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James Gordon Elliott

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James Gordon Elliott est un architecte-paysagiste autodidacte canadien ayant exercé en Normandie dans les années 1930. Il est aussi l'oncle de l'ancien Premier Ministre canadien Pierre Elliott Trudeau.

Biographie

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James Gordon Elliott est né à Montréal, au Canada, le 12 août 1894, et baptisé James Gordon Bennet Elliott le 11 octobre suivant en l’église anglicane Saint John the Evangelist. À l’âge de 16 ans, selon le recensement Canadien de 1911, il exerce la profession de « teneur de livre ».

Il s’enrôle en 1917 comme Cadet dans le Royal Flying Corps, puis obtient un brevet d’officier dans la Royal Air Force en 1918, avant d’être libéré en 1919. C’est à l’occasion de sa participation aux combats de la Première Guerre mondiale qu’il découvre la région de Dieppe et surtout Varengeville-sur-Mer, où il décide de venir vivre après la fin du conflit. Mais avant cela, il rentre au Canada, où il est recensé en 1921 (le dernier recensement disponible) comme propriétaire d’un atelier mécanique, alors qu’il est âgé de 27 ans.

Il s’installe finalement à Varengeville en 1925, avec son épouse Antoinette Doré, surnommée Nancy, infirmière née à Londres le 1er octobre 1894. Il effectue encore un voyage au Canada en 1931, partant de Cherbourg à bord du Empress of Britain, mais rentre bien vite à Varengeville puisqu’il y accueille sa famille en 1933. Il semble ne plus en partir ensuite, avant de disparaître des archives communales de Varengeville à partir de 1962, date probable de son décès. Fait amusant : le contrôle des ressortissants étrangers tenu par l’administration française nous apprend qu’Elliott était l’heureux propriétaire d’un revolver.

Si, curieusement, Elliott n’est pas connu – ni en France, ni guère plus au Canada – il se trouve être l’oncle maternel de l’ancien Premier Ministre du Canada Pierre Elliott Trudeau (1919-2000), lui-même père de l’actuel Premier Ministre Justin Trudeau. Pierre Elliott Trudeau a publié ses Mémoires en 1993, où il raconte ses vacances en 1933, lorsqu’il a passé quelques jours en famille chez son oncle à Varengeville, Dieppe et Pourville (dont il n’a « jamais oublié le nom »). Gordon leur présente à cette occasion ses voisins et amis les peintres Georges Braque et Joan Miró. Le jeune Trudeau, âgé de 13 ans, ne les connaît pas et ce qui l’impressionne alors, dit-il, n’est pas leur notoriété mais la bizarrerie, à ses oreilles canadiennes, de leurs noms.

Gordon Elliott est recensé une fois comme « commerçant » à Varengeville, il est d’abord gérant de propriété, et exerce en fait l’activité d’architecte et de paysagiste. Un témoin de l’époque, l’éditeur Vincent Brugère-Trélat (1926-2006, directeur de RTL, Hachette puis Fayard), qui l’a bien connu étant enfant en 1939, signale d’ailleurs dans ses Mémoires que « longtemps […] Gordon Elliott […] régnait sans partage sur les jardins » de Varengeville, ce qui laisse supposer de nombreuses réalisations non encore repérées, d’autant qu’il n’existe malheureusement aucun fonds d’archives conservé qui pourrait nous renseigner sur son œuvre.

Architecte-paysagiste à Varengeville-sur-Mer

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Malgré le peu d’informations à son sujet, nous avons tout de même pu recenser trois réalisations de Gordon Elliott à Varengeville-sur-Mer, qui toutes comprennent au moins la conception du parc paysager et, pour deux d’entre elles, des aménagements intérieurs plus ou moins importants.

Le jardin du Manoir de l’Église

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Réalisé à partir de 1925. En effet, lorsque Elliott vient vivre à Varengeville, il occupe la fonction de gérant de cette propriété, que ses compatriotes Henry et Mimi Scott viennent de racheter cette même année. Auparavant dénommée « Villa La Palette », cette « villa de style néonormand dont l'architecture reprend toutes les caractéristiques architecturales du style régional (damier de grès et de silex taillé, pans de bois, jeux complexes de toitures et lucarnes) » (description de la base de données du ministère de la Culture) avait été construite en 1878 pour Henriette Wey, fille de Jean Baptiste Isabey, peintre miniaturiste, et demi-sœur d’Eugène Isabey, peintre lui aussi, connu pour ses marines et qui pour sa part habitait la propriété voisine. Lorsque les Scott en font l’acquisition, ils achètent également le terrain qui descend en pente vers l’église et le bord de la falaise pour y aménager un jardin.

Ce jardin du Manoir de l’Église, inscrit au titre des monuments historiques depuis 2008, est voulu par Mimi Scott, qui admirait l’œuvre de Gertrude Jekyll (1843-1932), célèbre paysagiste anglaise qui avait précisément conçu dès 1898 le jardin voisin du Bois des Moutiers. Son œuvre est très marquée par le mouvement Arts and Crafts et d’ailleurs, la demeure du Bois des Moutiers, conçue par l’architecte anglais Sir Edwin Lutyens (1869-1944), met en application les principes de ce mouvement, notamment dans les boiseries.

