Raid de Zouerate (mai 1977)

bataille de la guerre du Sahara occidental
Raid de Zouerate (mai 1977)

Informations générales
Date
Lieu Zouerate, Mauritanie
Issue Succès du Polisario
Belligérants
Drapeau du Sahara occidental RASD Drapeau de la Mauritanie Mauritanie
Commandants
Drapeau du Sahara occidental Lahbib Ayoub Drapeau de la Mauritanie Mohamed Khouna Ould Haidalla[N 1]
Forces en présence
300 à 900 hommes
60 à 150 véhicules
1 000 à 1 500 hommes
Pertes
Inconnues Plusieurs tués et prisonniers
Lourdes pertes économiques
2 avions

Drapeau de la France 2 civils français tués et 6 autres enlevés

Guerre du Sahara occidental

Batailles

Coordonnées 22° 41′ 00″ nord, 12° 28′ 00″ ouest
Géolocalisation sur la carte : Mauritanie
(Voir situation sur carte : Mauritanie)
Raid de Zouerate (mai 1977)

L'attaque de Zouérate a lieu le . Les forces du Front Polisario attaquent les civils français travaillant dans la cité minière de Zouerate en Mauritanie. L'enlèvement de six otages français et leur détention sur le sol algérien dégrade les relations entre Paris et Alger jusqu'en décembre 1977.

Contexte modifier

Des soldats mauritaniens à l'entraînement en 1972. Avant 1975, l'armée mauritanienne est de taille très limitée[L 1].
Une locomotive du chemin de fer minier à Zouérate en 1994.

À l'époque, l'activité minière à Zouérate représente 80 % du produit intérieur brut mauritanien[L 2].

Dans une interview parue en 2002, après sa rupture avec le Polisario, Lahbib Ayoub, qui a dirigé l'opération, mentionne la responsabilité directe d'officiers supérieurs algériens, dont Liamine Zéroual, dans la décision de prendre des Français en otage[1].

La ville est protégée par une garnison de 1 000[2] à 1 500 soldats de l'armée mauritanienne. Le commandant de la garnison, le commandant Mohamed Khouna Ould Haidalla, est absent lors de l'attaque, en visite à Nouakchott[L 3]. Zouerate est alors protégée par une tranchée de 3,50 m de profondeur et de 60 km de long construite à l'aide de bulldozers et de pelleteuses, avec la participation des ingénieurs et techniciens français[2].

Déroulement modifier

L'attaque vise spécifiquement la cité européenne et dure deux heures, avec des armes automatiques, des canons et des mortiers. Parties depuis trois points, dont Tindouf ou ses environs et la frontière du Mali, trois colonnes du Polisario d'environ 300[L 4], 500[3] ou 900 combattants sahraouis avec 60 à 150 véhicules[4], convergent vers la ville[5]. Après avoir pris position la nuit autour de la ville[L 5], les polisariens ouvrent une brèche en quatre endroits dans l'obstacle qui protège la ville. 90 combattants réussissent à franchir la tranchée et attaquent à l'aube[5], guidés par d'anciens résidents de la ville[L 5]. Des tirs d'artillerie, notamment d'une batterie de quatre canons de 75 mm dirigée par Abderrahman Ould Souidi Ould Lhoucine[5], couvrent les assaillants[N 2],[6].

L'armée mauritanienne regroupée derrière la tranchée qui entoure la localité[L 3], est surprise et ne réagit pas[7],[8]. Une partie importante des forces sahraouies quadrille la ville européenne et bloque les voies depuis la garnison. Un autre groupe vise les ateliers généraux et les services centraux : ils tirent à bord de Land Rover sur les bâtiments administratifs et la centrale électrique[L 3], tandis que les barils d'huile des ateliers explosent sous les tirs, notamment de bazooka[6]. La centrale électrique et le dépôt de fuel sont endommagés ou détruits[3].

Un troisième groupe vise l'aéroport de Zouerate et le club Ranch à proximité. Six civils français y sont enlevés par les Sahraouis[6],[9]. D'autres Mauritaniens sont capturés de l'autre côté de la ville, dont Mohamed Baba Fall, le préfet de la ville[N 3] et Ely Ould Sid'Ahmed M'khailigue, le secrétaire général de la section syndicale des Mines[6]. Plusieurs civils français et mauritaniens sont blessés[10]. Un médecin français et sa femme sont tués en rentrant du Ranch[L 6]. Le couple français aurait été assassiné de sang-froid selon un témoignage recueilli après la bataille par la femme d'un des otages[8]. L'attaché de direction de la SNIM, Mohamed Ould Khaled, est tué devant sa voiture[6]. Mohamed Baba Fall est également témoin de la mort d'un soldat mauritanien[11]. À midi, les Sahraouis ont quitté la ville[L 5].

La colonne sahraouie se regroupe en une seule colonne et fuit vers le nord, poursuivie par l'armée mauritanienne. Le colonel mauritanien Bouceif annonce que 50 polisariens ont été tués. La France ayant demandé que la poursuite soit abandonnée pour ne pas mettre en danger la vie des otages, cette annonce pourrait être uniquement destinée à relever le moral des troupes mauritaniennes[12]. Les services secrets français suivent le cheminement des otages, sans avoir les moyens d'intervenir[4]. Un avion Breguet Atlantic aurait ainsi suivi la trace des sahraouis jusqu'à la frontière algérienne[12].

