Indigénisme
L'indigénisme est un mouvement politique et littéraire d'Amérique latine ayant comme fondement une préoccupation particulière pour la condition des Amérindiens et des populations autochtones. Son versant politique désigne l'ensemble des politiques de gestion des populations indigènes mises en œuvre dans les États américains. L’indigénisme répond à l'exigence d'une meilleure intégration des populations indigènes et autochtones à la « communauté nationale »[1]. Dans le domaine de l'art et de la littérature, cet indigénisme correspond à la recherche d'une expression propre des populations premières et prenant ses distances par rapport aux éventuelles influences coloniales.
Littérature et arts visuels
modifierUn exemple emblématique de roman indigéniste est le roman La Fosse aux Indiens de Jorge Icaza, qui décrit dans un style extrêmement cru et réaliste la vie des employés indigènes dans une hacienda en Équateur (pays).
Le courant indigéniste est également représenté dans la littérature péruvienne par Enrique Lopez Albujar (notamment auteur des Nouvelles andines), César Vallejo, Eleodoro Vargas Vicuna et Carlos Zavaleta. En poésie, on peut notamment citer Luis Eduardo Valcarcel (Tempête sur les Andes, 1920), Uriel Garcia, Alejandro Romualdo Valle et Washington Delgado[2].
Au Mexique, des grands noms des arts plastiques tels que Diego Rivera et Frida Kahlo sont également associées à l'indigénisme ; ils ont eu un impact sur le système d'éducation mexicain et ont contribué à la légitimation de certaines revendications et contenus d'enseignement[3]. Toujours dans les années 1920, des anthropologues comme Katherine Anne Porter et Anita Brenner jouent un grand rôle pour faire reconnaître l'art des peuples autochtones du Mexique auprès d'un plus vaste public, notamment aux États-Unis, avec leurs ouvrages respectifs, Outline of Mexican Popular Arts and Crafts et Idols behind Altars: The Story of the Mexican Spirit[4].
L'indigénisme occupe une place importante dans l'art contemporain bolivien, avec la création du groupe Generación del 52 (Génération de 52), en référence à la Révolution bolivienne de 1952, qui a intégré l'indigénisme dans l'hégémonique débat sociopolitique bolivien, avec des artistes tels que María Luisa Pacheco, qui aura une grande influence sur l'art de son pays et de son continent[5].
Mouvement indigéniste ou École ingéniste en Haïti
modifierL'indigénisme occupe aussi une place significative dans l'histoire de l'art en Haïti, avec les conférences des années 1920 de Jean Price Mars et son ouvrage Ainsi parla l'oncle (essai d'ethnographie), paru en 1928. Jean Price Mars insufle des idées nouvelles, notamment parmi les peintres et les écrivains, qui valorisent l'identité nationale haïtienne malgré l'occupation américaine à cette époque[6]. À Haiti toutefois, ce sont moins la culture améridienne qui est mis en exergue par ce mouvement (la population améridienne a été décimée par la colonisation européenne) que la culture africaine des esclaves implantés en masse sur l'île par les traites négrières, et de leurs descendants[7].
Politique
modifierL'indigénisme représente une prise de conscience de la spécificité des peuples sudaméricains et de leur passé. Il présente à ce titre la qualité de prendre la défense des peuples et de leur culture autochtone, mais présente pour certains auteurs le défaut de le faire souvent de manière paternaliste, en continuant d'exclure l'Indien du processus de décision politique[8].
Outre le Mexique, c'est aussi au Pérou où l'indigénisme apparaît, notamment en raison du débat culturel à la recherche de l'identité latino-américaine par rapport à l'Europe, et à la diffusion d'idées socialisantes parmi les intellectuelles qui les conduit à poser la question du statut des Amérindiens. Les écrits de Manuel González Prada, considéré comme l'un des pères de l'indigénisme moderne, exercent une importante influence sur le mouvement de la réforme universitaire et sur l'Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA, parti politique nationaliste latino-américain et indigéniste).
