La gravure étant d'abord une technique de reproduction, son histoire coïncide avec le développement de l'imprimerie. Destinée principalement à la diffusion d'images religieuses à ces débuts, les peintres s'approprient le medium dès la fin du XVe siècle pour promouvoir leurs œuvres.

Remise en cause au XIXe siècle par le développement de nouvelles techniques de reproduction, la gravure prend alors son indépendance par rapport à la peinture.


Premiers développements modifier

En Extrême-Orient modifier

Sutra du Diamant, Dunhuang, 868

La technique de gravure la plus ancienne est la gravure sur bois, inventée en Chine pour orner des vêtements. D'abord gravures bouddhiques, le style des plus anciennes illustrations, retrouvées sur la route de la soie entre Xi'an et Dunhuang, semble inspiré par l'art gréco-bouddhique et la peinture chinoise. Ces techniques se répandront en Corée et au Japon, avec l'expansion du bouddhisme Chan. En Chine et au Tibet, les images imprimées se limitèrent aux illustrations accompagnant le texte jusqu'aux temps modernes.[réf. nécessaire]. Le livre imprimé le plus ancien, le Sūtra du Diamant contient une grande estampe en page de couverture, de même que plusieurs textes bouddhistes. Plus tard, certains artistes chinois notables créèrent des estampes pour les livres, mais les impressions séparées ne se sont pas répandues en Chine en tant que courant artistique.

Apparition de la gravure sur bois en Europe modifier

Sur ce portrait de donateur, daté de 1455, on peut observer une estampe sur le mur. Petrus Christus, National Gallery of Art. Un autre exemple ici.

La gravure sur bois, ou xylographie, arrive en Europe par l'empire byzantin ou le monde islamique aux débuts du XIVe siècle, comme technique d'impression de motifs sur textile. Peu après, le papier arrive également de la Chine, en passant par l'Espagne musulmane. On retrouve des traces de sa production en Italie dès la fin du XIIIe siècle, en Allemagne et en Bourgogne dès la fin du XIVe siècle [1].

Le Bois Protat[2], la plus ancienne matrice occidentale en bois, est datée autour de 1380 : il s'agit du fragment d'une planche en bois de noyer exécutée à Laives, représentant Le Centurion et les Deux Soldats et L'Ange de l'Annonciation[3] ». Signalons aussi le Saint Christophe retrouvé dans la bibliothèque de Buxheim collé sur un manuscrit de 1423[4].

Avant le XVe siècle, les images qui nous sont parvenues sont encore imprimées sur tissu, et sont utilisées comme tentures murales, ou pour décorer autels et lutrins). Certaines servent de patrons et sont brodées, des images religieuses servent de bandages pour accélérer les guérisons [5]. Des images pieuses et des cartes à jouer commencent à être produites sur papier, probablement imprimées en 1395 par un Allemand installé à Bologne [6].

Les estampes les plus anciennes sont généralement d'excellente facture, conçues par des artistes issus du monde de la peinture (murale ou manuscrite). On ne sait pas si ces artistes gravaient leurs bois eux-même, ou s'ils se contentaient de dessiner sur la matrice. Au cours du XVe siècle, la production d'estampes augmente proportionnellement à la diffusion du papier; la qualité artistique baisse, à tel point que les bois gravés de la seconde moitié du XVe sont généralement d'éxécution grossière.

La majorité des estampes datant du XVe sont religieuses [4], mais il faut tenir compte du fait que ces dernières sont probablement mieux conservées que des estampes profanes. Les artistes à l'origine de ces images sont parfois appelés "faiseurs de saints" [7]. Parallèlement à la conception de livres manuscrits, les institutions monacales produisent et vendent des estampes. Aucun artiste n'est identifié avant la fin du siècle[8].

Le peu de preuves à notre disposition suggère que les estampes issues de bois gravés se banalisent durant le XVe siècle, un artisan qualifié pouvait en acheter. L'exemple le plus connu est la Madonna del Fuoco, accrochée au mur d'une petite école de Forlì en 1428: lors d'un incendie, elle s'éleva dans les airs et retomba sur la foule rassemblée. L'estampe miraculée est conservée dans une chapelle dédiée de la cathédrale de Forlì où elle est exposée une fois par an. Comme la majorité des estampes antérieure à 1460, c'est le seul exemplaire retrouvé.[9]

Xylographie anonyme, gravée en Allemagne v. 1480, coloriée à la main. 5.2 x 3.9 cm

L'impression de bois gravés est très légère, et les blocs de bois supportent des milliers de tirages. Dès cette époque, certaines estampes sont probablement imprimées en quantité. Beaucoup sont coloriées à la main, généralement à l'aquarelle. L'Italie, l'Allemagne, la France et les Pays-Bas sont les zones principales de production, l'Angleterre leur emboitant le pas à partir de 1480. Grâce à leur format, les estampes se transportent facilement et se diffusent rapidement en Europe. Un document vénitien de 1441 se plaint déjà des importations à bas coût de cartes à jouer, qui nuisent à l'industrie locale[10].

Produit en grande partie au Pays-Bas, le livre xylographique est alors une forme de livre très populaire, dans laquelle les pages contiennent à la fois du texte et des illustrations. Le plus connu est l'Ars moriendi, dont on a retrouvé 13 matrices différentes[11] [12].

En tant que technique de gravure en relief, le bois gravé peut facilement être imprimé à coté de caractères mobiles. Dès 1450, les imprimeurs insèrent des estampes dans leurs livres, et certains acheteurs les collent parfois eux-mêmes [13] [14]. Un autre usage notable de la gravure à cette époque sont les cartes à jouer, dont les versions françaises reste encore aujourd'hui encore la base de nos de enseignes.

Dès la fin du siècle la demande de bois gravés à fin d'illustration est établie. C'est en Allemagne et en Italie que le niveau artistique s'améliore considérablement. Nuremberg est alors le centre de l'édition allemande: le plus grand éditeur de l'époque, Michael Wolgemut, lance plusieurs projets, dont les immenses Chroniques de Nuremberg[15] sur lesquelles Albrecht Dürer travaille comme apprenti. La carrière de ce dernier va porter la gravure sur bois à son zénith[16].

Le Nord et la taille-douce avant Dürer modifier

Martyr de saint Sébastien, 14,1 × 20,9 cm, Maître des Cartes à jouer, vers 1440, Metropolitan Museum of Art

Durant le Moyen-Age, la gravure sur métal reste le domaine de l'orfèvrerie. L'idée de produire des estampes à partir du métal émergea probablement lorsque des orfèvres souhaitèrent garder une trace de leurs travaux. Certains peintres s'intéressent probablement au procédé dès le milieu du siècle. Contrairement à la xylographie, encore associée aux métiers de la charpenterie, la taille-douce produit des estampes luxueuses. Permettant des reproductions détaillées, elle est plus onéreuse et s'adresse à des commanditaires cultivés. En servant de modèles, elles vont très tôt influencer la peinture et la sculpture (voir à ce sujet les nombreuses séries représentant les apôtres). En particulier dans les petites villes, beaucoup d'œuvres vont s'en inspirer.

De cette époque, les gravures sur métal qui nous sont parvenues restent en majorité des images pieuses, mais abordent plus de sujets profanes que les autres supports artistiques (y compris les bois gravés). Les foyers aisés détenaient certainement des images profanes, mais elles ont rarement survécu: l'Église conserva ses estampes avec plus de soin. Les gravures sur cuivre sont chères, et d'adressent avant tout à la classe moyenne bourgeonnante des cités s'étendant des Pays-Bas jusqu'au au nord de l'Italie, en passant par le Rhin. Leur excellent état de conservation laisse supposer qu'elles sont écartées de la circulation et conservées à l'abri dans des livres ou des collections.[17]. Contrairement à la gravure sur bois, les graveurs sont identifiés dès les débuts. Même s'ils restent souvent anonymes, on les désigne « par le nom de leur manière[4] ».

Maître E. S., Couple d'amoureux sur un banc de jardin (L. 211)

Le Maître des Cartes à jouer, sûrement peintre de formation[18], développe les ombres avec des hachures parallèles, soit une soixantaine d'œuvres conservées au Kupferstich-Kabinett et à la Bibliothèque nationale de France.

Le Maître de 1446, première gravure au burin en Allemagne (la Flagellation, conservée au Kulturforum[4]).

Maître E. S., orfèvre de formation et graveur prolifique, est actif entre 1450 et 1467. Il est le premier à signer ses estampes d'un monogramme gravé sur la matrice. Il développe de nombreuses techniques augmentant le nombre d'impressions qu'on peut tirer d'une plaque. Beaucoup de ses portraits présentent des personnages aux traits bouffis, ce qui réduisit quelque peu l'impact de son œuvre. Son travail est plein de charme, les thèmes profanes et comiques qu'il aborde sont presque absents des peintures de l'époque. Son œuvre est principalement destinée à séduire à seduire un public féminin[19].

