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[SUR LES RÈGLES]


Les Règles pour la direction de l'esprit ((la) Regulæ ad directionem ingenii) sont une œuvre inachevée de René Descartes, rédigée en latin en 1627 ou 1628 et publiée en 1701. L'ouvrage, dont le titre complet est Règles pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité ((la) Regulæ ad directionem ingenii de inquirenda veritate), est le premier d'importance dans le corpus cartésien[1] ; il contient des règles pour guider l'esprit méthodiquement dans toute activité de réflexion et tout particulièrement dans les sciences, afin d'éviter l'erreur.

Résumé modifier

Les Règles pour la direction de l'esprit constituent à la fois le « premier » et, au fond, le seul et « unique traité cartésien de la méthode », dont le Discours de la méthode « ne fournira que de simples aperçus[1] ». Elles offrent beaucoup plus que le Discours en matière de méthode, mais assez peu en métaphysique, et rien en morale. L'une des rares traces de la métaphysique non encore élaborée de Descartes se trouve à la règle VIII, où il affirme que « rien ne peut être connu avant l'entendement, puisque de lui dépend la connaissance de tout le reste, et non l'inverse[2] ». Toutefois, cette vérité est présentée comme une découverte que rend possible la méthode elle-même[3].

Les Règles s'ouvrent sur une réflexion concernant l'unité des sciences (règle I), puis sur une nouvelle définition de la science, fondée sur les notions de certitude et d'évidence (règles II et III). Descartes explique ensuite que les mathématiques, faisant partie des sciences et devant donc suivre une méthode basée sur ces mêmes notions de certitude et d'évidence, doivent observer l'ordre propre aux opérations de l'esprit (règles IV à VII). Il développe une théorie des « natures simples », qui sont les notions les plus élémentaires au fondement de la connaissance humaine (règles VIII, XII et XIV) ; cette théorie s'inscrit dans celle, plus large, des distinctions ontologiques classiques des rationalistes modernes entre la substance, l'attribut et le mode, qu'illustre la différence entre la chose étendue, l'étendue elle-même et les corps étendus (règle XIV), et que résume la formule : « l'étendue occupe un lieu, un corps a une étendue, [mais] l'étendue n'est pas un corps[4] ». Il n'est pas aisé toutefois de déterminer ce qu'est, pour Descartes, une nature simple, laquelle est pourtant censée tomber sous l'intuition, car « les critères de vérité invoqués dans les Règles sont toujours relatifs au seul sujet de la connaissance[5] ». Descartes tient en effet pour simples des notions aussi différentes que les idées de Dieu, de l'âme, de l'étendue, du mouvement ou du cercle. Or, selon Descartes, l'idée de Dieu dépasse totalement l'entendement humain, alors que le cercle peut être compris rationnellement, et même décomposé en éléments plus simples, par exemple à partir d'un point tournant autour d'un axe central. La simplicité réside donc non dans la chose, « mais dans l'acte de l'esprit qui la saisit[5] ». Le principe de l'analyse cartésienne ne ressemble donc en rien à celui de la monade que développera Leibniz[6], ou encore à celui de l'atome de la science moderne, qui seraient les unités les plus simples ou élémentaires de la nature des choses. Les dernières règles portent sur les objets et les opérations mathématiques. Elles consistent en une réflexion sur la représentation sensible, ou dans l'imagination, des objets mathématiques (règle XV), qui ouvre sur la géométrie et l'algèbre, soit sur les figures et, surtout, sur les signes utilisés par la notation algébrique (règle XVI). Les Règles s'achèvent sur un exposé incomplet concernant « l'application des opérations de l'arithmétique à toute grandeur[7] » (règles XVII à XIX) et offrent une méditation à peine entamée sur sur les équations, soit les comparaisons entre des termes égaux, les commentaires des dernières règles (règles XIX, XX et XXI) n'étant pas du tout rédigés.

