Psautier gallican

Traduction de textes religieux

Le psautier gallican (latin : Psalterium Gallicanum) est une traduction latine de la version grecque du livre des Psaumes par Jérôme de Stridon datant de la fin du IVe siècle ; bien qu'elle constitue initialement un texte d'étude, cette traduction a remplacé progressivement et partiellement la version en usage pour la prière ou Psautier romain dans la liturgie des heures depuis le milieu du IXe siècle environ. Elle a été adoptée par la Vulgate sixto-clémentine et imposée comme texte officiel de la psalmodie liturgique quotidienne des prêtres et moines de l'Église catholique depuis la fin du XVIe siècle jusqu'à la mise en application des réformes liturgiques qui ont fait suite au concile Vatican II. Elle fait partie du patrimoine de la tradition patristique et liturgique occidentale.

Psautier gallican
Psautier gallican du XIVe siècle, psaume 26. David et Jésus sont représentés dans le "D".
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Description

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Entre 386 et 389, Jérôme a effectué à Bethléem une traduction latine des Psaumes [1] à partir du texte hexaplaire de la Septante d'Origène (collection synoptique des traductions grecques de la Bible hébraïque[2]. Ce Psautier, qui constitue une édition critique du Psautier en latin, est un texte savant composé par Jérôme dans le souci de restaurer la fidélité des versions vieilles latines à l'Hébreu grâce aux différentes versions grecques disponibles à son époque, qu'il considérait - ainsi qu'on le redécouvre aujourd'hui - comme les témoins d'une version hébraïque antique de la Bible hébraïque.

L'intention de Jérôme était d'aider à comprendre la variété des leçons du texte latin en usage dans la liturgie, constatée par lui et ses correspondants dans les différentes Eglises du bassin méditerranéen. Jérôme comprend que le Psautier latin en usage dans la liturgie est issu de la traduction du grec vulgaire de la koinè en usage dans le monde de son temps. Il cherche à en vérifier la pertinence en le confrontant au grec de la Septante, adossé aux autres traductions grecques anciennes de l'hébreu, réunies par Origène dans les Hexaples. Son intention est de retrouver le sens de la Bible hébraïque en s'appuyant sur l'intelligence de l'hébreu qu'avaient les juifs hellénophones antérieurs au Christianisme. Cette intention est directement destinée à soutenir et encadrer la prière des Psaumes de ses correspondants, que celle-ci soit communautaire et personnelle. Il n'a ni pour mission ni pour intention de procurer à l'Eglise un psautier officiel. Le texte qu'il publie prend la forme d'un psautier savant ou érudit. Il reprend notamment les obèles et astérisques présentes dans la version origénienne, éléments diacritiques empruntés à la critique homérienne qui seront progressivement employés à contresens par les copistes soucieux d'« améliorer » la version de Jérôme[3]. Le Psautier gallican, dit « gallican » n'est pas exactement la version hexaplaire initiale.de Jérôme, mais une version tardive, adaptée à la liturgie, dépourvue d'apparat critique, contaminée par les réminiscences du Psautier Romain. Cette version a été introduite dans l'Empire carolingien (Gaule et régions germaniques) où il fut adopté diffusé à partir du milieu du IXe siècle[2], est une version tardive de l

L'édition de la Bible réalisée à la fin VIIIe siècle et au tout début du IXe siècle par Alcuin incluait uniquement le psautier gallican, sans le Psautier selon les Hébreux également traduit par Jérôme à partir de l'hébreu[4]. Le psautier gallican fut chanté depuis le milieu du IXe siècle dans l'Église latine[3]. Ce psautier d'usage - issu du Psautier hexaplaire de Jérôme - est à l'origine de la version intégrée dans la Vulgate sixto-clémentine[2]. Le Psautier dit romain (Psalterium Romanum, version dite Vetus Latina ou vieille latine, en usage avant l'adoption liturgique des nouvelles traductions effectuées par Jérôme), a continué à être en usage pour la psalmodie de l'office dans certaines églises locales, notamment dans les basiliques romaines, ainsi que, dans toutes les liturgies latines, comme texte de l'antiphonaire et du graduel grégoriens (pièces "ornées" du chant liturgique de l'office et de la messe). Dans la psalmodie proprement dite (louange des Heures, Office ou Bréviaire, à ne pas confondre avec la messe), seul le Psaume 94 (95 dans la numérotation moderne) a continué à être chanté selon la version du Psautier romain, mais uniquement lorsqu'il est chanté avec le ton orné et sur le mode antiphoné de l'invitatoire. Les prières latines telles que De profundis clamavi ad te Domine (Psaume 130) et les psaumes de la pénitence sont empruntées au psautier gallican.