Le Maître aux Banderoles, actif de 1460 à 1467, grave au burin. Il éxécute notamment La Fontaine de Jouvence, visible au Musée du Louvre [20].

Le premier artiste majeur à graver sur métal est Martin Schongauer (v. 1450–1491), en Allemagne du Sud. Son père et son frère étant orfèvres, il expérimente probablement la gravure au burin dès son plus jeune age. Ses 116 gravures le rendent célèbre en Italie et en Europe du Nord, où il est extensivement copié, notamment par Gherardo del Fora ou Nicoletto da Modena. Il développe en particulier la technique des hachures croisées pour modeler les volumes et les ombres sur ce support encore purement linéaire[21]. Dürer voudra l'avoir pour maître et Rembrandt collectionnera ses œuvres[réf. nécessaire].

Le second artiste notable de la période est le Maître du Livre de Raison. Graveur allemand, il est actif entre 1465 et 1505 et connu notamment pour ses dessins. Ses gravures sont réalisées exclusivement à la pointe sèche sur zinc ou étain, technique dont il est peut-être l'inventeur. Gravant le trait beaucoup moins profondément que le burin, la pointe sèche est une technique délicate, ne permettant qu'un nombre limité de tirages. En dépit de cette limitation, ses estampes furent diffusés à grande échelle, et largement copiées. 80 gravures sont répertoriées avec des « effets picturaux et de clair-obscur[4] ».

Fait typique de tous les supports avant 1520: aucun droit d'auteur ne protège le travail de l'artiste. La plupart des estampes du Maître du livre de raison ne sont connues que grâce à ces copies, peu d'originaux ayant survécu. Ces derniers sont conservés à Amsterdam, probablement issus de la collection personnelle de l'artiste.

Le premier auto-portrait, par le premier marchand dans l'histoire de la gravure, Israhel van Meckenem et sa femme

Israhel van Meckenem se situe à la frontière entre l'Allemagne et les Pays-Bas. Probablement apprenti de Maître E. S., il dirige l'atelier allemand le plus productif entre 1465 et 1503. Son œuvre est composée de plus de 600 gravures, majoritairement des reproductions d'œuvres antérieures[4]. Conscient de l'importance de son travail, il signe ses dernières estampes de son nom, et réalise le premier auto-portrait gravé. Certaines de ses matrices semblent avoir été retravaillées et produites en plusieurs versions. Beaucoup de ses tirages survivent et témoignent de son habileté commerciale. Ses compositions très vivantes abordent la vie profane de son époque[22].

Les débuts de la gravure italienne modifier

La gravure sur bois et la taille-douce apparaissent en Italie quelques décennies après leur invention au nord. Alors qu'en Allemagne, la taille-douce émerge dans un monde encore gothique, la gravure italienne bénéficie des prémices de la Renaissance. Les estampes sont plus larges, leur atmosphère plus aérée, et elles abordent des sujets classiques ou exotiques. Leur composition est moins dense, les graveurs n'ayant généralement pas recours aux hachures croisées. Très tôt, ils diversifient leur style et abordent des sujets profanes.

La xylographie italienne la plus ancienne est probablement la Madonna del Fuoco. La taille-douce apparait probablement à Florence dans les années 1440. Vasari affirme dans Les vies que c'est le nielliste Maso Finiguerra qui invente la technique, bien que cette allégation soit désormais contredite par l'étude de la gravure allemande. On considère aujourd'hui qu'aucune estampe ne peut lui être attribuée, et il n'a peut-être jamais gravé de plaques. Il réalisa probablement des scènes religieuses à la nielle, qui influencèrent par la suite la gravure florentine. Certaines épreuves en papier et au soufre ont survécu, exposées au Bargello à Florence, une autre au Metropolitan Museum of Art. Des dessins exposés au Musée des Offices lui sont parfois attribués[23].

« Les premiers graveurs sur cuivre, à la suite de Finiguera, sont des orfèvres, nielleurs, damasquineurs […]. Ils sont localisés, d'une part, en Toscane […], Padoue et la Vénétie formant l'autre grande sphère[4]. »

Florence modifier

Antonio Pollaiuolo, Bataille de dix nus, 1470

Entre 1460 et 1490, Florence est le centre de la gravure italienne. Deux styles s'y développent simultanément: la manière fine et la manière large. Ces termes aujourd'hui désuets désignent la largeur du trait employé par le graveur. Les artistes majeurs de la la manière fine sont Baccio Baldini et le Maître de la Passion de Vienne. Pour la manière large, ce sont Francesco Rosselli et Antonio Pollaiuolo, avec notamment son chef-d-œuvre de la gravure florentine du XVe[24]: la Bataille de dix nus. Cette gravure utilise un trait en zigzag caractéristique, dont il est probablement l'inventeur[25].

Une collection d'estampes de facture grossière est exposée au British Museum. Probablement utilisées dans un atelier florentin, elles auraient servi de modèles pour des décorations de boîtes offertes lors des mariages. Leurs thèmes les destinent à un public féminin, amants et cupidons y foisonnent, et y on observe l'allégorie d'un jeune homme battu par des femmes[26].

Ferrare modifier

A partir de 1460, le second centre important en Italie est Ferrare, où sont probablement réalisés les deux tarots de Mantegna, qui sont en fait outils pédagogiques à l'usage des jeunes humanistes. Composés de 50 cartes, on peut y voir les Planètes et les Sphères, Apollon et les Muses, les quatre Vertus, ainsi que "les Conditions de l'homme", du Pape au paysan.[27]

Mantegna à Mantoue modifier

Hercule et Antée, gravure de Mantegna. [28]

Andrea Mantegna fait son apprentissage à Padoue, puis s'installe à Mantoue. Personnage le plus influent de la gravure italienne de ce siècle, on débat encore aujourd'hui pour savoir s'il gravait ses plaques lui-même (voir notamment les travaux de Suzanne Boorsch). Sur toutes les gravures provenant de son atelier (à partir de 1460), sept lui sont personnellement attribuées. L'ensemble constitue cependant un groupe stylistique cohérent, qui reflète son style en dessin et en peinture[29].

Le XVIe siècle modifier

L'impact de Dürer modifier

Dès 1495, le jeune Dürer dirige son propre atelier à Nuremberg. Il produit des gravures sur bois et sur métal d'excellente qualité, qui se diffusent dans les grands centres artistiques européens. A partir de 1505, la plupart des graveurs italiens copient ses estampes en tout ou partie, avant d'incorporer ses avancées technologiques dans leurs travaux. La copie d'estampes est alors une pratique acceptée, mais Dürer est incontestablement le plus copié[30].

Dürer est également peintre, mais ses tableaux sont réservés aux grandes familles de Nuremberg. A la suite de Schongauer et Mantegna, il exerce néanmoins une grande influence sur les peintres de l'époque, qui ne manquent pas de s'intéresser aux possibilités commerciales offertes par la gravure pour asseoir une réputation internationale[31].

L'Italie, de 1500 à 1515 modifier

Pendant une brève période, beaucoup d'artistes, ayant débuté en copiant Dürer, réalisent des gravures originales de très bonne qualité. C'est le cas notamment de Giulio Campagnola, qui traduit les styles de peinture créés à Venise par Giorgione et le Titien.

Marcantonio Raimondi et Agostino Veneziano se forment tous les deux à Venise avant de s'installer à Rome. Leurs estampes de jeunesse affiche déjà des tendances classiques et sont influencées par les gravures nordiques[32].

Les styles du Florentin Cristofano Robetta et de Benedetto Montagna se basent encore sur la peinture italienne de l'époque, puis seront finalement influencés par Giulio Campagnola[33].

Giovanni Battista Palumba, également connu sous le nom de "Maître IB à l'oiseau" est alors le graveur sur bois le plus important d'Italie. On le connait également pour ses gravures sur cuivre représentant des scènes mythologiques, à thème souvent érotique.[34]

L'essor de la gravure de reproduction modifier

Moïse de Michel-Ange, gravé par Jacob Matham, 1593

La copie d'estampe est déjà un phénomène courant, et beaucoup de gravures du XVe siècle sont des copies de tableaux. Néanmoins, elles se présentent encore comme des créations originales, dont la finalité n'est pas la copie. Jamais Dürer ne reproduit ses tableaux avec des estampes, bien que certains de ses portraits et gravures soient basés sur le même dessin.

C'est Mantegna qui réalise en premier des estampes dites de reproduction, avec notamment ses gravures du Triomphe de César (aujourd'hui à Hampton Court Palace). En parallèle avec le développement des techniques artistiques et de l'intérêt du public pour l'art, la représentation fidèle de tableaux comble alors une demande croissante. En temps voulu, cette demande tuera presque le marché des estampes "originales"[35].

