Affaire Vincenzo Vecchi

(Redirigé depuis Vincenzo Vecchi)

L'affaire Vincenzo Vecchi débute le lorsque ce ressortissant italien est arrêté à Saint-Gravé, dans le Morbihan, en exécution de deux mandats d’arrêt européens émis en 2016 par l'Italie[1],[2] . Il est accusé du délit de « dévastation et pillage » lors des manifestations altermondialistes à Gênes en 2001 et à Milan en 2006 et encourt plus de douze ans d'emprisonnement. Pendant plus de trois ans, cette affaire connaît de multiples épisodes judiciaires, impliquant différentes juridictions françaises, et suscite diverses controverses.

Affaire Vincenzo Vecchi
Fait reproché dévastation et pillage (loi promulguée sous Mussolini)
Pays Italie
Ville Gênes
Pays associé France
Jugement
Statut affaire terminée
Tribunal Cour suprême de cassation (Italie) (juillet 2012)
Formation Cour de cassation française 2022. Renvoi à la Cour d'appel de Lyon février 2023

Le protagoniste

modifier

Vincenzo Vecchi est né en 1973 à Calcinate en Lombardie. Dans les années 1990, il travaille comme jardinier à Mornico al Serio avant de déménager à Milan où il milite dans des groupes altermondialistes et écologistes[3]. Il vit depuis le début des années 2010 dans le Morbihan où il travaille comme charpentier et s’investit dans la vie associative locale[4].

Contexte

modifier
Manifestation dans une ville méditerranéenne.
Émeutes anti-G8 de Gênes de 2001.

Le vingt-septième sommet du G8 à Gênes en juillet 2001 est marqué par des manifestations altermondialistes auxquelles prennent part quelque trois cent mille personnes venues de toute l'Europe. Ces manifestations donnent lieu à des affrontements entre la police et les manifestants et la répression y est brutale, faisant des centaines de blessés et entraînant la mort de Carlo Giulani[5],[6].

La violente répression policière, assortie d’actes de torture, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme[4]. Amnesty International estime qu'il s’agit de la « plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale ». Ce n'est qu'en 2017 que les autorités policières reconnaîtront officiellement les exactions : « À Gênes, un nombre incalculable de personnes innocentes ont subi des violences physiques et psychologiques qui les ont marquées à vie »[7].

En 2002, les autorités italiennes décident de poursuivre dix manifestants, surnommés « les dix de Gênes », pour « violences, vol et dégradations par incendie ». Parmi eux, Vincenzo Vecchi, qui effectue un an de détention provisoire[4].

En mars 2006, le parti néo-fasciste Flamme tricolore organise un rassemblement à Milan, un mois avant les élections de 2006 et quelques jours avant le troisième anniversaire de l'assassinat d'un militant antifasciste par deux membres de l'extrême droite. Les groupes antifascistes locaux répondent par une contre-manifestation, sans avoir reçu l'autorisation formelle des autorités. Lorsque les deux manifestations se rencontrent sur le Corso Buenos Aires, de violents affrontements éclatent[8].

Vincenzo Vecchi est présent à ces deux manifestations de Gênes et Milan [9].

Chronologie judiciaire et prises de position

modifier

En , la Cour suprême de cassation italienne condamne Vincenzo Vecchi par contumace à douze ans et demi d'emprisonnement pour le délit de « dévastation et pillage » lors des manifestations à Gênes en 2001 et à Milan en 2006. Il est poursuivi, en même temps que 9 autres manifestants, sur la base de photographies qui le montrent près d’une barricade, ou près d'un supermarché pillé, ou de pneus incendiés. Le délit « dévastation et pillage » permet de réprimer la seule présence à une manifestation, sans nécessairement prouver des actes de violence ou de dégradation[4].

En juin 2016[Pas dans la source], l'Italie émet deux mandats d'arrêt européen à son encontre[10]. En août 2019, il est arrêté par la police française à Saint-Gravé et immédiatement incarcéré à la prison de Rennes où il reste trois mois du au . Cette arrestation suscite diverses controverses, notamment parce que l'accusation se fonde sur un délit introduit dans le droit italien par Alfredo Rocco sous le régime fasciste de Mussolini. Les avocats et les partisans de Vincenzo Vecchi affirment que la sentence est excessive et qu'il y a un risque que l'affaire soit utilisée à des fins politiques[11],[12],[13].

