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La pédagogie de la décision est un concept qui émerge en 1995 dans le champ des colonies de vacances. Il est repris ensuite en 2010 et mis au pluriel, le domaine d'activité se trouve alors élargi à l'ensemble du travail social et de la formation mais reste plus fortement présent dans l'animation socio-culturelle (voir notamment la thèse de Jean-Marie Bataille et les travaux de Jean-Michel Bocquet sur les séjours médico-éducatifs).

Les « pédagogies de la décision » développent les conditions pour appliquer le principe suivant : permettre aux individus de décider de ce qui les concerne. De manière rapide, les pédagogies de la décision se voient nommer « pdld ».

Définition

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Les pédagogies de la décision s'appuient sur un processus d'individualisation sociale qui permet aux personnes de construire des règles communes sur les sujets qui les concernent. A partir de situations vécues, il s'agit pour les pédagogues de co-construire avec les personnes (enfants ou adolescents, famille, etc.) des décisions communes et provisoire qui ne seront remises en cause que par les personnes elle-même. Cette manière d'être en relation avec les personnes s'appuient sur le « travail avec... » définit par Catherine Sellenet[1].

Contrairement à plusieurs pédagogies qui se caractérisent par des outils (Montessori, Decroly), les pédagogies de la décision se définissent par une posture relationnelle permettant l'expression des personnes et leurs capacités à construire des solutions et des décisions avec l'accompagnant. Cette posture pédagogique se caractérise par[2] :

  • une relation pédagogique asymétrique sans domination de l'accompagnant sur l'accompagné
  • un travail avec une personne et un groupe, l'accompagnant est en position d’association dans la relation d’aide. Il ne pense pas à sa place, il agit et aide la personne dans un sens que celle-ci pense être le bon pour elle.

Les pédagogies de la décisions utilisent des outils, mais ils sont secondaires aux regards de la relation, de l'éthique de la relation et de la responsabilité autrement appelé « care ».[3]

Histoire

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Les pédagogies de la décision sont proches de la pédagogie auto-gestionnaire et de la pédagogie institutionnelle. À l'origine Jean Houssaye, son fondateur, développe des colonies de forme auto-gestionnaire[4], mais ses expériences le laissent insatisfait et Il ré-oriente sa pratique vers la pédagogie institutionnelle (PI). En premier lieu, et parce qu'il a participé à un stage BAFA à Asnelles, Jean-Marie Bataille va reprendre les travaux de J. Houssaye pour les développer[5]. D'autres praticiens des Pdld, comme, Jean-Michel Bocquet[6], Sébastien Pesce[7], Pascal Marconato (de l'association Cités d'enfants[8]), Marion Perrin[3] ou l'association Les vents qui sèment[9] développent leurs camps et colonies pour adolescents et adolescents sur un modèle propres. Les pédagogies de la décision se construisent à partir de ces expériences et dans une logique de sédimentation permettant de construire des savoirs à partir de la pratique[10][11].

Deux cheminements historiques peuvent être suivis pour saisir les éléments matriciels des pédagogies de la décision. Le premier se trouve dans les républiques de jeunes. Le deuxième prend naissance dans les centres sociaux. Dans les deux cas, les États-unis de la fin XIXe sont le creuset d'impulsion :

Les républiques d'enfants

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Les pratiques collectives de conseil, d'assemblée générale se retrouvent chez des pédagogues comme Anton_Makarenko (1888-1939) ou Janusz_Korczak (1878-1942) mais le premier à mettre en oeuvre ce type de pédagogie est William Reuben George et sa Junior Republic. Dès les années 1890, à New-York, un homme, William Reuben George (1866-1936), prend conscience du dénuement dans lequel se trouvent de nombreux jeunes vivant dans la rue[12]. Originaire de Freeville, il décide de les y emmener au cours de l'été afin de leur faire découvrir les joies simples de la vie à la campagne. Ses cousins et amis le soutiennent dans son entreprise mais préfèrent lui allouer une maison un peu à l'écart au regard de la réputation de la population qu'il souhaite faire venir. Les paysans accueillent cependant généreusement ces jeunes, garçons et filles, et leur offre des vêtements. W.R. George réalise que les jeunes s'emparent de ces dons sans scrupules et décide d'instaurer une monnaie interne basée sur le travail fourni. À ce gain, correspondent différents services plus ou moins accessibles (restaurants, types de logements). Des vols de cette monnaie apparaissent. Au lieu de résoudre ce problème personnellement, W. R. George décide de créer un tribunal qui sera géré par les jeunes. Les lois sont elle-mêmes, tout comme la police, pris en charge par les adolescentEs. Il est ainsi décidé de créer un fond pour les garçons et les filles malades qui ne pourraient pas travailler. L'ensemble du dispositif est sous leur responsabilité. Le vote des filles est effectif, bien qu'encore inconnu aux États-unis à cette époque. Le tribunal gouverné par les jeunes eux-mêmes est une institution qui se retrouvera chez Korczak (1878-1942) en Pologne, et l'esprit de prise en charge par les jeunes, dans l'expérience de Makarenko (1888-1939). The Junior Republic a nourri aussi d'autres expériences comme les Faucons Rouges, d'inspiration syndicaliste[13]. A Draveil, à partir des propositions de Kurt Löwenstein (1885-1939), des enfants et des jeunes furent réunis au cours des années 1930 dans un camp de vacances. Ils élisent leurs représentants qui, dans le conseil municipal de circonstance, prennent en charge les problèmes des autres colons. En 1944, André Philip (1902-1970), fondateur des Maisons de jeunes et de la culture, réunit différents mouvements de jeunesse dont les Scouts de France, et crée à Lyon une République de jeunes (Besse, 2008). L'idéal de cette forme pédagogique se retrouve dans le fonctionnement des Maisons de jeunes et de la culture, plus particulièrement, dans les conseils de maisons. Cependant, le lien n'est pas historiquement assuré[14].  

