Nominoë
Nominoë (Nevenou ou Nevenoe en breton[n. 1], Nomenoius[1] ou Numenoius[2] en latin, en français les graphies Nominoé et Nomenoe sont aussi utilisées), né vers 800, mort le près de Vendôme[3], est le souverain de Bretagne de 845 à 851. Il est à l'origine de la naissance d'une Bretagne unifiée et indépendante, d'où le qualificatif de père de la Patrie (« Tad ar Vro ») que lui attribue l'historien Arthur de La Borderie au XIXe siècle[4].
Biographie
modifierSes origines
modifierSon nom, assez rare, est peut-être issu du vieux breton « nom » c'est-à-dire « temple », à rapprocher du gaélique irlandais « naomh » saint et gaulois « nemeton » sanctuaire ou « nemo » ciel avec comme variantes Nevenoe/Nevenou en breton, Naomhin, Nevin, Niven en irlandais[5].
Dom Morice, s'appuyant sur une vie du roi Judicaël rédigée au XIe siècle par le moine Ingomar dans laquelle ce dernier précise que « tous les princes qui ont régné en Bretagne depuis Judicaël étaient issus de ce roi », indique que Nominoë était « fils d'Erispoë comte de Rennes et de la race des anciens rois de Bretagne »[6].
Les moines de l'abbaye de Saint-Florent-le-Vieil dont il avait incendié le monastère ont complaisamment reproduit, dans une prose rythmée nommée « Versiculi » ou « Versus de eversione monasterii Glonnensis », une légende qui indique que Nominoë était fils d'un paysan enrichi par la découverte d'un trésor, indications reprises par les Francs d'Anjou de la famille Foulques (Plantagenêt), hypothèse totalement fantaisiste car à l'époque carolingienne seuls les laïcs issus de familles de la haute aristocratie avaient le quasi-monopole des charges publiques [7],[8].
Une charte de 834 le qualifie de prince des Vénètes, mais c'est seulement en raison de sa fonction de comte de Vannes. Il semblerait qu'il soit originaire du Poher, peut-être de "Botmel" (Botnumel) en Callac[9],[10], ou bien encore de "Bonnevel" en Priziac[11]. J. Quaghebeur fait de Nominoë le fils ou le petit fils du roi Murman[12].
Comte carolingien
modifierSelon Arthur de La Borderie, Nominoë est comte de Vannes dès [13]. Toutefois le titulaire de ce comté carolingien Gui II de Vannes exerçait encore sa fonction de comte de Vannes dans un acte du daté de la 17e année de Louis le Pieux[14]. Il semble donc que l'autorité de Nominoë se limitait à une partie du comté [n. 2] avant qu'il ne soit reconnu comme gubernans in Brittanniam à partir de 833, missus in Brittanniam à partir de 837 par Louis le Pieux[15]. Selon Jean-Christophe Cassard, repris par Joël Cornette, c'est au plaid d'Ingelhem, en mai 831, que l'empereur Louis le Pieux nomme Nominoë comte de Vannes et missus imperatoris, c'est-à-dire envoyé de l'empereur en Bretagne. Cette fonction lui donne des pouvoirs étendus dans les domaines administratif et judiciaire, notamment sur les comtes, mais aussi dans le domaine religieux puisqu'il devait enquêter sur les évêques.
Nominoë apparaît pour la première fois dans un acte exerçant une charge publique comme « Nominoe magistro in Britanniam » lors d'une donation en faveur de l'abbaye de Redon le , vingtième année du règne de Louis le Pieux[16].
Rebelle
modifierÀ la mort de l'empereur Louis en 840, il soutient dans un premier temps Lothaire Ier avant de se rallier à Charles le Chauve[17] qui lui reconnaît le titre de missus dominicus ducatus, lorsque Nominoë lui rend l'hommage au . Puis il entre en rébellion ouverte contre l'administration franque. Nominoë trouve à cette époque un allié local en la personne de Lambert II de Nantes, fils d'un précédent comte de Nantes lui aussi ancien partisan de Lothaire, mais non confirmé dans cette charge par Charles le Chauve[18].
À la suite des batailles de Messac (843) et de Ballon (845), le roi Charles doit reconnaître l'autorité de Nominoë sur la Bretagne [n. 3]. Au cours de l', Charles et Nominoë concluent un traité. Charles accorde au Breton le titre officiel de « dux » et le dispense de tribut en échange de la reconnaissance de sa suzeraineté personnelle sur la Bretagne[19]. En 847-848, Nominoë, occupé à résister difficilement aux attaques des Vikings sur la Bretagne qui lui infligent trois défaites[20],[n. 4], ne mène aucune expédition contre la Neustrie[21].