Pour José Carlos Mariátegui, penseur indigéniste et fondateur du Parti communiste péruvien, socialisme et indigénisme sont indissociables au Pérou :
« Les masses — la classe des travailleurs — sont pour quatre cinquièmes indigènes. Notre socialisme ne sera pas péruvien, ni même socialiste, s'il ne se solidarise pas avec les revendications indigènes[2]. »
À certains égards, l'indigénisme converge également vers des considérations compatibles avec celles de l'anarchisme politique, au point où on peut parler d'anarcho-indigénisme[9].
Notes et références
modifier- Antonio Carlos de Souza Lima, « L'indigénisme au Brésil : migration et réappropriation d’un savoir administratif », Revue de synthèse, 4e semestre, no 3-4, juillet-décembre 2000, p. 381-410.
- Leslie Manigat, L’Amérique latine au XXe siècle, 1889-1929, Points, , p. 314-319.
- Lígia Duque Platero, « L’hégémonie et les programmes d’éducation autochtone au Mexique et au Brésil (1940-1970) », Recherches amérindiennes au Québec, vol. 44, nos 2-3, , p. 29–37 (ISSN 0318-4137 et 1923-5151, DOI https://doi.org/10.7202/1030964ar, lire en ligne, consulté le )
- (en) Tabitha Morgan, « Inherited Images: the Decolonialist agenda of Katherine Anne Porter and Anita Benner », Revue électronique d'études sur le monde anglophone, vol. 16, no 2, (DOI https://doi.org/10.4000/erea.7154, lire en ligne, consulté le )
- Adriana Ospina et Olga U. Herrera (trad. Lucy Pons), « María Luisa Pacheco », sur Archives of Women Artists, Research and Exhibitions (consulté le ).
- Gérald Alexis, Peintres haïtiens, Éditions Cercle d'art, , 316 p. (ISBN 9782702205853), p. 28
- Jean Casimir, « La suppression de la culture africaine dans l’histoire d’Haïti », Socio-anthropologie, no 8, (DOI 10.4000/socio-anthropologie.124, lire en ligne)
- (en) Marc Becker, « Indigenismo and Indian Movements in Twentieth-Century Ecuador », University of California, Berkeley, (lire en ligne).
- « Compte rendu de L’anarcho-indigénisme (s.l.d. de F. Dupuis-Déri et B. Pillet) », sur Lux Éditeur, (consulté le )
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Francis Dupuis-Déri (dir.) et Benjamin Pillet, L'Anarcho-indigénisme, Montréal, Lux Éditeur, coll. « Instinct de liberté », , 208 p. (ISBN 978-2895962984, présentation en ligne)
- Henri Favre, L'Indigénisme, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je », , 128 p. (ISBN 978-2130475460)
- (en) Anne Doremus, « Indigenism, Mestizaje, and National Identity in Mexico during the 1940s and the 1950s », Mexican Studies, vol. 17, , p. 375-402
- Agnès Collorafi, État, indigénisme et mouvement indigène dans le Mexique du XXe siècle (thèse de doctorat), Paris, université de Paris-3, , 179 p.
- Javier G. Méndez, « La diégèse contre la parole : le mutisme des Indigènes dans le roman latino-américain », Études françaises, vol. 28, nos 2-3, automne-hiver 1992, p. 49-57 (lire en ligne).
- Françoise Morin (dir.), Indianité, Ethnocide, Indigénisme en Amérique Latine (ouvrage collectif), Paris, éditions du CNRS, , 263 p.
- Henri Favre, « L’Indigénisme mexicain : Naissance, développement, crise et renouveau », Problèmes d’Amérique latine, , p. 67-84
- Camille Legrandois, L'Émergence des Indiens du Brésil aux XXe et XXIe siècles : Étude des rapports sociaux entre les Indiens Kayapo et l’État brésilien : entre conflits et compromis (mémoire de master en Sciences de l'homme et société), (lire en ligne)
Liens externes
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- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :