« École pythagoricienne » : différence entre les versions

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L’'''école pythagoricienne''' fondée par [[Pythagore]] (580-495 av. J.-C.) en [[Grande-Grèce]] constitue une [[confrérie]] à la fois [[scientifique]] et [[Religion|religieuse]] : le pythagorisme repose en effet sur une initiation et propose à ses adeptes un [[mode de vie]] [[éthique]] et [[Alimentation|alimentaire]], ainsi que des [[Recherche scientifique|recherches scientifiques]] sur le [[cosmos]]. Bien que le terme d'[[Philosophie|école philosophique]] soit contesté et qu'on préfère généralement parler de secte pour le pythagorisme<ref group="Note">C'est le cas, entre autres, pour Louis Gernet, André Boulanger, Carlo Natali et Carl Huffman, cités en références.</ref>, cette association religieuse, politique et philosophique dura neuf ou dix générations, et a joui d'une très grande notoriété aussi bien dans [[Grèce antique|l'antiquité grecque]] que [[Rome antique|romaine]]<ref group=Note>Les plus célèbres des pythagoriciens romains sont le [[Sénat romain|sénateur]] P. Nigidius Figulus et le poète [[Ovide]].</ref>. Ses membres adoptèrent le vocable d’''études'', en grec {{grec ancien|μαθήματα|mathếmata}} / ''mathemata'', pour désigner les multiples branches du savoir qui constituaient leur science particulière : ils explorèrent la science des nombres, les bases de l'[[acoustique]] et la [[théorie musicale]], les éléments de la [[géométrie]], le mouvement des étoiles et la [[cosmologie]], tout en adhérant à la doctrine de la religion [[orphique]] sur la [[transmigration des âmes]]<ref>[[Werner Jaeger]], ''Paideia, La formation de l'homme grec'', Gallimard, 1988, {{p.}}201.</ref>.
 
Le pythagorisme et la légende qui s'est formée autour de lui ne sont pas dénués d'obscurités et de sujets à controverse. En distinguant entre {{citation|ceux qu'on appelle les Pythagoriciens}} et Pythagore lui-même<ref>[[Aristote]], ''[[Métaphysique (Aristote)|Métaphysique]]'', 1083 b.</ref>, [[Aristote]] évite de se prononcer sur les liens exacts entre leur pensée et celle du philosophe ; la tradition postérieure, ignorant cette distinction, a sans doute favorisé la fabrication d'un grand nombre de textes [[pseudépigraphe]]s attribués à Pythagore ou aux Pythagoriciens anciens{{sfn|Carl Huffman 1996|p=983|id=ch}}. Ce n'est qu'à partir du {{s|III|e}} après J.-C. qu'apparaissent les premiers exposés relatifs au mode de vie pythagoricien. Après la mort de Pythagore, l'école a été dirigée par son épouse, la mathématicienne [[Théano (mathématicienne)|Théano]].
 
