« Art pendant la Réforme protestante et la Contre-Réforme » : différence entre les versions

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La [[Réforme protestante]] du {{s|XVI}} en Europe a presque entièrement rejeté la tradition existante de l'{{Lien|langue=en|trad=Catholic art|fr=[[art catholique}}]], et en a [[Iconoclasme|détruit]] un grand nombre d'œuvres. Une nouvelle tradition artistique s'est développée, produisant des quantités d'art beaucoup plus réduites qui suivaient les programmes [[Protestantisme|protestants]] et divergeaient radicalement de la tradition de l'Europe du Sud et de l'[[Humanisme de la Renaissance|art humaniste]] produit pendant la [[Haute Renaissance]]. Les [[Luthéranisme|Églises luthériennes]], au fur et à mesure de leur développement, acceptent un rôle limité pour les grandes œuvres d'art dans les églises, et encouragent également les [[gravure]]s et les [[illustration]]s de livres. Les [[Calvinisme|calvinistes]] restent fermement opposés à l'art dans les églises et se méfient des petites images imprimées de sujets religieux, bien qu'ils acceptent généralement sans réserve les images profanes dans leurs foyers.
 
À son tour, la [[Contre-Réforme]] catholique a à la fois réagi aux critiques protestantes de l'art du [[Catholicisme|catholicisme romain]] et y a répondu pour produire un style d'art catholique plus strict. L'art religieux protestant a épousé les valeurs protestantes et a contribué à la prolifération du protestantisme, mais la quantité d'art religieux produite dans les pays protestants a considérablement diminué. Les artistes des pays protestants se sont diversifiés dans des formes d'art profanes comme la [[peinture d'histoire]], la [[peinture de paysage]], la peinture de [[portrait]] et la [[nature morte]].
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La Réforme a donné naissance à deux branches principales du protestantisme : l'une était les églises évangéliques [[Luthéranisme|luthériennes]], qui suivaient les enseignements de [[Martin Luther]], et l'autre les églises réformées (ou [[calvinisme]]), qui suivaient les idées de [[Jean Calvin]] et [[Ulrich Zwingli]]. De ces branches sont nées trois grandes sectes : la tradition luthérienne, ainsi que les traditions [[Églises réformées|réformée continentale]] et [[Anglicanisme|anglicane]], ces deux dernières suivant la foi réformée (calviniste)<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Picken|prénom1=Stuart D. B.|titre=Historical Dictionary of Calvinism|éditeur=Scarecrow Press|année=2011|passage=1|isbn=9780810872240}} : {{citation|Tandis que l'Allemagne et les pays scandinaves adoptaient le modèle luthérien de l'Église et de l'État, la France, la Suisse, les Pays-Bas, la Hongrie, l'actuelle République tchèque et l'Écosse créaient des Églises réformées basées, à des degrés divers, sur le modèle établi par Calvin à Genève. Bien que l'Angleterre ait poursuivi l'idéal de la Réforme à sa propre manière, ce qui a conduit à la formation de la Communion anglicane, la théologie des Trente-neuf Articles de l'Église d'Angleterre était fortement influencée par le calvinisme.}}</ref>. Les luthériens et les réformés avaient des points de vue différents concernant l'imagerie religieuse<ref name="lamport">{{ouvrage|langue=en|nom1=Lamport|prénom1=Mark A.|lien auteur1=Mark A. Lamport|titre=Encyclopedia of Martin Luther and the Reformation|éditeur=Rowman & Littlefield Publishers|année=2017|passage=138|isbn=9781442271593}} : {{citation|Les luthériens ont continué à pratiquer leur culte dans les églises d'avant la Réforme, généralement en apportant peu de modifications à l'intérieur. Il a même été suggéré qu'en Allemagne, on trouve encore aujourd'hui plus de retables marials anciens dans les églises luthériennes que dans les églises catholiques. Ainsi, en Allemagne et en Scandinavie, de nombreuses pièces d'art et d'architecture médiévales ont survécu. Joseph Leo Koerner a noté que les luthériens, se reconnaissant dans la tradition de l'ancienne Église apostolique, ont cherché à défendre et à réformer l'utilisation des images. "Une église vide, blanchie à la chaux, proclamait un culte entièrement spiritualisé, en contradiction avec la doctrine de Luther sur la présence réelle du Christ dans les sacrements" (Koerner 2004, 58). En fait, au 16ème siècle, certaines des plus fortes oppositions à la destruction des images ne venaient pas des catholiques mais des luthériens contre les calvinistes : "Noirs calvinistes, vous donnez la permission de briser nos images et de couper nos croix ; nous allons vous briser, vous et vos prêtres calvinistes, en retour" (Koerner 2004, 58). Des œuvres d'art continuent d'être exposées dans les églises luthériennes, comprenant souvent un grand crucifix imposant dans le sanctuaire, une référence claire à la theologia crucis de Luther. ... En revanche, les églises réformées (calvinistes) sont étonnamment différentes. Généralement sans ornement et manquant quelque peu d'attrait esthétique, les images, les sculptures et les retables ornés sont largement absents ; il y a peu ou pas de bougies ; et les crucifix ou les croix sont également largement absents.}}</ref>{{,}}<ref name="nuechterlein">{{ouvrage|langue=en|nom1=Nuechterlein|prénom1=Jeanne Elizabeth|titre=Holbein and the Reformation of Art|éditeur=University of California|lieu=Berkeley|année=2000}}.</ref>.
 
