Utilisateur:Philippe Besnier/Brouillon

Phrase la plus longue

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Problématique

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Il n'est pas d'engagement artistique sans un attachement premier à la matière (supports, matériaux). L'écrivain aime les papiers, les encres et les plumes. La pulsion de l'artiste ne s'arrête pas seulement aux matériaux. De même que le peintre réfléchit à des problèmes de thème et de taille, l'écrivain accorde souvent sa préférence à un régime d'écriture particulier qui se manifeste d'abord par la longueur. La longueur de la phrase, sa complexité, ses ajoûts, tous ces caractères participent d'un certain imaginaire stylistique.

Cette page permet de décliner les incarnations variées de l'écriture longue dans la littérature, et, en particulier les phrases les plus longues.

La présentation des phrases les plus longues se déroule selon l'ordre chronologique de leur parution. L'édition la plus récente est retenue

Top 24 des phrases les plus longues

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  1. HUGO Victor (1802-1885), Les Misérables, 1862, Livre de poche jeunesse (2014), (ISBN 2010008995 et 978-2010008993) (823 mots )
  2. PROUST Marcel (1871-1922), A la recherche du temps perdu"", 1922, Gallimard (1999), (ISBN 2070754928 et 978-2070754922) ( 845 mots )
  3. JOYCE James (1882-1951), Ulysses, 1922, Sylvia Beach, Folio (2013), {{ISBN|2070439712}} ('4391 mots ) Une phrase, !étirée sur une cinquantaine de pages, comprend 2500 mots, coupée à !huit! reprises par un passage à la !ligne.
  4. FAULKNER William (1897-1962), Absalom, 1936,
  5. ANDRZEIEWSKI Jerzy (1909-1983), The Gates of Paradise (Polish: Bramy raju), 1960, University of Glasgow, College of Arts Slavonic Studies (1960), Publisher: Unity of California Press, (ISBN 0520256565 et 9780520256569) (40 000 mots) Cette nouvelle se compose de 40 000 mots écrits en deux phrases, avec peu de ponctuation. La deuxième phrase contient seulement cinq mots: «And they march all night. » 
  6. ALBERT BIROT Pierre (1876-1967), Grabinoulor, 1918 à 1963, Jean-Michel Place, 1991, (ISBN 2858931453), Nouvelle édition, Jean Michel Place, 2007 (ISBN 978-2-858939-0[à vérifier : ISBN invalide]) Cette oeuvre de six livres, 998 pages, se présente sans ponctuation.
  7. BOHUMIL Hrabal (1914-1997), Dancing lesson for the Advanced in Age, 1964 en Tchèque, 1995 en Anglais, Publisher: NYRB Classics; Main edition (May 3, 2011) 160 pages (ISBN 1590173775 et 978-1590173770) Cette oeuvre se compose d'une phrase de 128 pages.
  8. MERLE Robert (1908-2004), Un animal doué de raison, 1967, Gallimard Folio, Science-fiction, 55, (ISBN 2070418324 et 978-2070418329)
  9. COHEN Albert (189511981), Belle du seigneur, 1968, Gallimard, (ISBN 2070269175 et 978-2070269174) Cette oeuvre contient un chapitre ne comportant qu'une seule phrase et s'étalant sur près de 40 pages. La plupart des monologues n'ont aucune ponctuation, et ne sont découpés en aucun paragraphe.
  10. GUYOTAT Pierre (né en 1940), Eden, Eden, Eden, 1970, Gallimard, (ISBN 9782070702787) Gencode 9782070702787   Cette oeuvre se compose d'une phrase unique , sans ponctuation, de 279 pages.
  11. SOLLERS Philippe ( né en 1936), Paradis-2, 1986, Gallimard, Folio, 2752. (ISBN 2070706885 et 978-2070706884) Cette oeuvre de 114 pages ne contient aucune ponctuation.
  12. N’DIAYE Marie (née en 1967), Comédie classique, 1988,Gallimard, (ISBN 2867440823) Gencode 9782867440823   Ce roman de 100 pages est écrit en une seule phrase.
  13.  EMOND Paul (né en 1944) , La danse du fumiste, 1990, Labor (1998), Collection ESPACE NORD (ISBN 2804008517 et 978-2804008512) Cette oeuvre est composée d'une phrase de 170 pages.
  14. COE Jonathan (né en 1961), The Rotter's club, 2001,Alfre d A. Knopf (2002) (ISBN 0375413839 et 978-0375413834) Cette oeuvre contient une phrase 13955 mots.
  15. GOURIO Jean-Marie (né en 1956), Apnée, 2005, Julliard, (ISBN 2260015786 et 978-2260015789)  Cette oeuvre de 133 pages ne contient pas de paragraphe, mais des bouts de phrase.
  16. BEAUREGARD Nane (née en ...), J'aime, 2006, P.O.L. (ISBN 284682150X et 978-2846821506)   Cette oeuvre contient 128 pages.
  17. NIGEL Tomm (né en ...), The Blah story, volume IV, 2007, Cette phrase contient 469 375 mots, 2 273 551 caractères (avec espaces), 732 pages 
  18. ENARD Mathias (né en ...), Zone, 2008, Acte Sud, (ISBN 274277059[à vérifier : ISBN invalide] et 978-274277051[à vérifier : ISBN invalide])   Ce roman fleuve de 517 pages ne contient qu'une phrase. Il a reçu le prix du livre Inter 2009.
  19. MABANCKOU Alain (né en ...), Verre cassé, 2008, Seuil, (ISBN 2020849534 et 978-2020849531)Cette oeuvre ne contient qu'une seule phrase.
  20. BLAIS Marie-Claire (née en 1939), Mai au bal des prédateurs, 2011, Seuil (ISBN 2021030601 et 978-2021030600)   Sans chapitres ni ponctuation, cette oeuvre se compose d'une seule phrase de 300 pages.
  21. BESNIER Philippe (né en 1958), Toi, tu penses, 2014, CURSUS (ISBN 978-2-9530040-4-5) Cette oeuvre se compose d'une phrase de 50 000 mots.
  22. Anaphorex, Au sortir de la larve, 2016,   Au sortir de la larve.canalblog.com , 18 janv. 2016,  La phrase la plus longue : Un petit garçon qui aimait faire des blagues et n'aimait pas l'école  
  23. SALICIS Jean-Marie (né en ...), La phrase sans fin, 2016, Scriban, 27 avr. 2016 -  chapitre de moins d'une minute 
  24. ZAMIR Ali (1987), Anguille sous roche, 2016, Le Tripode, 2016, (ISBN 2370550945 et 978-2370550941) Cette oeuvre se compose d'une seule phrase de 320 pages.

