Jeanne de l'Incarnation

religieuse augustinienne et écrivaine mystique espagnole

Juana Tomás Herrera ou Juana Montijo y de Herrera[a], qui a pris le nom de Juana de la Encarnación — en français Jeanne de l'Incarnation — (Murcie, 1672-1715), est une religieuse augustinienne et mystique espagnole.

Juana de la Encarnación
Portrait de Juana de la Encarnación par Juan Bernabé Palomino.
Biographie
Naissance
Décès
Voir et modifier les données sur Wikidata (à 43 ans)
MurcieVoir et modifier les données sur Wikidata
Domicile
Convent des Augustines du Corpus Christi (d)Voir et modifier les données sur Wikidata
Activité
Religieuse catholiqueVoir et modifier les données sur Wikidata

Biographie modifier

Juana Tomas Herrera naît à Murcie le [1].

Ses parents sont Juan Tomás Montijo et Isabel María de Herrera, tous deux issus, selon Ceballos, de familles nobles et riches — son père est échevin de la ville de Murcie et chevalier de l'habit de Santiago —[1], et ses ancêtres militaires avaient le rang de maréchaux et, en matière politique, de conseillers municipaux, d'alguacils et de corrégidors. Ils s'étaient mariés au Pérou, mais retournèrent dans la péninsule avant la naissance, le , de la future religieuse, qu'ils baptisèrent Juana de la Concepción[2].

Éduquée selon son rang[b], à neuf ou dix ans, elle lit le latin et connait son catéchisme[1]. Avant même d'entrer au couvent, à l'âge de onze ans, ayant été courtisée par un adolescent, elle connaît des tentations qui l'inclinent à la vanité et qui s'accroissent après les vœux conventuels. En la provoquant à la luxure, le Diable lui aurait représenté des images de femmes et d'hommes nus dans des attitudes malhonnêtes tandis qu'elle regarde celles de Jésus et de la Vierge — des tentations qu'elle combat par une pénitence rigoureuse et une méditation continue sur la passion du Christ, toujours discrètement, pour ne pas attirer l'attention de ses sœurs ou pour ne pas manquer d'humilité[3]. À l'âge de douze ans, elle entre au couvent du Corpus Christi des Augustines déchaussées après une première vision de Jésus avec la croix sur les épaules, qui lui aurait dit : « Je veux que tu sois une religieuse et que tu me suives sur ma croix »[4].

Entre las muchas veces que fue vista elevada en el aire..., illustration de Passion de Christo comunicada por admirable beneficio a la venerable madre Juana de la Encarnación (gravure de Juan Bernabé Palomino, 1726).

Grâce à sa formation humaniste et monastique et à son inclinaison spirituelle précoce[1], elle accepte sa vocation religieuse et commence son noviciat à l'âge de quinze ans, le . Elle abandonne tous ses biens hérités de sa mère et fait sa profession de foi sous le nom de Juana de la Encarnación le [1]. Au couvent, elle travaille pendant plus de trente ans comme infirmière, sacristaine et tourneuse[Quoi ?] ; en 1711, elle refuse[c] le poste de prieure, pour lequel elle avait été élue à l'unanimité, et passe les quatre dernières années de sa vie comme maîtresse des novices[3].

Sa méditation sur la Passion et son désir intime de souffrir avec le Christ atteignent leur apogée au cours de la Semaine sainte de 1714, un an seulement avant sa mort. Les visions et les révélations qu'elle aurait reçues au cours de cette semaine constituent le matériau sur lequel elle a construit son récit, écrit par obéissance[d] et, comme il est caractéristique du genre ascétique-mystique de l'écriture biographique auquel elle appartient, proclamant sa valeur limitée en tant qu'écrivain ainsi que son incapacité à exprimer l'ineffable et à décrire avec précision et avec les mots justes ce qu'elle avait vécu et ce qui lui avait été révélé[5],[6]. Avec un réalisme parfois brutal, et en ajoutant des détails et des souffrances jamais révélés auparavant, Juana de la Encarnación raconte par écrit chaque moment de la Passion du Christ, qu'elle accompagne spirituellement des Rameaux au Calvaire, souffrances qui lui seront communiquées et qu'elle aurait ressenties physiquement dans son propre corps, découvrant parfois des hématomes[7].

De santé fragile, elle meurt au couvent des Augustines du Corpus Christi (es) à Murcie le .