Vers la fondation du royaume breton
modifierLe pouvoir carolingien disposait en Bretagne d'évêques acquis à son autorité à Quimper, Vannes, Dol-de-Bretagne et Saint-Pol-de-Léon. Cette situation était inacceptable pour Nominoë qui désirait affirmer son émancipation. Ne pouvant rien attendre du pouvoir franc ni de l'archevêque de Tours dont dépendait la Bretagne, Nominoë se tourne vers le Pape Léon IV et lui envoie en 848 une délégation menée par Conwoïon l'abbé de Redon. Le Pape réserve aux Bretons un bon accueil, il donne quelques reliques à Conwoïon mais refuse de se prononcer sur la déposition des évêques [22]. Il se contente de préconiser la tenue d'un synode de douze évêques devant lesquels les prélats en cause doivent comparaître[23].
Comme il était impossible de réunir une telle assemblée en Bretagne, Nominoë se résout à un coup de force. En il réunit à Coët Louh une assemblée de clercs et de laïcs, et les évêques Suzannus de Vannes, Félix de Quimper, Salacon de Dol et Liberalis de Léon (?) sont condamnés pour simonie, déposés et remplacés par des « évêques bretons »[24]. Selon la chronique de Nantes citée par Arthur de la Borderie[25], le pape aurait aussi reconnu à Nominoë sous le titre de duc le droit de porter une couronne d'or, et donc de se faire sacrer par l'« archevêque » de Dol[n. 5].
Bien que la promotion de Dol-de-Bretagne à la tête de l'église bretonne, mise au crédit de Nominoë par Arthur de la Borderie[26], doive être attribuée à l'accord de 866 entre Salomon de Bretagne et le Pape Nicolas Ier[27], l'installation de ces nouveaux évêques (de nouveaux évêchés sont créés à Aleth, Tréguier et Saint-Brieuc) marque une étape essentielle pour Nominoë, il ne s'agit plus d'une révolte mais de la revendication d'une prérogative royale.
Les incursions bretonnes s'étendent jusqu'aux abords de Bayeux[28]. En 849 Nominoë est de nouveau en guerre contre Charles le Chauve qui rappelle Lambert II et lui confie de nouveau la marche de Bretagne. En Nominoë reprend ses agressions [29] et occupe Angers et ses alentours[n. 6]. Lambert II trahit une nouvelle fois son suzerain et s'allie avec le chef breton. Alors que vers le Charles le Chauve s'avance vers la Vilaine, Nominoë et Lambert II s'emparent de Rennes et de Nantes dont ils détruisent les fortifications et lancent ensuite des raids sur le Bessin et le comté du Maine dont Le Mans qui est prise à son tour.
Nominoë meurt subitement au cours d'une expédition en profondeur dans la Beauce près de Vendôme[n. 7], le [30] après avoir une nouvelle fois occupé le Maine et l'Anjou. Il est inhumé dans l'abbaye Saint-Sauveur de Redon[31].
Même s'il en avait les prérogatives, il ne semble pas que Nominoë ait jamais porté le titre de roi bien que le chroniqueur de la fin du IXe siècle Réginon de Prüm lui donne ce titre. Dans le cartulaire de Redon, il est tour à tour qualifié de duc des Bretons, de duc en Bretagne, de duc de toute la Bretagne, de prince de Bretagne et de prince de toute la Bretagne. C'est son fils et successeur Erispoë qui a été reconnu officiellement comme roi par Charles le Chauve après la bataille de Jengland, fondant ainsi le royaume de Bretagne. Roi sous condition d'hommage, le roi de Bretagne est donc théoriquement vassal du roi de la Francia Occidentalis [32].
À Redon, une plaque apposée sur l'ancien rempart dit : « À la gloire de Nominoë, premier roi de Bretagne, fondateur de la ville de Redon avec saint Convoyon (…) en souvenir du XIe centenaire de la cité »[33].
Titres
modifierPostérité littéraire
modifierLe Tribut de Noménoë est un poème du Barzaz Breiz par Théodore Hersart de La Villemarqué qui le qualifie dans l’argument de « plus grand roi que la Bretagne ait eu »[36]. Cette balade dont l'originalité fut un temps remise en cause notamment par Francis Gourvil, fut reconnue comme authentique et issue de la tradition bretonne en 1974 par Donatien Laurent après consultation des carnets retrouvés de La Villemarqué en 1964.
