Utilisateur:Matthieu.dbr/Brouillon

I) Biographie

Marcel Arnaud

(1911-1945)

Décrit comme un « militant catholique, lumineux, rayonnant, généreux, hors du commun attentif aux autres et toujours disponible envers autrui », Marcel Arnaud est aussi considéré comme l’inspirateur et l’animateur d’une résistance haut-alpine civique avant d’être militaire ».

Orphelin de mère à l’âge de 2 ans puis de père, tué sur le front en novembre 1914, il grandit avec sa sœur à Gap dans la famille d’une tante maternelle. Il fait ses études au lycée de Gap et fréquente le Centre catholique de la rue de l’Imprimerie. Affirmant une foi « vibrante et débordante », il découvre dans la pensée personnaliste et la revue Esprit « les possibilités chrétiennes de transformer le monde » et d’instaurer une société plus juste. Pour lui, « la foi ne peut être vécue dans un régime économique qui avilit l’homme ». Il veut devenir instituteur mais doit travailler pour aider sa famille d’accueil et il devient employé de banque puis d’assurance.

Au cours des années 1930, il est un militant actif de l’Action Catholique de la Jeunesse, l’initiateur des rencontres de Saint-Léger-les-Mélèzes. Il participe à la fondation de la Caisse d’Allocations Familiales Agricoles des Hautes Alpes dont il est directeur et ouvre des écoles d’Enseignement technique et ménager. Avec ses amis, il crée et gère à Gap l’Hôtel du Relais, foyer de logement et de rencontre de jeunes travailleurs. En 1939, il accepte la direction du Secours National, une organisation d’aide sociale aux familles de militaires et aux civils victimes de la guerre.

Au lendemain de l’armistice, le réseau de militants chrétiens auquel il participe décide de « résister aux états totalitaires occupants, ainsi qu’au gouvernement de Vichy » tout en utilisant les structures de l’Etat. Marcel Arnaud va détourne les moyens du Secours National « au service de toutes les victimes du conflit et du régime ». Il aide les réfugiés alsaciens-lorrains et juifs ainsi que les réfractaires au STO et participe activement à la diffusion de la presse clandestine. Notamment des Cahiers du Témoignage Chrétien. It est, avec le Commandant Mauduit, l’un des fondateurs de La Chaîne, réseau d’accueil et d’aide à l’évasion de prisonniers  « en vue de reprendre le combat ». Il fonde en 1943, sous couvert de retour à la terre, une « coopérative de travail et de vie en commun », à Agnielles-en-Beauchêne, pour en faire un lieu d'accueil, de refuge et de résistance.

Gérant de l’hôtel du Relais à Gap, qui est réquisitionné par les occupants, il a de nombreux conflits avec eux et il y est arrêté sur un prétexte futile et fabriqué (participe à l’empoisonnement d’un chien de la gestapo).

Le 3 avril 1944, Marcel Arnaud est déporté au camp de concentration de Neuengamme où il survit dans des conditions terribles. Transféré au début avril 1945 au camp de Bergen-Belsen, il y mourra d’épuisement et du typhus le 19 avril, quatre jours après la libération du camp, laissant une veuve, trois filles en bas âge et des amis éplorés.

Il a toujours été très attaché à Gap et la pose d’une plaque à sa mémoire sur les murs du bâtiment du Relais est une tardive mais juste reconnaissance de ses actions, de ses engagements. Comme Paul Héraud, Antoine Mauduit et tant d’autres, Marcel Arnaud avait conduit sa mission jusqu’à un même et total sacrifice (mort du typhus²).

II) Ses actions

En 1942, l’un des rédacteurs des cahiers du Témoignage chrétien, le Père Ganne, participe aux dernières rencontres de Saint Léger sur le thème « résister ». Le réseau est de 1941 jusqu’au printemps 1944 activement impliqué dans la distribution de la presse clandestine, des mouvements de résistance ;Liberté et Vérité, puis Combat – et des Cahiers du Témoignage Chrétien, organisée par Georges Rosanvallon et Jules Gueydan.

En Juin 1942, Marcel Arnaud participe à la fondation de La Chaîne, autre organisme qui a des statuts officiels et affiche un maréchalisme de façade; à la demande d’Antoine Mauduit et il en devient vice-président. Son rôle au sein de cette organisation est mal connue et probablement assez modeste, tant il est absorbé par ses fonctions au Relais et au sein du Secours National. Mais la communauté d’Agnielles sera l’une des bases  des multiples activités clandestines de La Chaîne( stockage d’armes).

