Risque de génocide à Gaza depuis 2023
Des experts, des gouvernements, des agences des Nations Unies et des ONG ont accusé Israël de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien lors de son invasion et de ses bombardements de la bande de Gaza dans le cadre de la guerre en cours entre Israël et le Hamas. Les experts des Nations Unies ont déclaré que les graves violations commises par Israël à l'encontre des Palestiniens après l'attaque du Hamas contre Israël d'octobre 2023, en particulier à Gaza, indiquent un génocide en cours. Ils ont présenté des preuves d'une incitation croissante au génocide, d'une intention manifeste de « détruire le peuple palestinien sous occupation », d'appels répétés à une « seconde Nakba » à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés, ainsi que de l'utilisation d'armements puissants aux effets intrinsèquement indiscriminés, entraînant un bilan humain colossal et la destruction d'infrastructures vitales[1],[2]. Un rapport de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens, intitulé Anatomie d'un génocide, évoque trois actes de génocide qui auraient été commis à l'encontre du peuple palestinien à Gaza[3]. Divers observateurs ont cité des déclarations de hauts responsables israéliens qui pourraient indiquer une « intention de détruire » (en tout ou en partie) la population de Gaza, une condition nécessaire pour qu'une des actes soient considérés légalement comme génocidaires. Une majorité d'universitaires du Moyen-Orient, principalement basés aux États-Unis, pensent que les actions d'Israël à Gaza visaient à la rendre inhabitable pour les Palestiniens, et 75 % d'entre eux affirment que les actions d'Israël à Gaza constituent soit des « crimes de guerre majeurs s'apparentant à un génocide », soit un « génocide ».
Risque de génocide à Gaza | |
Des funérailles dans la bande de Gaza en 2023. | |
Date | depuis le |
---|---|
Lieu | Palestine Israël |
Victimes | Palestiniens |
Type | Génocide, Châtiment collectif, Nettoyage ethnique, Déplacement forcé, Répression à l'aveugle |
Morts | 42000 selon les chiffres du ministère de la santé gazaoui (contrôlé par le Hamas)
Plus de 186000 selon la revue The Lancet |
Auteurs | Armée israélienne |
Ordonné par | Gouvernement israélien |
Motif | Remplacement de population Établissement d'un Grand Israël |
Guerre | Conflit israélo-palestinien Conflit Gaza-Israël Conflit israélo-arabe |
modifier |
Définition juridique du génocide
Le terme de génocide a été créé en 1944 par le juriste Raphaël Lemkin.
L'ONU en a donné une définition juridique dans la convention du 9 décembre 1948 pour la prévention de la répression du crime de génocide (art II)[4]: "Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe"[5].
Cette définition est le résultat d’un processus de négociation et reflète le compromis obtenu par les États Membres des Nations Unies lors de la rédaction de la Convention en 1948.
La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide précise : "La définition du génocide se compose de deux éléments, à savoir l’élément physique, qui renvoie aux actes commis, et l’élément mental, qui renvoie à l’intention. L’intention est l’élément le plus difficile à déterminer. Pour qu’il y ait génocide, il doit y avoir une intention avérée de la part des auteurs de détruire physiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux. La destruction culturelle ne suffit pas, ni l’intention de simplement disperser un groupe, bien qu’elle puisse constituer un crime contre l’humanité tel qu’indiqué dans le Statut de Rome. C’est cette intention spécifique, ou dolus specialis, qui fait du génocide un crime si unique. Pour parler de génocide, il doit également être établi que les victimes sont ciblées de manière délibérée et non aléatoire, en raison de leur appartenance réelle ou perçue à l’un des quatre groupes protégés par la Convention. Cela signifie que la cible de la destruction doit être le groupe en tant qu’entité, ou même une partie du groupe, mais pas ses membres à titre individuel"[6].
Contexte
Après les attaques du par le Hamas, Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien, a déclaré : « Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence »[7]. Avi Dichter, ministre israélien de l'Agriculture, a appelé à ce que la guerre soit une "Nakba de Gaza" sur la chaîne 12[8]. Amihai Eliyahu, ministre israélien du Patrimoine, a appelé à larguer une bombe atomique sur Gaza[8]. Le président d'Israël Isaac Herzog a blâmé toute la Palestine pour l'attaque du 7 octobre[9].