Nominoë est le héros du roman de Colette Geslin « La chevauchée de Nominoë »[37]. Il est également l'un des principaux personnages « historiques » du roman de Yann Brekilien « Les Cavaliers du Bout du Monde »[38]. Enfin, son histoire est également romancée dans le roman de Julien Meunier « Nominoë - Père de la Bretagne», paru en [39].
Odonymie
modifierPlusieurs rues portent son nom, notamment à Rennes, Brest, Vannes, Quimper, Saint-Brieuc et Saint-Malo.
Notes et références
modifierNotes
modifier- La forme habituelle en breton moderne est Nevenou (cf. noms de famille Nevenou et Evenou, Eveno). On trouve aussi des variantes comme Neumenoiou, graphie pseudo-savante utilisée dans le Barzaz Breiz notamment.
- « On observe cette dualité des fonctionnaires civils. Gui reste comte jusqu'en 831 or dès 820 le breton Nominoë apparaît comme « princeps Veneticæ » et en 827 il est dit « come Veneticæ civitatis ». Pendant 10 ans au moins il y eut en Vannetais simultanément deux comtes, le comte franc Guy et le comte Breton Nominoë ». Léon Levillain « La Marche de Bretagne, ses marquis et ses comtes » dans: Annales de Bretagne. Tome 58, numéro 1, 1951. p. 89-117.
- Annales de Saint-Bertin : AD 846 « Charles marchant avec une armée contre le pays de Bretagne, la paix fut traitée entre lui et Noménoé »
- Annales de Saint-Bertin AD 847 « Les Danois viennent dans les parties de la Gaule habitée par les Bretons, et l'emportent trois fois sur eux dans les combats. Noménoé vaincu fuit avec les siens, puis par des présents qu'il leur envoie, il écarte les Danois de son pays »
- Chronique de Nantes. chap. XII « quand il eut déposé ainsi lesdits évesques, il assembla ceux qu'il avoit substituez en leurs lieux, et tous les autres prélats de sa région, au monastère de Dol, où il se fist oindre en roy ». Toutefois les historiens considèrent généralement que le chroniqueur, non contemporain, n'est pas fiable, nombre de ses affirmations étant contredites par les textes contemporains.
- Annales de Saint-Bertin : AD 849 : « Le Breton Nominoë avec sa perfidie accoutumée s’empare d’Angers et des pays circonvoisins… et se répandit en armes hors de son pays avec son insolence accoutumée »
- le chroniqueur Adémar de Chabannes, n'hésite pas à prétendre qu'il périt « au commandement de Dieu frappé par un ange » ! Chronique Brepols, Turnhout, Belgique (ISBN 2503511198), Livre III § 18 p. 216
Références
modifier- Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. I, p. 139, Charles Osmont impr., Paris, 1742
- Réginon, Chronique, in G. H. Pertz, Monumenta Germaniae historica, Script I, p. 567, Weidmann, Berlin, 1861.
- René Merlet, La Chronique de Nantes (570 environ-1049), Alphonse Picard, 1896, p. 42
- La Borderie 1975
- Alain Stéphane Les prénoms celtiques éditions Jean-Paul Gisserot 1999 (ISBN 2877473953) p. 96
- Pierre-Hyacinthe Morice, Histoire ecclésiastique et civile de la Bretagne, 1836, p. 432
- Chédeville et Guillotel 1984, p. 229-231
- D'autres[Qui ?] ont situé ses origines à Dinan ou dans ses environs, hypothèse appuyée par les bienfaits qu'il prodigua aux moines de Léhon, près de Dinan. Autre indice : Renac (lieu du domicile préféré de Nominoë) se situait, certes, sur le territoire de la cité des Vénètes comme il convenait à un comte de Vannes, mais dans ses confins limitrophes de la cité des Riedones, juste à côté du lieudit « Roton », où Conwoïon fit construire en 832 une abbaye grâce au soutien actif de Nominoë. On sait combien Lambert tenait à Nantes, mais Nominoë ne tenait-il pas tout autant à Rennes ? En 850, c'est d'abord de Rennes qu'ils sont venus s'emparer, juste avant de récidiver dans la foulée à Nantes. Leurs demeures respectives de Craon et de Renac n'étant pas très éloignées avec un bon cheval, on peut penser[évasif] que ces deux cavaliers confirmés se rendaient visite à domicile pour parler politique[réf. nécessaire]. Renac faisait sûrement[évasif] souvent campagne à côté de Craon, la ville antique avec son abbaye Saint-Clément et son prieuré, toutefois Conwoïon avait déjà bien compensé en faisant construire en 832, avec l'accord et la protection de Nominoë, l'abbaye Saint-Sauveur sur le chantier du lieudit « Roton », actuel Redon[réf. nécessaire].