La coopérative d’Agnielles : projet communautaire et lieu de résistance.

La réquisition par les occupants italiens du Relais, en novembre 1942, et l’interruption forcée de cette expérience vont inciter Marcel Arnaud à la poursuivre sous une autre forme à Agnielles, autour d’un projet de coopérative agricole de travail en commun. Avec un objectif annexe : accueillir des réfugiés, notamment des alsaciens-lorrains.

Le SN avait hébergé des réfugiés espagnols dans ce village abandonné depuis dix ans, de ce vallon très isolé. En proposant une remise en culture, les besoins du ravitaillement, Marcel Arnaud et Jules Gueydan le louent à l’administration des Eaux et Forêts, plutôt réticente, grâce à la complicité d’un inspecteur résistant. Un bail de dix-huit ans est signé pour y créer une communauté sous la forme juridique d’une « coopérative de remise en culture ».

Le projet s’inspire des expériences de " retour à la terre " conduites par Eugène Primard et par Marcel Légaut. Mais il faut reconstruire des bâtiments et remettre les friches en culture. L’objectif est d’y faire vivre de huit à dix familles et une dizaine de célibataires, à partir d’activités d’élevage de bovins et de location des pâturages d’estives, de forestage, de culture de la lavande etc... Les finalités des promoteurs de cette communauté sont très ambitieuses : il ’agit " d’échanger toutes les richesses que procure la vie sociale, afin de tenter de refaire l’homme et la société ", " de mettre sa vie en accord avec ses convictions et avec sa foi ".

Marcel Arnaud a toujours été attiré par les activités agricoles et par les paysans " dont il admire et cherche à pénétrer la sagesse et le bon sens que la vie agricole leur avait donné ". Il cherche aussi à moderniser les techniques agricoles " en économisant la peine des hommes " tout en préservant leur mode de vie. Il souhaite " mener à Agnielles, une vie simple, saine et frugale en s’attachant aux choses essentielles de la vie, tout en entretenant le goût de l’effort et du risque et en vivant des relations d’amour avec sa famille et de fraternité avec ses amis ".

Après une phase hivernale de remise en état de deux maisons d’habitation et de reconstruction de la chapelle, ainsi que de débroussaillage et de défrichage, les familles Arnaud et Lard, ainsi que Jacques Buchy, s’y installent au printemps 1943, en attendant d’y attirer de nouveaux coopérateurs. Ils bénéficient des conseils et de l’aide de quelques amis locaux, tel qu’Yvon Truc, agriculteur à Montbrand et résistant actif, mais aussi des nouveaux paysans installés dans la région, tels que Paul Tissot et Jean Bauchau. Les coopérateurs optent pour un système de rémunération en fonction des besoins de chaque famille, pour une implication minimale des épouses dans les tâches agricoles et se proposent de vivre en commun une vie spirituelle, éducative et culturelle.

Cette installation est concomitante de la phase de structuration des FFI départementale ainsi que d’afflux de réfractaires du STO dans ces moyennes montagnes qui offrent de nombreux lieux de refuge. Dans le cadre de La Chaîne Antoine Mauduit concentre ses activités sur des actions locales, en dissuadant ces jeunes de partir – il va jusqu’à " en enlever " certains en gare de Veynes en partance pour l’Allemagne – pour les orienter vers les multiples chantiers forestiers et autres lieux de camouflage, de La Chaîne, disséminés dans la région. Son intention est de " sélectionner et de mettre en réserve ceux qui recevront une instruction militaire dans des maquis ", encadrés par les officiers d’active qui l’ont rejoint à Montmaur et qui sont membres de l’Organisation armée de la Résistance (ORA).

Agnielles, devient un lieu de stockage de la presse clandestine, qui échappa à perquisition de la  Gestapo et de la milice Un camp forestier de la Chaîne installé dans les maisons forestières de la forêt de Durbon dissimule une trentaine de jeunes réfractaires au STO encadrés par le Lieutenant d’aviation Bernard, qu'Arnaud avait embauché au SN. Lors du départ des occupants italiens en septembre 1943, Agnielles sera, avec Clausonne, l’un des deux lieux de stockage d’armes récupérées par le Ct Mauduit, qui sont dissimulées dans les caves des bâtiments en ruines du village.

