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L'artisanat à Tours à la fin du Moyen Âge

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Le 30 mars 1356, le roi Jean le Bon délivra les lettres patentes, signe de la naissance de la ville de Tours. La ville obtient le droit par ces lettres de se fortifier, de tenir des assemblées générales et d’organiser sa défense. Ce nouveau départ facilite la constitution des fonctions civiles et militaires de Tours. Le premier corps de ville entra en fonction en 1357. À partir de 1358-1359 commence les années comptables réunies dans les livres de comptabilité de la ville. Une économie urbaine s’installe. La construction de l’enceinte entraîne le besoin de personnel qualifié : les artisans. Ce groupe d’actif ne s’organise réellement qu’à partir du XVe siècle. La ville n'était pourtant pas vide d’artisanat avant cette période. Les premiers livres de compte en font mention. Le tissus urbain comportait déjà de grands édifices : la cathédrale, l’abbaye de Saint-Julien et Saint-Martin, bâtiments qu’il a fallu construire. Il faut attendre le XVe siècle, et surtout le XVIe, lorsque Tours devint capitale royale pour voir apparaître une réelle organisation en métier.

Visage de l’artisanat à Tours au XVe siècle
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A. L’artisanat au début du XVe siècle
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L’une des premières traces de l’organisation de l’artisanat est une liste établie dans le registre des comptes de 1358-1359. Il s’agit des « estaz et metiers » qui ont participé de leurs deniers à la construction des fortifications. Il a été publié dans le premier tome de l’ouvrage de Joseph Delaville Le Roulx, archiviste tourangeau. A la fin du XIXe, ce dernier a retranscrit une première partie des livres de comptabilité de la ville de Tours en deux volumes[1]. Voici ce que l'on peut trouver :

" Autre recepte des prestz faiz à la ville pour convertire à la fortification d'icellle, ordenné et receu par les estaz et mestiers en la manière qui s'ensuit:
Métiers Somme pretée à la ville de Tours Métiers Somme pretée à la ville de Tours
Des Bourgeois 155 écus et 10 sous Cordouanniers et vachiers 404 écus et 15 sous
Drapiers et souppiers 164 écus et 10 sous Taverniers et fourniers 37 écus et 13 sous
Orfervre, garnisseurs, potiers d'estain 64 écus et 15 sous Poissonniers, williers et potiers de terre 8 écus
Tanneurs 110 écus et 15 sous Selliers, pelletiers, juponniers et barbiers 52 écus et 19 sous
Bouchiers 74 écus et 10 sous Mareschaulx et claveuriers 1 écus
Changeurs, espiceirs et merciers 306 écus 11 sous et 8 deniers

D’après Bernard Chevalier, dans son ouvrage Tours ville royale, ces chiffres permettent avant tout de juger la générosité des métiers et seulement dans un deuxième temps leur richesse. Nous pouvons conclure des valeurs que les métiers prédominants sont ceux du cuir (cordonniers et vachers avec 97 140 d.t. ou les tanneurs avec 26 580 d.t.) et de l’alimentation (épiciers, bouchers). Les métiers les plus riches sont ceux qui répondent à un besoin local et immédiat : se nourrir et s’habiller. Enfin, en 1359, les métiers sont réunis en communauté, certes assemblés, mais de manière très arbitraire. Il n’y a pas encore de réelle organisation ou de statut[2].

B. L'artisanat au milieu du XVe siècle
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En 1450, nous pouvons nous appuyer sur un rôle de guet et de rereguet dressé d’une quinzaine en quinzaine par les clercs de la ville. Ce document mentionne en effet les professions des habitants convoqués. On trouve alors 646 artisans[3].

