 à Paris, pour présenter notamment ses Quatre Songs. Ethel Smyth faisait donc partie intégrante de cercle mondain. Lorsque j'ai commencé à travaillé sur ce sujet, il m'a donc fallut comprendre quelles étaient les relations entre tous ces personnages, et j'ai donc du remonter jusqu'à Grégoire Bibesco-Brancovan. Sauf que cette personne n'avait pas sa page sur Wikipédia en français. J'ai donc fait alors mon premier article par l'outil de traduction. Ce n'est que bien plus tard que j'ai créé des articles sans cet outil ! Mais voilà l'origine de mon travail sur ce curieux personnage.
Wikipédia a-t-elle changé ta vie d'une quelconque façon ?
Bien sûr, Wikipédia a changé ma vie, mais les autres projets aussi. Lorsque j'ai commencé à travailler sur les projets Wikimédia, j'ai commencé aussi à rencontrer des gens qui contribuaient aussi. Et qui contribuaient depuis toute la francophonie, et c'est merveilleux, cela ouvre un horizon des possibles immense ! Et puis, travailler sur les différents projets pousse aussi à l'humilité… On réalise qu'en réalité, on ne sait pas grand chose, de la quantité de savoir qu'il existe. On ne lit pas grand chose du peu d'ouvrages que l'humanité à écrit. En fait, comme aurait dit Socrate, Je sais que je ne sais rien. De suite, ça remet les choses à leurs places. Il ne faut pas avoir honte de ne pas savoir, parce que cela veut dire qu'on peut encore apprendre, et c'est beau. Avec Wikipédia, j'ai aussi acquis un esprit plus critique, notamment sur l'usage du libre, du droit d'auteur, et tout ce qui peut se rattacher.
Le 31 mars 2022, tu reçois une récompense pour tes contributions à la page de Mel Bonis, qu'as-tu ressenti ? Souhaiterais-tu recevoir d'autres récompenses de ce type ?
J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à recevoir cette récompense, et j'en remercie encore Ledublinois (d · c · b) (que je croise régulièrement sur les évaluations des projets). Il y a quelque chose de satisfaisant de voir que le travail effectué est considéré, évalué et gratifié. Le travail sur Mel Bonis m'aurait pris un semestre entier, j'ai créé près de 200 pages d'œuvres, j'ai travaillé à la labélisation de l'article de la compositrice en question, j'ai même été jusqu'à contacter sa descendante, Christine Géliot ! Cela a demandé beaucoup de travail, sur Wikipédia, sur Wikidata et sur Wikisource. Heureusement, je n'étais pas tout seul, et plein d'autres petites mains m'ont soutenu et aidé. Donc, ce que j'ai ressenti, c'est de la fierté, bien sûr. Mais je ne sais pas si je souhaiterais recevoir d'autres récompenses, cela ferait trop orgueilleux. Là, Ledublinois me l'a décernée de son propre chef, je n'ai rien demandé, et c'est ça qui fait tout l'intérêt de la chose ! Travailler avec pour but de recevoir une récompense, ça n'a pas la même perspective que travailler avec pour but l'amélioration de la connaissance. L'esprit n'est pas du tout le même.
Pourrais-tu m'expliquer, en trois lignes, pourquoi le mot informaticienne te fait hérisser le poil ? (Tu l'avais vue venir, celle-là !)
En trois lignes, ça va être court. Le mot informaticienne m'énerve parce qu'il fait référence à un "débat" sur la page Informaticien. En réalité, ce n'est pas tant le mot informaticienne qui m'énerve que son absence. Le "débat" en question a été biaisé, avec pour but la disparition du terme. Pourquoi ? Parce que certaines personnes considèrent que le masculin a valeur de neutre. Or, le neutre en français, ça n'existe pas, quoi qu'on en dise. Il existe en latin, en allemand, mais en français, il a disparu. Et les personnes se revendiquant du masculin-neutre s'appuient sur l'Académie française qui aurait dit que. Là aussi, l'Académie française n'a aucune valeur en tant qu'argument. Elle est prescriptive, et non normative (comme l'est le Wiktionnaire par exemple). De fait, elle ne reflète pas la réalité des choses. À mon sens, vouloir effacer le terme informaticienne avec cet argumentaire là, c'est être tout autant militant que les personnes qui veulent inclure le terme informaticienne. Toute chose est politique et militante, autant l'ajout que la suppression. Donc, quand on me parle d'informaticienne, ce qui me hérisse le poil, c'est surtout le fait que certaines personnes sont trop prescriptivistes, alors qu'on est sur une encyclopédie.
Alors, une fois pour toute, peux-tu nous expliquer ce que signifie krkrkrkr ?
Le krkrkr, c'est une forme de ricanement. Un peu à l'image de Diabolo dans Satanas et Diabolo, que l'on voit aussi dans la série Les Fous du volant.
Si je ne me trompe pas, le prochain Mois des compositrices aura lieu en juin, j'imagine que tu y participeras ? Quel objectif te fixes-tu ?
Ce sera la troisième édition du Mois des compositrices, oui ! Cependant, comme les deux années précédentes, je n'y participerai pas. Mon travail se fait en amont, en compilant des compositrices n'ayant pas leur page sur la Wikipédia francophone. Dès lors, je travaille sur les fiches Wikidata, qui compilent souvent les sources pour créer une base pour l'article et qui aide à vérifier l'admissibilité. Donc pas de participation lors du concours, puisque je suis aussi membre du jury, on ne participe pas à un concours où l'on juge, ce serait triché. Donc je ne me fixe bien sûr pas d'objectif. Par contre, j'ai remarqué, avec les deux années précédentes, que mon travail n'est pas forcément utile, dans le sens où beaucoup de participant·es ont trouvé·es des compositrices qui n'étaient pas dans la liste que j'avais proposé, et ça, je trouve ça génial, parce que ça veut dire qu'il y a encore beaucoup à faire ! En termes d'objectif, je pense qu'on aura environ une cinquantaine de biographie de compositrices, mais peut-être auront nous d'autres surprises ! La première année, George2etexte (d · c · b) a fait un travail sur Augusta Coupey sur Wikisource, et l'année suivante, le travail a aussi été fait sur Commons par BerwaldBis (d · c · b) avec l'import d'une magnifique photographie pour illustrer l'article Hélène Fleury-Roy. De plus, des articles non-biographiques ont été créés : des listes d'œuvres de compositrices, ou même des œuvres, comme la Symphonie en ut dièse mineur de Sohy dite "Grande Guerre". Alors pour la troisième année, je m'attends à tout !
Pourrais-tu nous partager une crainte et un espoir sur l'avenir de Wikipédia ?
Je pense que l'avenir de Wikipédia est assuré. J'ai espoir que Wikipédia réussisse à compiler l'intégralité de la connaissance humaine, et il y a beaucoup à faire ! Mais je crains aussi que cela n'arrive jamais vraiment, notamment du fait des nombreux biais qui existent. On pourrait parler longtemps de ces biais, et de la façon de les résoudre. Mais ça risque de rallonger de beaucoup cet entretien…
Merci d'avoir pris le temps de répondre ! C'est sur cette note d'espoir que je te propose de conclure en te laissant le mot de la fin :
Pour reprendre une très grande philosophe de notre époque, reprise par d'autres non moins célèbres, you better work bitch ! On a une encyclopédie à finir, et la dead line se rapproche !