Minorités sexuelles et de genre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

Histoire modifier

Période pré-islamique modifier

Mésopotamie modifier

Mythes et vie religieuse modifier
Statuette du dieu Enki découverte à Nasiriyah, datée d'entre -2004 et -1595 et conservée au musée national d'Irak. Un mythe d'Enki raconte qu'il a créé un groupe social constituant un 3ème genre, les gala, pour en faire don à la déesse Ishtar

Les fonctions de prêtrises mésopotamiennes sont associées à un dépassement de la binarité de genre : dans le culte d'Ishtar, à Babylone ou Akkad, le rituel d'initiation des prêtres est censé les féminiser, au point que certains par la suite se castrent pour être plus proches de la déesse ou continuent à adopter des comportements féminins[o 1],[o 2]. D'autres forment un troisième genre social, les gala, qui regroupait des personnes nées hommes ou femmes, au rôle social ne tenant ni de l'un ni de l'autre et d'origine divine, car ce groupe est dit être un cadeau du dieu Enki à Ishtar[o 1]. L'association entre troisième genre et homosexualité se retrouve dans le terme gala, un mot valise entre « anus » et « pénis »[o 1],[o 3].

Un autre mythe relie Enki à un troisième genre, cette fois-ci plus ambigu : créé par la déesse Ninmah et regroupant des personnes handicapées, des humains sans organes génitaux et des femmes stériles, Enki s'attache à eux pour en faire des prêtres et serviteurs royaux ; dans la version akkadienne du mythe, ils sont au contraire des serviteurs des Enfers[o 1]. Dans tous les cas, ce groupe permet la résurrection de Ninmah après son meurtre par Ereshkigal[o 1].

Dans l'Épopée de Gilgamesh, le roi mythique sumérien Gilgamesh, développe une relation avec Enkidu ; si certains commentateurs y voient une amitié, d'autres y voient un couple gay avec le très viril Gilgamesh et l'efféminé Enkidu balançant mutuellement leurs personnalités[o 1].

Codes de loi et systèmes de genre modifier

Dans l'ancienne Assyrie, les crimes sexuels étaient punis de la même façon, qu'ils soient homosexuels ou hétérosexuels[o 4]. Un individu n'était passible d'aucune sanction pour avoir pénétré une personne de classe sociale égale, une prostituée de culte ou une personne dont les rôles de genre n'étaient pas considérés comme solidement masculins. Dans une tablette akkadienne, le Šumma ālu, il est écrit: "Si un homme copule avec son égal de l'arrière, il devient le leader parmi ses pairs et ses frères"[o 5],[u 1].

Un code de la loi assyrienne moyenne datant de 1075 av. J.-C. a une loi assez sévère pour l' homosexualité dans l'armée, qui se lit comme suit : "Si un homme a des rapports sexuels avec son frère d'armes, ils le transformeront en eunuque"[u 2],[o 6],[o 7].

Égypte antique modifier

Fresque représentant Khnoumhotep et Niânkhkhnoum s'embrassant.

Il n'existe que très peu de traces d'homosexualité dans l'Égypte antique, et celles qui ont été découvertes peuvent être interprétées de différentes manières[o 1].

La moins probante est la description, dans les textes talmudiques, du lesbianisme comme les « actes d'Egypte » ; toutefois, cette expression apparaît pour la première fois des siècles après l'annexion par l'empire romain et le consensus est plutôt pour considérer qu'il s'agit alors pour les Hébreux, qui réprouvent l'homosexualité, de déshonorer l'Egypte[o 1],[o 8].

Une autre un peu plus solide est le conte racontant les visites nocturnes de Neferkare au général Siséné, visites durant lesquelles Pépi II Neferkare est dit « avoir fait tout ce qu'il désirait auprès de [Siséné] » ; s'il est possible d'interpréter cette phrase, l'une des rares fragments du conte ayant été retrouvé, comme une description euphémisée de rapports sexuels, le consensus historique penche plutôt comme une référence religieuse des visites de à Osiris[o 1]`.

L'exemple le moins contesté est celui de Khnoumhotep et Niânkhkhnoum, dont la tombe a été découverte dans les années 1960 : outre que les deux hommes soient enterrés ensemble, la tombe contient de nombreuses représentation du couple, en particulier une fresque où ils sont tous les deux de profil, leurs nez se touchant, ce qui était alors la manière stylisée de montrer un baiser[o 1].

Carthage et l'Empire romain modifier

Période arabo-musulmane modifier

Le concept d'homosexualité réunissant les homosexualités masculine et féminine et s'opposant à l'hétérosexualité est inconnu de la tradition arabe médiévale[1]. Il s'est forgé en Europe et a été importé dans le monde arabe à partir du XIXe siècle, pendant la période coloniale[2],[3].