Paix à la phrase

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Phrase littéraire classique: substantif, verbe, complément

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La phrase est un " assemblage de mots formant un sens complet, distingué de la proposition en ce que la phrase est surtout considérée grammaticalement, et la proposition, logiquement " (Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré (1872), La phrase est une suite minimale « substantif- verbe-complément » (Claude Simon). Cet assemblage correspond au prototype syntaxique en possédant un verbe. Il semble bien que le paramètre évoqué ci-dessus est le mieux à même de reconnaître l’ensemble des phrases possibles, car il souligne le caractère écrit du phénomène. C’est entre une majuscule et un point que l’on peut noter des décalages avec le prototype – et par conséquent des effets de sens. Ainsi bornée, la phrase peut faire l’objet de repérages stylistiques : un arrangement donné des mots produira tel effet ; ainsi délimitée, la phrase sera abordée dans ses liens avec celles qui la précèdent, avec celles qui la suivent. Parfois, la connaissance que l’on a d’un auteur se réduit  à un aspect d’ensemble de sa phrase, comme Proust et sa phrase habituellement longue.

Les phrases 1 - 2 - 3 - 14 - 21 appartiennent à cette catégorie.

Phrase littéraire moderne: clôture, syntaxe, longueur

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Progressivement, la phrase littéraire « moderne » rompt avec la représentation de la phrase« classique ». Son élaboration dépend de trois caractéristiques principales : sa clôture, sa syntaxe et sa longueur. Précédemment, le concept de clôture était essentiel: la période et la sentence façonnaient  deux éléments d’organisation rhétorique, avec une clarté poursuivie idéalement.

A partir du milieu du XIXème siècle, c’est la justification de la clôture phrastique qui va être interrogée par la langue littéraire. Brièveté et longueur changent de signification. La considération des écrivains, des genres, des époques dépendra de ce clivage phrases longues et phrases courtes. La langue littéraire évolue et se dégage des normes grammaticales ; l’invention syntaxique se déploie et la jointure entre norme et style dépendent maintenant d’une conception différente et d’une remise en cause de la rhétorique. Le dessin de la phrase semble significatif en lui-même. La phrase révèle alors un style d’auteur mais aussi un style d’époque. Elle s’éloigne de  l’aspect rhétorique et privilégie une logique plus accumulative, un travail d’amplification.

Les phrases 5 à 13, 15 à 21 appartiennent à cette catégorie.

Extrait de chaque oeuvre (1000 mots)

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1. HUGO Victor, Les Misérables, 1862, Tome IV, livre III, intitulé "Louis-Philippe", phrase de 823 mots.