La gravure de reproduction prend son essor avec le Titien à Venise, et Raphaël à Rome. Tous deux commencent simultanément à travailler avec des graveurs pour reproduire leurs œuvres.

Titien collabore notamment avec Domenico Campagnola (fils adoptif de Giulio) sur des xylographies (Le Passage de la Mer Rouge, Les Noces mystiques de Sainte Catherine). Raphaël travaille sur cuivre avec Raimondi: « Techniquement, la façon d'utiliser le burin apparaît révolutionnaire, car les hachures simples s'accompagnent de hachures croisées, qui créent un clair-obscur bien plus réel avec ajouts d'incisions au burin et de pointillés[4]. On peut notamment observer Le Songe de Raphaël, 1507. Beaucoup de dessins préparatoires ont survécu à ce jour[36].

Peu après, les tableaux de l'École de Fontainebleau sont reproduits à l'eau-forte, apparemment dans un programme auquel participaient les peintres eux-mêmes[37].

Les partenariats italiens sont artistiquement et commercialement couronnés de succès, et séduisent rapidement des artistes qui se contentent de graver des tableaux de façon indépendante. Particulièrement en Italie, les estampes de reproduction de qualité variable finissent par dominer le marché. Le déclin de la gravure originale s'amorce à partir de 1530. A cette époque, les éditeurs et les marchands d'art prennent une place importante, notamment dans les Flandres et aux Pays-Bas.

Philippe Galle et Hieronymus Cock développent des réseaux de distribution internationaux à partir de 1550, beaucoup d'œuvres sont désormais commissionnées. Le système dans lequel l'artiste est à la fois marchand et imprimeur tombe peu à peu en désuétude: « Jérôme Cock avait dissocié les techniques de production des techniques commerciales et introduit, à l'intérieur de la production, une certaine division du travail. Ainsi apparaissent les mentions du dessinateur (del.), du peintre (pinx.) ou de l'inventeur du motif (inv.), distinctes de celles du fabricant (fec.), graveur (sculp., inc.) et aussi de celles de l'éditeur, dont l'excudit (excud.) semble indiquer plus précisément qu'il est propriétaire de la planche, donc des droits de reproduction [38] [39] ». Les ateliers s'installent dans les grands centres commerciaux et travaillent le cuivre. Dans ce système, le graveur est mieux payé que le dessinateur :« 12 à 20 florins pour un dessin,... plus de 70 florins pour celui qui le grave » [40]. On assiste alors à la naissance de dynasties de graveurs de reproduction qui multiplient les ateliers dans toute l'Europe (De Passe, Sadeler, Wierix) [40].

Dès lors se pose le problème de la reproduction: aux échanges que Dürer pouvait effectuer avec ses confrères[40], se substitue une attitude plus vigilante concernant la copie et la commercialisation [41]. Le développement de l'estampe nécessite donc le développement en parallèle d'un arsenal juridique : c'est le cas à Venise ou à Nuremberg, où une législation appropriée défend la notion toute nouvelle de propriété intellectuelle.

L'impact du commerce de l'estampe reste un sujet de controverse universitaire, mais il est certain que le nombre de gravures italiennes originales décroît considérablement à partir du milieu du siècle.[42] L'importance prise par la bourgeoisie en Allemagne du nord et aux Pays-Bas influence les thèmes des estampes : natures mortes, paysages, portraits et scènes de genre sont parmi les plus demandés.


Le Nord après Dürer modifier

Aucun artiste ne peut ignorer l'œuvre de Dürer à l'époque, mais beaucoup créent leur propre style dans son sillage, pour s'en démarquer parfois fortement. Les artistes du nord de l'Europe font le voyage en Italie, se déplacent à la recherche de mécènes [réf. nécessaire]. Avec la Réforme, l'estampe devient un moyen de diffusion des idées avec Hans Baldung Grien et Lucas Cranach l'Ancien.

Hans Baldung est l'élève de Dürer, qui lui laisse la charge de son atelier durant son second voyage en Italie. Dans ses gravures sur bois, Baldung se distingue par la netteté du trait et le ton dramatique de ses compositions.[43] Il grave notamment Les Sorcières en 1510, et un Portrait de Martin Luther en 1521.

Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) a un an de moins que Dürer, mais ne commence à graver le bois qu'à partir de la trentaine. Il invente la technique du camaïeu à deux bois. Son style intense rappelle Matthias Grünewald, mais s'adoucit par la suite en intégrant l'influence de Dürer. Il concentre néanmoins ses efforts sur la peinture, qu'il finira par dominer en Allemagne. Les bois gravés lui serviront pour la propagande luthérienne et pour les illustrations de livres (Repos pendant la fuite en Égypte, Fondo Corsini, Rome).

La laitière, Lucas van Leyden, 1510

Lucas van Leyden (1494-1533) est un enfant-prodige. Ses premières gravures, techniquement brillantes et truculentes, ont énormément de succès, au point qu'on le considère comme le rival direct de Dürer au nord. Ses gravures les plus récentes souffrent néanmoins de sa volonté d'imiter les maîtres italiens, sans pouvoir atteindre leur dynamisme. Comme Dürer, il s'essaie à l'eau-forte, mais préférera le cuivre. Ses successeurs néerlandais continueront à être influencés par l'Italie[44].

Albrecht Altdorfer (1480-1538) produit des estampes inspirées du style italien, mais reste célèbre pour ses paysages du nord (mélèzes et sapins courbes), très innovants tant en peinture qu'en gravure. Il est l'un des premiers à utiliser l'eau-forte, une technique inventée par Wenceslas d'Olmütz ou Daniel Hopfer[réf. nécessaire], un armurier de Augsburg. Ni Hopfer, ni ses successeurs n'étaient vraiment des artistes. Leurs "estampes de décoration", des motifs conçus à l'usage d'artisanats divers, eurent néanmoins beaucoup d'influence, et leurs images sont charmantes[45].

Hans Burgkmair de Augsburg, la rivale de Nuremberg, est plus vieux que Dürer et par certains aspects ils suivent des carrières parallèles. Formé par Schongauer avant de visiter l'Italie, il y développe sa propre synthèse des styles nordique et italien. Il réalise des tableaux et xylographies destinées au livre, et on a retrouvé de lui beaucoup d'estampes individuelles. On lui attribue aujourd'hui l'invention de la gravure en camaieu [réf. nécessaire][46].

Urs Graf (1485-1528), mercenaire et graveur suisse, utlise également l'eau-forte: « Avide d'expérimentation, il reprend la "manière criblée", nouvelle appellation de l'opus interrasile[4]. » Il invente une technique d'impression inversée, qu'on appelle parfois manière blanche, avec laquelle il grave ses estampes les plus distinctives.[47]

Les Petits Maîtres modifier

Le petit bouffon de Sebald Beham, 1542. 4.4 x 8.1 cm

Les Petits Maîtres (Kleinmeister en allemand) désigne un groupe de graveurs qui réalise de nombreuses chalcographies très détaillées, aux dimensions réduites, à l'attention d'un public bourgeois. Ils combinent des éléments de miniature développés par Dürer et Raimondi, et se concentrent sur des thèmes profanes, souvent mythologiques ou érotiques, plutôt que sur des thèmes religieux.

Les plus talentueux sont Hans Sebald Beham et son benjamin Barthel. Comme Georg Pencz, ils viennent de Nuremberg où ils sont rejetés du conseil pour athéisme. L'autre membre important est Heinrich Aldegraver, luthérien convaincu à tendance anabaptiste, il est probablement forcé à travailler sur des estampes de décoration[48].

Un autre protestant, Hans Holbein le Jeune passe l'essentiel de sa carrière en Angleterre, qui reste encore un marché modeste pour la gravure. Le célèbre graveur sur bois Hans Lützelburger s'inspira de lui pour créer sa série de gravures miniatures intitulée les danses de la mort. Une autre des séries de Holbein, 91 scènes de l'ancien testament, est la tentative la plus réussie de créer une iconographie spécifiquement protestante. Les deux séries sont publiées à Lyon par un éditeur suisse[49].

La fin de cette génération brillante marque le déclin de la gravure allemande originelle, tant en qualité qu'en quantité. Il était peut-être trop difficile de maintenir le style nordique face aux développements commerciaux et artistiques en Italie. Les Pays-Bas prennent la relève, et resteront un centre important de la gravure jusqu'au XVIIIe[50].

La gravure maniériste modifier

Hercule, gravure de Giorgio Ghisi d'après Bertani, 1558

En Italie modifier

Les graveurs italiens se démarquent rapidement de l'héritage de Raimondi et des allemands. Ils commencent à explorer de nouvelles voies techniques.

Parmigianino (1503-1540) réalise ses eaux-fortes lui-même, Les traits épais se croisent et donnent un aspect voilé, le tout rehaussé de quelques retouches à la pointe sèche. Il travaille notamment avec Hugo de Carpi sur des gravures en camaïeu[51].