La plupart des thèmes traités dans les Règles annoncent des développements ultérieurs dans l'œuvre philosophique et mathématique de Descartes ; en contrepartie, quelques thèmes apparaissent aussi pour ne plus revenir, ou sont évoqués à nouveau, mais sans être élaborés, voire en étant nettement moins développés que dans les Règles. On peut penser à la mathesis universalis, cette « science générale qui explique tout ce qu'on peut chercher touchant l'ordre et la mesure, sans assignation à aucune science particulière[8] », dont ne parle que la règle IV, mais qui demeure tout de même à l'arrière-plan de toute la philosophie cartésienne. On peut mentionner l'« énumération suffisante et ordonnée » de la règle VII, qui consiste à mettre les connaissances entièrement en ordre en les passant en revue une à une, et que reprend la quatrième règle de la seconde partie du Discours de la méthode[9], mais sans du tout parler des caractéristiques spécifiques de l'énumération, tel que le fait qu'elle ne doit pas nécessairement être « complète » ou « distincte » mais seulement « suffisante[10] » ; le Discours, en effet, évoque le passage du simple au complexe, mais passe sous silence, par exemple, la distinction entre l'« absolu » et le « relatif[11] ». On peut également parler de la réduction des difficultés des sciences, surtout mathématiques, à des lignes ou d'autres figures ; Descartes propose ainsi, à la règle XII, d'exprimer les qualités sensibles par des figures. On peut relever, toujours à la règle XII, l'existence d'un pouvoir de connaître propre à l'esprit humain, lequel peut se servir de toutes ses autres facultés en les subordonnant à ce pouvoir ; et enfin, aux règles XV et XVI, l'idée que l'usage des signes algébriques complète celle des figures géométriques dans les démonstrations mathématiques.

Quoiqu'il en soit de ces thèmes repris ou abandonnés, s'il y a un aspect des Règles qui est voué à changer complètement, c'est le fait que les vérités y sont toutes mises sur le même plan, car ce qui fonde à ce moment la démarche de Descartes, c'est la méthode, et non la métaphysique. Ainsi, la connaissance de soi ou l'existence du sujet sont au même niveau que les notions mathématiques, alors que le Discours de la méthode et les Méditations métaphysiques feront ressortir clairement la vérité première d'une subjectivité fondatrice[12].

Analyse modifier

Descartes et Aristote : nouveauté ? En quoi Descartes dépasse-t-il Aristote ?

« Nous avions, au seuil de cette étude, désigné le problème de l’intellectualisation de la figure comme un fil conducteur possible pour ressaisir l’histoire de l’analyse en son unité. Il ne s’agissait pas tant d’étudier pour elle-même la pratique de la construction géométrique que de comprendre comment la figure pouvait s’incarner dans le discours scientifique et ainsi justifier que l’on attribuât à l’analyse, qui se fonde sur un tel usage des constructions, le rang d’une preuve apodictique. Que l’analyse soit une démarche efficace n’est contesté par aucun, ni même le fait qu’elle ait pu introduire aux plus grandes réalisations de la raison mathématique. Ce qui par contre est soumis à caution pendant une grande partie de l’Antiquité, c’est qu’elle puisse constituer une démonstration à part entière et une voie légitime pour la transmission du savoir[13] ».

Prenant le relais de Viète, « Descartes va reconfigurer l’analyse algébrique pour en faire un art de la résolution des problèmes. » (Compte rendu du livre de Dubouclez par François Collet). « La mathesis universalis évoquée dans la Règle IV implique l’analyse, inséparable d’une mise en ordre relevant de l’autonomie du sujet connaissant. Le bon sens (la mens comme faculté universelle de penser) doit ici être porté par la force de l’esprit, l’ingenium qui comprend tout en inventant la voie de la compréhension. L’esprit comme vitalité porte et emporte l’esprit comme faculté logique – insuffisante pour la découverte- et O. Dubouclez remarque la récurrence des métaphores vitalistes ou naturalistes chez Descartes. » La mathesis universalis ou science universelle dont parle la règle IV implique la méthode de l'analyse, cette dernière allant de pair avec sur une mise en ordre reposant sur l’autonomie du sujet connaissant / cette dernière reposant sur une faculté de mise en ordre dont seul le sujet connaissant dispose.

Descartes importe ensuite (après les Règles et le Discours) la méthode analytique en métaphysique. « Dans la métaphysique, on ira donc toujours du discours aux éléments à faire comprendre et jamais des éléments déjà compris au discours. » (Dubouclez, p. 262)

Voir aussi recension de Thibaut Gress :