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« Fils d’un père auquel l’histoire accordera certainement les circonstances atténuantes, mais aussi digne d’estime que ce père avait été digue de blâme ; ayant toutes les vertus privées et plusieurs des vertus publiques ; soigneux de sa santé, de sa fortune, de sa personne, de ses affaires ; connaissant le prix d’une minute et pas toujours le prix d’une année ; sobre, serein, paisible, patient ; bonhomme et bon prince ; couchant avec sa femme, et ayant dans son palais des laquais chargés de faire voir le lit conjugal aux bourgeois, ostentation d’alcôve régulière devenue utile après les anciens étalages illégitimes de la branche aînée ; sachant toutes les langues de l’Europe et, ce qui est plus rare, tous les langages de tous les intérêts, et les parlant ; admirable représentant de « la classe moyenne », mais la dépassant, et de toutes les façons plus grand qu’elle ; ayant l’excellent l’esprit, tout en appréciant le sang dont il sortait, de se compter surtout par sa valeur intrinsèque, et, sur la question même de sa race, très particulier, se déclarant Orléans et non Bourbon ; très premier prince du sang tant qu’il n’avait été qu’altesse sérénissime, mais franc bourgeois le jour où il fut majesté ; diffus en public, concis dans l’intimité ; avare signalé, mais non prouvé ; au fond, un de ces économes aisément prodigues pour leur fantaisie ou leur devoir ; lettré, et peu sensible aux lettres ; gentilhomme, mais non chevalier ; simple, calme et fort ; adoré de sa famille et de sa maison ; causeur séduisant, homme d’état désabusé, intérieurement froid, dominé par l’intérêt immédiat, gouvernant toujours au plus près, incapable de rancune et de reconnaissance, usant sans pitié les supériorités sur les médiocrités, habile à faire donner tort par les majorités parlementaires à ces unanimités mystérieuses qui grondent sourdement sous les trônes ; expansif, parfois imprudent dans son expansion, mais d’une merveilleuse adresse dans cette imprudence ; fertile en expédients, en visages, en masques ; faisant peur à la France de l’Europe et à l’Europe de la France ; aimant incontestablement son pays, mais préférant sa famille ; prisant plus la domination que l’autorité et l’autorité que la dignité, disposition qui a cela de funeste que, tournant tout au succès, elle admet la ruse et ne répudie pas absolument la bassesse, mais qui a cela de profitable qu’elle préserve la politique des chocs violents, l’état des fractures et la société des catastrophes ; minutieux, correct, vigilant, attentif, sagace, infatigable, se contredisant quelquefois, et se démentant ; hardi contre l’Autriche à Ancône, opiniâtre contre l’Angleterre en Espagne, bombardant Anvers et payant Pritchard ; chantant avec conviction la Marseillaise ; inaccessible à l’abattement, aux lassitudes, au goût du beau et de l’idéal, aux générosités téméraires, à l’utopie, à la chimère, à la colère, à la vanité, à la crainte ; ayant toutes les formes de l’intrépidité personnelle ; général à Valmy, soldat à Jemmapes ; tâté huit fois par le régicide, et toujours souriant ; brave comme un grenadier, courageux comme un penseur ; inquiet seulement devant les chances d’un ébranlement européen, et impropre aux grandes aventures politiques ; toujours prêt à risquer sa vie, jamais son œuvre ; déguisant sa volonté en influence afin d’être plutôt obéi comme intelligence que comme roi ; doué d’observation et non de divination ; peu attentif aux esprits, mais se connaissant en hommes, c’est-à-dire ayant besoin de voir pour juger ; bon sens prompt et pénétrant, sagesse pratique, parole facile, mémoire prodigieuse ; puisant sans cesse dans cette mémoire, son unique point de ressemblance avec César, Alexandre et Napoléon ; sachant les faits, les détails, les dates, les noms propres, ignorant les tendances, les passions, les génies divers de la foule, les aspirations intérieures, les soulèvements cachés et obscurs des âmes, en un mot, tout ce qu’on pourrait appeler les courants invisibles des consciences ; accepté par la surface, mais peu d’accord avec la France de dessous ; s’en tirant par la finesse ; gouvernant trop et ne régnant pas assez ; son premier ministre à lui-même ; excellant à faire de la petitesse des réalités un obstacle à l’immensité des idées ; mêlant à une vraie faculté créatrice de civilisation, d’ordre et d’organisation on ne sait quel esprit de procédure et de chicane ; fondateur et procureur d’une dynastie ; ayant quelque chose de Charlemagne et quelque chose d’un avoué ; en somme, figure haute et originale, prince qui sut faire du pouvoir malgré l’inquiétude de la France, et de la puissance malgré la jalousie de l’Europe, Louis-Philippe sera classé parmi les hommes éminents de son siècle, et serait rangé parmi les gouvernants les plus illustres de l’histoire, s’il eût un peu aimé la gloire et s’il eût eu le sentiment de ce qui est grand au même degré que le sentiment de ce qui est utile." 

2. PROUST Marcel, A la recherche du temps perdu, 1922, ... , phrase de 845 mots.

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" Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui : “Les deux sexes mourront chacun de son côté” ; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les juifs autour de Dreyfus, de la sympathie – parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir, qui ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter à l’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, mais d’une maladie inguérissable ; comme les juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leurs rebuffades, s’enivrant de leurs complaisances ; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable celui qui l’est demeuré davantage), une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher comme un médecin l’appendicite l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’anti-chrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes, qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat : le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas en sortant de chez la duchesse, s’en va conférer avec l’apache ; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas, étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale, légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice."