== Règles de l’enseignement ==
Au témoignage de [[Platon]] dans [[La République de Platon|''la République'']]<ref>[[La République de Platon]], 600 a-b.</ref>, Pythagore aurait été un maître influent et bien-aimé, fondateur d'un [[Mode de vie|style de vie]] apte à garantir une heureuse destinée de l'[[âme]] dans l'[[Séjour des morts|au-delà]]. On entrevoit son enseignement à travers les maximes pythagoriciennes citées par [[Aristote]] et transmises en grande partie par [[Jamblique]]<ref>Jamblique, ''Vie de Pythagore'', 82 à 86.</ref>; elles ont été désignées par les termes d’''akousmata'' ({{grec ancien|άκούσματα|akoúsmata}}), ''« choses entendues'' », et de ''symbola'' ({{grec ancien|σύμβολα|súmbola}}), ''« mots de passe ou choses à interpréter'' »{{sfn|Carl Huffman 1996|p=987|id=ch}}. D'après une indication de [[Jamblique]] qui remonterait à [[Aristote]], l’enseignement pythagoricien a pu ainsi être divisé en deux parties : une partie pour les « acousmaticiens », ({{grec ancien|άκουσματικοίἀκουσματικοί|akousmatikoí}}<ref>[[Clément d'Alexandrie]], 246.</ref>), les non encore initiés, et une pour les initiés, les « mathématiciens »{{sfn|Carl Huffman 1996|p=990|id=ch}}. Mais cette distinction pourrait aussi être le signe du schisme que connurent les communautés pythagoriciennes en crise, les « acousmaticiens » restant attachés aux enseignements [[Orphisme|orphiques]], et tenant pour fondamentales les prescriptions et les interdictions de la confrérie, tandis que les « mathématiciens », plaçant la doctrine du nombre au centre du pythagorisme<ref>Carlo Natali, « Lieux et écoles du savoir », dans [[Jacques Brunschwig]] et {{Lien|trad= G. E. R. Lloyd|fr= G. E. R. Lloyd|texte= Geoffrey Lloyd}}, ''Le Savoir grec, Dictionnaire critique'', Flammarion, 1996, {{p.}}231-232.</ref>, s'orientaient vers la [[science]], comme on le voit pour le pythagorisme très vivant de [[Tarente]] et des colonies de [[Thèbes (Grèce)|Thèbes]] et de [[Phlionte]]<ref>[[Louis Gernet]] et [[André Boulanger]], ''Le Génie grec dans la religion'', Albin Michel, 1969, {{p.}}284-285.</ref>. L'enseignement est oral ; était-il secret ? [[Isocrate]] dans son ''Éloge de Busiris''<ref>{{Lien web |titre=Isocrate  : Eloge de Busiris (bilingue) |url=http://remacle.org/bloodwolf/orateurs/isocrate/busiris.htm |site=remacle.org |consulté le=2020-06-04}}</ref> rapporte que les pythagoriciens étaient réputés pour leur silence, sans qu'on sache s'il fait allusion à leur [[maîtrise de soi]] ou bien à une interdiction de parler faite aux néophytes. Ce qui est sûr, c'est qu'à toutes les questions qu'on leur posait, les initiés répondaient, en se référant à leur Maître : {{Citation|C'est ainsi parce qu'il l'a dit (en grec {{grec ancien|αὺτὸςαὐτός ἔφα|autós ἒφαépha}})<ref>[[Cicéron]], ''De Natura deorum'', I, 5, 10.</ref>}}. Une partie au moins de la doctrine devait rester secrète, par exemple la division des animaux rationnels en trois groupes, tandis que pouvaient être divulguées les idées philosophiques et les démonstrations mathématiques qui furent en effet publiées par [[Philolaos de Crotone|Philolaos]] ou [[Archytas de Tarente|Archytas]]{{sfn|Carl Huffman 1996|p=989|id=ch}}. Quant à la transmission du savoir entre disciples, elle est indissociable du respect des règles morales de l'amitié fraternelle dans son ensemble : règle du silence{{sfn|Carl Huffman 1996|p=985-986|id=ch}}, respect du grade d’initiation des disciples. L’école pythagoricienne est ainsi une confrérie tant religieuse que scientifique.
 
== Doctrine ==
[[Aristote]] dans le ''[[Protreptique (Aristote)|Protreptique]]'' cite Pythagore comme un fondateur, modèle de l'idéal de vie contemplative, {{grec ancien|βίος θεωρητικός|bíos theôrêtikós}}, et ancêtre de la philosophie de [[Platon]]<ref>[[Werner Jaeger]], ''Aristote, Fondements pour une histoire de son évolution'', éditions de l'Éclat, 1997, {{p.}}97. [[Jamblique]], ''Protreptique'', {{p.}}51, lignes 8 et 11.</ref>. Mieux encore, comme l'a reconnu [[Simone Weil]], la doctrine pythagoricienne imprègne tous les aspects de la [[Grèce antique|civilisation grecque]], {{citation|presque toute la [[Poésie grecque antique|poésie]], presque toute la [[Philosophie en Grèce antique|philosophie]], la [[Musique grecque ancienne|musique]], l'[[Architecture de la Grèce antique|architecture]], la [[Sculpture grecque classique|sculpture]], toute la [[Sciences grecques|science]] en procède, [[arithmétique]], [[Géométrie euclidienne|géométrie]], [[Astronomie grecque|astronomie]], [[Mécanique (science)|mécanique]], [[biologie]]. La pensée politique de Platon (sous sa forme authentique, c'est-à-dire telle qu'elle est exposée dans le ''[[Politique (Platon)|Politique]]'') en découle. Elle embrassait presque toute la vie profane<ref>[[Simone Weil]], ''Intuitions pré-chrétiennes'', Fayard, 1985, {{p.}}108-109.</ref>}} : c'est dire l'importance de la pensée pythagoricienne pour comprendre [[Antiquité grecque|l'antiquité grecque]].
 
