Nanna Conti

sage-femme allemande, fonctionnaire nazie

Nanna Conti, née le à Uelzen et morte le à Bielefeld, est une sage-femme allemande. Sous le Troisième Reich, de 1933 à 1945, elle préside la Ligue des sages-femmes du Reich (Reichshebammenschaft). Elle est la mère de Leonardo Conti, le chef de la santé du Reich (Reichsgesundheitsführer).

Nanna Conti
Biographie
Naissance
Décès
Voir et modifier les données sur Wikidata (à 70 ans)
BielefeldVoir et modifier les données sur Wikidata
Nom de naissance
PauliVoir et modifier les données sur Wikidata
Nationalité
Activités
Enfant
Autres informations
Partis politiques
Membre de
Deutschvölkischer Schutz- und Trutzbund
International Confederation of Midwives (en)Voir et modifier les données sur Wikidata

Biographie

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Origine et formation

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Nanna Conti est née dans une famille prussienne de Basse-saxe. Elle grandit dans un milieu de classe moyenne, conservateur, protestant et nationaliste. Son père Carl Pauli (1839-1901) est directeur de l'école secondaire locale de garçons, franc-maçon imbu d'ésotérisme, proche de la ligue pangermaniste, et aussi étruscologue renommé[1],[2].

Enfant, elle aide son père dans ses travaux archéologiques en Suisse et en Italie. En 1893, la famille s'installe à Lugano (Canton du Tessin). Son éducation est mal connue, mais elle parle cinq langues et couramment l'italien[3],[2].

En 1898, à l'âge de 17 ans, elle épouse Silvio Conti, 19 ans, employé des postes de Monteggio ; les raisons de se marier si jeune ne sont pas connues[4]. Elle est enceinte en permanence, avec plusieurs fausses couches, et maltraitée par son mari volage. Elle a trois enfants, dont Leonardo Conti (1900-1945) qui deviendra médecin, chef de la santé du IIIe Reich[2].

Après son divorce en 1903, elle entre à l'école des sage-femmes de Magdebourg. À partir de 1904, elle s'installe à Magdebourg, puis à Berlin comme sage-femme indépendante en assurant la charge de ses trois enfants et de sa mère (son père est mort en 1901)[3].

Après la Première Guerre mondiale, elle et ses enfants se radicalisent politiquement, en adhérant successivement à plusieurs partis ou association d'extrême-droite comme le Parti populaire national allemand. En 1930, elle rejoint finalement le Parti national-socialiste des travailleurs allemands[3].

Carrière professionnelle et politique

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Dès 1918, elle se fait connaitre comme militante d'extrême-droite dans le milieu associatif professionnel des sage-femmes allemandes. Sous la République de Weimar, en particulier à Berlin, elle s'oppose à l'emploi des sages-femmes dans le service public de santé et aux syndicalistes de la social démocratie. Dans les années 1920, elle participe à plusieurs associations locales ou régionales défendant les sages-femmes[2].

En 1933, elle devient présidente de la Ligue des sages-femmes du Reich (Reichshebammenschaft) qui unifie toutes les associations allemandes de sages-femmes. Elle est rédacteur en chef d'une revue La sage-femme allemande qui dénonce les médecins juifs comme responsables des avortements, et les « féministes juives » comme l'anti-modèle de la femme allemande moderne[2].

En 1934, elle acquiert un niveau international en représentant l'Allemagne au congrès international des sages-femmes de Londres (congrès bisannuel de l'Union internationale des sages-femmes[a], fondée en 1919 et dont le siège est à Anvers (Belgique)[3].

En 1936, elle préside le congrès international des sages-femmes qui se tient à Berlin. Elle aurait fait passer une résolution selon laquelle le président du congrès devient automatiquement président de l'organisation internationale pour les deux ans qui suivent[3].