3. JOYCE James, Ulysses, 1922,Molly Bloom's solliloquy,  eighteenth and final episode, phrase de 4391 mots.

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Ill have to wear the old things so much the better itll be more pointed helle never knowwhether he did it or not there thats good enough for your any old thing at all then Ill wipe him off mejust like a business his omission then Ill go out Ill have him eying up at the ceiling where is she gone nowcmake him want me thats the only way a quarter after what an unearthly hour I suppose theyre just getting up in China now combing out their pitgails for the day well soon have the nuns ringing the angelus theyre nobody coming in to spoil their sleepexcept an old priest or two for his night office or the alarmclock next door at cockshout clattering the brain out of itself let me see if I can doze off1 2 3 4 5  what kind of flowers are those they invented like the stars the wallpaper in Lombard street wax much nicer the apron he gave me was like that something only I only wore it twice better lower this lamp and try again so as I can get up early Ill go Lambes there beside Findlaters and get them to send us some flowers to put about the place in case he brings him home tomorrow today I mean no no Friday an unlucky day first I want to do the place up someway the dust grows in it I think while Im asleep we can have music and cigarettes i can accompany him first i must clean the keys of the piano with milk whatll I wear shall I wear a white rose or those fairt cakes in Liptons I love the smelle of a rich big shop at 7 1/2d a lb or the other ones with the cherries in them and the pinky sugar 11d a couple of lbs of those the nice plant for the middle of the table Id get that cheaper in wait wheres this I saw them no long ago I love flowers Id love to have the whole place swimming in roses God of heaven theres nothing like nature the wild mountains when the sea and the waves rushing when the beautiful country with the fields of oats and wheat and all kinds of things and all the fine cattle going about that would do your heart good to see rivers and lakes and flowers all sorts of shapes and smells and colors springing up even out of the ditches primroses and violets nature it is as for them saying theres no God I wouldn’t give a snap of my two fingers for all their learning why dont they go and create something I often ask him atheists or whatever they call themselves go and wash the cobbes off themselves first then they go howling for the priest and they dying and why why because theyre afraid of hell on accounts of their bad conscience ah yes I know them well who was the first person  in the universe before there was anybody that made itall who ah that they don’t know neither do I so ther you are they might as well try to stop the sub from rising tomorrow the sun shines for you he said th day we were lying among the rhofofenfrons on Howth head in the grey tweed suit and his straw hat the day I got him to propose to me yes first I gave him the bit of seedcake out of my mouth and it was leapyear like now yes 16 years ago my God after that long kiss I near lost my breath yes he said I was a flower of the mountain yes so we are flowers all a womans body yes that was one true thing he said in his life and the sun shines for you today yes that was why I liked him because I saw he understood or felt what a woman is and I knew I could always get round him and I gave him all the pleasure I could leading him on till he asked me to say yes and I wouldnt answer first only looked out over the sea and the sky I was thinking of so many things he didnt know of Mulvey and Mr Stanhope and Hester and father and old captain Groves and the sailors playing all birds fly and I say stoop and washing up dishes they called it on the pier and the sentry in front of the governors house with the thing round his white helmet poor devil half roasted and the Spanish girls laughing in their shawls and their tall combs and the auctions in the morning the Greeks and the jews and the Arabs and the devil knows who else from all the ends of Europe and Duke street and the fowl market all clucking outside Larby Sharons and the poor donkeys slipping half asleep and the vague fellows in the cloaks asleep in the shade on the steps and the big wheels of the carts of the bulls and the old castle thousands of years old yes and those handsome Moors all in white and turbans like kings asking you to sit down in their little bit of a shop and Ronda with the old windows of the posadas 2 glancing eyes a lattice hid for her lover to kiss the iron and the wineshops half open at night and the castanets and the night we missed the boat at Algeciras the watchman going about serene with his lamp and O that awful deepdown torrent O and the sea the sea crimson sometimes like fire and the glorious sunsets and the figtrees in the Alameda gardens yes and all the queer little streets and the pink and blue and yellow houses and the rosegardens and the jessamine and geraniums and cactuses and Gibraltar as a girl where I was a Flower of the mountain yes when I put the rose in my hair like the Andalusian girls used or shall I wear a red yes and how he kissed me under the Moorish wall and I thought well as well him as another and then I asked him with my eyes to ask again yes and then he asked me would I yes to say yes my mountain flower and first I put my arms around him yes and drew him down to me so he could feel my breasts all perfume yes and his heart was going like mad and yes I said yes I will Yes.

4. FAULKNER William, Absalom, 1936, ... , ...

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5. ANDRZEIEWSKI Jerzy, The Gates of Paradise (Polish: Bramy raju), 1960,..., phrase de 40 000 mots.

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6. ALBERT BIROT Pierre , Grabinoulor, 1918 à 1963, début de l'oeuvre composée de 998 pages en six livres, sans ponctuation.

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7. BOHUMIL Hrabal, Dancing lesson for the Advanced in Age, 1964 en Tchèque, 1995 en Anglais, Publisher: phrase de 128 pages.

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8. MERLE Robert (1908-2004), Un animal doué de raison, 1967,  ???

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9. COHEN Albert (189511981), Belle du seigneur, 1968, phrase de 40 pages. La plupart des monologues n'ont aucune ponctuation, et ne sont pas découpés en paragraphes.

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"... J’adore l’eau trop chaude, attends chérie attends, on va en faire couler juste un filet pour que le bain devienne brûlant sans qu’on s’en aperçoive, quand je suis gênée il paraît que je louche un peu pendant quelques secondes mais c’est charmant, la Joconde a une tête de femme de ménage, je ne comprends pas pourquoi on fait tant de chichis pour cette bonne femme, est-ce que je vous dérange madame ? mais non pas du tout monsieur, seulement tournez-vous parce que je ne suis pas très visible en ce moment... est-ce que vous aimez les bêtes ? certainement madame, alors nous nous entendrons monsieur...