L'interdit portait de manière centrale sur les relations adultères impliquant un acte de pénétration[4]. Ainsi, l'expression littéraire d'un désir pour la beauté juvénile n'était pas perçue comme une infraction morale[2], quel que soit le sexe. Cela explique le fait que la poésie amoureuse où des poètes de sexe masculin célèbrent la beauté des garçons apparaît, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, comme un genre traditionnel[3]. Les actes homoérotiques (caresses, baisers etc.) sans pénétration n'étaient pas jugés comme des péchés graves[4]. Les femmes ne commettant pas d'acte de pénétration, ce que l'on appelle aujourd'hui lesbianisme ne faisait pas l'objet de discussions juridiques[4] concernant d'éventuelles sanctions.

La littérature homo-érotique connaît un âge d'or pendant le Moyen Âge et le début de l'ère moderne. Selon une vision occidentale anachronique qui a longtemps eu cours, les sociétés arabo-islamiques auraient toujours moins accepté l'homosexualité que l'Occident ; cependant, des récits de voyages européens de l'ère pré-moderne témoignent au contraire du fait que les voyageurs qui découvraient le Moyen-Orient ou l'Afrique du Nord étaient surpris par la relative tolérance qui entourait les mœurs homosexuelles, et qu'ils avaient observé « des hommes exprimant ouvertement leur amour pour les jeunes garçons, en mots comme en gestes »[5].

Pendant l'âge d'or islamique, la dynastie abbasside est connue pour avoir été relativement laxiste en ce qui concerne l'homosexualité. Cela est dû à plusieurs facteurs, notamment l'abandon de l'adhésion littéraliste aux Écritures Saintes pour se tourner vers une version plus bureaucratique de l'empire islamique.

De nombreux dirigeants islamiques ont été connus pour se livrer à, ou du moins tolérer, l'activité homosexuelle. Le calife omeyyade Al-Walid II aurait pratiqué " al-talawut ", un mot arabe pour les relations sexuelles entre hommes. Abu Nuwas, l'un des poètes arabes les plus éminents à avoir produit des œuvres homoérotiques et à en faire sa marque, l'a fait sous la tutelle et la protection de Harun al-Rashid. Le successeur de Harun al-Rashid, Al-Amin, a rejeté les femmes et les concubines, préférant plutôt les eunuques[o 9].

Les lesbiennes dans le monde arabe médiéval étaient souvent identifiées comme telles (par les mots sahiqa, sahhaqa) et des légendes valorisaient des femmes pour l'amour fidèle qu'elles portaient à d'autres femmes[1]. Une des histoires les plus populaires est celle de Hind Bint al-Nu`man, une Arabe chrétienne, et de Hind Bint al-Khuss al-Iyadiyyah, connue sous le nom d'al- Zarqa', une Arabe polythéiste[1]. Il s'agit d'une histoire d'amour mixte (interreligieux) dans l'Irak préislamique, dont on garde des transcriptions littéraires dès le Xe siècle[1].

Période coloniale modifier

Le XIXe siècle est une période de bouleversement dans l'appréhension du genre, au cours de laquelle de nombreux pays du monde arabe tendent à adopter la réprobation de l'Angleterre victorienne à l'égard de l'homosexualité, selon Khaled El-Rouayheb, auteur de L'Amour des garçons en pays arabo-islamique : XVIe – XVIIIe siècle[3]. Les poèmes homoérotiques sont expurgés des anthologies littéraires et condamnés[6]. Le terme qui renvoie au sens moderne d'homosexualité, «shudhūdh jinsī», date du XXe siècle ; il « cimente l'opinion émergente que toutes les formes d'attirance passionnée pour les garçons sont des signes équivalents de “maladie” et de “dépravation” », écrit Khaled El-Rouayheb[6]. Cette nouvelle notion est symptomatique d'« un impressionnant changement culturel » et des progrès de l'homophobie, notamment au Moyen-Orient[6].

Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'activité homosexuelle demeure dans les faits relativement courante au Moyen-Orient, en partie à cause de la ségrégation sexuelle généralisée, qui rendait les rencontres hétérosexuelles hors mariage plus difficiles. Georg Klauda écrit que « d'innombrables écrivains et artistes tels qu'André Gide, Oscar Wilde, Edward M. Forster et Jean Genet ont fait des pèlerinages aux XIXe et XXe siècles depuis une Europe homophobe jusqu'en Algérie, au Maroc, en Égypte et dans divers autres pays arabes, où le sexe homosexuel a été non seulement rencontré sans aucune discrimination ou ghettoïsation sous-culturelle, mais plutôt, en raison de la ségrégation rigide des sexes, il semblait être disponible à chaque coin de rue »[7].

Période post-coloniale modifier

L'association Alouen en Algérie organise chaque année une journée de solidarité pour les personnes LGBT, dite TenTen[o 10].

Militantisme modifier

Dessin de Gibran Khalil Gibran représentant Abû Nuwâs, poète abasside. Les œuvres d'Abû Nuwâs font partie du travail de redécouverte du patrimoine culturel LGBTQ+ en langue arabe[8].

Depuis le début du XXIe siècle, une scène LGBTQ+ émerge dans la région ; celle-ci œuvre pour la reconnaissance des LGBTQ+, à la fois au plan personnel mais aussi à l'échelle communautaire[8].