Le général-major Ghassan Alian (en), directeur du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, a déclaré : « Il n'y aura ni électricité ni eau (à Gaza), il n'y aura que destruction. Vous vouliez l'enfer, vous aurez l'enfer, »[7]. La membre du Parti républicain de la Chambre des représentants de Floride, Michelle Salzman (en), a déclaré à la Chambre que la mort de tous à Gaza serait une réponse à une question rhétorique[10].
Au , plus de 21 000 Palestiniens, dont plus de 8 000 enfants, 6 200 femmes aurait été tués, de même que 61 journalistes[11]. Selon certaines estimations, des milliers de corps supplémentaires ont été enterrés sous les décombres[12],[13],[14]. La guerre, toujours en cours, et l'absence d'enquête indépendante rendent difficile la qualification juridique de la situation dans la bande de Gaza.
Plainte de l'Afrique du Sud contre Israël pour génocide
Saisie de la Cour internationale du justice, décembre 2023
Le 29 décembre 2023, l'Afrique du Sud saisit la Cour internationale de justice en vertu de la convention de Genève pour enquêter sur Israël pour des allégations de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité[15]. L'Afrique du Sud lance cette requête pour dénoncer ce qu’elle estime être le caractère « génocidaire » de l’invasion israélienne à Gaza. Dans sa requête, l’Afrique du Sud affirme qu’Israël « s'est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ». Elle dénonce des « massacres » et une intention de « détruire » ce peuple. Elle indique également que « L'État israélien, y compris aux plus hauts niveaux, du président, du Premier ministre et du ministre de la Défense israéliens expriment une intention génocidaire »[16]. Le président de l'Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a comparé les actions d'Israël à l'apartheid[17]. Israël a nié les allégations et a accusé l'Afrique du Sud de collaborer avec le Hamas[15]. Israël a qualifié les actions de l'Afrique du Sud d'accusation antisémite de meurtre rituel[18]. Les États-Unis, principal soutien d’Israël, a qualifié cette accusation de génocide d’ « infondée, contre-productive et basée sur aucun fait »[16]. Le , Israël a décidé de comparaître devant la CIJ en réponse à l'affaire présentée par l'Afrique du Sud selon laquelle Israël commettrait un génocide[19].
Première décision de la Cour internationale de justice, 26 janvier 2024
La Cour internationale de justice rend une première décision le 26 janvier 2024, par laquelle elle considère comme plausible l’accusation de génocide dirigée contre Israël, indique six mesures conservatoires, mais s'abstient d'évoquer un cessez-le-feu à Gaza[20]. La Cour ordonne notamment à Israël d'empêcher tout éventuel acte génocidaire, de prendre des mesures immédiates permettant de fournir aux Palestiniens « l’aide humanitaire dont ils ont un besoin urgent »[21]. Israël doit aussi « prévenir et punir » l’incitation au génocide[22]. Cette décision a « l'impact symbolique « énorme » de toute décision rendue contre l'État hébreu au titre de la Convention sur le génocide, compte tenu de son histoire » selon une analyse pour l'AFP de Juliette McIntyre, experte en droit international à l'Université d'Australie du Sud[23]. Les livraisons d'armes à Israël deviennent plus problématiques du fait de la mention par la Cour d'un risque de génocide à Gaza. De même, selon le site Mediapart, cette décision marque « un tournant dans la guerre », qu'elle soit mise en œuvre ou non par l'État hébreu[24].
La Cour internationale de justice (CIJ) a pourtant rejeté la saisie de l’Afrique du Sud, imputant à Israël la commission d’un « génocide » à Gaza ; interrogée par la BBC, Joan Donoghue, ex-directrice de la CIJ, a été très claire : "la CIJ n'a pas indiqué que l'accusation de génocide était plausible"[25],[26]. L’organe judiciaire, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, demande simplement à Tel Aviv de prendre toutes les mesures pour "prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre" un génocide et à "prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission" des actes matériels (la destruction de tout ou partie d'un groupe) entrant dans la définition d'un génocide, sans se prononcer sur un éventuel élément moral[27],[28].