Organisation des métiers d'après le rôle de guet de 1450[4]
Branches Métiers Total Effectif %
Bâtiment bousilleurs, carreleurs, charpentiers, couvreurs, maçons… 9 95 14,7
Travail des étoffes bonnetiers, brodeurs, chapeliers, chasubliers… 8 91 14,1
Travail du cuir aiguilletiers, cordonniers, gainiers, ceinturiers… 8 85 13,1
Travail des métaux armuriers, brigandiniers, chandeliers, chaudronniers, fourbisseurs, serruriers… 16 70 10,9
Fabrication des tissus cardeurs, foulons, teinturiers, tisserands, tondeurs 5 76 11,7
Alimentation bouchers, boulangers, fourniers, huiliers, pâtissiers, poissonniers, poulaillers 7 70 10,9
Cuirs et peaux corroyeurs, écorcheurs, pelletiers, tanneurs 4 47 7,2
Transports barociers, bouvilleux… 5 35 5,4
Travail du bois faiseur de chalands, bastiers, tourneurs, tonneliers 4 19 2,9
Services barbiers, hôteliers, rôtisseurs 3 13 2
Métiers d'art écrivains, enlumineurs, ménestrels… 7 10 1,6
Divers arbalétriers, artilleurs, cordiers, pêcheurs… 7 15 2,4
Manœuvres sans qualification - 20 3,1
TOTAUX 83 646 100

Au total, c’est 83 métiers différents répartis en 12 branches (hors manœuvres), mais sans prépondérance réel d’un métier. Certaines activités sortent du lot : encore une fois celles du cuir et de l’alimentation. Dans la confection de tissus, c’est surtout les chaussetiers et les brodeurs qui gagnent très largement leur vie. À l’inverse, dans le bâtiment, on trouve beaucoup de personnes mais pas beaucoup d’enrichissement[5].

C. L'artisanat à la fin du XVe siècle
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Pour faire l’état des lieux de l’artisanat après 1450, il y a 2 documents. Tout d’abord un état des habitants prêtant serment de fidélité au roi en 1471. On y décompte 179 artisans. Le deuxième date de juillet 1479 et se situe dans un contexte bien précis. Cette année, Louis XI priva la ville d’Arras de son nom et de ses habitants afin d’en faire, sous le nom de franchise, une place sûre et gardée par une population fidèle. Il récupéra des habitants dans d’autres villes dont Tours qui doit fournir 53 « ménagers ». Ils reçurent un dédommagement pour la route et une prime de départ de leur métier. La liste fournit donc les noms ainsi que la somme donnée par leur métier.

D’après la source de 1471, les maîtres seuls représentaient 73.4% des artisans (contre 14.3 pour les marchands et 12.2 pour les bourgeois et les hommes du roi). L’organisation se fait en 70 métiers (pour 80 en 1450), la division du travail n’a pas tant changé. De la même manière, le traitement des cuirs et des peaux reste toujours la première activité, même si la métallurgie se développe aussi bien en valeur qu’en effectif[6].

Les métiers à Tours en 1471
Branches Nombres de métiers Nb de maîtres en % du total en % v. 1450
Métaux 13 68 18,2 10,9
Etoffes 6 62 16,1 14
Cuir 6 55 14,8 13,1
Alimentation 8 45 11,8 10,8
Cuirs et peaux 3 39 10,2 7,2
Bâtiment 7 32 8,4 14,7
Tissus 4 16 4,2 11,7
Métiers d'art 5 10 2,6 1,5
Divers 18 52 13,7 15,6
TOTAUX 70 379 100 100

Il y a une étonnante stabilité de l’artisanat, plus grande que ce que montre les chiffres. Encore et toujours, l’installation à Tours d’une grande manufacture de drap est un échec. La métallurgie progresse brusquement. Si elle satisfait d’abord les besoins locaux, l’arrivée des armuriers et des brigandiniers travaillant pour le Roi fait entrer Tours sur la voie industrielle[7].

Le visage de l’artisan à Tours au XVe siècle
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A. La vie dans le métier
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Au Moyen Âge, un métier est une corporation organisée avec des maîtres, des valets, des compagnons et des apprentis (même si la distinction ne peut pas être si claire[8]). Le métier possède des statuts qui lui donnent des droits. Pour comprendre la vie de l’artisan dans son métier, il faut s’interroger sur les statuts des métiers dont l’organisation s’est faite tardivement et rapidement. Entre 1444 et la fin du XVe siècle, c’est 22 métiers qui possèdent leurs statuts pour deux au début de la période. Cette évolution est rapide et brutale car la plupart de ces créations se concentrent dans la génération 1467-1483. Nous savons que Charles VII et Louis XI ont systématiquement encouragés la formation de métiers. Ainsi, à Tours, Louis XI profita du renouvellement de la constitution de la ville pour introduire un article qui imposait l’organisation en métiers. Pour les artisans, se regrouper en métier c’était réglementer l’accès au métier mais aussi s’assurer une protection. C’était aussi se défendre face à la concurrence apportée par le roi. La cour à Tours est autant une menace qu’une aubaine[9].