D'autres psautiers latins (en) existent[5].

Éditions et remplacement

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En 1943, l'encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII est publiée ; l'un de ses motifs était d'encourager la recherche sur les langues des textes bibliques originaux. Dès , le pape chargea des professeurs de l'Institut biblique pontifical de préparer un nouveau psautier latin, qui à son tour fut publié en et proposé par lemotu proprioIn cotidianis precibus (en). Cette réforme, qui n'affectait qu'une partie du clergé occidental, n'a pas été imposée aux liturgies monastiques qui continuèrent à utiliser la version Sixto-Clémentine jusqu'en 1979 et parfois au-delà.

Pour mieux justifier la réforme, certains font état de propos excessifs qui mettent en évidence le caractère passionnel qui a accompagné cette décision controversée, ainsi que l'étroitesse d'une culture cléricale humaniste fermée à l'intelligence de l'historicité des langues, du lexique et des traductions. Ainsi, selon le père rédemptoriste Stanisław Wójcik:

« jusqu'ici, la langue latine du psautier était très inepte et repoussante. Malgré la meilleure des volontés, il était tout simplement impossible de pénétrer l'esprit des psaumes, de comprendre leur contenu, de ressentir leur beauté[6]. »

Le psautier gallican a également été critiqué sous prétexte qu'il contenait de nombreuses erreurs par rapport à l'hébreu original, notamment à 27 endroits où la pensée de l'auteur a été déformée[7].

D'autres, plus tard, diront exactement l'inverse devant la force poétique des images de Jérôme redécouvertes après des années de psalmodie vernaculaire. Une édition critique s'imposait pour couper court aux radotages et aux rafistolages de surface. Il faut dire que les principes d'établissement du texte latin du Psautier énoncés par Pie XII, en proposant de corriger une traduction latine du grec à partir de l'hébreu, tranchait de façon malheureuse un débat cornélien. Depuis Jérôme d'ailleurs, relayé par l'exégèse critique de la Vulgate dès le XIIe siècle, on savait pourtant que la règle d'or de l'édition des traductions latines de la Bible est le respect des traditions textuelles issues de chacune des familles anciennes. Comme on peut l'observer dans plusieurs motu proprio de Pie XII celui-ci s'était laissé dicté une opinion particulière par les partisans d'une traduction latine établie sur l'hébreu qui n'était pas de tradition dans l'Eglise. Jérôme, conscient du génie propre et distinct du grec et de l'hébreu, sans doute meilleur connaisseur de ces langues que les érudits du XXe siècle, estimait comme impossible la possibilité de rendre en latin les particularités poétiques du psautier hébreu. Il estimait au contraire le grec - lui-même traduit de l'hébreu par des juifs, à partir d'une version du texte hébreu plus vénérable que le texte massorétique - plus apte à faciliter la transposition syntagmatique des Psaumes en latin.


En 1953, la Commission pour la révision de la Vulgate, également placée sous l'autorité de Pie XII, publiait simultanément l'édition critique du Psautier traduit par Jérôme sur le grec, l'édition du Psautier romain et des anciens Psautiers latins et, en 1954, l'édition du Psautier traduit par Jérôme sur l'hébreu (Psalterium iuxta Hebraeos). Ces éditions avaient été commencées dès les années 20 à la demande des papes, pour restituer le texte latin de la Vulgate Sixto Clémentine en usage dans la liturgie. La méthode adoptée était celle de la critique textuelle philologique. Elle aboutissait à la restauration de la version primitive de Jérôme, autant que le permettait la comparaison des manuscrits conservés, en se gardant par principe de juger ses traductions ou de les corriger de manière anachronique à partir de la lexicographie latine moderne et sans connaissance suffisante des anciennes versions de l'hébreu et du grec utilisées par Jérôme et en partie perdues. Le texte ainsi édité était un texte aussi proche que possible de celui de Jérôme, révision du Psautier romain (traduit sur le grec de la koinè à partir de la version hexaplaire du texte grec des Psaumes dans la Septante. Cette édition renouait avec le texte "savant" de Jérôme, et non avec le Psautier gallican en usage dans la liturgie depuis l'époque carolingienne, qui mélangeait des leçons du Psautier romain et du Psautier hexaplaire.