Rapport de Francesca Albanese à l'ONU en mars 2024
En , Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, livre un rapport intitulé Anatomie d’un génocide, selon lequel « il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil permettant de qualifier la situation de génocide a été atteint[29] ».
Le texte distingue trois actes de génocide qui auraient été commis contre les Palestiniens, et qui comptent parmi les cinq actes inscrits dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948[30] : le meurtre direct des membres du groupe ; les dommages physiques ou psychiques causés aux membres du groupe ; « la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle »[31].
Le rapport évoque aussi un « nettoyage ethnique » de Gaza[32].
Les autorités israéliennes ayant affirmé leur respect du droit international humanitaire dans leur conduite de la guerre, Francesca Albanese déclare que l'Etat hébreu a « invoqué ce droit comme un "camouflage humanitaire" afin de légitimer la violence génocidaire qu’il déploie à Gaza »[33]. Le rapport accuse les dirigeants israéliens d’avoir dans les faits traité « un groupe entier » comme s'il était « terroriste » ou « soutenant le terrorisme », pour « transformer ainsi tout et tout le monde en cible ou en dommages collatéraux »[30].
Pertes humaines
Le rapport fait état en mars 2024 de « 30 000 morts, 12 000 disparus (sous les décombres) et 71 000 blessés graves »[34].
Le blocus de la bande de Gaza pratiqué par Israël a provoqué des morts dues à la famine, notamment la mort de 10 enfants par jour, les habitants ayant été privés des moyens de se procurer une nourriture suffisante, selon le rapport Anatomie d’un génocide[31].
Les bombardements de la bande de Gaza ont conduit au largage, dans les premiers semaines de la guerre, de « plus de 25 000 tonnes d'explosifs » - soit l'équivalent de deux bombes nucléaires - sur des quartiers densément peuplés[31].
70% des personnes tuées à Gaza sont des femmes et des enfants, selon les chiffres du ministère de la santé du Hamas[31]. Les 30% restants sont des hommes, mais Israël n'a pas fourni les preuves permettant d'établir que ces victimes masculines étaient armées[31].
Atteintes à l'intégrité physique ou mentale
Selon le rapport Anatomie d’un génocide, « infliger des dommages corporels ou mentaux graves aux enfants peut raisonnablement être interprété comme un moyen de détruire le groupe en totalité ou en partie »[31].
Le blocus de la bande de Gaza par Israël a mis en danger la santé des Palestiniens, en raison de l'absence d'approvisionnement en médicaments et en désinfectants[31]. Des opérations sans anesthésie ont dû être pratiquées, y compris des amputations sur des enfants[31].
Des milliers d'hommes et de jeunes garçons palestiniens ont été emprisonnés par Israël selon le rapport ; ces détentions se sont accompagnées dans un grand nombre de cas de mauvais traitements, d'actes de torture, qui ont provoqué des « incapacités à long terme », et parfois la mort[31].
Les Palestiniens « ont subi des dommages physiques et psychologiques incessants » durant cette guerre selon le rapport[31].
Conditions de vie devant entraîner la destruction du groupe
Priver un groupe des moyens de se perpétuer - même sans porter atteinte directement aux membres du groupe - constitue un acte de génocide[31]. Relèvent de ce type d'action, selon le rapport, les destructions dans les opérations militaires israéliennes des hôpitaux (en), des terres agricoles, du bétail, des équipements de pêche, des moyens de télécommunication, des établissements d'enseignement et du patrimoine culturel palestinien[31].
Le rapport relève des déclarations publiques de responsables israéliens comme celle du ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, qui avait assumé le 9 octobre 2023 le fait qu'un « siège complet » de Gaza tel qu'il le mettrait en oeuvre signifiait qu'il n'y aurait « pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant », ou le propos semblable d'Israël Katz, alors ministre de l'Energie, le 12 octobre 2023[31].