[[Fichier:Das-Abendmahl-1565.jpg|vignette|gauche|''[[La Cène (Cranach le Jeune)|La Cène]]'', de [[Lucas Cranach le Jeune]] (1565, {{lienLien|langlangue=de|trad=Johanniskirche (Dessau)|fr=église de Saint-Jean (Dessau)|texte=église de Saint-Jean}}, à [[Dessau-Roßlau]].]]
En Allemagne, Martin Luther a autorisé et encouragé l'affichage d'une gamme restreinte d'images religieuses dans les églises, considérant l'Église évangélique luthérienne comme la continuation de « l'ancienne Église apostolique »<ref name="lamport"/>. L'utilisation d'images est l'une des questions sur lesquelles Luther s'est fortement opposé au plus radical [[Andreas Bodenstein]]. Pendant quelques années, des [[retable]]s luthériens, comme la ''[[La Cène (Cranach le Jeune)|La Cène]]'' de [[Lucas Cranach le Jeune]], ont été produits en Allemagne, notamment par l'ami de Luther, [[Lucas Cranach l'Ancien]], pour remplacer les retables catholiques. Ils contenaient souvent des portraits des principaux réformateurs en tant qu'apôtres ou autres protagonistes, mais conservaient la [[Jésus-Christ dans l'art|représentation traditionnelle de Jésus]]. Ainsi, {{citation|le culte luthérien est devenu une chorégraphie rituelle complexe se déroulant dans un intérieur d'église richement meublé}}<ref name="spicer">{{ouvrage|langue=en|nom1=Spicer|prénom1=Andrew|titre=Lutheran Churches in Early Modern Europe|éditeur= Taylor & Francis|année=2016|passage=237|isbn= 9781351921169}} : {{citation|Au fur et à mesure de son développement dans le nord-est de l'Allemagne, le culte luthérien devient une chorégraphie rituelle complexe se déroulant dans un intérieur d'église richement meublé. C'est ce qui ressort de l'arrière-plan d'une épitaphe peinte en 1615 par Martin Schulz, destinée à la Nikolaikirche de Berlin (voir figure 5.5.).}}</ref>. Les luthériens ont continué à utiliser le [[crucifix]], car il mettait en évidence leur vision élevée de la [[Théologie de la Croix|théologie de la croix]]<ref name="lamport"/>{{,}}<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Marquardt|prénom1=Janet T.|nom2=Jordan|prénom2=Alyce A.|titre= Medieval Art and Architecture after the Middle Ages|éditeur=Cambridge Scholars Publishing|année=2009|passage=71|isbn=9781443803984}} : {{citation|En fait, les luthériens ont souvent justifié leur utilisation continue des crucifix médiévaux avec les mêmes arguments que ceux employés depuis le Moyen Âge, comme le montre l'exemple de l'autel de la Sainte-Croix dans l'église cistercienne de Doberan.}}</Ref>. Des histoires se sont développées sur des images « indestructibles » de Luther, qui avaient survécu à des incendies grâce à une intervention divine{{sfn|Michalski|1993|p=89}}. Ainsi, pour les luthériens, {{citation|la Réforme a renouvelé plutôt que supprimé l'image religieuse}}<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Dixon|prénom1=C. Scott|titre=Contesting the Reformation|éditeur=John Wiley & Sons|année=2012|passage=146|isbn= 9781118272305}} : {{citation|Selon Koerner, qui s'attarde sur l'[[art luthérien]], la Réforme a renouvelé l'image religieuse plutôt que de la supprimer.}}</Ref>.
 