Giorgio Ghisi est le graveur principal de l'École de Mantoue, ville qui maintint son individualité face à Rome. Son œuvre est principalement constituée de reproductions, mais ses estampes originales sont d'excellente qualité. Il fait le voyage à Anvers, ce qui reflète l'influence des éditeurs flamands sur marché européen de l'époque.

L'Annonciation par Federico Barocci (vers 1585)

Federico Barocci dit le Baroche (1528?-1612) associe eau-forte et burin (L'Annonciation, Fondo Corsini, Rome). « Le Baroche applique un vernis à la cire, après la première morsure, sur la partie de paysage formée de traits fins, presque calligraphiques. Il renonce ainsi à plusieurs passages à l'acide qui creuseraient les sillons dans la matrice. Le résultat, appelé procédé à morsures multiples, est totalement révolutionnaire. À cela s'ajoute une façon particulière de graver : les parallèles croisent les transversales dans plusieurs directions, avec des ajouts de pointillés, pour obtenir des effets de lumière vibrante[4] »

Battista Franco, Andrea Schiavone et Ventura Salimbeni produisent des eaux-fortes, généralement en complément de leurs métiers de peintres ou de graveurs de reproduction.

Annibale Carracci and his cousin Lodovico produisent des eaux fortes, gravées par le frère d'Annibale, Agostino. Les deux frères influencent Guido Reni et les artistes italiens de la période Baroque.[52]

En France modifier

Les artistes italiens connus sous le nom de l'École de Fontainebleau sont engagés par François Ier pour y décorer son château. Au cours du projet, de nombreuses eaux-fortes sont réalisées dans des circonstances inconnues, probablement dans les années 1540. La plupart sont des reproductions de fresques et de plâtres du château (maintenant détruit). Les meilleures gravures issues de cette École sont celles de Léon Davent, d'après des dessins de Primaticcio. Beaucoup de ces artistes (y compris Davent) s'installèrent par la suite à Paris et continuent d'y réaliser des estampes[53].

Le premier graveur français d'envergure est Jean Duvet. Actif de 1520 à 1555, c'est un orfèvre dont le style très personnel le place à mi-chemin de Dürer et William Blake. Ses plaques extrêmement chargées, au dessin brouillon, sont très intenses, à l'opposé de l'École de Fontainebleau dont l'influence sur la gravure française restera prédominante. Il achève son chef-d'œuvre, l'Apocalypse figurée à 70 ans[54].

Aux Pays-Bas modifier

Hercule Farnèse de Goltzius.

Cornelis Cort (1533-1578), graveur Anversois, est formé à l'atelier de Hieronymus Cock, où il développe un style vigoureux, qui excelle dans l'art de créer des effets de lumière dramatiques. Il fait le voyage en Italie, où Titien fait appel à lui pour réaliser des reproductions de ses peintures (Titien avait alors mis en place ses "privilèges", et détenait l'exclusivité de copier ses propres travaux). Titien s'implique dans le travail de Cort pour obtenir les effets désirés, et réalise notamment de nombreuses études préparatoires (il disait que Cort ne pouvait travailler à partir de ses tableaux). Après la mort du Titien, Cort s'installe à Rome, où il révolutionne la technique du burin en obtenant des modulations tonales (Noces de Cana, Bibliothèque nationale, Paris), grâce aux variations de forme et à l'épaisseur des traits. Il forme une nouvelle génération de graveurs importants: Hendrik Goltzius, Francesco Villamena et Agostino Carracci, le dernier maître italien résistant à l'eau-forte[55].

Goltzius, parfois considéré comme le dernier grand graveur, repousse les limites du style de Cort. A cause d'un accident durant l'enfance, il développe un style très particulier. Son usage du burin, dont il pouvait alléger le trait avec facilité, est sans rival. Graveur prolifique, la qualité technique et artistique de son œuvre est très variable. Ses meilleures gravures font penser à l'énergie de Rubens[56].

Un autre élève de Cort, plus connu pour son œuvre en peinture, est Pieter Brueghel l'Ancien. Il réalise des estampes dans un style complètement différent, avec des gravures de facture simple. Il ne produit qu'une seule eau-forte, les chasseurs de lapin, mais dessine beaucoup pour les graveurs d'Anvers, couvrant la vie paysanne, les événements importants, ainsi que des satires[57].

A la même époque, de nombreux graveurs des Pays-Bas produisent des estampes de reproduction et d'illustration, à la qualité et au succès variables. Les dynasties remarquables sont la famille Wierix, les Saenredams, et Egidius Sadeler. Déja évoqué plus haut, Philippe Galle monte son affaire, qui sera reprise par ses héritiers, et Théodore de Bry se spécialise dans l'illustration de livres traitant des nouvelles colonies[58].

Le XVIIe siècle et le baroque modifier

Le XVIIe est témoin d'une croissance ininterrompue de l'estampe commerciale et de reproduction. L'eau-forte est désormais la technique de gravure privilégiée. Ce système met en lumière les peintres célèbres et influence très fortement le goût : « À son tour, le graveur - qui instinctivement interprétait les formes dans le sens de sa propre vision - voyait l'art antique à travers les regards des théoriciens de son époque : on a montré ainsi qu'un graveur du XVIe siècle avait reproduit une fresque décrite par Vasari en introduisant dans sa copie les erreurs qui s'étaient glissées dans la description de l'écrivain[38] ». Les artistes réservent désormais leur signature en fonction de la clientèle : Rubens, François de Poilly, ou dans une moindre mesure Antoine van Dyck sont très représentatifs de cet état d'esprit. Dans ce cadre, l'importance de la gravure d'artiste est minime.

Le Nord modifier

Pierre Paul Rubens (1577-1640), comme Titien avant lui, prend soin de former ses graveurs pour qu'ils se conforment à son style[59]: « Il a le grand mérite d'avoir fondé l'école des burinistes d'Anvers... Pour lui, l'estampe est un moyen de diffusion et de connaissance... Il utilise essentiellement la gravure comme moyen de traduction[4] ». Deux estampes présentent l'inscription P. Paul Rubens fecit (Vieille femme à la chandelle, Rome, Fondo Corsini).

La génération qui suit est composée de graveurs dispersés, de style très différent.

Auto-portrait, Rembrandt, 1630

Rembrandt (1606-1669) achète une presse dès les premiers jours de sa célébrité. Il réalise des eaux-fortes, mais n'hésite pas à mélanger les techniques, en revenant notamment sur ses eaux-fortes avec un burin ou une pointe sèche. Très impliqué lors du tirage, il encre probablement ses plaques lui-même pour obtenir les tonalités qu'il désire et expérimente également divers types de papier. Il perdra la presse lors de sa faillite en 1656. Ses estampes font heureusement la joie des collectionneurs, et sont depuis toujours répertoriées avec soin, de nombreux états survivant à ce jour. Son œuvre gravée couvre un éventail de thèmes plus variés que ses tableaux, elle est composée de paysages sobres, d'auto-portraits cocasses, de sujets religieux ou plus rarement érotiques. Ses travaux le conduisent à étudier les effets de lumière et les contrastes avec des arrière-plans très sombres. Sa réputation de maître de l'eau-forte naît de son vivant, et ne sera jamais remise en question. Peu de ses tableaux quittent la Hollande avant sa mort, mais ses estampes circulent dans toute l'Europe et fondent sa notoriété[60].

Beaucoup d'artistes de l'Âge d'or néerlandais réalisent des estampes de qualité, se cantonnant généralement aux thèmes qu'ils abordent dans leur peinture. Hercules Seghers et Jacob van Ruysdael gravent quelques paysages, Nicolaes Berchem et Karel Dujardin des portraits et des paysages italianisants, Adriaen van Ostade, des scènes de la vie agricole. Aucun n'est vraiment prolifique, mais le paysage d'inspiration italienne est le thème le plus récurrent. Berchem tire plus de revenus de ses gravures que de ses tableaux[61].

Wenceslas Hollar est un artiste de Bohème, qui fuit son pays lors de la Guerre de Trente Ans pour s'installer en Angleterre. Pris à parti durant la Première Révolution anglaise, il s'exile avec son mécène royaliste à Anvers, et travaillera dès lors avec les éditeurs flamands. Il réalise de nombreuses eaux-fortes dans un style réaliste, comprenant des vues aériennes, des portraits, des scènes décrivant des métiers et des passe-temps[62].

Antoine van Dyck réalise une grande série de portraits de notables, son iconographie. Il grave quelques-unes de ces plaques lui-même, et la série influencera durablement l'eau-forte au XIXe[63].