Voulez-vous que je vous dise mon rêve ? oh oui madame cela me ferait grand plaisir madame, eh bien mon rêve serait d’avoir une grande propriété où j’aurais toutes sortes de bêtes, d’abord un bébé lion avec de grosses pattes pelotes des pattes boulouboulou que je toucherais tout le temps et quand il serait grand il ne me ferait jamais de mal, le tout c’est de les aimer, et puis j’aurais des castors dans ma propriété je leur ferais faire une rivière rien que pour eux et ils construiraient leur maison en paix, c’est triste de penser qu’ils sont en voie de disparition cela m’angoisse le soir lorsque je me couche, les femmes qui portent des fourrures de castor méritent la prison vous ne trouvez pas ? oh oui madame absolument, c’est agréable de causer avec vous nous sommes d’accord sur tout, voilà moi j’aime toutes les bêtes même celles que les gens trouvent laides..."

"... Les crapauds par exemple sont émouvants, le chant du crapaud la nuit lorsque tout est calme c’est une noble tristesse une solitude, lorsque j’en entends un la nuit mon cœur se serre de nostalgie, l’autre jour j’en ai ramassé un qui avait une patte écrasée pauvre chou il se traînait sur la route, je lui ai badigeonné la patte avec de la teinture d’iode, quand je la lui ai bandée avec un pansement il s’est laissé faire parce qu’il comprenait que je le soignais, son pauvre petit cœur qui battait fort et il n’a même pas ouvert les yeux tellement il était éreinté, dis-moi quelque chose crapaud, allons mon chéri fais-moi risette, il n’a pas bougé mais il a relevé sa paupière et il m’a lancé un regard si beau comme pour me dire je sais que vous êtes une amie, il va mieux dieu merci et il s’en tirera sûrement, je sens que je m’attache toujours plus à lui quand je refais son pansement, il a une si belle expression de reconnaissance, peut-être qu’il s’attachera tellement à moi qu’il ne voudra plus me quitter, maintenant un gros mot mais que je ne dis pas à haute voix, j’ai froid fais couler de l’eau chaude s’il te plaît, ça suffit merci... "

"Bien rentrée hier soir? (Avec une intention de flirt :) Avez-vous fait de jolis rêves? Y figurais-je? (Il sortit sa langue effilée, puis la rentra, d'un mouvement vif; comme il en avait l'habitude lorsqu'il faisait le mondain spirituel.) Et caetera. Il raccrocha, se leva, boutonna son veston, se frotta les mains. Ça y était ! Les Rasset à dîner 65 mardi vingt-deux mai! Parfait, parfait. Eh oui, ça marchait rudement bien, les rapports sociaux ! Ascension foudroyante mon cher! Très relationnés, les Ras-set! Adrien Deume, lion mondain! s'écria-t-il et, de bonheur, il se dressa d'un trait, pirouetta, s'applaudit, s'inclina pour remercier, se rassit. Par lui-même charmé, il se redit les phrases fines et cultivées qu'il avait servies à la petite Rasset et de nouveau sa langue surgit en rouge éclair, aussitôt cachée après preste humectation de la lèvre supérieure."

"Kanakis, ça se devait. D'ailleurs, d'après le guide mondain, il fallait remercier le lendemain du dîner. Ainsi fit-il. Le téléphone à la Kanakis terminé, il soupira. Ah là là, cette Ariane qui le forçait à raconter des blagues de migraine parce qu'elle ne gobait pas les Kanakis, des amis charmants pourtant Bon, maintenant un coup de fil soigné à Mme Rasset qui n'était pas de la crotte de bique, fille du vice-président du Comité international de la Croix-Rouge! Ça avait bien marché hier soir avec elle chez les Kanakis. Ça, pour lui plaire, il lui avait plu, c'était visible à l'œil nu. N'empêche qu'il y avait quatre mois que les Ras-set ne leur avaient pas fait signe, et pourtant ils avaient beaucoup reçu ces mois derniers, un tas de gens intéressants, même une princesse, d'après Kanakis. Tout ça, bien sûr, parce qu'on ne leur avait pas rendu leur dîner. D'où représailles, et ils avaient bien raison au fond."

"Il referma le mémorandum britannique. Mais l'épaisseur lui en étant attristante, il l'enferma dans la léproserie, fit claquer sa langue. Pour cette fin d'après-midi, il lui fallait un travail léger, quelque chose de rafraîchissant. Voyons un peu. L'accusé de réception Cameroun? Non, trop peu de chose parce qu'il avait tout de même plus d'une heure devant lui. Réserver le Cameroun pour un bouche-trou plutôt. Oui, mais cet accusé Cameroun était urgent aussi. Bon, on préparerait ça tout à l'heure.