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Les luthériens ont fortement défendu leur [[art sacré]] existant contre une nouvelle vague d'iconoclasme calviniste anti-luthérien dans la seconde moitié du siècle, alors que les souverains ou les autorités municipales calvinistes tentaient d'imposer leur volonté aux populations luthériennes dans la « [[Seconde Réforme]] » d'environ 1560-1619<ref name="lamport"/>{{,}}{{sfn|Michalski|1993|p=84}}. Contre les réformés, les luthériens s'exclament : {{citation|Noirs calvinistes, vous donnez la permission de briser nos images et de couper nos croix ; nous allons vous briser vous et vos prêtres calvinistes en retour<ref name="lamport"/>.}} La [[Furie iconoclaste]], une vague importante et très désordonnée de destruction par la foule calviniste d'images et d'équipements d'église catholiques qui s'est répandue dans les Pays-Bas au cours de l'été 1566, a été la plus grande manifestation de ce type, avec des répercussions politiques drastiques<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Kleiner|prénom1=Fred S.|titre=Gardner's Art through the Ages: A Concise History of Western Art|éditeur=Cengage Learning|année=2010|passage=254|isbn= 9781424069224}} : {{citation|Dans un épisode connu sous le nom de « Grand Iconoclasme », des bandes de calvinistes ont visité des églises catholiques aux Pays-Bas en 1566, brisant des vitraux, fracassant des statues et détruisant des peintures et autres œuvres d'art qu'ils percevaient comme idolâtres.}}</ref>. Cette campagne d'iconoclasme calviniste {{citation|a provoqué des émeutes réactives de la part des foules luthériennes}} en Allemagne et {{citation|a suscité l'hostilité des orthodoxes orientaux voisins}} dans la région de la Baltique<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Marshall|prénom1=Peter|titre= The Reformation|éditeur= Oxford University Press|année=2009|passage=114|isbn= 9780191578885}} : {{citation|Les incidents iconoclastes survenus au cours de la « seconde Réforme » calviniste en Allemagne ont provoqué des émeutes réactives de la part des foules luthériennes, tandis que les atteintes à l'image des protestants dans la région balte ont profondément contrarié les orthodoxes orientaux voisins, un groupe avec lequel les réformateurs auraient pu espérer faire cause commune.}}</ref>. Des schémas similaires aux actions allemandes, mais avec en plus l'encouragement et parfois le financement du gouvernement national, ont été observés dans l'Angleterre anglicane pendant la [[Première révolution anglaise]] et le [[Commonwealth d'Angleterre]] au siècle suivant, où l'art des églises paroissiales médiévales a subi plus de dommages que pendant la [[Réforme anglaise]].
 
Une différence théologique majeure entre le protestantisme et le catholicisme est la question de la [[transsubstantiation]], ou la transformation littérale de l'hostie et du vin en corps et sang du Christ, bien que les luthériens et les réformés affirment la [[présence réelle]] du Christ dans l'Eucharistie, les premiers en tant qu'{{Lien|langue=en|trad=Sacramental union|fr=[[union sacramentelle}}]] et les seconds en tant que [[présence pneumatique]]<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Mattox|prénom1=Mickey L.|nom2= Roeber|prénom2= A. G.|titre= Changing Churches: An Orthodox, Catholic, and Lutheran Theological Conversation|éditeur= Wm. B. Eerdmans Publishing|année=2012|passage= 54|isbn= 9780802866943}} : {{citation|Dans cette « union sacramentelle », enseignaient les luthériens, le corps et le sang du Christ sont si véritablement unis au pain et au vin de la Sainte Communion que les deux peuvent être identifiés. Ils sont à la fois corps et sang, pain et vin. Cette nourriture divine est donnée, en outre, non seulement pour fortifier la foi, ni seulement comme un signe de notre unité dans la foi, ni seulement comme une assurance du pardon des péchés. Plus encore, dans ce sacrement, le chrétien luthérien reçoit le corps et le sang même du Christ précisément pour renforcer l'union de la foi. La « présence réelle » du Christ dans le saint sacrement est le moyen par lequel l'union de la foi, réalisée par la Parole de Dieu et le sacrement du baptême, est renforcée et maintenue. L'union intime avec le Christ, en d'autres termes, conduit directement à la communion la plus intime dans son corps et son sang saints.}}</ref>. Les églises protestantes qui ne participaient pas à l'iconoclasme choisissaient souvent comme retables des scènes représentant la [[Cène]]. Cela permettait aux fidèles de se rappeler la théologie de l'[[eucharistie]], contrairement aux églises catholiques, qui choisissaient souvent des scènes de [[crucifixion]] pour leurs retables afin de rappeler aux fidèles que le sacrifice du Christ et le sacrifice de la messe étaient une seule et même chose, via la transformation littérale de l'eucharistie.
 