Les accusations portées par Israël contre l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) selon lesquelles cette agence des Nations unies comptait parmi ses employés ses combattants du Hamas, avaient provoqué le retrait de certains donateurs étatiques, et une exacerbation de la catastrophe humanitaire dans l'enclave palestinienne[31].
Nettoyage ethnique
Des civils qui, obéissant aux ordres d'évacuation, s'étaient déplacés vers le sud de la bande de Gaza, ont été néanmoins tués[30]. Ce constat, associé aux propos de dirigeants israéliens planifiant le déplacement massif de Palestiniens hors de Gaza et le remplacement de ces habitants par des colons israéliens, « conduisent raisonnablement à déduire que les ordres d’évacuation et les zones de sécurité ont été utilisés comme des outils génocidaires pour parvenir à un nettoyage ethnique », selon le rapport[30].
« Camouflage humanitaire »
Le rapport dénonce une instrumentalisation du droit international en vue de légitimer un génocide présumé[33]. Ainsi par exemple le gouvernement israélien allègue l'utilisation des civils par le Hamas comme boucliers humains, alors qu'une telle situation ne dispense pas un Etat de distinguer civils et combattants[33],[35]. La notion d’objectif militaire a été étendue à l'ensemble du territoire gazaoui[33],[35]. Le concept de « dommage collatéral » est devenu un élément habituel du langage politique israélien en vue de masquer un massacre de masse[33],[35]. Les ordres d’évacuation, présentés comme une preuve du respect du droit humanitaire, auraient été employés comme un moyen d'épuiser la population[35] - raison pour laquelle l’Assemblée générale de l'ONU exige dans la résolution du 26 octobre 2023 qu'Israël revienne sur son premier ordre d’évacuation du nord de Gaza[33].
Recommandations
Le rapport recommande aux États de mettre en place un embargo sur les armes contre Israël, d'instaurer un cessez-le-feu à Gaza, et de protéger l'enclave palestinienne en y envoyant une force internationale[33]. Il recommande aussi de poursuivre le soutien financier à l'UNRWA. L'Union européenne est appelée à suspendre son accord d'association avec Israël[36].
Les autorités israéliennes ont nié l'ensemble des faits évoqués dans le rapport, ou ont fourni des justifications fondées sur les nécessités imposées par le terrain, et accusé Francesa Albanese de chercher à délégitimer l'existence d'Israël[30].
Yann Barte dans Franc-tireur met en cause la neutralité de la rapporteuse et de l'instance à laquelle elle appartient - Le Conseil des Droits de l'Homme[37][non neutre]
Discours académique et juridique
Marie Lamensch, coordonnatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, à Montréal, explique qu’il faudra encore des années pour déterminer si un génocide est en cours, selon les définitions du droit international, tout en déplorant que le débat sur les termes juridiques occulte une situation humanitaire « horrible »[29]. Le professeur de droit à l'Université du Middlesex William Schabas explique que la difficulté réside dans le fait qu'il faille prouver les intentions génocidaires des dirigeants israéliens[29].
Or, certains universitaires citent les déclarations israéliennes qu'ils considèrent comme constituant une « intention de détruire » la population de Gaza, une condition nécessaire pour que le seuil légal du génocide soit atteint[38]. Le politologue Norman Finkelstein, auteur d'une étude sur l'industrie de l'Holocauste, affirme que Benjamin Netanyahu en appelant les Palestiniens Amalek fait un appel au génocide[39]. Il accuse Israël de mener une « guerre génocidaire »[40]. Dès octobre 2023, l'historien israélien Raz Segal qualifie la guerre de « cas typique de génocide »[9],[41]. Les attaques d'Israel contre les infrastructures, l'eau et la nourriture sont également qualifiées de génocidaires, par la spécialiste du génocide arménien Elyse Semerdjian[42]. Le 19 octobre 2023, les chercheurs Raz Segal, Barry Trachtenberg, Robert McNeil, Damien Short, Taner Akçam et Victoria Sanford, s'associent à une lettre adressée au procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, par cent organisations issues de la société civile, l'appelant à émettre des mandats d'arrêt contre des responsables israéliens pour des affaires antérieures au 7 octobre ; à enquêter sur de nouveaux crimes commis dans les Territoires palestiniens, y compris l'incitation au génocide, depuis le 7 octobre ; à émettre une déclaration préventive contre les crimes de guerre ; et à rappeler à tous les États leurs obligations envers le droit international. La lettre affirme que les déclarations des responsables israéliens montrent une « intention claire de commettre des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et une incitation à commettre un génocide, en utilisant un langage déshumanisant pour décrire les Palestiniens »[43],[44],[45].
