Mariage de 6 000 soldats de l'Empire

Le mariage de 6 000 soldats de l'Empire fait référence à une décision de l'empereur Napoléon Ier, à l'occasion de son remariage avec Marie-Louise d'Autriche en 1810, de doter des jeunes filles de tous les cantons de France par leur mariage avec des militaires en retraite. On parle aussi des « Mariés de l'Empereur ».

Contexte

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Divorce de Joséphine, , palais des Tuileries
Henri-Frédéric Schopin, 1843.

Le , devant le château de Schönbrunn où il se trouvait pour les négociations du traité de Vienne mettant un terme à la campagne d'Allemagne et d'Autriche, l'empereur Napoléon Ier échappe à une tentative d'assassinat d'un jeune étudiant allemand du nom de Friedrich Staps qui le considère comme « ennemi de la paix et de l'Allemagne ». L'empereur prend conscience que, même en dehors d'un champ de bataille, il est vulnérable et que sa mort le laisserait sans héritier, ses frères étant selon lui incapables de contenir un effondrement de l'Empire[1].

Après avoir conclu le traité le , obligeant l'Autriche à reconnaître les conquêtes de l'Empire français et à céder une partie de ses territoires, Napoléon revient en France avec la ferme intention de se séparer de Joséphine. Il profite de la possibilité de divorce qu'a apportée la Révolution française le pour faire prononcer le sénatus-consulte du sur la dissolution de son mariage civil[2]. Est alors invoqué le motif de consentement mutuel, introduit dans le Code civil en 1804. En conséquence de difficiles négociations, l'impératrice reconnaît donc officiellement son incapacité à avoir des enfants alors que l'empereur affirme « l'attachement et la tendresse » qu'il porte à celle « qui a embelli [sa] vie durant quinze ans », tout en évoquant un « sacrifice pour le bien de la France ». Comme le rappelle l'historien Jean Tulard : « Le poignard de Staps avait manqué Napoléon, il tuait Joséphine »[3].

Reste alors la plus délicate question du mariage religieux, préalable imposé par l'empereur François Ier d'Autriche pour remettre la main de sa fille. L'officialité diocésaine de Paris, composée d'ecclésiastiques couverts d'honneur par Napoléon depuis son rétablissement en 1806, est saisie du procès[4]. Se gardant bien d'utiliser, ici encore, le terme de divorce, l'archichancelier de l'Empire Cambacérès et le ministre des Cultes Bigot de Préameneu tentent d'obtenir l'annulation du mariage, afin de contourner un vraisemblable refus du pape Pie VII, emprisonné à Savone. Une enquête rapide conclut à la nullité du mariage religieux, en raison du non-respect des formes canoniques qui obligent la présence du prêtre et de deux témoins : en effet, c'est une simple et discrète bénédiction nuptiale qui a été donnée par le cardinal Fesch, oncle de Bonaparte, dans le secret du cabinet, la veille du sacre de 1804. Le , la sentence conforme est rendue. Elle est confirmée par l'officialité métropolitaine, agissant en instance de deuxième niveau, le [5].

Devenu célibataire, Napoléon Ier doit rapidement trouver une épouse, avouant avec peu d'élégance « C'est un ventre que j'épouse ! »[6]. Après avoir songé à une princesse de Russie, il se décide pour l'archiduchesse d'Autriche. Mais l'opinion publique, de même que l'Église catholique, considèrent les motifs de nullité du mariage avec Joséphine comme un expédient et une atteinte à la morale et la loi divine[7]. Pourtant, les préparatifs du mariage de Napoléon Ier avec Marie-Louise d'Autriche sont expédiés en quelques jours. Le , un mariage est d'abord célébré par procuration, dans l'église des Augustins de Vienne, dans la tradition de l'Ancien Régime. Le se tient au château de Saint-Cloud le mariage civil, suivi d'une bénédiction nuptiale dans le salon carré du Louvre dispensée par le cardinal Fesch. Le peuple français demeure hostile à cette nouvelle alliance[8] et à cette « Autrichienne » qui évoque par trop la Révolution[9].

L'empereur décide alors de marquer l'événement de son mariage dans tout le pays par des actes de générosité et de bienveillance.

Décret du

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Description

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De son palais de Compiègne, en date du , Napoléon Ier publie un décret contresigné par son secrétaire d'État Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano, « contenant des actes de bienfaisance et d'indulgence à l'occasion du mariage de sa majesté l'Empereur et Roi »[10]. Il permet la libération des détenus qui ne le sont plus que pour le non-paiement des amendes, la possibilité d'élargissement pour les individus emprisonnés pour dette fiscale, la suppression des dettes envers le bureau des nourrices du département de la Seine ainsi qu'une large amnistie en faveur des déserteurs.

Le Titre IV, « Du Mariage de six mille Militaires », permet à six mille soldats en retraite des campagnes révolutionnaires ou napoléoniennes de prendre une épouse à laquelle l'État remet une dot de 600 ou 1 200 francs.