En 1979, la Néo-Vulgate, est promulguée par Jean-Paul II. Cette version n'est ni une nouvelle édition du psautier hexaplaire de Jérôme, ni une édition du psautier 'Gallican' de l'usage commun, mais une traduction latine nouvelle, hybride, qui corrige le psautier gallican, fondé sur le grec, d'après le Psautier hébreu massorétique. Cette méthode était en soi une hérésie philologique puisque la règle en matière d'édition de la textes anciens est le respect du document, des traditions propres à chaque traduction, en évitant les contaminations entre les versions, et plus encore les corrections d'éditeurs . Le souci de privilégier la version hébraïque par rapport au grec, défendu par l'Institut pontifical, a toutefois prévalu sur le respect de la tradition des Pères et sur la méthode historico-critique mise en oeuvre par les Bénédictins. On faisait ainsi l'impasse sur 16 siècles de tradition latine et sur le constat fait par Jérôme selon lequel le psautier grec et le psautier hébreux appelaient deux traductions latines distinctes, propre chacune au génie de la langue ancienne traduite. La restauration du texte du Psautier gallican post-hiéronymien reste donc à entreprendre. Elle consiste 1° à privilégier dans le texte édité les leçons communes du texte reçu majoritaire ; 2° à déplacer dans les notes les leçons hieronymiennes non reçues par l'usage ecclésiastique ; 3° à regrouper et identifier par tradition linguistique originale (grec, hébreux, vieux latin), par familles sociologiques (ordres religieux) et régions ecclésiastiques les leçons pour lesquelles la tradition textuelle n'est pas homogène ; 4° à structurer le texte selon la division et la numérotation hébraïque ancienne et hexaplaire des Psaumes ; 5° à respecter la stichométrie ou division des versets, commune à la quasi totalité des psautiers latins du Moyen Âge tardif.

  • Edition du texte : Martin Morard, ed., Biblia Communis (Psalterium), in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. ([lire en ligne]).
  • Pour en savoir plus Martin Morard, Le Psautier de la Bible latine du Moyen Âge tardif. Notes au sujet d'une édition en cours in : Sacra Pagina, IRHT-CNRS, 2024. [lire en ligne])

Références

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  1. Aline Canellis (dir.) et al., Jérôme : Préfaces aux livres de la Bible, Abbevile, Éditions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » (no 592), , 530 p. (ISBN 978-2-204-12618-2), « Introduction : Révisions et retour à l'Hebraica veritas », p. 90-93
  2. a b et c Aline Canellis (dir.) et al., Jérôme : Préfaces aux livres de la Bible, Abbeville, Éditions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » (no 592), , 530 p. (ISBN 978-2-204-12618-2), « Introduction : Du travail de Jérôme à la Vulgate », p. 213, 217
  3. a et b Jacques Fontaine et Charles Pietri, Le Monde latin antique et la Bible, Beauchesne, (ISBN 978-2-7010-1089-2, lire en ligne), p. 78-79
  4. Aline Canellis (dir.) et al., Jérôme : Préfaces aux livres de la Bible, Abbevile, Éditions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » (no 592), , 530 p. (ISBN 978-2-204-12618-2), « Introduction : Du travail de Jérôme à la Vulgate », p. 215, 217
  5. Aline Canellis (dir.) et al., Jérôme : Préfaces aux livres de la Bible, Abbeville, Éditions du Cerf, coll. « Sources chrétiennes » (no 592), , 530 p. (ISBN 978-2-204-12618-2), « Introduction : Du travail de Jérôme à la Vulgate », p. 212-214. Voir aussi Martin Morard, « Note d’orientation sur les principales versions du Psautier latin ». Sacra Pagina, 9 juin 2018 à l’adresse [lire en ligne]
  6. Stanisław Wójcik: Księga Psalmów. Wrocław: O O. Redemptoryści, 1947, p. 14.
  7. Eugeniusz Dąbrowski: Studia Biblijne. Varsovie, PAX, 1951, p. 148.

Liens externes

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