Vers la fin mai 1944, et après les arrestations de Mauduit et d’Arnaud, le groupe Bernard intégrera l’organisation militaire conçue par le Ct Terrasson-Duvernon, chef du secteur Lus-Dévoluy, constituée de commandos et de groupes de sédentaires leur assurant des appuis.

La communauté de travail paysanne, d’Agnielles survivra après la guerre et accueillera de nombreuses familles. Elle sera dissoute vers 1960 au terme du bail de dix-huit ans signé en 1943 par Marcel Arnaud.

III) L’arrestation par la Gestapo.

Depuis des mois, Marcel Arnaud a été dénoncé par la milice à la Gestapo. Celle-ci suspecte un dépôt d’armes à Agnielles. Mais des perquisitions des GMR et d’Allemands n’aboutiront pas. La longue enquête sur la Chaîne, qui a conduit à l’arrestation d’Antoine Mauduit en Janvier 1944, a mis en évidence les liens avec les activités de ce réseau. Enfin, un indicateur de la Gestapo, Vallet, a tenté de s’infiltrer à Agnielles.

Les proches d’Arnaud le savent menacé et lui-même a le pressentiment de son arrestation, qu’il évoquait souvent. Les gendarmes l’ont discrètement informé, des dangers qu’il court. Mais il refuse de s’enfuir ou de se cacher " pour ne pas se dérober, car ce serait de la lâcheté et il ajoutait  “je ne veux pas me soustraire à la souffrance ".

Marcel Arnaud est arrêté dans son appartement du Relais, le 3 avril 1944, par Nuttgens le chef de la Gestapo, sous des prétextes fabriqués. Il est accusé d’avoir participé à l’empoisonnement du chien du chef de la Gestapo de Gap, chien qui était, paraît-il, un cadeau personnel d’Hitler ! On prétend aussi avoir retrouvé des tracts de la Résistance dans les caves de l’hôtel réquisitionné depuis près de dix-huit mois par les occupants, italiens puis allemands. Lors de son arrestation, quand son épouse qui attend leur troisième enfant, demande à Nuttgens quel est le motif de cette arrestation, celui-ci lui répondit : " Vous devez le connaître ; les oiseaux le chantent sur les toits ". Ce qui peut laisser supposer des dénonciations.

Au cours de l’interrogatoire de Raymond Ribaud, arrêté lui aussi, Vallet lâchera : " Arnaud c’est un cas spécial. Il y a longtemps qu’on s’occupe de lui. Je l’ai surveillé. Ses camions du Secours National transportent du matériel. " Les témoignages contenus dans son dossier aux Archives militaires confirment que " son arrestation a été décidée pour l’aide qu’il apportait aux maquis ".

Interrogé avec brutalité à la caserne Desmichels, Marcel Arnaud est transféré à la prison des Baumettes, puis au camp de Compiègne, d’où il partira le 4 juin pour le camp de concentration de Neuengamme, près de Hanovre.

VI)La déportation et la mort.

Après deux mois de mise en quarantaine, Marcel Arnaud est affecté au déblaiement d’usines bombardées. Puis il est renvoyé au camp parce que " invalide des yeux ". Il y séjourne tout l’hiver 1944-45 dans des conditions terribles. Devenu aveugle et, de ce fait, non contraint aux travaux forcés, il travaille " aux tresses ", tâches consistant à confectionner des cordages pour la marine ou des emballages d’obus, à partir de chiffons, dans des locaux non chauffés pendant douze à treize heures par jour et dans un état de sous-alimentation chronique. Il est atteint d’une affection pulmonaire et il est sujet à de fortes fièvres et à des malaises. Les témoignages de déportés évoquent " un homme courageux, parlant sans cesse aux autres, leur donnant courage et confiance et leur apportant du réconfort ".

Le camp, qui est soumis à des alertes fréquentes de bombardement de nuit, est évacué le 5 avril à l’approche des troupes britanniques. Les malades sont orientés vers le camp d’extermination de Belsen-Bergen. Ce camp, où sévit une épidémie de typhus, sera libéré le 15 avril, mais les prisonniers laissés sans soins et très affaiblis ne peuvent être évacués et ils sont abandonnés dans le dénuement le plus total dans l’attente de secours. Leurs libérateurs, qui poursuivent leur offensive, leur ont  fourni le stock de nourriture dont disposaient les gardiens, ce qui pouvait être mortel. La diarhée et le typhus ravagent le camp et la mortalité s’accélère. Marcel Arnaud, épuisé, entre dans une phase d’apathie et de prostration croissante.