Chouchou, lui dit-il. Puis il pensa à Ariane. Eh oui, il était le mari d'une belle femme, il avait le droit de la toucher partout, la poitrine, le bas du dos, comme il voulait, quand il voulait. Une belle femme rien que pour lui. Vraiment, ça avait du bon, le mariage. Oui, ce soir, sans faute. Enfin, pour le moment, au travail, puisque c'était la sainte loi du monde. Par quoi commencer? Oh nom de Dieu, il avait complètement oublié, le mémo britannique, bien sûr, puisque commentaires d'extrême urgence ! Salaud de Vévé ! Toujours des urgences ! Il feuilleta l'épais document. Deux cents pages, les cochons ! Ils en avaient du temps à perdre au Colonial Office! Quelle heure? Bientôt quatre heures vingt. Plus qu'une heure et quarante minutes jusqu'à six heures."

"Pour se mettre en train, il exécuta consciencieusement des mouvements de gymnastique respiratoire. (S'aimant beaucoup, il était à l'affût de perfectionner sa chère santé, adorait les fortifiants qui se succédaient à quelques semaines d'intervalle, le dernier étant tellement plus efficace que le précédent vite tombé dans l'oubli. C'est ainsi qu'il se bourrait actuellement d'un tonique anglais dont il disait merveilles. «Ce Metatone est formidable, déclarait-il à sa femme, je me sens transformé depuis que je le prends.» Deux semaines plus tard il devait abandonner le Metatone en faveur d'un miraculeux complexe de vitamines. À peine changée, la formule devint: «Ce Vitaplex est formidable, je me sens transformé depuis que je le prends."

10. GUYOTAT Pierre, Eden, Eden, Eden, 1970, phrase unique , sans ponctuation, de 279 pages.

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11. SOLLERS Philippe, Paradis-2, 1986, phrase de 114 pages sans ponctuation.

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12. N’DIAYE Marie, Comédie classique, 1988, phrase de 100 pages.

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13. EMOND Paul, La danse du fumiste, 1990, phrase de 170 pages.

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14. COE Jonathan, The Rotter's club, 2001, phrase de 13955 mots.

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15. GOURIO Jean-Marie, Apnée, 2005, 130 pages sans paragraphes, mais des morceaux de phrase.

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16. BEAUREGARD Nane , J'aime, 2006, phrase de 128 pages.

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17. NIGEL Tomm, The Blah story, volume IV, 2007, phrase de 469 375 mots.

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First page of The Blah Story, Volume 4

   In a blah she was blah blah blah down a blah between blah roses blah blah blah, her blah blah hair blah blah gently the blah blah trees, most blah blah blah, she thought, as blah blah he blah the nice blah blah she blah felt with blah that blah should blah blah blah have blah such blah and blah blah blah enjoyment, the blah had both blah and blah blah the blah things in her blah blah occurred to blah that he blah taken this blah blah blah several blah blah before blah blah she always blah to blah from blah blah blah at a blah of her blah blah or a blah of her blah blah blah her blah blah told to blah, which blah within blah blah like a blah blah blah and blah as a blah blah from blah, suddenly blah blah a blah to blah her blah as they found a blah in blah of the blah, blah blah silently to the blah, they waited blah blah blah while he blah blah a blah toward the red blah blah, she blah him blah blah blah among blah blah things, very blah blah and with a blah blah blah that blah a real blah blah, blah him not at blah blah she blah blah sorry for all blah blah and blah him carefully one blah because blah was so blah, a blah of a blah blah blah which blah a blah and blah illusion blah blah blah being blah by blah blah blah, she was blah blah she had blah him, for blah hour when his blah fell blah blah blah at blah a blah of a blah blah blah through his blah, the blah rang, her blah blah eyes blah blah along the blah blah blah his blah blah lips blah the pattern of a blah of blah on the blah as she blah blah blah and blah him with a blah, blah blah just as his blah blah blah about her, they blah a blah week for blah, and blah, having blah no blah blah blah of any blah, blah blah blah up his blah blah blah, blah was not blah blah was expected blah in one week, blah left blah number, the sense of the blah blah of life, never week in blah, had blah blah blah almost to blah, at short blah blah some blah blah blah, some blah of blah, would blah her blah blah blah the blah now blah had blah blah down in blah blah upon her as he blah blah those blah blah things faded after blah blah that blah was blah, the blah had both blah and blah blah the blah things in her blah blah occurred to blah that he blah taken this blah blah blah several blah blah before blah blah she always blah to blah from blah blah blah at a blah of her blah blah or a blah of her blah blah blah her blah blah told to blah, in a blah she was blah blah blah down a blah between blah roses blah blah blah, her blah blah hair blah blah gently the blah blah trees, most blah blah blah, she thought, as blah blah he blah the nice blah blah she blah felt with blah that blah should blah blah blah have blah such blah and blah blah blah enjoyment, which blah within blah blah like a blah blah blah and blah as a blah blah from blah, suddenly blah blah a blah to blah her blah as they found a blah in blah of the blah, blah blah silently to the blah, she blah him blah blah blah among blah blah things…

18. ENARD Mathias, Zone, 2008, phrase de 517 pages.

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19. MABANCKOU Alain , Verre cassé, 2008, phrase de ... pages.

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20. BLAIS Marie-Claire , Mai au bal des prédateurs, 2011, phrase de 300 pages.