Pour rentrer dans un métier il faut passer par un apprentissage. Les chiffres montrent que les apprentis étaient essentiellement de jeunes garçons. Entre 1473-1520 : seul 4% des contrats d’apprentissage concernent des jeunes filles qui travaillaient dans la lingerie et la chaperonnerie. Mais cette nouvelle forme d’entreprise acceptait plus le travail de la femme, en lui confiant des tâches, secondaires certes, auxquelles certains hommes étaient tout de même appelés. Pour les garçons l’entrée est tardive. Entre 1473 – 1498, ils entraient à 16 ans puis à 15 ans. Que faisait-il avant ? Ils étaient probablement oisifs.

L’apprentissage est cher, les jeunes se tournaient donc vers le moins cher et le plus court, repartit sur 3 niveaux :

-       « Facile » d’accès : maçon, couvreur, charpentier, tisserand, coutelier, chapelier

-       « Rare » : tanneur, menuisier, brodeur, pelletier, orfèvre

-       « Quasiment impossible » : marchand, cordonnier, couturier, chaussetier, sellier.

Attention, l’apprentissage ne garantissait pas la maîtrise, l’accès à cette dernière est difficilement mesurable car il n’y a pas de document de maîtrise. Nous savons que pour la boucherie l’accès était ouvert, pour les autres métiers il se justifiait par un chef d’œuvre et le paiement de droit d’entrée.

Les compagnons : Tous n’arrivaient pas au rang de maître et travaillaient comme compagnons ou comme valets. C’était un poste dur à trouver car les maîtres artisans travaillaient souvent seuls. Il n’était pas question pour un simple compagnon de conduire du début à la fin la production d’un objet. Ils étaient un genre de domestique, avec le même état de dépendance, nourris, logés et introduit dans le foyer des patrons qui répondaient d’eux vis-à-vis des pouvoirs publics en leur portant secours. C’était une véritable tutelle. D’une manière générale, les compagnons étaient des personnes trop jeunes, trop pauvres ou trop instables pour faire partie du métier et être maître[10].

B. Niveau de vie
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Connaitre le niveau de vie des différentes strates d’un métier (apprentis, compagnons et maîtres) est difficile. Si nous continuons à nous intéresser aux compagnons, le salaire était misérable et le quotidien difficile (rattrapé par le plaisir de l’aventure peut-être). Ainsi ils étaient payés une dizaine de livres par an. Leur chambre (si ce n’était pas une simple paillasse) leur coutait 5 livres / an. Enfin pour se nourrir, les compagnons réservaient 18 sous / an . Ainsi, à la fin du XVe siècle le revenu du compagnon était 20% moindre que le maître. Chez les maçons par exemple, les maîtres tel que Michau Carré que l’on connait notamment pour ses travaux sur « les ponts » de Loire[11], gagnaient deux fois plus que les manœuvres. Les maîtres, à la différence des apprentis, ouvriers ou manœuvres, étaient en fait de réels architectes, avec une vraie connaissance technique, capable de diriger les travaux[12].

Ce niveau de vie, qui ne paraît pas reluisant aussi bien pour les apprentis, les compagnons, les maîtres ou les manœuvre pose la question de l’existence d’une fortune d’artisan. S’il y a capital, il est modeste. Les artisans étaient, à la fin de leur vie, riches de leurs outils et d’une petite somme. Pour les plus riches qui « déclaraient » leur fortune au notaire, nous savons qu’ils avaient des possessions terriennes de petite envergure. En observant les minutes notariales on remarque que les terres étaient des terres arables, de petites tailles dans les environs de la ville. Elles étaient des genres de jardins et parfois des vignes. L’artisan s’occupait de son patrimoine à valeur d’un passe-temps. Mais surtout, ce patrimoine était si faible qu’il ne survivait pas à la descendance, le morcellement étant très ridicule (parfois un cinquième d’une parcelle ou d’une cave)[13].