« On retrouve dans les Regulae l’exigence de reformulation et de simplification (règles V, VI) où la nature simple permet de ramener les propositions complexes à des propositions simples ; la règle XIII paraît très proche de Viète et de l’analyse algébrique. « L’analyse s’impose dans le livre II comme un instrument opératoire permettant d’accomplir la méthode de réduction. (…). L’analyse subit toutefois deux inflexions importantes : Descartes insiste sur la nécessité de clarifier l’énoncé et de mener une enquête herméneutique pour le débarrasser de son équivocité. Mais surtout le geste analytique est rétabli dans sa puissance productive et imaginative : à rebours de l’algèbre vénitienne, Descartes affirme la nécessité de la construction des figures comme préalable méthodique ; il réintroduit donc une perspective géométrique au cœur de l’analyse qui, dans la logistica speciosa, s’était réduite à une élaboration linguistique. » (p. 229-230) Avec Descartes, comme toujours, l’héritage est retravaillé : ce qu’il y avait de spécifiquement moderne dans la distinction entre chose connue pour soi et chose en soi est ici repris, au profit d’une heuristique de la découverte par le sujet ; en outre, se trouve réinjectée la nécessité d’étendre spatialement par les figures les constructions intellectuelles.

La force de l’auteur consiste toutefois à ne pas écraser l’ensemble des réflexions cartésiennes consacrées à l’analyse sur le seul textes des Regulae : il ouvre au contraire son étude aux textes de 1637 où les choses changent assez nettement. « L’analyse des Anciens n’est plus le respectable vestige de la règle IV : elle semble trouver maintenant place au sein d’un projet méthodologique fondé sur le recours à la théorie des rapports et proportions où elle est intimement associée à l’algèbre, mais selon des modalités distinctes de celles spécifiées dans les Regulae. » (p. 231) Dans le Discours de la Méthode, la théorie des proportions est cultivée et développée grâce à l’algèbre et l’analyse géométrique. L’analyse perd son côté algébrique pour devenir un instrument de construction.

Dans la Géométrie, il restaure l’acte primordial de l’analyse géométrique qu’est la suppositio. Il fait précéder toute élaboration du problème de la construction de la figure correspondante. Une différence aura lieu sur les degrés : Viète construit l’équation en fonction d’une inconnue de degré déterminé, Descartes donne une résolution qui lui permet d’envisager une équation en fonction d’un nombre de degrés indéterminé. « La « figure instrumentale » cartésienne se distingue de la figure sensible de la géométrie par le fait qu’elle traite non d’un problème particulier mais en même temps d’un genre de problèmes ; mais elle se distingue aussi bien des figures produites dans les Regulae qui prétendaient elles aussi à la généralité. » (p. 240) En 1637, la réintroduction de l’analyse géométrique se justifie pour permettre l’étude des proportions sous la forme de configurations linéaires, préservant l’esprit de la cécité du calcul algébrique. »

Postérité modifier

L'ouvrage a inspiré, au XVIIe siècle, la seconde édition de la Logique de Port-Royal[14]. Leibniz, critique de la notion cartésienne d'idée claire et distincte, et défenseur, avec Newton, d'une conception plus dynamique en physique, en retient le projet d'une nouvelle formalité en logique, dans le cadre d'une réorganisation encyclopédique des savoirs[15]. Auguste Comte, au XIXe siècle, rejoint Leibniz et Newton dans leur critique du formalisme des Règles, et plus largement de la conception mécaniste des corps, à laquelle il substitue, avant Bergson, une forme de vitalisme[16].

Les Règles sont le premier ouvrage — avant même, donc, le Discours et les Méditations —, à rapporter l'être au sujet connaissant — « de lui dépend la connaissance de tout le reste[2] », affirme en effet Descartes —, ouvrant sur la philosophie transcendantale de Kant. D'où l'intérêt, au XXe siècle, en Allemagne, des néo-kantiens de Marbourg comme Paul Natorp et Ernst Cassirer pour les Règles, auxquelles ils accordent plus d'importance encore qu'aux Méditations[16]. Toujours au XXe siècle, mais en France, Simone Weil affectionnait particulièrement l'ouvrage et le tenait pour l'un des meilleurs de Descartes[17]. La notion d'attention, qui est centrale dans sa propre pensée, se trouve dans les Méditations métaphysiques, mais est déjà présente dans les Règles pour la direction de l'esprit.