Œuvre modifier

« L'œuvre de Juana de la Encarnación se situe, spirituellement et stylistiquement, dans les épigones de la tradition mystique espagnole, héritière de Sainte Thérèse et de Saint Jean et a connu une large diffusion tout au long du XVIIIe siècle », avant d'être oubliée, jusqu'à ce qu'Ignacio Monasterio (es) l'étudie[8], la définissant « un précédent de la bienheureuse allemande, et aussi augustinienne, Anne Catherine Emmerich (1774-1824)[1]. »

  • Passion de Christo, comunicada por admirable beneficio á la Madre Juana de la Encarnacion (Madrid : Imp. de Francisco Fernández, 1720)[e]
  • Dispertador del alma religiosa: manual de Exercicios, Confesiones, Soliloquios y Meditaciones (Madrid : Oficina Real de Nicolás Rodríguez Franco, 1723)
  • Relox doloroso para jueues, y viernes santo extraido de la passion, y muerte de nuestro redentor JesuChristo, comunicada [...], à la V. Madre Juana de la Encarnacion (Madrid : Imp. de Geronimo Roxo, 1727)
  • Dictámenes espirituales extraídos de la vida, escritos y practica de las virtudes de la Madre Juana de la Encarnacion [...] (Madrid : Miguel de Rézola, 1727)
  • Espejo cristiano y Pasión [...] (Madrid : Imp. de Jerónimo Rojo, 1728)

Historiographie modifier

« En contraposición de la Magd de Christo y S. Ignaco de Loiola que incitaron con sus palabras a que descubriese los dones de Dios la Ve Me Juana de la Enc.on a su Confesor: se armó el Infno con mil trazas pa imped[ir]le que escriviesse », dans Passion de Christo comunicada por admirable beneficio a la venerable madre Juana de la Encarnación (Madrid, 1726). Bibliothèque nationale d'Espagne.

Sa biographie a été écrite par son confesseur, le jésuite Luis Ignacio Ceballos[f], qui l'a publiée à Madrid en 1726 sous le titre Vida y virtudes, favores del cielo, prodigios y maravillas de la venerable Madre Juana de la Encarnación religiosa augustina descalza, native de Murcie, en su convento observantissimo de Corpus Christi en la misma ciudad (« Vie et vertus, faveurs du ciel, prodiges et merveilles de la vénérable Mère Jeanne de l'Incarnation, religieuse augustine déchaussée[g], originaire de Murcie, dans son couvent du Corpus Christi de la même ville »)[9].

Ceballos lui-même est chargé d'ordonner et d'éditer les révélations reçues par Juana de la Encarnación pendant la Semaine Sainte de 1714 qu'il lui avait ordonné de mettre par écrit[d] ; il compose d'après elles Passión de Christo comunicada por admirable beneficio a la Madre Juana de la Encarnación, Religiosa Agustina Descalza (« Passion du Christ communiquée par un admirable bienfait à Mère Jeanne de l'Incarnation, sœur augustinienne déchaussée », Madrid, 1720[11]), illustré d'un portrait en taille-douce de la mère embrassant les instruments de la Passion signé par Juan Bernabé Palomino d'après un dessin d'un certain Fernando Palomino, sur lequel il n'existe aucune autre information[12]. Deux autres éditions de l'ouvrage paraissent avant la fin du XVIIIe siècle : la première en 1726, illustrée de huit gravures consacrées aux visions de Juan de la Encarnación, probablement aussi de Palomino, dont la signature apparaît sur la première des gravures, la page de titre en taille-douce. Ceballos réalise également une sélection adaptée au Triduum pascal : Dispertador del alma religiosa (« Dissipateur de l'âme religieuse », Madrid, 1723) et un extrait avec les révélations du Jeudi saint et du Vendredi saint, Relox doloroso... extraído de la passión y muerte de nuestro redentor (« Une veille douloureuse... tirée de la passion et de la mort de notre Rédempteur », Madrid, 1727), dont de nouvelles éditions sont réalisées à Murcie en 1753 et 1772[13].