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21. BESNIER Philippe, Toi, tu penses, 2014, phrase de 50 000 mots.

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22. Anaphorex, Au sortir de la larve, 2016,   Au sortir de la larve.canalblog.com , 18 janv. 2016.  

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Un petit garçon qui aimait faire des blagues et qui n'aimait pas l'école.

23. SALICIS Jean-Marie (né en ...), La phrase sans fin, 2016, Scriban, 27 avr. 2016 -  chapitre de moins d'une minute 

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24. ZAMIR Ali (1987), Anguille sous roche, 2016, phrase de 320 pages, dernières pages

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donc, la question que je me pose est la suivante, je vis vraiment pour un laps de temps ou bien je suis déjà morte, je me hasarde à conclure ainsi, on me paie alors de ce courage-là, tout ce que j’ai pu raconter jusque-là, j’ai réussi à le faire grâce à mon courage et à ce réservoir, je suis bien lotie, je continue avant qu’on m’arrache ma lampe et que je m’endorme ad vitam aeternam, concernant ce réservoir ne vous inquiétez pas, je l’ai bien serré sur ma poitrine, dans mes bras, comme un amant, un vrai, il est bien un amant, le vrai amant c’est celui qui vous sauve la vie, même pour quelques secondes, quelques minutes ou quelques heures, n’importe, mais c’est surtout celui qui ne s’échappe que lorsque vous le laissez vous-même partir, et ça sera un signe d’ingratitude, je vous le dis bien, celui-ci est un amant sourd-muet mais fidèle, giflée et tabassée par des vagues cyclopéennes en furie, j’entendais confusément les cris douloureux et les appels à l’aide, malgré le tonnerre abasourdissant de ces monstres qu’on appelle vagues, j’arrivais à peine à distinguer les voix des femmes de celles des hommes, les enfants et les nourrissons étaient peut-être en coulisse, je ne sais pas, j’avais la gorge sèche bien que mon ventre fût plein d’eau, je ne voyais toujours rien, je ne savais même pas d’où venaient ces cris fantasmagoriques et ces coups sur mon corps, puis, quelques secondes après, tout ce que je saisissais par les oreilles et le corps commençait à disparaître, ou à devenir insensible, Dieu sait si je mens, c’était comme dans un rêve, les sons disparaissaient, comme s’ils s’éloignaient et s’enfonçaient dans un abîme, encore et toujours, ces cris-là ressemblaient désormais à des hululements lamentables qui s’éloignaient à perte de vue je ne me rappelle plus la suite, excusez-moi, je crois que j’étais tombée dans les vapes, oui, c’est ça, et maintenant que j’ai repris mes esprits, je ne vois rien, n’entends rien, ne sens rien, mais cela ne vaut pas un grain, je l’avais dit déjà je pense, donc ce n’est pas la peine que je fasse des ritournelles, toujours pâté d’anguille, à quoi ça sert, les futilités, trop c’est trop, à force de répéter ce qu’on a déjà dit finit par polluer l’environnement, et par conséquent les esprits, et tout ce qui était sain, mieux vaut pétarader comme un âne que rabâcher des propos jusqu’à les rendre futiles, mais laissez-moi vous poser une autre question, s’il vous plaît, peut-être la dernière, ou je ne sais pas, d’après vous où pouvait se trouver un zeste de trace de toute cette tourbe, un cadavre par exemple, une tête, un pied, un œil au moins, ou bien une mèche de rien, d’accord, alors aucune trace d’épave non plus, comme si on avait lavé ces flots, c’est ça, comme si on cherchait à étouffer l’affaire, et qu’on m’avait laissée exprès, pour que je cède à une espèce de chantage, pour que je m’abîme dans des pensées nébuleuses, pour que je me laisse broyer du noir, bref, pour que je regrette et que je demande pardon aux gens que j’ai trompés ou que j’ai blessés, à commencer par Connaît-Tout, c’est ça, mon œil, je ne suis même pas sensible aux affres de la mort, je n’en ai la moindre peur, ni souci, ni regret, qui a vu une anguille reculer, même vous qui ne savez pas ce que c’est qu’une marche anguilliforme, vous ne pouvez pas imaginer une anguille serpenter en reculant, ça serait une pure lâcheté, une anguille fonce toujours tête baissée, je vous le dis franco, retenez bien ceci, le diable m’emporte si je mens, une anguille ne regrette jamais, quand elle fonce les brouillards rien ne peut l’arrêter, même les liberticides, j’ai choisi ma vie et mes actes comme on choisit une route et une vitesse, c’est ici qu’il fallait que je m’arrête, que je crève et que je trépasse, en pleine anguillade, je me livre à corps perdu et à cœur impavide,mon corps insouciant et inerte, ciel, puis-je me ressouvenir encore une fois, j’oublie tout, tout ce dont je me souvenais est en train de fondre comme neige au soleil, mes images disparaissent, oh, mais pour l’amour d’une anguille, qui a effarouché mes volailles spectrales, qui êtes-vous, où suis-je maintenant, c’est l’enfer ou le paradis, il y a des lâches qui oseront tenter de me répondre comme s’ils savaient vraiment ce que c’est qu’un paradis ou un enfer eh, mais que diable me voulez-vous, d’où vient ce noir amer qui envahit encore mon esprit jadis pépère, comme la maussaderie de la mer mon corps insouciant et inerte, ciel, puis-je me ressouvenir encore une fois, j’oublie tout, tout ce dont je me souvenais est en train de fondre comme neige au soleil, mes images disparaissent, oh, mais pour l’amour d’une anguille, qui a effarouché mes volailles spectrales, qui êtes-vous, où suis-je maintenant, c’est l’enfer ou le paradis, il y a des lâches qui oseront tenter de me répondre comme s’ils savaient vraiment ce que c’est qu’un paradis ou un enfer oseront même affirmer qu’ils savent où ils vont après leur mort, je m’en fous de là où on m’envoie maintenant, je n’en ai cure, le soleil luit pour tout le monde, suis-je déjà dans le monde des mânes ou bien dans celui des lémures, peu me chaut, peu m’en chaut, je suis prête à tout, oui, j’en ai rien à cirer moi, de toute façon, sur terre, j’étais une houri, un ange, une étoile, une déesse, tout ce que vous rêvez dans vos délires, je m’adresse à vous, les avec vos cœurs d’airain, qui rêvez de ce genre de femme, mazette, quelle idiotie, quelle ânerie, quelle cochonnerie, vous êtes tous des pourceaux, pas des pourceaux d’Épicure, non, des pourceaux tout court, vous ne pensez qu’à courir la prétentaine, rien que ça, c’est un monde où l’étoile d’un ciel obscur effarouche comme un loup-garou, où l’émanation de la rose pollue la santé, et où le chant d’oiseau fait mal aux oreilles, parce que tout simplement âmes se dessèchent terriblement, et ce n’est pas de la même manière qu’une feuille d’arbre, eh, mon Dieu, je suis où là, c’est quoi ça, donc, ça veut dire qu’il est temps que j’entre en coulisses ou quoi, c’est mon tour non, je sais que c’est fini, oui, même si vous ne me le dites pas, c’est fini pour toi Anguille, grosse bête, il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures, ça y est, c’est ainsi que chaque anguille, Mutsamudu mon amour, la médina ma chérie, face au naufrage de mes rêves les plus profonds et les plus sombres, je vous tire humblement ma révérence, j’ai perdu la savoureuse terre, je me perds dans ces tumultueuses vagues, pour disparaître en pleines foudres de ces cieux brumeux, et maintenant que je, ouf !