Ludwig von Siegen, un soldat allemand, invente la manière noire, qui se popularise au XVIIIe, notamment chez les graveurs anglais.[64]

En Italie modifier

La résurrection de Lazare par Castiglione, eau-forte

En Italie, « à Florence, les sujets sont inspirés de la grande tradition de la fresque et des retables d'autel et les gravures traduisent les conquêtes spatiales et plastiques de la Renaissance. L'iconographie reflète la culture encyclopédique et néoplatonicienne, l'esprit moraliste et allégorique »[4]. De 1572 à 1630, sous l'impulsion des institutions religieuses et de l'éditeur Lafréry, Rome devient le haut lieu de la gravure de reproduction. Le graveur Enea Vico est particulièrement prolifique. Certains mécènes et intellectuels remettent néanmoins à l'honneur la gravure d'artiste, comme Niccolo Simonelli, au service des Chigi, qui aide Salvator Rosa, Pietro Testa ou G. B. Castiglione.

Augustin Carrache (1557-1602) est considéré comme l'un des plus grands graveurs du XVIIe siècle italien (L'Adoration des Mages en sept gravures sur cuivre, 1579). Le travail du burin n'est pas sans rappeler Cort et Goltzius. À partir de 1590, il entreprend des eaux-fortes : les Intermezzi en l'honneur des noces de Ferdinand de Médicis et Christine de Lorraine.

Giovanni Benedetto Castiglione (1609-1665) grandit à Gênes, influencé pendant sa jeunesse par les séjours de Rubens et de van Dyck. Sa technique d'eau-forte est extrêmement flexible, il aborde souvent les mêmes thèmes dans des compositions très différentes. Ses gravures de jeunesse comprennent des traitements magnifiques de la vie pastorale ou de sujets classiques. Il se concentre sur des thèmes plus religieux à la fin de sa carrière. Innovant, il invente le monotype[4] et la technique du dessin à l'huile sur papier. Comme Rembrandt, il s'intéresse au effets de clair-obscur.[65] Castiglione utilisait non le monotype sur fond noir, mais le monotype sur fond blanc (l'Allégorie de l'eucharistie)[66].

Jusepe de Ribera a peut-être appris l'eau-forte à Rome, mais la trentaine de gravures qu'on lui attribue sont éxécutées à Naples dans les années 1620, alors que sa carrière de peintre tarde à décoller. Lorsque les commandes de peinture redémarrent, il abandonne complètement la gravure. Ses plaques sont vendues après sa mort à un éditeur romain, qui les commercialise avec succès. Son style direct et puissant se développa rapidement, et restera proche de sa peinture (Le Poète, 1620, Rome, ING)[67].

Stefano della Bella (1610-1644) a une production impressionnante : plus de mille gravures, dont la majeure partie sont des eaux-fortes rehaussées au burin et à la pointe sèche (Les Caprices de la mort, c.1648). Il éxécute beaucoup de petites eaux-fortes très détaillées, ainsi que des œuvres plus grandes et plus libres, proches de la tradition italienne de dessin.[68]

En France modifier

Les années 1630 voient les publics bourgeois et anoblis s'intéresser à l'estampe : « Les cabinets de curiosité font partie de l'arsenal indispensable de tout homme éclairé : le carton d'estampe en est le noyau. » [69]

Le graveur de reproduction voit son succès grandir et se rapproche du statut d'artiste: Michel Dorigny, connu pour ses reproductions de Simon Vouet, rentre à l'Académie royale. La déclaration royale de 1660 dispose que « La gloire de la France [...] est de cultiver autant que possible les arts libéraux, tel qu'est celui de la gravure en taille-douce, au burin et à l'eau-forte, qui dépend de l'imagination de ses auteurs et ne peut être assujetti à d'autres lois que celles de leur génie ». Colbert achète la collection de Marolles. L'Académie oblige néanmoins tout candidat « à ne pas tenir boutique et à briser son enseigne ». Par le biais de la Communauté des libraires, l'administration impose le dépôt légal. Cela n'entrave pas la vente des estampes : les prix ne dépendent pas de la notoriété de l'artiste, mais plutôt de la taille du cuivre et du temps de travail. François Poilly voit son œuvre gravée atteindre les mêmes prix que les estampes d'après Rubens ou Rembrandt.

Jacques Bellange est peintre de cour en Lorraine, un monde qui disparaitra brutalement peu après sa mort, lors de la Guerre de Trente Ans. Aucun de ses tableaux n'est identifié avec certitude, et les quelques qui lui sont attribués ne sont pas impressionants. Ses gravures, généralement religieuses, présentent un somptueux étalage baroque qui effraiera la critique du XIXe siècle. Comme son compatriote Georges de La Tour, il bénéficiera tardivement d'un retour en grâce. Premier artiste lorrain d'envergure, il influence sûrement le jeune Jacques Callot, qui va marquer à son tour la gravure française[70].

Le massacre des innocents par Callot, 13.7 x 10.5 cm, utilisant la technique des morsures successives

Les améliorations techniques de Callot dans le domaine du vernis à graver sont cruciales pour comprendre le développement l'eau-forte face au burin. La nature tradionnellement instable des vernis empêchait les artistes de trop investir dans une plaque à l'eau-forte, le travail pouvant facilement être ruiné par un défaut du vernis[71]. Il développe une nouvelle retenue dans ses paysages, en utilisant des morsures successives pour nuancer les arrière-plans. Enfin, il utilise une aiguille spéciale, l'échoppe, pour graver des traits de largeur variable, qui après morsure ressemblent à une gravure au burin. Il manie également le burin pour retravailler ses eaux-fortes, une pratique qui se répandra rapidement chez les aquafortistes. Callot entreprend d'exploiter lui-même ces nouvelles possibilités; la plupart de ses eaux-fortes sont de petite dimension mais fourmillent de détails. Son œuvre aborde une grande variété de thèmes, souvent grotesques, en plus de 1400 gravures. Sa série la plus connue sont Les Grandes Misères de la guerre.[72]

Manière noire de Vaillant, assistant de Siegen

Abraham Bosse, aquafortiste parisien spécialisé dans l'illustration, popularise les méthodes de Callot dans son célèbre Traicté des manieres de graver en taille douce sur l'airin. Son œuvre, qui porte sur la vie en France du milieu du siècle, remporte un succès certain en valorisant l'eau-forte comme alternative au burin.

Le dernier tiers du XVIIe siècle siècle ne verra plus de gravures originales d'un réel intérêt, mais l'estampe d'illustration atteint alors un excellent niveau. Du XVIe siècle au XVIIe siècle, on assiste à un engouement pour le portrait: « Tout le monde veut se faire portraire et graver... un graveur, homme d'esprit et qui fait commerce d'estampes, vendait les princes pendant leur vie, les auteurs après leur mort. Il disait d'une planche gravée : il faut se dépêcher de tirer car le prince ne vivra pas longtemps... une vanité bête multiplie de toutes parts les portraits. voilà bien les planches de cuivre ! Qu'a-t-on besoin de la physionomie de ces personnages subalternes? On grave et le peintre et le graveur et l'imprimeur en taille-douce et le papetier ; ce sera sans doute bientôt le tour du vendeur d'estampes... » [73].

L'École francaise du portrait est alors la meilleure en Europe. L'estampe ne représente que les personnages illustres : les portraits de bourgeois restent rares au XVIIIe siècle. Ils intègrent souvent le burin et l'eau-forte dans une même œuvre, et la production est brillante. Les artistes les plus notables sont Thomas de Leu, Claude Mellan et son contemporain Jean Morin, ainsi que Pierre Drevet.

Robert Nanteuil, graveur officiel de Louis XIV, réalise plus de 200 portraits de la cour et de personnalités françaises[74].

Le XVIIIe siècle modifier

La gravure sur cuivre prédomine alors sous ses diverses formes, cantonnant la gravure sur bois à l'imagerie populaire. Les illustrations de l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert montrent combien la gravure contribue à la diffusion du savoir.

Considérations économiques modifier

Le marché de l'estampe modifier

Une vue de Rome par le Piranèse

Le marché de l'estampe s'élargit : en ville il intéresse des couches de population de plus en plus larges, en province il séduit un public instruit. L'eau-forte profite de cette démocratisation de l'estampe : le procédé est à la mode parmi les artistes amateurs issus « du milieu aisé de la finance, ... de la noblesse, ... de la haute bourgeoisie, et occupant ainsi de longs loisirs. Ce développement suit celui des miniatures et des gouaches qui apparaissent respectivement au Salon en 1739 et 1759. C'est cet engouement qui est à l'origine de la taille-douce imprimée en couleurs à partir de plusieurs planches.

Les moyens techniques dont disposent les graveurs de reproduction continuent à se développer. Beaucoup d'estampes issues de la manière noire anglaise[75] et de l'École française sont recherchées. Les tentatives françaises de produire des estampes en couleur portent leurs fruits à la fin du siècle avec l'aquatinte, les manières de lavis, de pastel, d'aquarelle et de crayon. Ces techniques restent néanmoins coûteuses, et peu d'artistes les adoptent[76].