Le 10 novembre 2023, l'historien spécialiste de la Shoah Omer Bartov déclare « Ma principale préoccupation, en observant le déroulement de la guerre Israël-Gaza, est qu'il y ait une intention génocidaire, qui puisse facilement conduire à une action génocidaire[46] ». En réponse, cinq spécialistes de l'Holocauste, tout en reconnaissant des « déclarations ignobles de la part des responsables israéliens, qui ne peuvent être ignorées »[47], ont souligné que seuls quelques responsables avaient fait de telles déclarations et les ont justifiées en faisant référence aux crimes du Hamas. Les cinq spécialistes ont fait valoir que le langage déshumanisant n'était « pas une preuve d'intention génocidaire ». Bartov déclare plus tard qu'à partir de mai 2024, « il n'était plus possible de nier qu'Israël était engagé dans des crimes de guerre systématiques, des crimes contre l'humanité et des actions génocidaires », tout en notant que très peu de personnes en Israël (hormis les Palestiniens) étaient prêtes à accepter ce point de vue[48].
Le sociologue et spécialiste du génocide Martin Shaw soutient que le terme « génocide » est sous-utilisé, car les États souhaitent « éviter la responsabilité de prévenir et punir » qu'impose la convention ; de plus, il soutient qu'il existe « une aversion particulière à enquêter sur ses implications pour la conduite d'Israël. Les États occidentaux continuent de le protéger, croyant à tort que les Juifs, ayant été les principales victimes historiques du génocide, ne peuvent en être également les auteurs. »[49],[50] En janvier 2024, l'article de Shaw, « Inescapably Genocidal », publié dans le Journal of Genocide Research, note que l'application du cadre du génocide à la Palestine a, selon un commentateur, « habituellement suscité des réactions fanatiques », mais que la nature de l'assaut israélien sur Gaza « représente un choix stratégique » plutôt qu'une conséquence involontaire, et qu'il est donc justifié et inévitable de l'appeler génocide[51].
À l'extermination des êtres humains, s'ajoute la destruction du patrimoine culturel et historique palestinien, à laquelle l'armée israélienne se livre de manière massive et méthodique. Constitutive du génocide, cette composante de destruction patrimoniale est relativement documentée, malgré les difficultés à le faire en raison de la poursuite des bombardements, destructions et massacres à Gaza[52].
Ces analyses sont cependant contestées par d'autres universitaires ou juristes pour qui les actions israéliennes ne constituent pas un génocide. Cela a ainsi été contesté par Dov Waxman président du département d'études israéliennes à l'UCLA[38], l'avocat Alan Dershowitz[40], le professeur David Simon et Ben Kiernan de l'université Yale[9]. Ces deniers soulignent notamment que la guerre à Gaza est défensive - il s'agit d'une riposte à l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 - et vise le Hamas et non spécifiquement les civils. La référence à Amalek désignerait d'ailleurs le Hamas et pas les Palestiniens dans leur ensemble[40]. Ils estiment que l'intention attribuée à l'armée israélienne de détruire un groupe (religieux, ethnique ou raciale) n'est pas démontrée en l'état et que, malgré les nombreuses victimes civiles palestinienne de Gaza, leur nombre n'atteint pas le seuil très élevé requis pour correspondre à la définition juridique du génocide[43].[pertinence contestée]
Julia Sebutinde, juge ougandaise à la CIJ, ayant notamment contribué à l'écriture des lois anti-apartheid en Namibie, a pour sa part indiqué douter fortement de toute "intention génocidaire" des dirigeants israéliens et dénonce "l'idéologisation" de la justice internationale[28].