- Les Bretons de Nominoé, Brasparts, Éditions Beltan, 1990 (réimpr. Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2003)
- Chédeville et Guillotel 1984, p. 231
- Bernard Tanguy, « Autour de l’adoption de la règle bénédictine par l’abbaye de Redon », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 118, , p. 145-146
- Joëlle Quaghebeur, « Censum, tributa et munera : la perception de l’impôt en Bretagne au haut Moyen Âge », dans Le prince, l'argent, les hommes au Moyen Âge, Presses universitaires de Rennes (ISBN 978-2-7535-0602-2, lire en ligne), p. 49–59
- La Borderie 1975, p. 27, toutefois les données chronologique de cet acte sont contradictoires selon Chédeville et Guillotel 1984, p. 227.
- Cartulaire de Redon, acte no 155 p. 119-120: Uuidone comite in Venedia, Reginario episcopo, Portitoë machtierno et Uuoruili frater eju (il s'agit de deux fils de Iarnithin)
- Chédeville et Guillotel 1984, p. 233
- Chédeville et Guillotel 1984, p. 227 Cartulaire de Redon acte VII p. 7-8
- Nelson 1994, p. 134.
- Nelson 1994, p. 159-160.
- Nelson 1994, p. 170.
- Jean Renaud Les Vikings et les Celtes éditions Ouest-France, Rennes 1992 (ISBN 9782737309014) p. 122
- Nelson 1994, p. 176.
- Barthélémy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé Les Papes et les Ducs de Bretagne COOP Breizh Spézet (2000) (ISBN 284346 0778) p. 15-17
- Tonnerre 1994, p. 86-88.
- Tonnerre 1994, p. 87.
- La Borderie 1975, p. 55 note no 3
- La Borderie 1975, p. 57
- Tonnerre 1994, note 1, p. 92.
- Louis Halphen Charlemagne et l'empire carolingien éditions Albin Michel, Paris réédition 1968, p. 296.
- Nelson 1994, p. 179.
- Annales de Saint-Bertin : AD 851
- Jean Verdon Chronique de Saint-Maixent, Les Belles Lettres, 1979, p. 57 : « Noménoé, tyran des Bretons plutôt que roi, est frappé par la volonté céleste ; Erispoë, son fils, lui succéda dans le royaume d'une manière indue »
- Paul Jeulin « L'hommage de la Bretagne en droit et dans les faits ». Dans: Annales de Bretagne. Tome 41, numéro 3-4, 1934. p. 380-473
- Françoise Surcouf, "80 symboles pour raconter la Bretagne", Les éditions du Palais, 2013.
- Histoire de Bretagne p. 197
- Nominoe missus imperatoris Ludovici .
- Lire en ligne sur Wikisource : Le Tribut de Noménoë (1846, quatrième édition, vol. 1) ou Le Tribut de Noménoë (1883, huitième édition, p. 112-119)
- éditions Terre de Brume littérature Rennes 2001 (ISBN 2843621100).
- éditions du Rochers, Paris 1990 (ISBN 2268009289).
- Éditions des Montagnes Noires (ISBN 2919305891)
Sources
modifier- Arthur de La Borderie, Histoire de Bretagne, t. 2, Mayenne, Joseph Floch, (1re éd. 1898), 556 p., p. 27-72
- Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, Nominoë et la naissance de la Bretagne, Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne,
- Henri Poisson, Nominoë : Fondateur de l'État breton, Saint-Brieuc, Les Presses Bretonnes,
- Hervé Le Boterf, Nominoë et l'épopée des Rois de Bretagne, Paris, France-Empire, (ISBN 2-7048-0875-9)
- André Chédeville et Hubert Guillotel, La Bretagne des saints et des rois : Ve – Xe siècle, Éditions Ouest-France, , 423 p. (ISBN 2-85882-613-7)
- Jean-Christophe Cassard, Les Bretons de Nominoë, Brasparts, Editions Beltan, , 315 p. (ISBN 2-905939-17-6)
- Noël-Yves Tonnerre, Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale (Nantais et Vannetais) de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, Angers, Presses de l'Université d'Angers, , 625 p. (ISBN 2-903075-58-1)
- Janet Nelson, Charles le Chauve, Paris, Aubier Histoires, (ISBN 2-7007-2261-2)
- Barthélémy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, Les Papes et les Ducs de Bretagne, Spézet, COOP Breizh, (ISBN 2-84346-077-8)
Liens externes
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- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Persée: Le schisme breton. L'église de Dol au milieu du IXe siècle, d'après les sources. In: Annales de Bretagne. Tome 30, numéro 3, 1914. pp. 424-468.