C. Lieu de vie, lieu d’activité ?
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Localisation des ateliers d'artisans à Tours (Ier - XVIe siècles)

Savoir où logent ou même où travaillent les artisans est compliqué, l’archéologie peut apporter des traces. L’ouvrage publié sous la direction d’Henri Galinié, Tours antique et médiévale, ressence les fouilles réalisées à Tours, soit de manière privée, soit lors de missions préventives. Cette archéologie du sol permet d’en apprendre plus sur le tissus urbain au différentes époques. Ces rares informations ont permis de réaliser une carte (Localisation des ateliers d'artisans à Tours). Que conclure de la carte ? D’une part que le tissus urbain de Tours comportait de l’artisanat dès avant la création de la ville en 1356. Les données sont trop faibles pour essayer d’établir un quelconque quartier artisanal à Tours. Les lieux des ateliers semblent se rapprocher de plus en plus du niveau actuel de la Loire. Les artisans ont tout simplement dû suivre le niveau de cette dernière qui a reculé au cours du temps. Enfin il est impossible de dire si le lieu de l’atelier était aussi le lieu d’habitation. Impossible sauf peut-être pour l'atelier d'épinglier à l'ouest de la ville. En effet il a été retrouvé par les archéologues pas moins de 2 753 restes osseux permettant d’entrevoir la viande consommée. Impossible de généraliser cependant à tout l’artisanat tourangeau, cela donne malgré tout une idée du niveau de vie d’un artisan à Tours à la fin du XVe.

Consommation en viande d'un épinglier dans la 2e moitié du XVe et au XVIe[14].
Viandes % de la consommation
BŒUFS /CAPRINES / PORCS dont… 92
Bœufs 62
Caprinés 26
Porc 13
BASSE-COUR dont… 6
Coqs 57
Oies 17
Canards 6
GIBIERS A POILS ET A PLUMES dont… 1,3
Lièvres / Lapin -
Pigeon, Bécasse, Perdrix -
Fuligule, Cormoran -


Conclusion
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L’état de l’artisanat à Tours est encore à établir. Il n’y a guère de synthèse qui existe sur la question hormis des chapitres du livre de Bernard Chevalier. Il faut alors s’appuyer sur les thèses et mémoires de master réalisés à Tours et ailleurs, notamment sur la soierie, Tours étant une grande place de soie. L’artisanat à Tours au XVe se développe largement en plusieurs branches, il était diversifié. Pour autant aucun métier ne prédomina réellement pendant le siècle, ce qui ne signifie pas que les métiers étaient médiocres. Du plus notable au moins favorisé, les artisans de Tours menaient une vie sans éclat et sans avenir. Les communautés de fait du XIVe doivent attendre le milieu du XVe pour avoir le besoin d’acquérir une existence légale par la rédaction de statuts. Cependant, B. Chevalier insiste sur le fait qu'aucun n’a semblé jouer un rôle dans l’organisation municipale, l’activité quotidienne sert à gagner sa vie dignement, pas à faire du profit[15].  



  1. Joseph Delaville Le Roulx, Registres des compte municipaux de la ville de Tours, vol. 1, Tours, Georget-Joubert, 1878-1881, p.21
  2. Bernard Chevalier, Tours ville royale (1356-1520). Origine et développement d’une capitale à la fin du Moyen Age, Paris, Publication de la Sorbonne, , 634 p., p. 132
  3. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 132-133
  4. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 134
  5. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 133 - 134
  6. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 402 - 405
  7. Simon Painsonneau, Fabrication et commerce des armures. L’armurerie tourangelle au XVe siècle, Paris, A.E.D.E.H., coll. « Histoire & Patrimoine », , 134 p.
  8. Philippe Bernardi, Maître, valet et apprenti au Moyen Âge. Essai sur une production bien ordonnée., Méridienne, coll. « Histoire et techniques », , 214 p. (ISBN 978-2-912025-46-3)
  9. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 405 - 408
  10. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 409 - 413
  11. Didier Boisseuil, Recherche sur Tours, vol. 6. Le pont sur Loire à la fin du Moyen-Âge, Tours, Laboratoire d'Archéologie Urbaine de Tours, 94 p.
  12. Bernard Chevalier, opo. cit., , p. 140 - 142
  13. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 417 - 418
  14. Henri Galinié, Tours antique et médiéval. Lieux de vie. Temps de la ville. 40 ans d’archéologie urbaine, Tours, Revue Archéologique du Centre de la France, , 440 p., p. 106 - 107
  15. Bernard Chevalier, op. cit., , p. 142 - 143