En France, les tenants de la "contextualisation" et de la remise en perspective historique de l'attaque du 7 octobre par le Hamas, tel que l'anthropologue Didier Fassin, dénoncent l'acquiescement occidental "au massacre et à la destruction, voire à un possible génocide par l’État d’Israël"[53],[54],[55]. D'autres universitaires estiment qu'il ne peut y avoir d'amalgame entre guerre et génocide, que "l’État d’Israël a été attaqué sur son territoire souverain" dans lequel "il a le droit et l’obligation de protéger sa population" et donc dispose de la légitimité à prendre les mesures pour que cela ne se reproduise pas. Ils jugent aussi qu'on ne peut exonérer le Hamas de sa responsabilité vis à vis de sa propre population utilisée comme bouclier humain et dont le calvaire pourrait cesser avec la libération des otages[56],[57],[58],[54]. Enfin, certains intellectuels dénoncent une "inversion victimaire" se traduisant par "la nazification" de la victime (les Juifs) alors que, pourtant, l'intention génocidaire visant les Juifs est clairement formulée et répétée par le Hamas[59],[60],[61],[62],[63],[64].[pertinence contestée]
Documentation
Euro-Mediterranean Human Rights Monitor (organisation indépendante à but non lucratif pour la protection des droits de l'homme) documente des preuves d'exécutions commises par les Forces de défense israéliennes. Elle a soumis les preuves et la documentation à la Cour pénale internationale et au rapporteur spécial des Nations unies[65].
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Allegations of genocide in the 2023 Israeli attack on Gaza » (voir la liste des auteurs).
- (en) « Gaza: UN experts call on international community to prevent genocide against the Palestinian people », sur HCDH, (consulté le )
- (en) Burga, Solcyré, « Is What's Happening in Gaza a Genocide? Experts Weigh In », Time, (lire en ligne, consulté le )
- Francesca Albanese, « Anatomy of a Genocide – Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Francesca Albanese » [PDF], sur Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, (consulté le )
- « Génocide — Géoconfluences (ens-lyon.fr) »
- « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide | OHCHR »
- « Appeal-Ratification-Genocide-FactSheet-FR.PDF (un.org) »
- Jessica Buxbaum, « 'Effacer Gaza' : Comment la rhétorique génocidaire est normalisée en Israël », sur New Arab, (consulté le )
- « Les commentaires des ministres de droite israéliens alimentent les craintes palestiniennes », sur NBC News, (consulté le )
- « Ce qui se passe à Gaza est-il un génocide ? Des experts donnent leur avis », sur TIME, (consulté le )
- Andrew Mitrovica, « S'en sortir avec un appel au génocide à Gaza », sur Al Jazeera (consulté le )
- (en) Dustin Barter, « Myanmar, Gaza, and why it’s time for humanitarian resistance » , sur The New Humanitarian,
- (en) Bassam Massoud et Maggie Fick, « Gaza death toll: why counting the dead has become a daily struggle », Reuters, (lire en ligne )
- « Le bilan des morts à Gaza atteint 20 000, le vote du cessez-le-feu de l'ONU est reporté », Euronews, (lire en ligne [archive du ], consulté le )
- « Guerre à Gaza 'la plus dangereuse jamais vue' pour les journalistes, selon un groupe de défense des droits », Reuters, (lire en ligne)
- Léonie Chao-Fong, Martin Belam, Reged Ahmad, Léonie Chao-Fong (maintenant) ; Martin Belam et Reged Ahmad (auparavant), « Guerre Israël-Gaza en direct : Israël réplique à l'Afrique du Sud après avoir lancé un dossier de génocide devant la plus haute cour de l'ONU », the Guardian, (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le )
- « Gaza : Trois questions sur les accusations de génocide auxquelles Israël devra répondre devant un tribunal international », (consulté le )