Le développement du roman motive une demande pour des illustrations petites et très détaillées. Beaucoup de français se spécialisent dans ce domaine, mais c'est Daniel Chodowiecki, allemand d'origine polonaise, qui marquera la discipline. Ses illustrations de livres, à base d'eaux-fortes, sont merveilleusement travaillées et représentatives des ferveurs révolutionnaires et nationalistes qui vont s'emparer du XIXe siècle[77].

Le problème de la copie modifier

Le problème de la copie se pose avec le développement d'un marché utilisant aussi bien des retirages que des copies élaborées par de plus ou moins bons aquafortistes : « Par sa diffusion même, l'estampe facilite la copie et, parce qu'elle est déjà elle-même une reproduction, elle se distingue mal des reproductions qu'on fait d'elle. Ainsi, une fois sortie de l'atelier, l'estampe devient pour quiconque le veut, un modèle à copier» .[78] On peut notamment citer les copies de Rembrandt par Basan, Watelet, Novelli ou Cumano.[78] A Paris, rue Saint-Jacques, se développent de grosses affaires, comme celles de Jacques Chiquet ou de Jacques Chéreau, qui s'avèrent très rentables.

Développement des collections modifier

C'est à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle que les collections d'estampes s'organisent et deviennent rapidement très en vogue : Claude Maugis et sa collection sur Dürer, le duc de Mortemart et ses 25 000 estampes, Florent-le-Comte et le premier manuel de collectionneur, les conseils aux amateurs de Dezailler d'Argenville dans le Mercure de France en 1727. « On n'y trouve guère de jugement proprement formel et le goût se remarque non au choix des épreuves mais à l'équilibre de l'ensemble. la gravure y est appréciée comme reproduction, son rôle est de donner l'idée des bons tableaux et des dessins des grands maîtres. » Le classement par thème est préféré au classement par auteur, ce dernier risquant de lasser le simple collectionneur. Qui dit collection, dit modification des attributions du marchand d'estampes : celui-ci devient un connaisseur capable d'aiguiller correctement un client vers une œuvre. Après 1730, on voit se multiplier les catalogues recensant les œuvres à vendre avec préface du marchand[79]. C'est dans ce contexte qu'est publié le Dictionnaire des graveurs anciens et modernes de Basan en 1767, puis l'Idée générale pour une collection d'estampes de Heinecken en 1771[80]. Si l'estampe devient l'élément central des « cabinets » européens[81], son rôle devient majeur dans les écoles d'art : que ce soit l'École libre de Blondel (1741) ou l'École des beaux-arts (1795).

Les artistes du XVIIIe siècle: néoclacissisme et romantisme modifier

L'engouement des collectionneurs du XVIIIe siècle pour les vues de paysages italiens oriente la production des graveurs tels Vanvitelli (1653-1736), Giuseppe Vasi (1710-1782), Luca Carlevarijs (1663-1730), Marco Ricci (1617-1730). Ce dernier dans ses eaux-fortes introduira les traits minuscules et dentelés afin de traduire les effets de lumière et le mouvement des frondaisons.

Canaletto (1697-1768) est également un peintre védutiste a succès. Il apprécie les possibilités ouvertes par l'eau-forte et réalise quelques estampes qui se démarquent de son œuvre peinte (Caprice avec balcon et galerie sur la lagune, 1763, Windsor Castle, Royal Collection).

Le Piranèse, architecte et graveur, innove techniquement en allongeant la durée de vie de ses plaques de cuivre. Ses Vues de Rome, une série de 100 gravures, sont supportées par une compréhension sérieuse de l'architecture romaine et moderne. Il exploite brillament le drame des ruines antiques et du baroque romain. Beaucoup d'estampes sur Rome avaient été produites avant lui, mais sa vision de la ville reste aujourd'hui prépondérante.

Giambattista Tiepolo produit des eaux-fortes brillantes à la fin de sa longue carrière. Il y expose des caprices intemporels, composés de ruines et de pins, peuplés de jeunes dans la force de leur âge, de philosophes flamboyants, de soldats et de satyres. Des hiboux mal lunés observent ces scènes de haut. Son fils Domenico produit ses propres eaux fortes dans un style similaire, mais aborde des sujets plus conventionnels, et il reproduit souvent les tableaux de son père[82].

En Angleterre, les gravures au burin de William Hogarth sont extrêmement populaires parmi les classes moyennes et aisées. Il se soucie peu de la technique, la plupart de ses estampes étant destinées à reproduire ses propres tableaux. Son œuvre chargée véhicule souvent ses idées morales et politiques. It would not be possible, without knowing, to distinguish these from his original prints, which have the same aim. He priced his prints to reach a middle and even upper working-class market, and was brilliantly successful in this[83].

One of Les Désastres de la guerre, aquatinte de Goya

Les aquatintes violentes de Goya semblent illustrer une œuvre de fiction, mais leurs significations multiples doivent être interprétées au regard des commentaires qui les accompagnent. Il aborde très tôt dans ses estampes un monde macabre qui ne percera que tardivement dans sa peinture. Toutes sont publiées en plusieurs séries, les plus célèbres sont Los Caprichos et Los Desastros de la guerra. De nombreuses rééditions paraissent après sa mort, mais ses aquatintes délicates s'estompèrent, ou durent être retravaillées[84].

William Blake, aussi exubérant dans les sujets qu'il aborde que dans la vie, invente un procédé à l'eau-forte en relief qui domine quelque temps le marché de l'illustration. La plupart de ses estampes illustrent ses livres, et sont publiées sur la même page que le texte, comme dans un livre xylographique du XVe siècle[85].

Avec le romantisme, la gravure originale fait son retour dans plusieurs pays, notamment en Allemagne. La plupart des nazaréens sont graveurs[86].

En Angleterre, on peut noter John Sell Cotman, qui grave paysages et bâtiments sans apprêt, à l'eau-forte. Turner réalise plusieurs séries, dont le Liber Studiorum, composé de 71 mezzotintes à l'impact décisif sur les peintres paysagistes à venir. Linda Hults le décrit comme un "manuel des paysages, [...] une affirmation de sa philosophie du paysage[87].

On note quelques eaux-fortes de Delacroix à la fin du siècle.[88] La gravure d'artiste va alors connaître un renouveau au XIXe siècle, bénéficiant de nombreuses innovations techniques.[89]

Le XIXe siècle modifier

« La grande période de traduction des œuvres des artistes les plus fameux prend fin avec le néoclassicisme».[4] Deux révolutions surviennent à la fin du XVIIIe siècle, d'une part l'apparition des procédés mécaniques (notamment la lithographie), d'autre part un renouveau de la gravure originale (notamment la gravure sur bois de bout).

L'apparition de nouveaux procédés de reproduction modifier

Boutique de Delpech, éditeur de Raffet, de Charlet, etc., vers 1815.
Boutique de Gibaut, marchand d'estampes et éditeur, boulevard des Italiens, vers 1835.

L'estampe entre dans une ère nouvelle : recherches sur le papier de Jacob-Christian Schaeffer, brevet sur la fabrication du papier mécanique de Nicolas-Louis Robert, physionotraces de Gilles-Louis Chrétien, progrès de la presse à vapeur (1814), encre industrielle (1818), images d'Épinal pour un public plus populaire [90]. Le travail est parcellisé ; « des dizaines de graveurs se relayaient jour et nuit, sous surveillance, chacun penché sur quelques centimètres carrés d'une image qu'on reconstituait ensuite pour former de vastes planches destinées à l'illustration ds livres bon marché et des premiers magazines éducatifs »[91].

La reproduction du dessin trouve une solution avec l'invention de la lithographie en 1796. Elle permet de dessiner directement, sans avoir à apprendre une technique de gravure ardue. Largement diffusée en Allemagne, Italie, France et Grande-Bretagne, de nombreux peintres et illustrateurs accèdent ainsi à l'estampe. En 1824, la lithographie est dotée d'une section spécifique au Salon et six ans plus tard le nombre de lithographies exposées dépassait la centaine d'œuvres. Les portraits et les paysages se multiplient, leur prix de vente est bon marché : Lemercier, imprimeur parisien, possédait dans son atelier quatre-vingts presses. La « France des notables » goûte fort ce nouveau procédé, comme le prouvent les rééditions successives des Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France entre 1820 et 1878. A partir de 1836, l'acier prend le pas sur la lithographie et la galvanoplastie facilite les tirages d'estampe à partir de 1836 [92].

La concurrence de la photographie modifier

Avant 1860, le graveur recopie le modèle photographié sur la plaque, ou retravaille le daguerréotype. On essaie une solution intéressante : le « cliché-verre », qui permet une œuvre à mi-chemin entre le dessin, l'eau-forte et la photographie. Des graveurs comme Calamatta, Nanteuil refusent catégoriquement que la photographie soit reconnue comme une œuvre d'art, mais c'est un combat d'arrière-garde.