Le , la Cour d'appel de Rennes constate l’extinction du mandat d’arrêt européen concernant Milan et déclare irrégulière la procédure de celui concernant Gênes. En conséquence, elle ordonne la remise en liberté immédiate de Vincenzo Vecchi[14].

Le Parquet Général se pourvoit en cassation et obtient, le 18 novembre 2019, la cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes avec renvoi de l'affaire devant la Cour d'appel d'Angers[15]. En débute le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19 et toutes les actions judiciaires en cours sont reportées pour raisons sanitaires. Le , la cour d'appel d'Angers refuse, elle aussi, la remise à l'Italie de Vincenzo Vecchi, estimant que le délit de « dévastation et pillage » n'a pas d'équivalent dans le droit français et constatant également la disproportion entre la peine encourue par le militant et les infractions qui lui sont reprochées, cette disproportion étant contraire aux principes du droit européen[16],[17].

Le , le parquet général se pourvoit une nouvelle fois en cassation[18],[19]. En , la Cour de cassation française, avant de rendre sa décision définitive, demande l'interprétation des textes européens sur la double incrimination à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE)[20].

En , la CJUE rend son arrêt[21] : elle soutient que les différences entre les définitions des infractions pénales dans les différents pays européens ne sont pas des raisons suffisantes et que Vincenzo Vecchi devrait donc être extradé[22]. Dans les deux mois qui suivent, de nombreuses protestations contre cette position s'élèvent dans les milieux politiques et intellectuels qui estiment à l'instar de l'écrivain Éric Vuillard que « la coopération européenne ne doit pas l'emporter sur la Justice »[23]. Fin septembre la Ligue des droits de l'homme exprime également sa désapprobation[24]. Début , plusieurs tribunes paraissent dans de grands quotidiens en France et en Belgique dont celle publiée dans Le Monde co-signée par Annie Ernaux, prix Nobel de littérature[25],[26],[27],[28].

Le à Paris, se tient l'audience de la Cour de cassation qui doit déterminer si Vecchi doit être remis à l'Italie. Cette décision, soumise à délibéré et rendue le [29] renvoie l'affaire à la Cour d'appel de Lyon.

Le 10 février 2023, Le Monde publie une tribune signée par une dizaine de personnalités internationales dont Noam Chomsky, Ken Loach, Annie Ernaux, Juliette Binoche, et demandant solennellement aux juges de cette Cour d'appel de ne pas livrer Vincenzo Vecchi à l'Italie et au ministère public de ne plus se pourvoir en cassation[30].

L'affaire Vincenzo Vecchi est rejugée le par la Cour d'appel de Lyon [31],[4] qui rend son verdict le 24 mars[32],[33]. À l'instar des cours d'appel de Rennes et d'Angers, celle de Lyon estime que le Mandat d'Arrêt Européen à l'encontre de Vincenzo Vecchi n'est pas applicable et refuse de l'extrader[34],[35],[36]. Le mardi 28 mars 2023, le parquet général fait savoir qu'il ne se pourvoit pas en cassation, mettant ainsi fin à une affaire judiciaire qui aura duré trois ans et huit mois. Vincenzo Vecchi est désormais libre[37].