Titre IV - Du mariage de six mille Militaires
5. Six mille militaires en retraite, ayant fait au moins une campagne, seront mariés le prochain, avec des filles de leurs communes, auxquelles il sera accordé une dot de douze cent francs pour Paris, de six cents francs dans le reste de l'Empire, à savoir :
  • soixante dans la ville de Paris,
  • dix dans chacune des villes dont l'état est annexé au présent décret (A) ;
  • cinq dans chacune des villes dont l'état est annexé au présent décret (B) ;
  • deux dans chacune des villes dont l'état est annexé au présent décret (C) ;
  • un dans chacune des justices de paix de l'Empire.
6. Les militaires et les filles à marier seront choisis de la manière suivante, à savoir :
  • Pour la ville de Paris, par délibération du conseil général faisant fonction de conseil municipal, approuvée par le préfet.
  • Pour les villes chefs-lieux de département, par délibération du conseil municipal, approuvée par le préfet.
  • Pour les villes qui ne sont pas chefs-lieux de département, par délibération du conseil municipal, approuvée par le sous-préfet.
  • Pour les justices de paix, par une commission composée de deux maires et de deux curés désignés par le sous-préfet, et du juge de paix, qui présidera la commission et la réunira dans son domicile.
7. Les communes qui ne seraient pas comprises dans les articles précédents, pourront, sur la délibération du conseil municipal, approuvée par le sous-préfet, marier un militaire et une fille de la commune, en se conformant, pour le choix et pour la quotité de la dot, aux dispositions ci-dessus.

Choix des mariés

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Les conditions concernant les futurs époux sont examinées par des commissions locales agissant sous le contrôle des préfets. Le futur époux doit avoir mené au moins une campagne et avoir eu un comportement irréprochable. L'épouse est choisie dans une liste de filles non mariées, et de la « meilleure réputation[11] ». Après établissement d'une liste des militaires « pouvant avoir à ce bienfait », chaque commission vérifie les droits, pièces de service, congé de retraite, appartenance à la commune[12]. On privilégie les états de service brillants et les militaires ayant été blessés au combat augmentent leur chance d'être choisis. Dans certaines communes, il est parfois difficile de trouver des grognards volontaires au mariage, et dans d'autres, ce décret peut aussi être une aubaine[11].

Date des noces

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La cérémonie doit intervenir le dimanche ou dans les jours qui suivent. En raison des lenteurs de communication et des difficultés d'organisation, certains mariages sont même célébrés plusieurs mois plus tard[13]. Car, même si est généralement loué le génie organisateur de Napoléon, il semble que le régime ait mal évalué les exigences d'organisation en prenant un décret aussi tardif que précipité voire improvisé[11],[14].

Les préfets et sous-préfets donnent leurs instructions afin que les fêtes soient célébrées avec solennité, joie et allégresse et, surtout, qu'elles bénéficient d'une pompe exceptionnelle[12],[15]. Dans la lignée des célébrations locales de la Fête de la Fédération, qui a cependant perdu de son envergure avec l'Empire[16], ces noces permettent à nouveau au pouvoir de s'approprier la liesse populaire[11].

Répartition territoriale

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Les 130 départements.

Les 6 000 mariages doivent être célébrés dans l'ensemble du territoire de l'Empire français. Afin que la nation tout entière adhère à cette harmonie, mais aussi à son régime, l'empereur tient à ce que dans chaque département, dans chaque canton, les festivités reproduisent celles de la capitale[11]. Des listes sont annexées au décret, permettant d'assurer une juste répartition en fonction de la population :

Catégorie Nombre Mariages Total
Département de la Seine 60 60
État A 51 10 510
État B 54 5 270
État C 555 2 1 110
Justices de paix 3 832 1 3 832
Total 5 782

non compris les mariages prévus au sein d'autres communes par l'alinéa 7 du décret.