Son nom figure sur la liste des prisonniers libérés et son épouse reçoit une lettre officielle selon laquelle " il est en instance de rapatriement ". Mais il ne rentrera jamais et, pour les services officiels, il a disparu. Son décès ne sera officiellement confirmé à son épouse que le 4 septembre 1945. Un témoin retrouvé plus tard attestera de son décès le 18 avril, trois jours après la libération du camp.

V)Un résistant social.

Conclusion.

Ceux qui le connurent parlaient de Marcel Arnaud avec émotion comme ayant été un militant " lumineux, rayonnant, généreux, hors du commun attentif aux autres et toujours disponible envers autrui ", " une personnalité étonnante et admirable. " 3

Un homme qui disait, de façon hélas prémonitoire, " envisager la lutte jusqu’au bout, s’il le fallait jusqu’au sacrifice suprême : la mort ".

Il nous offre une figure atypique de résistant, qui s’accorde mal avec les représentations les plus courantes et les plus reconnues. " Il fut dans la résistance - selon son ami Gueydan - une sorte de franc-tireur refusant de s’engager dans une organisation déterminée et en privilégiant pour des raisons d’éthique des actions non violentes, mais rendant indifféremment des services à tous ceux qui luttaient contre le nazisme ".

Il ne fut pas – contrairement à ses amis Paul Eyraud ou Antoine Mauduit, qui firent aussi le sacrifice de leur vie – un héros de la résistance armée. Sa conscience chrétienne, son pacifisme, sa non-violence, répugnaient à la lutte armée. Il allait jusqu’à soutenir – provocation ou vision idéaliste ? – qu’il importait avant tout " de gagner la paix, plutôt que de chercher à gagner la guerre ", de rechercher des formes de résistance morale et de mener aussi le combat ailleurs que sur le plan militaire. L’eut-il souhaité, il n’aurait jamais pu devenir un chef militaire, car cet homme d’une activité débordante, remarquable organisateur et qui prenait chaque jour des risques énormes, n’avait aucune expérience des armes. Il était en outre atteint par cette maladie oculaire qui réduisit progressivement ses capacités visuelles et il savait qu’il était condamné à une cécité totale, qui l’affecta au camp de Neuengamme.

Il ne s’est donc impliqué dans aucune action militaire. C’est probablement ce qui explique la non-reconnaissance de son action à la Libération et son relatif effacement et son oubli, dès lors que ses proches, ses amis et ses " co-équipiers " ne furent plus là pour entretenir sa mémoire.

Au lendemain de la guerre, la stratégie mémorielle, entretenue par le Général de Gaulle, a conduit à « sacraliser et à exalter une mémoire combattante et victorieuse basée sur l’armée, qui ignorait et excluait les formes de résistance civile, considérées comme négligeables » 4. Un résistant ne pouvait être qu’un soldat ou un combattant armé ou un français libre ayant participé à des actions militaires. Les actions non militaires sont représentées " comme une forme secondaire de combat ". Distribuer des revues clandestines ou aider les victimes ne pouvaient être que des actions puériles pour chasser l’occupant, comme l’ont donné à voir de nombreux films sur le sujet 5. Cette vision pouvait être encore plus prononcée dans les Hautes-Alpes où la résistance armée fut – à l’exception notoire de son chef Paul Héraud – impulsée et encadrée par des officiers de carrière, dont les nombreux écrits d’après-guerre ont eu quelque peu tendance à accentuer leur rôle, au dépens de celui des civils et des disparus.

Un fait significatif éclaire cette non-reconnaissance. Le 31 janvier 1946, sa veuve – qui n’avait rien demandé – reçut une attestation de grade de lieutenant des FFI décernée à son époux par la Commission régionale d’homologation des grades de la XVème région militaire siégeant à Marseille. Cette décision fut contestée par la Commission départementale où siégeaient plusieurs officiers des FFI (Terrasson-Duvernon, Ribaud, Lebeau et Moreaud, le successeur de Paul Héraud) qui en demandèrent l’annulation, tout en attestant des activités de résistance de Marcel Arnaud - incluant " la formation dès juillet 1940 du premier groupe de résistance " et les faits d’avoir aidé à cacher des armes et " aidé à ravitailler les maquis ". Il fut alors demandé à Madame Arnaud de restituer les documents originaux des justificatifs attestant de ce garde. En 1954, le grade de Lieutenant de la Résistance Intérieure Française lui fut décerné  mais" à titre isolé, du 1er mars 1943 au 19 avril 1945 " et il reçut la médaille de la résistance 6. Son acte de décès à la mairie de Gap mentionne : " Mort pour la France ".