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. C'est sous le premier nom qu'elle apparaît dans le Diccionario biográfico español, voz redactada por Ángel Peñalver Martínez ; le second est le nom que lui donnent Gemma de la Trinidad (2011), p. 388, et Díez de Revenga (2017), p. 92.
  2. De même que son frère ainsi que sa demi-sœur Antonia Ladrón de Guevara Herrera, qui deviendra la 5e marquise de Villar pour son mariage avec un Álvarez de Toledo[1].
  3. Selon Peñalver Martínez 2011, elle accepte le poste, forcée par l'évêque Luis Belluga.
  4. a et b Convaincu qu'il s'agissait d'un phénomène spirituel extraordinaire, le Père Ceballos, avec l'autorité que lui conférait d'être son confesseur, l'obligea à écrire tout ce qui lui était révélé[1].
  5. Une cinquième édition, intitulée Tras los pasos del Amado: la Pasión de Cristo de sor Juana de la Encarnación a été publiée par J. Navarro (Madrid, Editorial Agustiniana, 2013)[1].
  6. Dans les ouvrages publiés de son temps, son nom est orthographié Ignacio Luis Zevallos[9], mais toutes les sources modernes l'orthographient « Ceballos ».
  7. Un religieux déchaussé suit une règle réformée dont l'esprit ascétique et de pauvreté exigent le port de pieds nus ou de sandales nues comme manifestation extérieure[10].

Références modifier

  1. a b c d e f g h et i Peñalver Martínez 2011.
  2. Ceballos 1726, p. 2.
  3. a et b Trinidad 2011, p. 389.
  4. Trinidad 2011, p. 388.
  5. Lavrín 2014, p. 10.
  6. Díez de Revenga 2017, p. 93.
  7. Díez de Revenga 2017, p. 99.
  8. (es) Ignacio Monasterio, Místicos agustinos españoles, vol. 2, El Escorial, Editorial Agustiniana, , p. 157-175.
  9. a et b Ceballos 1726.
  10. (es) « Définition du terme espagnol descalza », sur rae.es (consulté le ).
  11. (es) Luis Ignacio Ceballos, Passión de Christo comunicada por admirable beneficio a la Madre Juana de la Encarnación, Religiosa Agustina Descalza, Madrid : imprenta de Francisco Fernandez, 1720 (lire en ligne sur le site de la Biblioteca Digital Hispánica, de la bibliothèque nationale d'Espagne).
  12. (es) Antonio Gallego Gallego, Historia del grabado en España, Madrid, Ediciones Cátedra, (ISBN 84-376-0209-2), p. 243.
  13. Trinidad 2011, p. 390-391.

Annexes modifier

Bibliographie modifier

Document utilisé pour la rédaction de l’article : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (es) Luis Ignacio Ceballos, Vida y virtudes, favores del cielo, prodigios y maravillas de la venerable Madre Juana de la Encarnación..., Madrid, imprenta de Manuel Fernandez, (lire en ligne).
  • (es) J. M. de la Cruz, Historia de la Literatura mística en España, Burgos : Tip. de la Ed. “El Monte Carmelo”, 1961, p. 383.
  • (es) Francisco Javier Díez de Revenga, « Escritura mística y palabra creadora en Juana de la Encarnación », Mvrgetana, vol. LXVIII, no 37,‎ , p. 91-101. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (es) E. Eguiarte, « Otra visión mística sobre la Pasión: el Relox doloroso de la Madre Juana de la Encarnación », dans Mayéutica, no 70 (2004), p. 311-374.
  • (fr) Q. Fernández, « Jeanne de l’Incarnation », dans le Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique: doctrine et histoire, vol. VIII, Paris : Beauchesne, 1974, col. 854-855.
  • (es) Asunción Lavrín, « Los senderos interiores de los conventos de monjas », Boletín de Monumentos Históricos, vol. tercera época, no 30,‎ , p. 6-21.
  • (es) G. Ochoa, Historia general de la Orden de Agustinos Recoletos, vol. VII, Saragosse : Tip. de F. Gambón, 1924, p. 77-83.
  • (es) Ángel Peñalver Martínez, « Juana Tomás Herrera », dans Diccionario biográfico español, Académie royale d'histoire, (lire en ligne). Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article
  • (fr) Isabelle Poutrin, La voile et la plume: autobiographie et sainteté féminine dans l’Espagne moderne, Madrid : Casa de Velázquez, 1995, p. 318-319, 431-434, 453.
  • (es) M. Serrano, Apuntes para una biblioteca de escritoras españolas desde el año 1401 al 1833, vol. II, Madrid : Sucesores de Ribadeneyra, 1903, p. 632-635.
  • (es) P. Tejera, Biblioteca del murciano o Ensayo de un diccionario biográfico y bibliográfico de la literatura en Murcia, vol. I, Madrid : Tip. de la Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 1922, p. 193-194, 841.
  • (es) Gemma de la Trinidad, « Labor literaria de las agustinas en el siglo XVIII », dans F. J. Campos, La clausura femenina en el mundo hispánico: una fidelidad secular, vol. I : El Escorial, Real Centro Universitario Escorial-María Cristina, , p. 387-402. Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article

Liens externes modifier