Liste des communes
Département Commune État
Arno Florence A
Bouches-du-Rhône Marseille A
Calvados Caen A
Doubs Besançon A
Dyle Bruxelles A
Dyle Louvain A
Escaut Gand A
Finistère Brest A
Gard Nîmes A
Haute-Garonne Toulouse A
Gênes Gênes A
Gironde Bordeaux A
Hérault Montpellier A
Ille-et-Vilaine Rennes A
Indre-et-Loire Tours A
Isère Grenoble A
Jemmapes Mons A
Jemmapes Tournai A
Loire Saint-Étienne A
Loire-Inférieure Nantes A
Loiret Orléans A
Lys Bruges A
Maine-et-Loire Angers A
Marengo Alexandrie A
Marne Reims A
Méditerranée Livourne A
Meurthe Nancy A
Meuse-Inférieure Maestricht A
Mont-Tonnerre Maïence A
Moselle Metz A
Deux-Nèthes Anvers A
Deux-Nèthes Malines A
Nord Dunkerque A
Nord Lille A
Nord Valenciennes A
Ourthe Liège A
Pas-de-Calais Saint-Omer A
Turin A
Bas-Rhin Strasbourg A
Rhône Lyon A
Rome Rome A
Roer Cologne A
Sambre-et-Meuse Namur A
Seine-Inférieure Rouen A
Seine-et-Oise Versailles A
Deux-Sèvres Niort A
Somme Amiens A
Taro Parme A
Taro Plaisance A
Var Toulon A
Vaucluse Avignon A
Allier Moulins B
Alpes-Maritimes Nice B
Aube Troyes B
Aude Carcassonne B
Bouches-du-Rhône Aix-en-Provence B
Bouches-du-Rhône Arles B
Calvados Lisieux B
Charente Angoulême B
Charente-Inférieure La Rochelle B
Charente-Inférieure Rochefort B
Cher Bourges B
Côte-d'Or Dijon B
Eure-et-Loir Chartres B
Finistère Quimper B
Hérault Béziers B
Jura Dôle B
Léman Genève B
Loir-et-Cher Blois B
Lys Courtray B
Lys Ostende B
Manche Cherbourg B
Marne Châlons-sur-Marne B
Mayenne Laval B
Méditerranée Pise B
Mont-Tonnerre Worms B
Deux-Nèthes Lierre B
Nièvre Nevers B
Nord Cambray B
Nord Douay B
Oise Beauvais B
Ombrone Sienne B
Ourthe Verviers B
Pas-de-Calais Arras B
Pas-de-Calais Boulogne B
Pas-de-Calais Calais B
Puy-de-Dôme Clermont B
Basses-Pyrénées Baïonne B
Pyrénées-Orientales Perpignan B
Bas-Rhin Obernay B
Bas-Rhin Schelestadt B
Haut-Rhin Colmar B
Roer Aix-la-Chapelle B
Saône-et-Loire Mâcon B
Sarthe Le Mans B
Seine-Inférieure Le Havre B
Seine-Inférieure Dieppe B
Seine-et-Oise Saint-Germain-en-Laye B
Stura Coni B
Tarn-et-Garonne Montauban B
Trasimène Perugia B
Trasimène Spoletto B
Vendée Fontenay-le-Comte B
Vienne Poitiers B
Haute-Vienne Limoges B

Notes et références

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  1. Paul Ganière, « Marie-Louise et Napoléon à Compiègne, Revue du Souvenir napoléonien, no 300, juillet 1978, p. 7–16.
  2. « Extrait des registres su Sénat conservateur », du , archives parlementaires.
  3. Jean Tulard, Napoléon, Les grands moments d'un destin, Paris, Fayard, , 622 p. (ISBN 978-2-213-63086-1), p. 401-411.
  4. Michel Lhospice, Divorce et dynastie, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence R. Pichon et R. Durand-Auzias, , 261 p., p. 217.
  5. « Joséphine de Beauharnais », Biographie universelle ancienne et moderne, Louis-Gabriel Michaud, Paris, 1843, t. XXI, p. 209.
  6. André Castelot, Napoléon, Paris, Perrin, , 994 p. (ISBN 978-2-262-02850-3), p. 347.
  7. Charlotte Denoël, « Le divorce de Napoléon et Joséphine », sur histoireimage.org, .
  8. Thierry Sabot, Contexte : Un guide chrono-thématique pour situer un village, une famille, un personnage ou un événement dans son contexte historique et généalogique, Éditions Thisa, (1re éd. 2007).
  9. Aľbert Zacharovič Manfred, Napoléon Bonaparte, Moscou, Svoboda,‎ (1re éd. 1971) (ISBN 978-80-205-0129-5), p. 541.
  10. « Décret impérial contenant des actes de bienfaisance et d'indulgence à l'occasion du mariage de sa majesté l'Empereur et Roi », palais de Compiègne, , in Bulletin des lois de l'Empire français, 4e série, t. XII, vol. 12, contenant les lois rendues pendant le premier semestre de l'année 1810.
  11. a b c d et e [PDF] Natalie Petiteau, « Les mariés de l'an 1810 en Vaucluse : mannes impériales et réalités sociales », Provence historique, t. 49, fascicule 195-196, p. 397–410, 1999.
  12. a et b [PDF] Maria Desmurs, « La femme au cœur des fêtes : la Rosière », Centre châtelleraudais d'histoire et d'archives (CCHA), p. 8.
  13. Jean-Yves Baxter, « Mariage arrangé de deux militaires romanais en l'honneur de l'union entre Napoléon Ier et Marie-Louise d'Autriche », Romans Historique.
  14. Le Mercure de France, dans son édition du , en fait cependant déjà part : « On croit que le jour du mariage 6000 filles seront dotées et mariés à de braves militaires pour la munificence impériale. », [lire en ligne].
  15. [PDF] Michel Bachmann, « Mariage napoléonien à Saint-Nom-la-Bretèche », Le char à bœufs, journal édité par Les Amis de Saint-Nom-la-Bretêche, décembre 2009.
  16. Mona Ozouf, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, (ISBN 978-2070324965).

Voir aussi

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Article connexe

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Liens externes

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  • Napoléon-Mariages, base de données répertoriant les mariages de ces 6 000 soldats de l'Empire.
  • [1], les mariages Napoléon à Sélestat (Bas-Rhin).