Références

modifier
  1. « Qui est Vincenzo Vecchi, l’activiste italien arrêté en Bretagne? », sur LEFIGARO, (consulté le )
  2. Emmanuel Fansten, « Anticapitalisme : le Morbihan, dernier refuge de Vincenzo Vecchi », sur Libération (consulté le )
  3. (it) Vittorio Ravazzini, « L'ecologista anarchico condannato per il G8 — Vincenzo Vecchi ora è latitante », Corriere Bergamo,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. a b c d et e « A la cour d’appel de Lyon, le spectre d’une loi fasciste dans l’extradition de Vincenzo Vecchi », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  5. Eric Jozsef, « G8 à Gênes : des manifestants ont été torturés, admet le chef de la police italienne », sur Libération (consulté le )
  6. « Violences policières en marge du G8 de Gênes en 2001 : le mea culpa inédit, seize ans plus tard, du chef de la police italienne », sur Franceinfo, (consulté le )
  7. « Vincenzo Vecchi : du G8 de Gênes, un sommet de violence policière », sur Libération.fr,
  8. (it) « Milano, guerriglia tra autonomi e polizia », Corriere della Sera,‎ (ISSN 1120-4982, lire en ligne, consulté le ).
  9. (it) Redazione_Mim, « Devastazione e saccheggio - Un imputato », sur MilanoInMovimento, (consulté le )
  10. « Vincenzo Vecchi, le condamné que l’Italie réclame à la France », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  11. Vincent Bonnecase, « Vincenzo Vecchi et les violences policières impunies du G8 de Gênes : une justice, deux mesures », sur Libération (consulté le )
  12. « Affaire Vecchi: les décisions de justice italienne «plus qu'excessives» », sur LEFIGARO, (consulté le )
  13. Emmanuel Fansten, « Eric Vuillard : «Vincenzo Vecchi est victime d'une injustice» », sur Libération (consulté le )
  14. Emmanuel Fansten, « Vincenzo Vecchi : «Je suis sorti, mais je ne suis pas libre» », sur Libération (consulté le )
  15. « Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 décembre 2019 », sur Cour de cassation,
  16. « La justice française refuse de remettre à l'Italie le militant altermondialiste Vincenzo Vecchi », sur LEFIGARO, (consulté le )
  17. « Article 49 - Principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines », sur European Union Agency for Fundamental Rights, (consulté le )
  18. Le Point magazine, « Nouveau pourvoi en cassation dans l'affaire Vincenzo Vecchi », sur Le Point, (consulté le )
  19. « Affaire Vincenzo Vecchi : nouveau pourvoi en cassation pour extrader le militant italien, installé dans le Morbihan », sur France 3 Bretagne (consulté le )
  20. « Mandat d’arrêt européen : les précisions de la CJUE sur la condition de double incrimination - Droit pénal international | Dalloz Actualité », sur www.dalloz-actualite.fr (consulté le )
  21. CJUE, aff. C-168/21 (Procureur général près la cour d’appel d’Angers), , ECLI:EU:C:2022:558.
  22. « Affaire Vincenzo Vecchi. « Le militant altermondialiste réfugié en Bretagne doit être remis à la justice italienne », estime la justice européenne », sur France 3 Bretagne (consulté le )
  23. « Affaire Vincenzo Vecchi, par Eric Vuillard : « La coopération européenne ne doit pas l’emporter sur la justice » », sur L'Obs, (consulté le )
  24. « L’acharnement judiciaire contre Vincenzo Vecchi doit prendre fin », sur Ligue des droits de l’Homme (consulté le )
  25. « « Dans l’affaire Vincenzo Vecchi, la Cour de cassation est notre dernier rempart pour la défense des libertés publiques » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  26. « Avez-vous commis le crime de « dévastation et pillage » ? Moi oui ! », sur Le Soir, (consulté le )
  27. Un collectif de 76 députés Nupes, « Affaire Vincenzo Vecchi: la France doit défendre les droits fondamentaux contre une loi datant de Mussolini », sur Libération (consulté le )
  28. (it) « Milano, anarchici in corteo per Vincenzo Vecchi, il militante difeso anche dal Nobel Annie Ernaux. Tensioni con la Digos », sur la Repubblica, (consulté le )
  29. Stéphane Grammont, « Affaire Vincenzo Vecchi. Décision le 29 novembre pour le militant altermondialiste sur sa remise à la justice italienne », France 3 Bretagne,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  30. « Affaire Vincenzo Vecchi : « On ne peut pas accepter que la justice française, aux fondements démocratiques, cautionne une loi authentiquement fasciste » », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  31. « Questembert - Le comité de soutien de Vincenzo Vecchi se mobilise avant son procès en appel », sur Le Telegramme, (consulté le )
  32. Maïté Darnault, « Vingt ans après le G8 de Gênes, l’activiste Vincenzo Vecchi suspendu au choix «moral» de ses juges », sur Libération (consulté le )
  33. « Plus de vingt ans après les émeutes du G8 de Gênes, le long combat de Vincenzo Vecchi, réclamé par la justice italienne », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  34. « Affaire Vecchi: la cour d'appel de Lyon rejette la demande de remise à l'Italie », sur LEFIGARO, (consulté le )
  35. « La Cour d’appel de Lyon ne remettra pas Vincenzo Vecchi à l’Italie », sur Le Telegramme, (consulté le )
  36. Oriane Mollaret (Rue89 Lyon), « La cour d’appel de Lyon ne livrera pas Vincenzo Vecchi à l’Italie », sur Mediapart (consulté le )
  37. « Vincenzo Vecchi ne sera pas remis à l’Italie », sur Le Soir, (consulté le )