Les centres sociaux

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Hull House, emblème américain des centres sociaux avec Jane Addams (1860-1935) à sa tête, est aussi un lieu dans lequel furent expérimentées de nouvelles pratiques. John Dewey (1859-1952), qui dédie son livre Après le libéralisme ? à Jane Addams, y vient régulièrement et se nourrit des pratiques proposées qui lui servent à poursuivre son enquête et préciser ses conception de l'expérience. Au début du XXe siècle, le City club de Chicago présidé par George H. Mead (1863-1931), propose le premier concours d'urbanisme américain la proposition de William E. Drummond (1876-1948) d'une Unité de voisinage est retenu. Il s'agit de produire un modèle de développement de la ville qui permette de favoriser l'organisation sociale (terme emprunté à Charles Cooley 1864-1929). Le principe de la participation des habitants y est soutenu par la présence d'un centre social ou centre communautaire désigné sous le terme d'équipement en France. Clarence Arthur Perry (1872-1944) développe cette idée dans un ouvrage : The Neighbourhood Unit[15]. L'émergence de la participation au sein des équipements socioculturels est à la fois centrale et conceptualisée. Le lien avec les Pédagogies de la décision n'est pas direct mais leur développement au sein du domaine de l'animation socioculturelle fondée sur les équipements du même nom (Gilbert, Saez, & Arcy, 1982; Saez, 1979) est au moins un environnement propice à leur développement[16].

L'histoire récente

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L'histoire récente des pédagogies de la décision est marqué par la création puis la disparition de l'association Isogoria qui tentera de définir et de diffuser cette pratique. Dans le numéro 2 de la lettre de l'association, Jean-Marie Bataille tente la définition suivante : «les Pédagogies de la décision se définissent comme la possibilité donnée aux individus de décider de ce qui les concerne au sein d'un dispositif approprié qui permet de construire des règles communes à partir de l'analyse des sentiments qui émergent dans l'ici et maintenant des rencontres »[6]. Puis les travaux de Jean Houssaye seront repris, remis au travail et donneront lieu à des travaux critiques sur les théories qui fondent l'animation : théorie des besoins[17], méthodologie de projet[18], fonction éducative du jeu[19]. Ce travail critique sur l'animation sera mené sur le dispositif ministériel #GenerationCampColo, il donnera lieu à un rapport[20] édité par la maison d'édition Le Social en Fabrique.

Autour de la maison d'édition Le Social en Fabrique se construit un réseau de praticiens cherchant à faire autrement, à construire des pédagogie différentes et nouvelles. Ce réseau se réunit notamment lors des rendez-vous de Courcelles où recherche, pédagogie et travail social (animation socio-culturelle, intervention sociale, etc.) se rencontrent et débattent[21][22]. Ces rendez-vous s'inscrivent dans la suite des symposiums organisés par Jean Houssaye[23].

Pratiques

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Les pédagogies de la décision se développent dans plusieurs champs du travail social : les colonies de vacances en premier lieu puis les centre de loisirs et les stages de formation BAFA/D, les centres sociaux, les séjours médico-éducatifs (Aide aux jeunes diabétiques), la formation professionnelle, l'université (Paris XIII).