- Traci Carl, « L'Afrique du Sud accuse Israël de génocide devant un tribunal de l'ONU. », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
- « L'Afrique du Sud porte plainte devant La Haye accusant Israël de génocide à Gaza », sur The Herald, (consulté le )
- « Israel to contest genocide case filed by South Africa at International Court of Justice », sur www.aa.com.tr (consulté le )
- « Israël malmené à La Haye mais aucun cessez-le-feu imposé à Gaza », sur Le Soir, (consulté le )
- « Guerre Israël-Hamas : la CIJ ordonne à Israël d’autoriser l’accès humanitaire à Gaza et lui demande d’empêcher tout éventuel acte de « génocide » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « Décision. La Cour internationale de justice épingle Israël sur la guerre à Gaza », sur Courrier international, (consulté le )
- « Israël - Afrique du Sud : quelles réactions à la décision historique de la CIJ ? | TV5MONDE - Informations », sur information.tv5monde.com, (consulté le )
- François Bougon, Jérôme Hourdeaux, « La Cour internationale de justice ordonne à Israël d’empêcher un génocide à Gaza », sur Mediapart, (consulté le )
- « Former head of ICJ explains ruling on genocide case against Israel brought by S Africa (bbc.com) »
- « A Gaza, la plus infecte des guerres mais pas un genocide lettr!e ouverte à d'Artagnan », sur Marianne.net,
- « La qualification de génocide à Gaza une accusation de trop », sur www.liberation.fr,
- « Guerre à Gaza - "Génocide", l'accusation rituelle (franc-tireur.fr) »
- Marin 2024.
- « Rapporteuse de l'ONU: Francesca Albanese accuse Israël de commettre plusieurs « actes de génocide » », La Presse, (lire en ligne, consulté le )
- « Guerre dans la bande de Gaza : sur quoi se base la rapporteuse spéciale de l'ONU pour accuser Israël d'"actes de génocide" ? », sur Franceinfo, (consulté le )
- « Guerre Israël-Hamas, jour 171 : une rapporteuse de l’ONU accuse Israël de commettre plusieurs « actes de génocide » dans la bande de Gaza », {{Article}} : paramètre «
périodique
» manquant, (lire en ligne, consulté le ) - Rafaëlle Maison, « « Anatomie d’un génocide ». Le rapport de Francesca Albanese sur la situation à Gaza », sur Orient XXI, (consulté le )
- Rafaëlle Maison, « « Anatomie d’un génocide ». Le rapport de Francesca Albanese sur la situation à Gaza », sur Orient XXI, (consulté le )
- (en) Nimer Sultany, « A Threshold Crossed: On Genocidal Intent and the Duty to Prevent Genocide in Palestine », Journal of Genocide Research, , p. 1–26 (ISSN 1462-3528 et 1469-9494, DOI 10.1080/14623528.2024.2351261, lire en ligne, consulté le )
- « L'UE doit couper ses liens avec Israël pour empêcher le génocide de Gaza - rapporteur de l'ONU », sur euronews, (consulté le )
- Yann Barte, « Francesca Albanese : rapporteuse très spéciale », Franc-Tireur,
- Ana Komnenic, « Experts, advocates deeply divided on question of 'genocide' in Gaza », sur cbc.ca, CBC (consulté le )
- (en) « Norman Finkelstein vs. Alan Dershowitz: When Netanyahu Calls Palestinians "Amalek," He Is Calling For Genocide », sur realclearpolitics.com,
- « Dershowitz and Finkelstein Rekindle Decades-Old Debate on Israel-Palestine Conflict - GV Wire - Explore. Explain. Expose », (consulté le )
- Segal 2023.
- (en) Elyse Semerdjian, « A World Without Civilians », Journal of Genocide Research, (DOI https://doi.org/10.1080/14623528.2024.2306714)
- « Scholars, civil society call on ICC Prosecutor to issue arrest warrants, investigate Israeli crimes in Gaza », sur Wafa, (consulté le )
- « Urgent : Issue Arrest Warrants, Investigate Israeli Crimes and Intervene to Deter Incitement to Commit Genocide in Gaza » [archive du ]
- « Reproduction de la letter dans son intégralité », sur Addameer,
- Bartov 2023.