Le sommet de sa carrière se situe en 1938, lorsqu'une loi, appelée de ses vœux, accorde le monopole des accouchements non compliqués aux sages-femmes, qu'un médecin soit présent ou pas. Dans la même période, son fils Léonardo Conti est nommé président de de la Fédération Internationale de médecine du sport en 1937, et chef de la santé du Reich (Reichsgesundheitsführer, équivalent à ministre de la santé) en 1939. Elle et son fils forment alors un puissant réseau d'influence et de pouvoir[2][4].

Avec l'entrée en guerre, Léonardo Conti perd de son influence au profit de Karl Brandt. Nanna Conti est restée loyale à son fils, mais même à la tête des sages-femmes, elle n'avait pas accès direct à Adolf Hitler, ni même aux gens de son premier cercle, et son influence sur eux était probablement insignifiante.

Durant la deuxième guerre mondiale, elle voyage dans toute l'Europe, dans les pays conquis ou annexés par le IIIe Reich, à la rencontre de ses collègues étrangers, en particulier belges et italiens. Elle prête une attention particulière aux sages-femmes d'Europe centrale occupée (région des sudètes, Tchéquie, Pologne…). En 1942, elle est nommée secrétaire général de l'Union internationale des sages-femmes. Elle transfère le siège du secrétariat de Gand à Berlin, sans en référer à la présidente d'alors, la française Clémence Mossé (le dernier congrès s'étant tenu en 1938 à Paris) qu'elle méprise en tant que « juive convertie au catholicisme »[3].

En avril 1945, craignant d'être capturée et mise à mort par les soviétiques, elle s'enfuit vers le Schleswig-Holstein. Son fils Leonardo Conti se suicide avant son procès en octobre 1945 ; quant à elle, elle n'a jamais été poursuivie ou arrêtée. Il est difficile de dire si elle a cessé toute vie publique, ou si elle s'est impliquée dans la réorganisation des sages-femmes allemandes après 1945[1],[3].

Elle meurt après un accident vasculaire cérébral, le 30 septembre 1951 à Bielefeld au sein de sa famille, dans la maison de sa belle-fille[1].

Sage-femme nazie

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Contexte : la situation des sages-femmes en Allemagne

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Au début du XIXe siècle, la figure fondatrice des infirmières et sages-femmes allemandes est Theodor Fliedner (1800-1864) qui fonde les diaconesses protestantes. Des jeunes femmes, le plus souvent issues de milieu populaire, sont formées en quelques semaines ou en quelques mois, pour se consacrer aux autres. Comme les sœurs catholiques, elles sont reliées à une maison-mère dont elles dépendent et qui les contrôle ; elles sont habillées avec le costume d'une veuve de la bourgeoisie (robe noire avec voile noir)[5].

À la différence des sœurs catholiques, la situation des diaconesses protestantes n'est pas définitive (vœu de célibat, appartenance à la maison-mère…). Dans le contexte de l'époque, cela permettait à des jeunes femmes pauvres de mener une vie sociale respectable relativement indépendante (se déplacer et travailler seule) avant de trouver un mari. La Croix-Rouge allemande, fondée en 1864, reprend le modèle de Fliedner : les sœurs de la croix-rouge allemande peuvent être chrétiennes (en portant une grande croix sur la poitrine) ou juives (en portant une étoile de David)[5].

Durant le XIXe siècle, un processus de transformation de ces activités charitables en professions règlementées est en cours, par exemple en Grande-Bretagne avec Florence Nightingale. En Allemagne, dans les années 1890, l'activité spécifique des sages-femmes est défendue par Olga Gebauer (de)(1858-1922), fondatrice de l'Association allemande des sage-femmes. Son but est de réunir les sages-femmes, dispersées en associations locales, en une seule organisation forte, pour une meilleure reconnaissance socio-professionnelle. Après son décès en 1922, l'association se déchire en diverses tendances politiques, dont une aile gauche prônant l'union avec les syndicats et une aile droite qui s'y oppose[2].