[[Fichier:A Catalogue of the several Sects and Opinions in England and other Nations.png|vignette|''{{Lang|en|A Catalogue of the several Sects and Opinions in England and other Nations}}'' (anonyme, 1647).]]
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Alors que les calvinistes ont largement dissocié l'art public de la religion et que les sociétés réformées se sont orientées vers des formes d'art plus « séculières » dont on pourrait dire qu'elles glorifient Dieu par la représentation de la « beauté naturelle de sa création et par la représentation de personnes créées à son image »<ref>{{refinc|{{en}} Rit. Nosotro, ''Art of the Reformation and Counter-Reformation''.}}</ref>, l'église catholique de la [[Contre-Réforme]] a continué à encourager l'art religieux, mais a insisté pour que son contenu soit strictement religieux, glorifiant Dieu et les traditions catholiques, notamment les [[Sacrement (Église catholique)|sacrements]] et les [[Saint catholique|saints]]<ref>{{refinc|{{en}} ''The Art of the Counter Reformation'', [[Metropolitan Museum of Art]].}}</ref>. De même, {{citation|les lieux de culte luthériens contiennent des images et des sculptures non seulement du Christ, mais aussi de saints bibliques et parfois d'autres saints, ainsi que des chaires bien décorées en raison de l'importance de la prédication, des vitraux, des meubles ornés, de magnifiques exemples d'architecture traditionnelle et moderne, des retables sculptés ou autrement embellis, et une utilisation libérale de bougies sur l'autel et ailleurs}}<ref name="lamport2017">{{ouvrage|langue=en|nom1=Lamport|prénom1=Mark A.|lien auteur1=Mark A. Lamport|titre=Encyclopedia of Martin Luther and the Reformation|éditeur=Rowman & Littlefield Publishers|année=2017|passage=138|isbn=9781442271593}}.</ref>. La principale différence entre les lieux de culte luthériens et catholiques romains était la présence du [[Tabernacle (meuble)|tabernacle]] dans ces derniers<ref name="lamport2017"/>.
 
{{Lien|[[Sydney Joseph Freedberg}}]], qui a inventé le terme de [[Contre-maniera|contre-''maniera'']], met en garde contre l'établissement d'un lien trop direct entre ce style plus austère de peinture religieuse, qui s'est répandu à partir de Rome vers 1550, et les décrets de Trente, car il les précède de plusieurs années. Il décrit les décrets comme {{citation|une codification et une sanction officielle d'un tempérament qui était devenu ostensible dans la culture romaine}}<ref>{{ouvrage|langue=en|nom1=Freedburg|prénom1= Sidney Joseph|titre= Painting in Italy, 1500–1600|année= 1993|éditeur=Yale|passage=427-428|isbn= 0300055870}}.</ref>.
 
Le tableau de la ''Lamentation du Christ'' (1593) de [[Scipione Pulzone]] (1550-1598), commandé pour l'[[Église du Gesù de Rome|église du Gesù]] en 1593, est une œuvre de contre-''maniera'' qui démontre clairement ce que le saint concile recherchait dans le nouveau style d'art religieux. Le tableau, dont le centre d'intérêt est la crucifixion du Christ, est conforme au contenu religieux du concile et montre l'[[Passion du Christ|histoire de la passion]] tout en maintenant le Christ dans l'image de l'homme idéal.