Les invariants

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Dans la diversité des pratiques développées en Pédagogie de la décision, on retrouve quatre d'invariants :

  • L'existence d'une instance de décision collective ;
  • Le pouvoir de décision remis entre les mains des personnes concernées ;
  • La relation établie entre ce qui affecte les participants, les relations inter-individuelles et les activités menées, alimentent la construction d'accords, de décision collective. Cette relation peut être médiatisée par des outils : cahiers de râlage ou bonheur[6], petite annonce[7], fiches d'inscription, planning interactif, etc.
  • Le Quoi de neuf? ou protocole inspiré des pédagogies institutionnelles qui permet de faire exister au sein des institutions les situations qui se déroulent ailleurs ; ce qui intéresse une personne peut être évoqué après cette question introductive : Quoi de neuf? Comment vas-tu?

Dans le cadre de la formation, le Quoi de neuf? peut prendre la forme d'un forum ouvert où les participants décideront des situations et/ou des éléments à échanger lors de la formation.

Concernement, capacitation et engagement

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Les pdlds reprennent les travaux de Faburel sur les 3 étapes d'accompagnement des groupes pour décider de ce qui les concerne : le concernement, la capacitation, l'engagement [24] :

  1. Le concernement est l'opération qui permet de constituer le collectif à partir de ce qui pose problème et mobilise les individus autour de sa résolution par agglomération progressive de nouveaux acteurs, le problème se constitue comme horizon commun.
  2. La capacitation est constituée de deux moments : apporter des moyens de s'organiser aux individus concernés[25] ou mener une enquête à propos du problème rencontré dans la logique de John Dewey.
  3. L'engagement est la phase dans laquelle les personnes vont décider des formes d'action qu'elles souhaitent entreprendre et prendre en charge leur mise en œuvre.

Cet ensemble de phases est décrit d'une façon différente chez Pesce à propos de l'accompagnement des institutions en s'appuyant sur le pragmtisme de Pierce[26].

Bibliographie

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Alinsky, S. D. (1976). Manuel de l’animateur social. (O. Hellier, Trans., J. Gouriou, Ed.). Paris, France: Seuil.

Bataille, J.-M. (2010). Pédagogies de la décision : décider avec les publics en animation socioculturelle (Thèse de Doctorat). Paris Ouest Nanterre La Défense, Nanterre.

Besse, L. (2008). Les MJC, 1959-1981 : de l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes (Vols. 1-1). Rennes, France: Presses universitaires de Rennes.

Bocquet, J.-M. (2012). La thèse de la colo libre. Le processus d’individualisation dans une colonie de vacances en pédagogie de la décision. (Mémoire de Master).

Université de Rouen, Rouen.

Faburel, G. (2013). L’habitant et les savoirs de l’habiter comme impensés de la démocratie participative. In V. Biau, M. Fenker, & E. Macaire (Eds.), L’implication des habitants dans la fabrication de la ville:métiers et pratiques en question (pp. 31–53). Paris: Éditions de la Villette - Réseau Rameau.

George, W. R. (1911). The Junior Republic. Its History and Ideals. New York and London: D. Appleton and company.

Gilbert, C., Saez, G., & Arcy, F. d’. (1982). L’État sans qualités. Paris, France: Presses universitaires de France.

Houssaye, J. (1977). Un Avenir pour les colonies de vacances. Paris, France: Éditions ouvrières.

Houssaye, J. (1995). Et pourquoi que les colos, elles sont pas comme ça ? Histoires d’ailleurs et d’Asnelles (Vols. 1-1). Vigneux, France: Matrice.

Perrein-Guignard, L. (1982). Les faucons rouges (1932-1950) (Thèse de Doctorat). S.I., S.I./France.

Pesce, S. (2007). La colo provisoire. In J. Houssaye (Ed.), Colos et centres de loisirs : recherches (pp. 137–172). Vigneux, France: Matrice.

Pesce, S. (2013). Réflexivité et implication en recherche-action-formation : Épistémologie de l’enquête dialogique selon Peirce et Dewey. In Symposuim international, AREF 2013 (p. En ligne). Montpellier. Retrieved from http:// www.aref2013.univ-montp2.fr/cod6/?q=content/16910-réflexivité-et-implication- en-recherche-action-formation-épistémologie-de-l’enquête

Saez, G. (1979). Une animation fondée sur une politique d’équipement. Les Cahiers de L’animation, (26), 15–31.

Sfez, L. (1992). Critique de la décision (1973rd ed.). Paris: Presses de Sciences Po.