Annexes modifier

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Bibliographie modifier

Éditions et traductions modifier

  • Règles pour la direction de l’esprit, édition de Victor Cousin, Paris, Levrault, (lire sur Wikisource).
  • (la) Regulæ ad directionem ingenii, édition de Charles Adam et Paul Tannery, notice d'Henri Gouhier, Paris, Le Cerf, 1930.
  • (la) Regulæ ad directionem ingenii, texte critique établi par Giovanni Crapulli, avec la version hollandaise du XVIIe siècle, La Haye, Martinus Nijhoff, 1966.
  • Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité, traduction selon le lexique cartésien et annotation conceptuelle par Jean-Luc Marion, avec des notes mathématiques de Pierre Costabel, La Haye, Martinus Nijhoff, 1977.
  • Règles pour la direction de l'esprit, traduction et notes par Jean Sirven, Paris, Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 1997. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Règles pour la direction de l'esprit, traduction et notes par Jacques Brunschwig, préface, dossier et glossaire par Kim Sang Ong-Van-Cung, Paris, Librairie générale française, coll. Le Livre de poche, 2002. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Règles pour la direction de l'esprit, édition sous la direction de Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, Paris, Gallimard, coll. Tel, 2016. Document utilisé pour la rédaction de l’article

Commentaires modifier

  • Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, Paris, Hatier, 1988 ; rééd. La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, 2017. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Ferdinand Alquié, Leçons sur Descartes. Science et métaphysique chez Descartes, Paris, La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, 2005. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean-Robert Armogathe et Jean-Luc Marion, Index des Regulæ ad directionem ingenii de René Descartes, Rome, Edizioni dell'Ateneo, 1976.
  • Yvon Belaval, Leibniz, critique de Descartes, Paris, Gallimard, 1960 ; rééd. coll. Tel, 1978. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Olivier Dubouclez, Descartes et la voie de l'analyse, Paris, PUF, coll. Épiméthée, 2013. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Pierre Guenancia, Lire Descartes, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2000. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean-Luc Marion, Sur l'ontologie grise de Descartes. Science cartésienne et savoir aristotélicien dans les Regulæ, Paris, Vrin, coll. Bibliothèque d'histoire de la philosophie, 1975 ; 2e éd. revue et augmentée, 1993. Document utilisé pour la rédaction de l’article
  • Jean-Paul Weber, La Constitution du texte des Regulæ, Paris, SEDES, 1964.

Notes et références modifier

  1. a et b Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, « Présentation des Règles », in René Descartes, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 293.
  2. a et b René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, « Règle VIII », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 381 ; AT, t. X, p. 395.
  3. Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, Paris, Hatier, 1988, p. 25.
  4. René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, « Règle XIV », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 457 ; AT, t. X, p. 443.
  5. a et b Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, Paris, Hatier, 1988, p. 29.
  6. Yvon Belaval, Leibniz, critique de Descartes, Paris, Gallimard, 1978, p. 227.
  7. Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, « Présentation des Règles », in René Descartes, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 294.
  8. René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, « Règle IV », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 353 ; AT, t. X, p. 378.
  9. René Descartes, Discours de la méthode, AT, t. VI, p. 19.
  10. René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, « Règle VII », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 373 ; AT, t. X, p. 390.
  11. René Descartes, Règles pour la direction de l'esprit, « Règle VII », dans Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 375 ; AT, t. X, p. 391.
  12. Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, Paris, Hatier, 1988, p. 24-25.
  13. Olivier Dubouclez, Descartes et la voie de l'analyse, Paris, PUF, 2013, p. 361.
  14. Ferdinand Alquié, Descartes, l'homme et l'œuvre, Paris, Hatier, 1988, p. 20 ; Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, « Présentation des Règles », in René Descartes, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 297.
  15. Yvon Belaval, Leibniz, critique de Descartes, Paris, Gallimard, 1978, p. 109.
  16. a et b Jean-Marie Beyssade et Denis Kambouchner, « Présentation des Règles », in René Descartes, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, 2016, p. 317.
  17. Simone Pétrement, La Vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1997, p. 69.




[TABLE DES RÈGLES]