- Tuvia Friling, Laura Jockusch, Liat Steir-Livny, Avinoam Patt et Roni Porat, « Opinion : Charging Israel With Genocide in Gaza Is Inflammatory and Dangerous » [archive du ], sur Haaretz,
- Omer Bartov, « As a former IDF soldier and historian of genocide, I was deeply disturbed by my recent visit to Israel », sur The Guardian,
- (en) Martin Shaw, « The Uses and Abuses of the Term 'Genocide' in Gaza » [archive du ], sur New Lines Magazine,
- « More than Genocide », sur Boston Review,
- Abdelwahab El-Affendi, « Gaza and the dilemmas of genocide scholars » [archive du ], sur Al Jazeera,
- (en) Librarians and Archivists with Palestine, « Israeli Damage to Archives, Libraries, and Museums in Gaza, October 2023–January 2024 : A Preliminary Report from Librarians and Archivists with Palestine », Librarian and Archivist with Palestine, vol. -, no -, , p. 1-13 (lire en ligne [PDF])
- D. Fassin, « « L’anéantissement de Gaza laissera, dans l’histoire du monde, une blessure indélébile », prévient l'anthropologue Didier Fassin », L'Humanité,
- D. Fassin et D. Charbit, « 7 Octobre, guerre à Gaza : dialogue entre les chercheurs Denis Charbit et Didier Fassin », Libération,
- D. Fassin, « Le spectre d’un génocide à Gaza », AOC.media,
- Par Bruno Karsenti, Jacques Ehrenfreund, Julia Christ, Jean-Philippe Heurtin, Luc Boltanski et Danny Trom (Philosophe, Historien, Philosophe, Politiste, Sociologue, écrivain, Sociologue), « Un génocide à Gaza ? Une réponse à Didier Fassin », sur AOC,
- Eva Illouz, « Génocide à Gaza ? Eva Illouz répond à Didier Fassin », K, les Juifs, L'Europe, le XXIème siècle,
- Eva Illouz, « "Un gouffre s’est ouvert à gauche autour de la question juive" », L'Express,
- Renée Frégosi, « Israël devant la Cour internationale de justice de La Haye », Revue des Deux Monde,
- Pierre-André Taguieff, Le Nouvel Opium des progressistes. Antisionisme radical et islamo-palestinisme, Gallimard, coll. “Tracts”, (ISBN 978-2073063243)
- Pierre-André Taguieff, « Pierre-André Taguieff. Après le méga-pogrom du 7 octobre », Tribune Juive,
- Luc Ferry, «Le Hamas, criminel contre l’humanité?», Le Figaro,
- Michel Eltchaninoff, « Nazifier les Juifs, une nouvelle forme d’antisémitisme », Philosophie magazine,
- Mohamed Sifaoui, HAMAS - Plongée au coeur du groupe terroriste, Editions du Rocher, (ISBN 978-2-268-11083-7)
- « Euro-Med submits findings on Israeli army executions in Gaza to ICC, UN, calling them 'genocide' », Middle East Monitor, (lire en ligne, consulté le )
Articles connexes
Bibliographie
Articles de presse
- Stéphanie Maupas, « Gaza : la Cour internationale de justice appelle à protéger les Palestiniens contre un « risque réel et imminent » de génocide », Le Monde, (lire en ligne)
- Stéphanie Marin, « Le déchirement autour du mot «génocide» », Le Devoir, (lire en ligne)
- Béligh Nabli, « Gaza : la thèse du génocide », Le Nouvel Observateur, (lire en ligne)
- « Destruction de Gaza : "le monde occidental n’aura plus de leçon de droits humains à donner" », sur France 24,
Articles issues de la littérature scientifique
- Razmig Keucheyan, « Arméniens, Palestiniens, peut-on comparer ? - Ce qu’on appelle génocide », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
- (en) Raz Segal, « A Textbook Case of Genocide », Jewish Currents, (lire en ligne)
Ouvrages
- Didier Fassin. Une étrange défaite. Sur le consentement à l'écrasement de Gaza , Paris, La Découverte, 186 p., 2024