Communautés modifier

Moyen-Orient modifier

Afrique du Nord modifier

Cultures modifier

Une des premières occurrence homoérotique dans le cinéma arabe apparaît très tôt : en 1938 Ahmad Jalal met en scène une relation entre deux femmes dans La fille de Monsieur le Directeur (Bint el-bacha el-moudir, بنت الباشا المدير)[9]. Ce sont les actrices Assia Dagher et Mary Queeny qui interprètent les rôles[9].

Droits modifier

Références modifier

Ouvrages modifier

  1. a b c d e f g h i et j Tomás Prower, « Berceaux de la civilisation », dans Mythologies et légendes queer : spiritualités et culture LGBT+ à travers le monde, (ISBN 979-10-97154-91-2, OCLC 1301513200, lire en ligne)
  2. Stephen O. Murray, Homosexualities, (ISBN 0-226-55194-6, 978-0-226-55194-4 et 0-226-55195-4, OCLC 43095830, lire en ligne)
  3. Will Roscoe, Islamic homosexualities : culture, history, and literature, (ISBN 0-8147-7467-9, 978-0-8147-7467-0 et 0-8147-7468-7, OCLC 35526232, lire en ligne)
  4. Homoeroticism in the Biblical World: A Historical Perspective, by Martti Nissinen, Fortress Press, 2004, p. 24–28
  5. (en) David F. Greenberg, The Construction of Homosexuality, University of Chicago Press, (ISBN 978-0-226-30628-5, lire en ligne)
  6. Erik Holland, The nature of homosexuality : vindication for homosexual activists and the religious right, iUniverse, (ISBN 0-595-30508-3 et 978-0-595-30508-7, OCLC 58796761, lire en ligne)
  7. Amara Das Wilhelm, Tritiya-Prakriti: People of the Third Sex, (ISBN 9781453503164, lire en ligne)
  8. Rebecca T. Alpert, Like bread on the seder plate : Jewish lesbians and the transformation of tradition, Columbia University Press, (ISBN 0-231-09660-7, 978-0-231-09660-7 et 0-231-09661-5, OCLC 35627603, lire en ligne)
  9. (en) Samar Habib, Islam and Homosexuality, ABC-CLIO, , 467-470 p. (ISBN 978-0-313-37905-5, lire en ligne)
  10. Abir Kréfa, Genre et féminismes au Moyen-Orient et au Maghreb, (ISBN 978-2-35480-205-9 et 2-35480-205-6, OCLC 1147324422, lire en ligne)

Publications universitaires modifier

Autres sources modifier

  1. a b c et d SAHAR AMER, « Medieval Arab Lesbians and Lesbian-Like Women », Journal of the History of Sexuality, vol. 18, no 2,‎ , p. 215–236 (ISSN 1043-4070, lire en ligne, consulté le )
  2. a et b Yip, Andrew K. T. (université de Nottingham Trent). "Book Review: Khaled El-Rouayheb, Before Homosexuality in the Arab-Islamic World, 1500 1800. Chicago, IL: Chicago University Press, 2005. 210 p. (ISBN 0 226 72988 5). hbk 20.50" Sexualities, 2007, vol. 10(5), p. 646–648 (ISSN 1363-4607, DOI 10.1177/13634607070100050602)
  3. a b et c Thomas Eich "Before Homosexuality in the Arab-Islamic World, 1500-1800 by Khaled el-Rouayheb (book review)." Die Welt des Islams New Series, vol. 46, Issue 2 (2006), p. 226–228, lire en ligne
  4. a b et c Bullough, Vern L., "Before Homosexuality in the Arab‐Islamic World, 1500–1800 (Book Review)". The American Historical Review, 2006, vol. 111(4), p. 1286–1286 (ISSN 0002-8762, e-ISSN 1937-5239, DOI 10.1086/ahr.111.4.1286)
  5. Guppy, Shusha. "Veiled might of the harem.(American University Press)(Before Homosexuality in the Arab-Islamic World, 1500-1800)(Book review)" (Archive only available to researchers and legal). Times Higher Education Supplement, June 9, 2006, Vol.0(1746), p.33(1). (ISSN 0049-3929). Source: Cengage Learning, Inc.
  6. a b et c Frédéric Lagrange, « Khaled El-Rouayheb, Before Homosexuality in the Arab-IslamicWorld, 1500-1800 », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 134 | avril - , document 134-32, lire en ligne
  7. (en) Georg Klauda (trad. Angelus Novus), « Globalizing Homophobia », sur MR Online, (consulté le ).
  8. a et b Jean Stern, « Affirmations LGBTQ+ dans le monde arabe », sur Orient XXI, (consulté le )
  9. a et b Samar Habib, « Le cinéma queer dans le monde arabe », dans Institut du monde arabe, Élodie Bouchard, Habibi, les révolutions de l'amour, Paris, Snoeck, , 119 pages (ISBN 9789461618252), p.100-106

Bibliographie modifier

Voir aussi modifier