# Règle
1 « Le but des études doit être de diriger l’esprit de manière à ce qu’il porte des jugements solides et vrais sur tout ce qui se présente à lui. »
2 « Il ne faut nous occuper que des objets dont notre esprit paroît capable d’acquérir une connaissance certaine et indubitable. »
3 « Il faut chercher sur l’objet de notre étude, non pas ce qu’en ont pensé les autres, ni ce que nous soupçonnons nous-mêmes, mais ce que nous pouvons voir clairement et avec évidence, ou déduire d’une manière certaine. C’est le seul moyen d’arriver à la science. »
4 « Nécessité de la méthode dans la recherche de la vérité. »
5 « Toute la méthode consiste dans l’ordre et dans la disposition des objets sur lesquels l’esprit doit tourner ses efforts pour arriver à quelques vérités. Pour la suivre, il faut ramener graduellement les propositions embarrassées et obscures à de plus simples, et ensuite partir de l’intuition de ces dernières pour arriver, par les mêmes degrés, à la connaissance des autres. »
6 « Pour distinguer les choses les plus simples de celles qui sont enveloppées, et suivre cette recherche avec ordre, il faut, dans chaque série d’objets, où de quelques vérités nous avons déduit d’autres vérités, reconnoître quelle est la chose la plus simple, et comment toutes les autres s’en éloignent plus ou moins, ou également. »
7 « Pour compléter la science il faut que la pensée parcoure, d’un mouvement non interrompu et suivi, tous les objets qui appartiennent au but qu’elle veut atteindre, et qu’ensuite elle les résume dans une énumération méthodique et suffisante. »
8 « Si dans la série des questions il s’en présente une que notre esprit ne peut comprendre parfaitement, il faut s’arrêter là, ne pas examiner ce qui suit, mais s’épargner un travail superflu. »
9 « Il faut diriger toutes les forces de son esprit sur les choses les plus faciles et de la moindre importance, et s’y arrêter longtemps, jusqu’à ce qu’on ait pris l’habitude de voir la vérité clairement et distinctement. »
10 « Pour que l’esprit acquière de la facilité, il faut l’exercer à trouver les choses que d’autres ont déjà découvertes, et à parcourir avec méthode même les arts les plus communs, surtout ceux qui expliquent l’ordre ou le supposent. »
11 « Après avoir aperçu par l’intuition quelques propositions simples, si nous en concluons quelque autre, il est inutile de les suivre sans interrompre un seul instant le mouvement de la pensée, de réfléchir à leurs rapports mutuels, et d’en concevoir distinctement à la fois le plus grand nombre possible ; c’est le moyen de donner à notre science plus de certitude et à notre esprit plus d’étendue. »
12 « Enfin il faut se servir de toutes les ressources de l’intelligence, de l’imagination, des sens, de la mémoire, pour avoir une intuition distincte des propositions simples, pour comparer convenablement ce qu’on cherche avec ce qu’on connoît, et pour trouver les choses qui doivent être ainsi comparées entre elles ; en un mot on ne doit négliger aucun des moyens dont l’homme est pourvu. »
13 « Quand nous comprenons parfaitement une question, il faut la dégager de toute conception superflue, la réduire au plus simple, la subdiviser le plus possible au moyen de l’énumération. »
14 « La même règle doit s’appliquer à l’étendue réelle des corps, et il faut la représenter tout entière à l’ imagination, au moyen de figures nues ; de cette manière l’entendement la comprendra bien plus distinctement. »
15 « Souvent il est bon de tracer ces figures, et de les montrer aux sens externes, pour tenir plus facilement notre esprit attentif. »
16 « Quant à ce qui n’exige pas l’attention de l’esprit, quoique nécessaire pour la conclusion, il vaut mieux le désigner par de courtes notes que par des figures entières. Par ce moyen la mémoire ne pourra nous faire défaut, et cependant la pensée ne sera pas distraite, pour le retenir, des autres opérations auxquelles elle est occupée. »
17 « Il faut parcourir directement la difficulté proposée, en faisant abstraction de ce que quelques-uns de ses termes sont connus et les autres inconnus, et en suivant, par la marche véritable, la mutuelle dépendance des unes et des autres. »
18 « Pour cela il n’est besoin que de quatre opérations, l’addition, la soustraction, la multiplication et la division ; même les deux dernières n’ont souvent pas besoin d’être faites, tant pour ne rien embrasser inutilement, que parcequ’elles peuvent par la suite être plus facilement exécutées. »
19 « C’est par celle méthode qu’il faut chercher autant de grandeurs exprimées de deux manières différentes que nous supposons connus de termes inconnus, pour parcourir directement la difficulté ; car, par ce moyen, nous aurons autant de comparaisons entre deux choses égales. »
20 « Après avoir trouvé les équations, il faut achever les opérations que nous avons omises, sans jamais employer la multiplication toutes les fois qu’il y aura lieu à division. »
21 « S’il y a plusieurs équations de cette espèce, il faudra les réduire toutes à une seule, savoir à celle dont les termes occuperont le plus petit nombre de degrés, dans la série des grandeurs en proportion continue, selon laquelle ces termes eux-mêmes doivent être disposés. »