Notes et références

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  1. Catherine Sellenet, « La complexité du placement familial : un leitmotiv dans le champ de l'enfance », Dialogue, vol. no 167, no 1,‎ , p. 51–60 (ISSN 0242-8962, DOI 10.3917/dia.167.0051, lire en ligne, consulté le )
  2. Intervention de Jean-Michel Bocquet au Congrès de l'AFDET http://www.afdet.net/AFDET_fichup/archive-668.pdf
  3. a et b Marion Perrin, « Du care dans les vestiaires ! », Agora débats/jeunesses, no 72,‎ , p. 91–106 (ISSN 1268-5666, DOI 10.3917/agora.072.0091, lire en ligne, consulté le )
  4. Jean Houssaye, Et pourquoi que les colos sont pas comme ça?, Paris, Matrice, , p. 69
  5. Bataille, J.-M. (2010). Pédagogies de la décision : décider avec les publics en animation socioculturelle (Thèse de Doctorat). Paris Ouest Nanterre La Défense, Nanterre, p204
  6. a b et c Mémoire de Master de Jean-Michel Bocquet : La thèse de la colo libre - Le processus d’individualisation dans une colonie de vacances en pédagogie de la décision - disponible sur : http://shs-app.univ-rouen.fr/civiic/memoires_DEA/textes/memoire_bocquet_jean-michel_2012_mardif.pdf
  7. a et b Jean HOUSSAYE (dir.), Colos et centres de loisirs : recherches : La colo provisoire, Paris, Matrice, p. 137 à 172
  8. « Présentation », sur citesdenfants.com (consulté le )
  9. « Projet collectif », sur lesventsquisement.fr (consulté le )
  10. « Le Social en Fabrique », (consulté le )
  11. Intervention de Jean-Michel Bocquet et Ludovic Ferchaud au Congrès de l'AIFRIS à Dijon : Pédagogie et Recherche-Action collaboratives : Savoirs, Valeurs et Pratique à l’épreuve du terrain - Recherche-action sur et avec les pédagogies de la décision. http://aifris.eu/03upload/uplolo/cv1724_1149.pdf
  12. (en) William Reuben Georges, The Junior Republic (lire en ligne)
  13. Thèse de Liliane GUIGNARD-PERREIN - Les Faucons Rouges 1932-1950 http://www.fauconsrouges.org/Sommaire.html
  14. Intervention de Jean-Marie Bataille aux journée doctorales du GIS-Participation et Démocratie : Jeunes et participation, mise en perspective historique et interrogation sur les pratiques contemporaines - 2013 http://www.participation-et-democratie.fr/sites/default/files/journees-doctorales-2013-jmbataille.pdf
  15. (en) Clarence Perry, The Neighbourhood Unit, Londres, Reprinted Routledge/Thoemmes,
  16. Intervention de Jean-Marie Bataille au colloque des lieux pour l'éducation populaire : L’Unité de voisinage (Chicago années 1910), une matrice des équipements socioculturels des années 1960 ? - 3, 4 & 5 décembre 2014 https://issuu.com/pajep/docs/r__sum___interventions
  17. Baptiste Besse-Patin et Ronan David, « Pour une critique radicale de l'animation », Vers l'éducation Nouvelle n°551,‎ (lire en ligne)
  18. « Le projet outil de construction du genre. L’exemple de l’animation socio-culturelle », communication au colloque « Le travail socio-éducatif au prisme du genre, Quatorzièmes journées de valorisation de la recherche de l'ENPJJ », décembre 2013
  19. Baptiste Besse-Patin - "Le jeu n'est pas jouer" - Le jeu des enfants et les animateurs dans un centre de loisirs, mémoire de Master. http://www.cerj.fr/downloads/2012-10_LSHS_master2LJE_BessePatin.pdf
  20. Collectif, Des séparations aux rencontres en camps et colos, Bagneux, Le Social en Fabrique, , 112 p. (ISBN 978-2-37443-003-4, lire en ligne)
  21. « Les rendez-vous de Courcelles », sur maisondecourcelles.fr (consulté le )
  22. « Les rendez-vous de Courcelles 2015 » (consulté le )
  23. « Champ Social »
  24. Guillaume Faburel, L’habitant et les savoirs de l’habiter comme impensés de la démocratie participative, Paris, Éditions de la Villette - Réseau Rameau, , « L’implication des habitants dans la fabrication de la ville : métiers et pratiques en question », p. 31–53
  25. Saul Alinsky, Manuel de l’animateur social., Paris, Le Seuil,
  26. Sébastien Pesce (2013), Intervention au symposium internationnal de l'AREF - Réflexivité et implication en recherche-action-formation : Épistémologie de l’enquête dialogique selon Peirce et Dewey : http://www.aref2013.univ-montp2.fr/cod6/?q=content/16910-r%C3%A9flexivit%C3%A9-et-implication-en-recherche-action-formation-%C3%A9pist%C3%A9mologie-de-l%E2%80%99enqu%C3%AAte