En 1923, une loi sur les sages-femmes est votée au parlement, mais reste insuffisante : les sages-femmes n'ont toujours aucune retraite, elles doivent travailler jusqu'à la mort et/ou finir dans la misère. De plus, la chute de la natalité sous la République de Weimar exacerbe la concurrence entre sages-femmes : au sein de l'association, la tendance social-démocrate propose de créer des emplois en service public (accouchements en maternité hospitalière), la tendance nationaliste s'y oppose, préférant conserver la pratique habituelle alors dominante (accouchements à domicile) en proposant d'exclure les juives de la profession[2].

À partir de 1926, des compagnies d'assurances proposent de rembourser les soins des sages-femmes, mais celles-ci restent mal payées. Après la situation économique d'hyperinflation, la plupart des sages-femmes allemandes restent en situation désespérée, au bord de la pauvreté et au bas de l'échelle sociale[2].

Nazification des sages-femmes allemandes

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Nanna Conti à la tribune du Congrès International des sages-femmes, Berlin, 5 juin 1936.

Nanna Conti adhère au NSDAP par conviction (vers 1928 ou 1930) plutôt que par opportunisme, contrairement aux adhérents d'après la prise du pouvoir en 1933. Nanna Conti est une militante qui a fait ses preuves depuis des années. En 1933, quand elle est portée à la direction de l'association des sages-femmes allemandes, elle n'est pas élue par les adhérentes, mais nommée par le ministère de l'intérieur. Selon le Fürherprinzip (principe du chef) établissant une stricte hiérarchie à tous les niveaux politiques, c'est Nanna Conti qui nomme les responsables régionales de l'association en contrôlant tous les échelons inférieurs. Dans un régime autoritaire et misogyne, Nanna Conti est l'élément de transmission de l'autorité politique masculine sur les sages-femmes[4].

Le but de Nanna Conti à la tête de l'association est de promouvoir l'idéologie nazie et de faire appliquer les nouvelles lois concernant la naissance et la procréation. Pour cela, l'association doit rechercher toutes les sages-femmes, dont beaucoup restent isolées. Elles doivent s'abonner obligatoirement à la revue professionnelle et suivre une formation continue, médicale et idéologique. Il s'agit de relever et d'unifier le niveau des sages-femmes allemandes, pour en faire des propagandistes politiques. Les meilleures sont choisies pour suivre les cours de l'école supérieure de médecine du Reich de Alt Rehse, ce qui apparait comme une grande faveur, les sages-femmes appartenant à une profession de santé non-académique[2],[4].

Bibliographie

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  • (de) Anja Katharina Peters, Nanna Conti (1881-1951) : Eine Biographie der Reichshebammenfürhrerin, Berlin, Lit verlag, , 478 p. (ISBN 978-3643139856, lire en ligne)

Notes et références

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  1. Cette organisation est devenue en 1954 la Confédération Internationale des Sages-femmes (en) ou ICM International Confederation of Midwives.
  1. a b et c (de) « Nanna Conti », sur Deutsche Hebammen Zeitschrift (consulté le )
  2. a b c d e f g h i et j (en) Anja Peters, « Nanna Conti - The biography of nazi germany's chief mdiwife » [PDF],
  3. a b c d e f et g (en) Anja Katharina Peters, « Caught between dialogue and diktat – The International Midwives Union 1933–1945 », Theatrum historiae, no 25,‎ , p. 95–108 (ISSN 2571-0621, lire en ligne, consulté le )
  4. a b c et d (en) Anja Peters, « Nanna Conti : the Nazis' Reichshebammenführerin (1881-1951) », Women's History Magazine, no 65,‎ , p. 33-41. (ISSN 1476-6760, lire en ligne [PDF])
  5. a et b (de) « „Reichshebammenführerin Nanna Conti war eine ganz furchtbare Rassistin.“ », sur Mensch, Frau Nora!, (consulté le )

Liens externes

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