Marcel Arnaud est donc, dans le département, la figure emblématique de cette phase initiale et souvent oubliée qui a précédé et accompagné la résistance armée et que les historiens dénomment la Résistance civile. Au sein de ce mouvement, il s’identifie avec le courant de résistance spirituelle, de rejet et de dénonciation d’un nazisme areligieux et de la collaboration, courant qui se fondra dans des organisations telles que Combat ou Libération. Au cours de toutes ces années noires et de façon étroitement complémentaire, il s’est investi dans ses fonctions au Secours national, au risque de se compromettre avec le régime. Il avait probablement jugé que ce risque était mineur au regard de l’impératif moral d’aide à toutes les victimes de cette guerre, afin d’en soulager les misères et la dégradation de leurs conditions de vie; enfin de défendre et de protéger les victimes de la répression, exercée tant par les occupants et leurs auxiliaires français, que par le régime de Vichy. Une conception longtemps négligée, mais aujourd’hui reconnue, selon laquelle la résistance est un phénomène social tout autant que militaire7.

Il a participé aussi à ce que des  historiens appellent la résistance-organisation qui a conditionné l’existence et les succès d’une résistance- mouvement.8

La sacralisation de la mémoire combattante et militaire a fait quelque peu oublier ces autres victimes de guerre (morts de la campagne de France et leurs familles, réfugiés recherchés ou menacés, requis du STO, prisonniers en Allemagne et leur famille, emprisonnés et déportés par l’occupant, civils appauvris par la guerre, victimes des bombardements alliés, etc.) 9. Mis à part cette dernière catégorie, il s’agit dans le département des victimes que Marcel Arnaud a aidé avec une énergie admirable et désintéressée dans le cadre du Secours National.

Il est aussi possible que son implication dans cet organisme quasi officiel et utilisé par Vichy l’ait rendu suspect aux yeux d’une Résistance officielle, tant gaulliste que communiste. Et cela, malgré le fait qu’Arnaud ait défendu l’autonomie du SN, en ait détourné les moyens pour aider les maquis et qu’il ait toujours manifesté une aversion pour le régime de Vichy et pour ses chefs, comme en attestent les nombreux incidents avec ses propagandistes. Il est significatif que le SN, bien que créé dès 1939 et héritier de la Première guerre mondiale, changera de nom dès l’été 1944, pour devenir l’Entraide Française, tout en continuant à exercer les mêmes fonctions d’aide humanitaire avec les mêmes bénévoles.

Enfin, si au lendemain de la guerre, la figure du déporté pour fait de résistance et mort dans un camp d’extermination a été honorée et reconnue, à partir des années 70, " la figure du héros s’efface derrière celle de la victime ". Et dès les années 80, avec le " réveil de la mémoire juive ", " la figure du déporté juif – longtemps oubliée – tend à dominer le souvenir de l’enfer concentrationnaire nazi " 10

Près de trois-quarts de siècle après sa disparition et son sacrifice, alors que tend à s’instaurer une mémoire plus apaisée de cette période troublée de notre histoire, il était opportun de retracer l’itinéraire de Marcel Arnaud. Afin que vive dans la mémoire le souvenir de cette figure atypique mais admirable de la résistance haut-alpine. Il offre à notre conscience, un modèle d’engagement qui a postulé la transgression et un risque qu’il a acquitté au prix de sa vie. Car, comme le notait François Mauriac en 1943, " les martyres rendent témoignage au peuple " 11.pérer l’argent

Marcel Arnaud est alors le délégué départemental du Secours national, une structure venant en aide aux familles des victimes de la guerre, placée sous le patronage du Maréchal Pétain.

  Ce poste stratégique, il permet à des juifs ou des apatrides de se cacher, fournit des faux papiers, permet aux réfractaire d’échapper aux STO (service du travail obligatoire). Les véhicules du Secours national sont utilisés pour diffuser la presse clandestine, aider à l’installation de chantiers forestier qui deviendront les premiers maquis.