La gravure de reproduction modifier

Fin XVIIIe siècle, le Britannique Thomas Bewick avait remis au goût du jour la gravure sur bois, en mettant au point une nouvelle technique dite de gravure sur bois de bout. Au lieu de graver le bois dans le sens habituel, en luttant contre le fil du bois, on travaille sur du bois dur, coupé perpendiculairement au sens des fibres. Le bois est gravé au burin, ce qui permet les finesses du cuivre, tout en conservant l'avantage de la taille d'épargne: l'impression sur presse typographique, en même temps que le texte.

Introduite en France par Charles Thompson vers 1818, cette technique est utilisée de manière universelle par l'édition et la presse. Des centaines de graveurs, desquels se détachent de grands noms, comme Héliodore Pisan, François Pannemaker et fils, Hippolyte Lavoignat, travaillent quotidiennement pour interpréter les œuvres des grands illustrateurs comme Honoré Daumier, Gustave Doré, Grandville, entre autres. Avec la croissance de la presse, la gravure sur bois tend à devenir une industrie de reproduction, servie par des techniciens virtuoses, mais souvent dépourvue de créativité.

Les tentatives de retour à une gravure sur bois originale, avec des graveurs comme Auguste Lepère, arrive trop tard à la fin du XIXe siècle, la gravure étant supplantée par les techniques basées sur la photographie (similigravure).

Pour les marchands comme pour les artistes, la gravure de reproduction génère encore des revenus substantiels[93]. Néanmoins, les graveurs de reproduction se sentent en danger face aux nouveaux procédés mécaniques et par le goût de plus en plus vif pour la gravure originale. Ils se reconvertissent dès le début du Second Empire : les exemples de reconversions les plus connues sont Daubigny, Whistler et Meryon[94].

La gravure d'artiste modifier

L'estampe s'éloigne de la reproduction : la création de la Société des Aquafortistes de Cadart en 1862 ou le réveil de l'Etching Club en Angleterre en sont les signes les plus visibles. En 1889, la reconnaissance de l'estampe comme œuvre d'art majeur est entérinée par la création de la Société des peintres-graveurs français : estampes, dessin et peintures sont présentés sur un pied d'égalité. Deux problèmes restent en suspens : la lithographie qui apparaît comme le moyen de diffusion bon marché et l'emploi de la couleur suspecté de vouloir séduire un public facile. « Par ses principes, ses origines et ses traditions, l'art de la gravure est sans contredit l'art du noir et du blanc », déclare en 1898 le président de la section de gravure et de lithographie du Salon.

Le succès de l'estampe se manifeste également avec la parution de nombreuses revues parisiennes : L'Estampe originale (1888), La Revue blanche (1891), L'Épreuve (1894), Les Maîtres de l'affiche (1895), L'Image (1896), L'Estampe moderne (1897), L'Estampe et l'Affiche (1897). Hors de France, des revues comme The Studio (Londres, 1893), The Yellow Book (Londres, 1894), Pan (Berlin, 1895), The Poster (Londres, 1898), s'ouvrent aux estampes. En 1898, le marché de l'estampe est définitivement installé dans le champ artistique [95], même si les graveurs de reproduction n'ont pas encore disparu.

Les peintres, comme Manet, Millet sont amenés à reproduire leurs propres tableaux : petit à petit se met en place le nombre limité de reproduction et la destruction de la planche en fin de tirage. C'est le critique Burty qui l'impose à Millet au grand dam de ce dernier : « Je trouve cette destruction des planches tout ce qu'il y a de plus brutal et de plus barbare. Je ne suis pas assez fort en combinaisons commerciales pour comprendre à quoi cela aboutit (24 janvier 1869). » E. Galichon va également dans cette voie et parle de la « distance qu'il y a entre les gravures émanant directement de l'artiste qui y met son âme et celles peut-être plus soigneusement exécutées de ces traducteurs qui ne reproduisent qu'avec froideur les chefs-d'œuvre ».

Whistler, Pissarro et surtout Degas font émerger la gravure d'artiste, l'estampe « originale » : variation des papiers, numérotation ds tirages, monotypes, augmentation du nombre des états, signature manuscrite. Les États-Unis, à travers leurs collectionneurs et leurs artistes venant en France, vont être un puissant levain pour cette nouvelle orientation : « L'esprit américain est spécialement adapté à l'expression artistique sous cette forme et il ne fait pas de doute qu'elle prendra un essor vigoureux » [96].

Whistler est initié à la gravure avec Henri Fantin-Latour, Gustave Courbet, et Alphonse Legros. Il débutera par l'eau-forte pour ensuite travailler la pointe sèche en 1871 (Portrait de la famille Leyland).

Les impressionistes utilisent la gravure et la lithographie pour traduire les atmosphères de leurs tableaux. On peut citer la ''la danseuse Lola de Valence'' et le monototype de Degas: Femme à sa toilette. Camille Pissarro (Femmes cueillant de l'herbe) et Paul Gauguin (Te Faruru) sont plus amateurs de gravures sur bois. Pierre Renoir, Paul Cézanne et Vincent van Gogh auront également recours aux procédés de gravure.

L'École de Barbizon expérimente de nouvelles techniques, comme le cliché-verre[97]. Millet et Corot adoptent cette nouvelle technique.

En Italie, Antonio Fontanesi redécouvre l'eau-forte d'invention : il a recours aux morsures successives, et utilise aussi le cliché-verre. Giovanni Fattori (1825-1908) est un des grands maîtres de l'eau-forte, ce qui fera dire à Baudelaire : « parmi les expressions de l'art plastique, l'eau-forte est celle qui se rapproche le plus de l'expression littéraire et qui est la mieux faite pour l'homme spontané[98]. »

À la suite de Gauguin, le bois gravé connaît une renaissance chez les expressionnistes allemands du Die Brücke et du Blaue Reiter qui jouent avec la simplification des formes: « pour la Brücke, comme pour Munch, la gravure fut un moyen de séduire un public beaucoup plus vaste que ne l'aurait été une simple toile. Marginaux, étrangers aux groupes artistiques reconnus, ce type de gravures, qui ne pouvait que difficilement s'intégrer dans le circuit des marchands et des galeries apparaissait à la fois comme un moyen de provocation, de diffusion, de séduction — au niveau des thèmes et de la liberté des formes — à l'égard d'un public qui ne manquerait pas de réagir à la violence du style » [99].

Mont-Blanc par Félix Vallotton (1892).

Débarrassée de ses contraintes utilitaires, la gravure revient à un pur domaine artistique, retrouvant et modernisant les techniques traditionnelles. Le XXe siècle redécouvre le bois de fil, sa simplicité et sa valeur expressive, avec des artistes comme Félix Vallotton (La Manifestation, Lausanne, galerie Vallotton) et Edvard Munch.


La gravure au XXe siècle modifier

L'URSS et la Chine socialiste redécouvrent la gravure sur bois et le rôle de l'estampe populaire. Aux États-Unis, la Work Projects Administration permet aux graveurs de poursuivre leur travail malgré la crise économique. En France, les commandes passées aux artistes permettent aux ateliers de passer un cap difficile. c'est le cas de l'atelier Blanc qui survit grâce à la commande de Bernheim à Jacques Villon, ou de l'atelier de tirage Lacourière avec la commande Vollard à Picasso. L'Atelier 17 de S.W.Hayter ouvert à Paris en 1927 est le prototype de l'atelier de gravure qui fonctionne sur le modèle des ateliers de peinture. On peut également citer l'atelier 63 de Joëlle Serve.

Matisse expérimente toutes les techniques : xylogravure, eau-forte, pointe sèche (Henri Matisse gravant, 1900), lithographie (Grande Odalisque avec pantalon à bayadère, 1925, Berne, E.W.K. collection), aquatinte et linogravure.

Giorgio Morandi (1890-1964) « parvient à fusionner une lumière génératrice de la forme, un volume qui la construit plastiquement et une couleur qui permet de la distinguer en se plaçant comme ton ou "couleur position[4]". » Maîtrise du trait, morsure unique grâce au mordant hollandais lui permettent de transcrire les flots de lumière.

Picasso (1881-1973) va énormément graver : pas moins de deux mille œuvres connues. Initié par Roger Lacourière en 1933 au burin et à l'aquatinte avec du sucre, il essaie tous les procédés et les renouvelle : les différents états nous montrent un artiste perfectionniste. il créera la .

Georges Gimel (1898-1962), à partir de 1921, réalise de nombreux bois gravés au burin et des aquatintes au sel pour des illustrations : Musiciens, préface d’André Cœuroy, portrait de Déodat de Séverac, retenu par la Bibliothèque nationale de France[100]. Il met au point des xylographies avec lesquelles il exécute des tissus imprimés pour la décoration et pour la haute couture.