=== Principes ===
* Le limitant et l'illimité : Pour les pythagoriciens, l'univers tout entier est constitué à partir du mélange de deux principes, ce qui limite, qui détermine, qui arrête, {{grec ancien|τὸ πέρας /- τὸ περαίνον|tò péras - tò peraínon}}, et ce qui est illimité, {{grec ancien|τὸ ἂπειρονἄπειρον|tò ápeiron}}. C'est le principe qui limite qui toujours domine.
 
[[Philolaos de Crotone]], figure centrale du pythagorisme ancien, est le premier pythagoricien à avoir laissé une œuvre écrite. Dans son livre, Philolaos rend compte du cosmos en ces termes à l'aide de ces deux types d'entités fondamentales : {{citation bloc|La nature, dans le cosmos, a été mise en harmonie à partir de ce qui limite et de ce qui est illimité — le cosmos pris comme un tout ainsi que tout ce qu'il contient.|Philolaos, ([[Hermann Diels|Diels]], ''Fragments des Présocratiques'', 2 B 47.)}}
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=== Des mathématiques à l'harmonie du monde ===
La doctrine pythagoricienne du [[nombre]] est avant tout une [[symbolique]] numérique, qui a subi l'influence à la fois de la pseudo-science des [[Astronomie mésopotamienne|Chaldéens]]<ref>[[Louis Gernet]] et [[André Boulanger]], ''Le Génie grec dans la religion'', Albin Michel, 1970, {{p.}}370.</ref> et du symbolisme mathématique de la [[présocratiques|philosophie milésienne]] de la [[nature]]. Il ne s'agit pas d'une simple théorie [[arithmétique]]. Elle trouverait son origine dans la découverte par Pythagore des lois naturelles établissant un rapport entre la longueur de la corde de la [[lyre]] et la hauteur de la note émise par elle ; par extrapolation, il généralisa ces lois en déclarant que tout, dans la vie humaine comme dans le cosmos, était soumis au nombre<ref>[[Aristote]], ''[[Métaphysique (Aristote)|Métaphysique]]'', A 5, 985 b.</ref>, en tant qu'essence ''qualitative'' des choses, et non comme moyen d'exprimer des ''quantités'' mesurables<ref>[[Werner Jaeger]], ''Paideia, La formation de l'homme grec'', Gallimard, 1988, {{p.}}202.</ref>. Le nombre est le principe de toute chose, et chaque nombre est associé à une figure ; toutes les choses créées ont chacune un nombre pour symbole, ainsi Aristote cite la formule pythagoricienne suivante : {{citation|La justice est un nombre à la deuxième puissance}}, en grec : {{grec ancien| δικαιοσύνη άριθμὸςἀριθμός ίσάκιςἰσάκις ἲσοςἴσος|ê dikaiosúnê arithmós isákis ísos}}, formule ayant pour clef les notions de [[Moyenne géométrique|moyenne proportionnelle]] et de [[médiation]] au sens théologique<ref>[[Simone Weil]], ''Intuitions pré-chrétiennes'', Fayard, 1985, {{p.}}118.</ref>, d’où la restriction à l’étude des [[Entier naturel|nombres entiers positifs]] :
* 1 représentait la divinité : [[Héraclite]], très proche des Pythagoriciens, disait aussi : {{citation|Le Un, cet unique sage, veut et ne veut pas être nommé [[Zeus]]<ref>[[Hermann Diels|Diels]], ''Fragments des Présocratiques'', 36.</ref>}} ;
* 2 : la femme ;
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* 10 : la fraternité pythagoricienne.
 