Sources

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Langue française / Année 1975 / Volume 28 / Numéro 1 / pp. 79-90

* Bastuji J., La phrase : invention et transformation,

Langue française / Année 1975 / Volume 26 / Numéro 1 / pp. 6-29

* Bert-Erboul A., Le rôle de la permanence et des niveaux hiérarchiques de groupes conceptuels dans l’apprentissage des phrases

L'année psychologique / Année 1978 / Volume 78 / Numéro 1 / pp. 79-92

* Galichet Georges, Pour une décomposition structurale de la phrase complexe,

L'Information Grammaticale / Année 1980 / Volume 4 / Numéro 1 / pp. 32-36

* Gardes Tamine  Joëlle, Phrase, proposition, énoncé, etc. Pour une nouvelle terminologie

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*  Gardes-Tamine Joëlle, Introduction à la syntaxe (suite). La phrase : les modalités

L'Information Grammaticale / Année 1988 / Volume 37 / Numéro 1 / pp. 42-46

* Garrette Robert, La « phrase » au XVIIe siècle : Naissance d'une notion

 L'Information Grammaticale / Année 1990 / Volume 44 / Numéro 1 / pp. 29-34

* Gautier Antoine, Phrase et discontinuité syntaxique en psychomécanique

L'Information Grammaticale / Année 2008 / Volume 116 / Numéro 1 / pp. 20-24

* Gosselin Laurent, Les circonstanciels : de la phrase au texte,

Langue française / Année 1990 / Volume 86 / Numéro 1 / pp. 37-45

* Gross Maurice, Les limites de la phrase figée

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* Guiraud Charles, Le verbe est-il centre de phrase ?

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* Jousset Philippe, Une phrase saint-simonienne ,

Cahiers Saint Simon / Année 2012 / Volume 40 / Numéro 1 / pp. 93-102

* Marchello-Nizia C., La notion de « phrase » dans la grammaire,  

Langue française / Année 1979 / Volume 41 / Numéro 1 / pp. 35-48

* Nieto-Hernández Purificación, Contribution à l'étude stylistique de Tacite : la phrase nominale (Histoires I)

 L'antiquité classique / Année 1988 / Volume 57 / Numéro 1 / pp. 204-230

* Prandi Michèle, La métaphore : de la définition à la typologie

 Langue française / Année 2002 / Volume 134 / Numéro 1 / pp. 6-20

* Richaudeau François, 248 phrases de Proust,  

Communication et langages / Année 1980 / Volume 45 / Numéro 1 / pp. 17-38

*  Richaudeau François, Les phrases des Jean Giono

Communication et langages / Année 1983 / Volume 56 / Numéro 1 / pp. 13-34