Bilan et conséquences modifier

L'attaque est non seulement un succès militaire du Front Polisario[13] mais le fait également connaître dans l'opinion occidentale[L 3]. Du point de vue économique, l'attaque provoque l'évacuation de la ville par 238 cadres et techniciens français sur les 273 présents sur place[14]. Les destructions provoquées par le Polisario affaiblissent durablement la SNIM et l'économie mauritanienne[L 7]. Un avion militaire et un monomoteur civil ont été détruits sur l'aéroport lors de l'attaque[6]. Outre les prisonniers, neuf Land Rover, deux camions et une automobile conduite intérieure ont été pris[5].

Le , Moktar Ould Daddah se résigne à faire appel à l'armée marocaine devant les harcèlements incessants du Polisario. Une convention d'assistance mutuelle est signée. Fin juillet, 600 soldats des forces armées royales s'installent à Zouerate[15]. Ils seront plus de 9 000 soldats à la fin de l'année dans toute la Mauritanie[L 3]. Les deux armées sont mises sous commandement marocain, ce qui provoque des tensions parmi les Mauritaniens, qui craignent des visées expansionnistes marocaines[L 1].

Le gouvernement français met directement en cause l'Algérie[16] et lui demande d'« user de son influence » pour obtenir la libération des otages[17].

Le , Mohamed Lamine, premier ministre de la RASD, accuse dans une interview une partie des Français présents à Zouérate, y compris les femmes, d'être des agents des services secrets français ou des mercenaires, ce que le quai d'Orsay qualifie de « grotesque »[18]. En France, l'enlèvement est rapproché de l'affaire Claustre : dans les deux cas, le soutien français à un régime allié a mené à une prise en otage de civils français[4].

Après l'enlèvement de deux autres civils français le [L 8], le président français Valéry Giscard d'Estaing prépare une opération militaire contre le Polisario, l'opération Lamantin[L 9]. Elle est déclenchée en après que Georges Marchais et François Mitterrand annoncent leur intention de négocier avec Alger à l'approche des élections législatives de mars 1978 : l'aviation française bombarde des unités du front Polisario qui ont pénétré en Mauritanie le et le [L 10]. Détenus sur le sol algérien, les otages français sont finalement libérés le , ce qui améliore les relations franco-algériennes[L 11]. Un des Français libérés refuse de retourner à Zouerate à la suite des menaces de mort reçues du Polisario et déclare notamment considérer que la moitié des habitants de la ville est acquise au Front[L 12].

Annexes modifier

Notes modifier

  1. Absent lors de l'attaque
  2. L'artillerie sera abandonnée sur place
  3. Il sera libéré 39 mois plus tard

Sources bibliographiques modifier

  1. a et b Howe, p. 87.
  2. Abdalahe, p. 304.
  3. a b c d et e Soudan, p. Chapitre 6.
  4. Fuente & Mariño, p. 79.
  5. a b et c Abdalahe, p. 303.
  6. Dean, p. 42.
  7. Bonte, p. 208.
  8. Nouzille, p. 96.
  9. Nouzille, p. 97.
  10. Nouzille, p. 98.
  11. Grimaud, p. 102.
  12. Howe, p. 89.

Références modifier

  1. François Soudan, « Sahara Le Retour du guerrier : Pour la première fois depuis son ralliement au Maroc, Lahbib Ayoub, l'ancien chef militaire du Polisario, parle », L'intelligent (Jeune Afrique), no 2180,‎ , p. 34 (lire en ligne)
  2. a et b Daniel Junqa, « Un objectif bien protégé », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  3. a et b (en) « The conflict in Western Sahara », Interagency Intelligence Memorandum, no NI IIM 77-008J,‎ (lire en ligne)
  4. a b et c Guy Sitbon et Patrice Lestrohan, « Les otages du Polisario », Le Nouvel Observateur, no 652,‎ , p. 50 (lire en ligne)
  5. a b c et d « Il fallait prendre des Français à Zouérate affirme un maquisard sahraoui rallié à Rabat », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  6. a b c d e et f Ely Salem Khayar, « 1er Mai 1977 , l’attaque de Zouérate : Mon témoignage ! », sur adrar-info.net,
  7. « Moktar Ould Daddah : Le cas échéant, nous ferons appel à une aide extérieure », Le Nouvel Observateur, no 652,‎ , p. 51 (lire en ligne)
  8. a et b « Selon certains Français rapatriés plusieurs indices permettaient de prévoir l'attaque », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  9. « Trois morts et dix disparus », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  10. P.B., « Les familles des techniciens français évacuent la ville de Zouérate », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  11. Baba Fall (ancien préfet, otage du Polisario), « 1er Mai 77, attaque Zouerate : Témoignage », sur adrar-info.net
  12. a et b R.P.P., « Le sort des six otages », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  13. « La Mauritanie en danger », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  14. Roland-Pierre Paringaux, « Dans la cité minière apeurée et meurtrie », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  15. « Des troupes marocaines sont acheminées sur Zouerate », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  16. Paul Balta, « Mauritanie : le raid du Polisario suscite une tension entre Alger et Paris », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  17. Paul Balta, « Paris demande à Alger " d'user de son influence auprès du Polisario " pour que soient libérés les six Français enlevés en Mauritanie », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  18. « Le Quai d'Orsay qualifie d'" absurdes " les accusations du Polisario à l'encontre des techniciens français », Le Monde,‎ (lire en ligne)

Bibliographie modifier

Liens externes modifier

Voir aussi modifier