Cette association nombre-figure est le support d’une [[Abstraction (philosophie)|abstraction]] mathématique, car le nombre ne découle plus de résultats d’applications mathématiques - financières, agricoles, entre autres - mais se trouve dès lors posé comme [[principe premier]] (l’''[[Arkhè]]'') de connaissance. Il s’agit pour les pythagoriciens d’aller au plus près de la mystique des nombres, par l’établissement de lois entre [[arithmétiques]]. Il est notable que les ensembles arithmétiques connus par les pythagoriciens l’aient été par constructions itératives : cela découle en fait de la [[Nombre figuré|figuration des nombres]]. En partant d’une figure simple, tel le [[triangle]] formé de trois points, on peut agrandir l’ensemble en conservant sa forme mais en augmentant ses parties, pour arriver, par exemple, à un triangle formé de six points. Cette figuration non-figée est une abstraction importante pour l’[[Antiquité]], d’autant qu’elle concernait également certains [[Volume|volumes]] ([[Pyramide|pyramides]] à bases triangulaire, [[carré]], [[cylindre]]...). La comparaison des suites ainsi construites aboutit à la découverte de relations structurelles et générales entre des ensembles particuliers de nombres. Ces lois naturelles sont le noyau dur de la conception pythagoricienne des [[mathématiques]], considérée comme ésotérique et sectaire, où les nombres entiers sont censés représenter la nature tout entière. Cette catégorie du nombre devient une fin en soi, un principe immuable qui a vocation à expliquer toutes choses, comme l'affirme [[Philolaos de Crotone]]<ref group=Note>{{citation|On voit que l'essence et la vertu du nombre ne règne pas seulement parmi les choses religieuses et divines, mais aussi dans toutes les actions et relations humaines, et dans tout ce qui a rapport avec la technique des métiers et avec la musique.}} [[Hermann Diels]], ''Fragments des Présocratiques'', I, 412, fragment 11.</ref>. Découverte capitale promise à un grand avenir ; car après les lois numériques régissant les sons, la recherche sur la structure de la musique déboucha sur la connaissance de la nature de l'[[Harmonie (musique)|harmonie]] et du [[Rythme (musique)|rythme]], harmonie définie comme le rapport qui unit les parties au tout. {{Citation bloc|L'harmonie est l'unité d'un mélange de plusieurs, et la pensée unique de pensants séparés, {{grec ancien|ἒστιἐστί άρμονίαἁρμονία πολυμιγέων ἒνωσιςἕνωσις καὶκαί δίχα φρονεόντων συμφρόνησις|estí harmonía polumigéôn énôsis kaí dícha phroneóntôn sumphrónesis}}|Philolaos de Crotone ([[Hermann Diels|Diels]], ''Fragments des Présocratiques'' I, 410, fr. 10.)}} L'idée mathématique de [[Moyenne géométrique|proportion]] fut dès lors appliquée au [[cosmos]], gouverné par des lois inflexibles : la notion d'harmonie du monde signifiait à la fois l'harmonie musicale et toute structure mathématique bien équilibrée, soumise à de strictes lois géométriques : {{citation|Dans tous les aspects de la vie grecque, l'influence ultérieure de cette conception fut incommensurable. Elle affecta non seulement la [[Sculpture grecque antique|sculpture]] et l'[[Architecture de la Grèce antique|architecture]], mais aussi la [[Poésie grecque antique|poésie]] et la [[Rhétorique grecque|rhétorique]], la [[Religion grecque antique|religion]] et la [[morale]]}}, écrit le grand helléniste [[Werner Jaeger]]<ref>[[Werner Jaeger]], ''Paideia, La formation de l'homme grec'', Gallimard, 1988, {{p.}}204-205.</ref>.
 
=== Astronomie ===