Les interventions réalisées en 1925 au Manoir de l’Église sont ainsi inspirées de leurs travaux, et attribuées à Elliott. Elles consistent en la conception du jardin et dans l’adjonction à la villa de pièces de réception ouvertes sur celui-ci pour permettre de l’admirer, avec en arrière-plan la mer et l’église.

Elliott aménage d’abord la pente au moyen de terrasses successives faites de grès, silex et briques, les matériaux typiquement locaux comme nous l’avons déjà vu. La base de données du ministère de la Culture le décrit ainsi :

Dans ce jardin architecturé […], une allée centrale conduit à une pergola de roses, alors que des jardins compartimentés par des murets et des haies se développent de part et d'autre sur des terrasses successives. Ce jardin a été conçu pour être vu depuis la maison, comme lieu de promenade et pour cadrer les vues vers le paysage et la mer […]. Ce jardin architecturé témoigne d'un art de la villégiature de la Côte d'Albâtre dans les années 1930.

Sa propre maison

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La seconde réalisation connue de Gordon Elliott est « une écurie et un garage transformés en maison d’habitation », publié dans L’Illustration de mai 1939, où l’ancien garage, dont la large ouverture est devenue une grande baie vitrée à portes fenêtres, a été converti en living-room. L’intérieur est ici d’un modernisme affiché, alors qu’Elliott n’avait pu exprimer sa créativité dans son intervention limitée au Manoir. Le jardin est quant à lui très modeste et se compose d’une terrasse avec une allée et des parterres de roses. Cette propriété, non localisée, se situe d’après nos recherches à l’actuel numéro 54, rue de l’Église, soit à quelques dizaines de mètres seulement du Manoir de l’Église (au numéro 60), dont elle serait une ancienne dépendance. Il semble d’ailleurs qu’il s’agisse de la propre résidence des Elliott entre 1925 et 1962, puisque en tant que gérant de la propriété Elliott, il résidait d’après les recensements à deux maisons de là, après le concierge. Il devient en tout état de cause propriétaire en 1939 des anciennes dépendances qu’il habite, composées d’une maison, d’un bâtiment et d’une serre.

La Cour Normande : une villa Arts and Crafts

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La Cour Normande, également publiée dans L’Illustration de 1939, ce qui constitue les seules vues existantes du parc conçu par Elliott.

L’intervention d’Elliott à la cour normande concerne d’abord le jardin : c’est à cette occasion que la mare, élément central du clos-masure et située au plus près des bâtiments du logis, a été comblée. Désormais, le centre la cour est occupé par un vaste parterre de gazon bordé de petits murets en grès, qui rappellent ceux des terrasses au Manoir de l’Église. Mais dans l’ensemble, la propriété conserve sa physionomie de cour de clos-masure, seulement teintée de jardin anglais.

En revanche, dans le réaménagement intérieur, Elliott imprime beaucoup plus son style inspiré de l’œuvre de Luytens. En effet, comme le confirme cette publication dans l’Illustration, c’est à Gordon Elliott qu’il convient d’attribuer la réalisation des boiseries de style Arts and Crafts de la Cour Normande, toujours en place. Bien que cette attribution implique une date tardive de réalisation par rapport à la chronologie de ce mouvement artistique (qui s’étend des années 1890 à la fin de la Première Guerre mondiale au plus tard), il faut y voir là encore un hommage à l’œuvre conjointe de Jekyll et Luytens au Bois des Moutiers. Et il faut également y voir l’expression de la personnalité de Gordon Elliott, lui qui fut mécanicien, et qui doit pleinement se reconnaître dans cette philosophie du mouvement Arts and Crafts, qui comme son nom l’indique associe l’art au travail artisanal.

Les boiseries ne sont pas ici seulement des meubles ou des éléments banals comme une porte que l’on passerait sans la regarder, mais ces éléments fonctionnels sont traités chacun comme une œuvre d’art, et dans leur ensemble comme un cadre de vie chaleureux : les portes sont l’objet d’un travail soigné, tant dans l’assemblage des pièces de bois que dans les ferronneries, et sont décorées de ce motif ajouré en forme de cœur répété à l’envi dans toute la maison. Leur encadrement est fait de boiseries soignées et moulurées, et dans le vestibule leur linteau se poursuit en une corniche portée par des corbeaux courant sur tout le mur. Dans le Petit Salon, la bibliothèque n’est pas un meuble : c’est le mur lui-même qui est habillé de boiseries, encadrant élégamment les niches occupées par les rayonnages, de part et d’autre d’une cheminée elle-même entièrement revêtue de plaquages de bois qui vont jusqu’à compartimenter la glace du trumeau. Enfin, l’escalier du vestibule ne renie pas cette ambiance générale : incluant une porte basse percée du célèbre cœur et au linteau incurvé, il enveloppe le fond de cette pièce pourtant fonctionnelle de ses volées disposées à angle droit et habillées de larges planches et dont la jonction offre un audacieux assemblage de pièces de bois en encorbellement.

En conclusion, il apparaît que la Cour Normande actuelle se trouve dans l’état créé par Elliott sans modifications importantes : son intervention a confirmé et entériné le changement d’affectation du lieu, qui n’est définitivement plus une ferme, ni même une simple habitation, mais une villa, propre à l’activité de villégiature en bord de mer pratiquée par les notables parisiens des années 1930.