Témoignage d’un camarade de déportation de Marcel Arnaud

  Tant que je vécus à Neuengamme, prés de Marcel, j’ignorais l’importance de son rayonnement spirituel parmi ses amis libres, et de cela il me laissa bien ignorant. Je crus simplement avoir découvert un ami et un camarade incomparable, comme il arrive d’en rencontrer seulement une ou deux fois dans une pauvre vie d’homme, tellement ces êtres vous apparaissent exceptionnels. J’ignorais surtout que j’aurai un jour à porter témoignages de ses paroles, de ses actes, de son exemple parmi nous, car je n’imaginais pas qu’il pût être de ceux qui ne devraient pas revenir tant il était confiant dans le destin que Dieu lui traçait. (…), Je regardais, j’écoutais, (…), sans songer à la valeur immense que revêtait son exemple du fait des circonstances dans lesquelles nous évoluions…. Je réalise davantage maintenant le sens du postulat selon lequel il faut bien admettre que « les dessins de Dieu sont impénétrables »; car de nous deux pourquoi est-ce moi qui suit ici, incapable de transmettre fidèlement son témoignage auquel lui-même aurait donné tout son sens et toute sa valeur pour le plus grand bien de notre (…) humanité. Par lui je fis la connaissance de Dominique et de Roseline. Je ne crois pas me souvenir qu’il ait été informé de la naissance de Claire, mais il me parla à plusieurs reprises de cet enfant qu’il attendait. Je me souviens, lorsque il me parlait d’Agnielles, lui avoir posé cette question: « Mais ta femme s’est-elle adaptée à cette vie austère et rude? Peut être était-elle habituée à un tel genre de vie? ». Sa réponse fut: « Pas du tout, au contraire, ma femme a vécu jusqu’ici à Nice mais, de par sa formation, elle offrait un terrain tout préparé à mes principes, et je crois que cette vie simple et primitive lui plaisait. » Lors de nos réunions du dimanche, au cours desquels nous lisions la messe sous sa direction, nous terminions toujours sur sa demande par une prière pour nos familles, ainsi que par une à l’attention tantôt de tel camarade, tantôt de l’ensemble de ceux qui étaient morts dans le camp, d’autre fois enfin pour des intentions plus générales en même temps que plus élevées, si l’on peut s’exprimer ainsi.

Autre témoignage d’un camarade de déportation de Marcel Arnaud (Extrait) J’ai en effet très bien connu à Neuengamme votre regretté camarade Marcel Arnaud. Il a travaillé longtemps dans le camp aux «tresses », travail de tissage de cordes et débris de vieux chiffons dans des sous-sols malsains, mal aérés et humides. La rigueur du climat, la longueur des appels et le manque de nourritures le conduisirent à l’infirmerie où il est entré grâce à la protection d’un camarade médecin, le docteur Jeune de Lyon, qui périra lors de la tragique noyade de Lübeck quelques mois après. Le séjour à l’infirmerie fût pour Marcel Arnaud une période de douceur. Une affection pulmonaire sérieuse lui donnait chaque jour une forte fièvre et des malaises assez fréquents. Mais c’était le « havre ». On était au « Revier » partiellement à l’abri des tracasseries des SS…. Le 5 avril, l’approche des anglais décide les SS à une première évacuation du camp. Tous les malades et amoindris physiques sont envoyés dans un « camp de repos », c’est à dire de destruction, à Bergen Belsen, dont vous connaissez sans doute la tragique histoire et les journées douloureuses de la libération par les anglais le 15 avril. Cette joie à la vue des chars alliés envahissant le camp (…), Marcel l’a connue. Son âme religieuse se recueillait dans l’immensité de sa joie. Mais sans cesse cette angoisse: le mal grandissait et quelques jours après la délivrance, c’était pour lui la mort par une chaude nuit d’avril. Il s’est éteint après quelques heures de souffrance, religieusement sans doute, car il s’était préparé à la mort depuis quelques jours. J’ai vu son cadavre le lendemain matin au petit jour, allongé devant la baraque, une main crispé sur la poitrine comme pour conjurer le mal.

²maladie des poumons transmis par les poux des rats.[1]

  1. « Pellegrin, Louis Jean Bapt. Hyac. », dans Benezit Dictionary of Artists, Oxford University Press, (lire en ligne)