Déconstitutionnalisation par l'effet des révolutions

La déconstitutionnalisation par l'effet des révolutions[1],[2],[3] est une théorie en vertu de laquelle certaines des dispositions contenues dans une constitution qu'une révolution a abrogée demeurent en vigueur, à titre de dispositions législatives ordinaires.

La théorie a été élaborée par la doctrine publiciste française, sous la IIIe République, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle[4], à la suite de la loi du , portant révision partielle des lois constitutionnelles des et et du [5]. Elle semble avoir été exposée pour la première fois par Adhémar Esmein[6],[7], dans la première édition de ses Éléments de droit constitutionnel, parus en [8]. La théorie a été reprise, ou simplement citée, par d'éminents auteurs : Joseph Barthélemy et Paul Duez[9], Édouard Laferrière et Raymond Carré de Malberg[10],[9].

Exemples modifier

En France modifier

Cas de l'article 75 de la Constitution du 22 frimaire an VIII modifier

En droit constitutionnel français, l'exemple le plus notoire est celui de l'article 75 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (), instaurant le garantie des fonctionnaires. Il a survécu à six changements de régime[11] et est demeuré en vigueur jusqu'à son abrogation par le décret du gouvernement de la Défense nationale en date du et, sous la Restauration, le Conseil d'État le visait comme l'article 75 de la « loi » du 22 frimaire an VIII[12],[13],[2].

Autres exemples modifier

Cas de la Constitution de modifier

Les travaux de Jean-Louis Halpérin, complétés par ceux de Jean-Louis Mestres, ont permis d'établir que certaines dispositions de la Constitution de sont restées en vigueur après la suspension de Louis XVI[14]. Le Tribunal de cassation a considéré que la constitution n'a été intégralement abrogée ni par l'abolition de la royauté, décrétée par la Convention le , ni par l'adoption des constitutions républicaines du 6 messidor an I (), du 5 fructidor an III () et du 22 frimaire an VIII ()[15]. Dans le jugement de l'affaire Tournal, rendu le , le Tribunal se réfère encore à la constitution en la désignant comme « l'Acte constitutionnel »[15]. Mais, dans le jugement de l'affaire Tantormat, rendu le , le Tribunal ne s'y réfère plus qu'en la désignant comme la « loi du  »[16]. La constitution a été, pour ainsi dire, déconstitutionnalisée[15]. La déconstitutionnalisation de la constitution est confirmée par la formule « acte ci-devant constitutionnel »[17]. La formule apparaît, semble-t-il, pour la première fois dans le réquisitoire d'un commissaire du [18]. La Tribunal la reprend dans le jugement de l'affaire Collin, rendu le 19 ventôse an III ()[18]. Après l'exécution de Louis XVI, le Tribunal s'y réfère encore en la désignation comme la « loi du  »[19].

Cas d'autres articles de la Constitution 22 frimaire an VIII modifier

D'autres dispositions de la Constitution de l'an VIII sont restées en vigueur après l'abrogation de celle-ci. Tel est le cas : de son article 41, substituant la nomination des juges à leur élection[12],[20],[21] ; de son article 61, supprimant l'appel circulaire et créant les tribunaux d'appels[20],[21] ; de son article 76, interdisant à l'autorité publique d'entrer dans une maison de nuit[20] ; et de son article 90, créant un quorum[21]. Ses articles 4 et 5 ont été maintenus en vigueur[22]. En particulier, les dispositions de son article 5, relatives à l'incapacité politique des « domestiques à gage[s], attaché[s] au service de la personne ou du ménage », sont restées en vigueur jusqu'à leur abrogation par le décret du et la loi du [23].

Cas de l'article 5 de la Constitution du modifier

La Constitution du offre un autre exemple, donné par Esmein[24] : son article 5, confirmant le décret du 29 février 1848 abolissant la peine de mort en matière politique, a été maintenu en vigueur[12],[25],[2].

Cas du sénatus-consulte du modifier

Le sénatus-consulte du est demeuré en vigueur, sous la IIIe République[12],[25].

En outre, certains principes financiers ont conservé leur force juridique malgré l'abrogation des constitutions qui les avaient énoncés[12].

Notes et références modifier

  1. Cornu 2017, s.v.déconstitutionnalisation.
  2. a b et c Prélot et Boulouis 1984, p. 197.
  3. Steckel 2002, p. 14.
  4. Cartier 2015, p. 73.
  5. Carré de Malberg 2003, t. II, no 576, n. 6.
  6. Burdeau 1983, p. 591.
  7. Romeiro 1976, no 4.
  8. Esmein 1896, p. 409-410.
  9. a et b Romeiro 1976, no 7.
  10. Burdeau 1983, n. 591, p. 591.
  11. Waline 1933, p. 113.
  12. a b c d et e Burdeau 1983, n. 150, p. 590.
  13. Boulouis 1986, p. 606.
  14. Halpérin 1993, p. 369-381.
  15. a b et c Mestre 2003, p. 248.
  16. Mestre 2003, p. 244 et 248.
  17. Mestre 2003, p. 248-249.
  18. a et b Mestre 2003, p. 249.
  19. Mestre 1995, p. 27.
  20. a b et c Lanza 1984, n. 280, p. 117.
  21. a b et c Lanza 1984, p. 123.
  22. Dalloz et Dalloz 1852, s.v.Droit politique, no 30, p. 39, col. 2.
  23. Dalloz et Dalloz 1852, s.v.Droit politique, no 34, p. 40, col. 1.
  24. Waline 1933, p. 114.
  25. a et b Esmein 1896, p. 410.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Articles connexes modifier