Philippe Mohlitz ou Érik Desmazières remettent à l'honneur le burin, Mario Avati la manière noire, Philippe Favier la pointe sèche, et de nombreux artistes jeunes et moins jeunes s'intéressent à la gravure pour la variété des techniques et leurs multiples combinaisons. Un débouché existe dans la gravure en taille-douce de certains timbres-poste avec les anciens élèves de l'Ecole Estienne, groupés dans l'association Art du timbre gravé.

L'utilisation de nouveaux matériaux et de nouveaux procédés[réf. nécessaire], notamment dans les œuvres de Jean Fautrier, Raoul Ubac, Johnny Friedlaender, Stanley Hayter, Henri-Georges Adam, Roger Vieillard, Marcel Fiorini, Louttre.B ou Pierre Courtin, libère la gravure de toute subordination au dessin ou à la peinture et, l'engageant dans la reconnaissance de ses moyens spécifiques, assure l'entière autonomie de son expression.

Notes modifier


  1. Griffiths (1980), 16
  2. Du nom de l'imprimeur Jules Protat, collectionneur, habitant Mâcon au XIXe s. (F. Courboin, 1923) ; cette œuvre se trouve désormais conservée à la BNF, Cabinet des estampes.
  3. in L. Lieure, L'École française de gravure, La renaissance du Livre, Paris, 1928.
  4. a b c d e f g h i j k l m n et o Maria Cristina Paoluzzi : La Gravure, Solar, 2004. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « Paoluzzi » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  5. Hind, Arthur M. (1935) An Introduction to a History of Woodcut. Boston, Mass.: Houghton Mifflin Co. (reprinted by Dover Publications, New York, 1963 (ISBN 0-486-20952-0))
  6. Field, Richard(1965) Fifteenth Century Woodcuts and Metalcuts. Washington, DC: National Gallery of Art
  7. Landau, David & Parshall, Peter (1996) The Renaissance Print. New Haven: Yale U. P. (ISBN 0-300-06883-2)
  8. Landau & Parshall, 1-6, quotes 2, 33-42; Mayor, 5-10
  9. Mayor, 10
  10. Mayor, 14-17
  11. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 27.
  12. Mayor, 24-27
  13. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 23.
  14. un certains nombre ont survécu à l'intérieur de boîtes ou de coffres comme ici
  15. Landau & Parshall, 34-42; Mayor, 32-60; Bartrum (1995), 17-19
  16. Bartrum, 17-63; Landau & Parshall, 167-174
  17. Landau & Parshall, 46-51, 64
  18. Shestack (1967a), #s 1-2; Mayor, 115-117
  19. Shestack (1967b); Shestack (1967a), #s 4-19; Spangeberg, 1-3; Mayor, 118-123; Landau & Parshall, 46-50
  20. Grande Galerie - Le Journal du Louvre, juin/juillet/août 2011, n°16).
  21. Shestack (1967a), #s 34-115; Landau & Parshall, 50-56; Mayor, 130-135; Spangeberg, 5-7; Bartrum, 20-21
  22. Landau & Parshall, 56-63; Mayor, 138-140
  23. Levinson; Landau & Parshall, 65
  24. Langdale; Landau & Parshall, 65, 72-76
  25. Langdale
  26. Landau & Parshall, 89; Levinson
  27. Landau & Parshall, 71-72; Spangeberg, 4-5
  28. Levinson No.83
  29. Landau & Parshall, 65-71; Mayor, 187-197; Spangeberg, 16-17
  30. Bartrum (2002); Bartrum (1995), 22-63; Landau & Parshall, see index; Mayor, 258-281
  31. Pon; Landau & Parshall, 347-358; Bartrum (1995), 9-11
  32. Pon, Landau & Parshall, see index
  33. Levinson, 289-334, 390-414; Landau & Parshall, 65-102, and see index; Mayor, 143-156, 173, 223, 232
  34. Levinson, 440-455; Landau & Parshall, 199, 102
  35. Pon; Landau & Parshall, chapter IV, whose emphasis is disputed by Bury, 9-12
  36. Pon; Landau & Parshall, 117-146
  37. Jacobson, parts III and IV
  38. a et b Melot, Griffiths et Field 1981, p. 50.
  39. Michel Melot, « La nature et le rôle de l'estampe » in L'Estampe, Skira, 1981.
  40. a b et c Melot, Griffiths et Field 1981, p. 52.
  41. « En 1512, le conseil de la ville de Nuremberg édicte l'arrêt suivant : un étranger se permet de vendre aux abords de l'hôtel de ville des images munies de la marque de Dürer mais qui ne sont que des contrefaçons ; on l'obligera à enlever toutes ses marques, sinon on lui confisquera tout » Melot, Griffiths et Field 1981.
  42. Landau et Parshall défendent la théorie traditionnelle du déclin, contestée par Bury dans son introduction, pp. 9-12, idée développée dans tout l'ouvrage
  43. Bartrum (1995), 67-80
  44. Landau & Parshall, 316-319, 332-333, 333 quoted
  45. Mayor, 228, 304-308, 567; Bartrum (1995), 11-12, 144, 158, 183-197; Landau & Parshall, 323-328 (Hopfers), 202-209, 337-346 (Altdorfer)
  46. Bartrum (1995), 130-146; Landau & Parshall, see index, 179-202 sur la gravure en camaïeu
  47. Bartrum (1995), 212-221
  48. Bartrum (1995), 99-129; Mayor, 315-317; Landau & Parshall, 315-316
  49. Bartrum (1995), 221-237
  50. Bartrum (1995), 12-13
  51. Landau & Parshall, 146-161
  52. Bury; Reed and Walsh, 105-114 on Annibale, and covering the other and subsequent artists in etching; Mayor, 410, 516
  53. Jacobson, parts III and IV; Mayor, 354-357
  54. Marqusee; Jacobson, part II; Mayor, 358-359
  55. Mayor, 403-407, 410
  56. Mayor, 419-421; Spangeberg, 107-108
  57. Mayor, 422-426
  58. Mayor, 373-376, 408-410
  59. Mayor, 427-432
  60. White; Mayor, 472-505; Spangeberg, 164-168
  61. Mayor, 467-471; Spangeberg, 156-158 on Seghers, 170 on van Ostade, 177 Berchem
  62. Mayor, 344
  63. Mayor, 433-435
  64. Griffiths (1980), 83-88, Mayor, 511-515
  65. Reed & Wallace, 262-271; Mayor, 526-527
  66. Selon R. Kisch, le premier usager du monotype serait le Flamand A. Sallaert (c. 1590-1650). « Le monotype sur fond noir est obtenu en encrant une plaque non gravée, puis en traçant le dessin avec un instrument pointu ou une plume dure avant le passage sous presse. le monotype sur fond blanc est créé en inversant le processus », M.C. Paoluzzi.
  67. Reed & Wallace, 279-285
  68. Reed & Wallace, 234-243; Mayor, 520-521, 538, 545
  69. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 62.
  70. Griffiths & Hartley; Jacobson, part X; Mayor, 453-460
  71. Mayor, 455-460
  72. Hind (1923), 158-160
  73. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 77.
  74. Mayor, 289-290
  75. Griffiths (1996), 134-158 sur la manière noire anglaise et ses collectionneurs
  76. Spangeberg, 221-222; Mayor, 591-600
  77. Mayor, 568, 591-600
  78. a et b Melot, Griffiths et Field 1981, p. 68.
  79. Gersaint et sa préface de la vente La Roque.
  80. Il faudrait parler du dictionnaire de Fueslin en 1771, de Strutt en 1785, de Huber en 1787
  81. À Londres, Vienne ou Dresde.
  82. Mayor, 576-584
  83. Mayor, 550-555
  84. Bareau; Mayor, 624-631.
  85. Mayor, 608-611; Spangeberg, 262.
  86. Griffiths and Carey
  87. Linda Hults, The Print in the Western World: An Introductory History, The University of Wisconsin Press, Madison, Wisconsin, 1996, pg. 522.
  88. Spangeberg, 260-261
  89. Mayor, 660 onwards; Spangeberg, 263 et s.
  90. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 101.
  91. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 103.
  92. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 104.
  93. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 108.
  94. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 110.
  95. Melot, Griffiths et Field 1981.
  96. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 116.
  97. « Sur une plaque de verre recouverte d'un vernis noir, l'artiste grave à l'aide d'un instrument pointu avant de placer la plaque contre une feuille de papier sensibilisé (de type papier photographique) ; la lumière filtre là où le graveur a creusé avec la pointe formant ainsi une image en négatif », M.C. Paoluzzi.
  98. Charles Baudelaire : L'eau-forte est à la mode, 1860.
  99. Melot, Griffiths et Field 1981, p. 124.
  100. FRBNF38643332.

Bibliographie modifier

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External links modifier