Semaine sanglante

épisode final de la Commune de Paris
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La Semaine sanglante, du dimanche au dimanche suivant , désigne la période la plus meurtrière de la guerre civile de 1871 et l'épisode final de la Commune de Paris, au cours de laquelle l'insurrection est écrasée et ses membres exécutés en masse. Elle s'inscrit dans le cadre de la campagne de 1871 à l'intérieur menée par le gouvernement de Versailles contre les communes insurrectionnelles établies ou en projet que connaissent plusieurs grandes villes françaises. Celles-là refusent la capitulation française face à Bismarck et prônent alors une république française basée sur la démocratie directe plutôt que sur la démocratie représentative.

Semaine sanglante
Description de cette image, également commentée ci-après
Henri Félix Emmanuel Philippoteaux, Bataille du cimetière du Père-Lachaise (1871), Bordeaux, musée d'Aquitaine.
Informations générales
Date -
(7 jours)
Lieu Paris
Issue Victoire du gouvernement de Versailles
Belligérants
Drapeau français République française (Gouvernement de Versailles) Drapeau de la Commune de Paris Commune de Paris
Commandants
Patrice de Mac Mahon
Paul de Ladmirault
Ernest Courtot de Cissey
François Charles du Barail
Félix Douay
Justin Clinchant
Joseph Vinoy
Gaston de Galliffet
Charles Delescluze
Paul Antoine Brunel
Émile Eudes
Émile-Victor Duval
Napoléon La Cécilia
Jarosław Dąbrowski
Walery Wroblewski
Louis Rossel
Raoul du Bisson
Forces en présence
120 000 à 130 000 hommes[1],[2] 20 000 à 170 000 hommes[3],[4]
Pertes
400 morts[4]
3 000 blessés[4]
~ 50 à 100 otages fusillés[5],[6]
5 700 à 15 000 morts[7],[8]
(dont 2 000 à 4 000 au combat[9],[7] et 1 400 à plusieurs milliers de prisonniers fusillés[10],[7])
43 522 prisonniers[11]

Campagne de 1871 à l'intérieur

Batailles

Ayant fait plusieurs milliers de morts et de fusillés du côté des communards, la Semaine sanglante constitue un des épisodes de guerre civile majeurs de l'histoire de France dont le souvenir s'inscrit dans la culture du mouvement ouvrier international, de la gauche française, du mouvement anarchiste et plus largement chez les partisans de la démocratie directe.

Origines

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Forces en présence

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Les Prussiens favorisèrent l'offensive contre la Commune. Ici, batterie prussienne au fort d'Aubervilliers, pointée sur Paris. Cliché d'Alphonse Liébert.

Du côté du gouvernement, 120 000[1] à 130 000[2] hommes de l'armée de Versailles prennent part à l'offensive.

Côté communard, la Garde nationale estime disposer de 170 000 hommes en armes, dont 80 000 dans les compagnies de combat, 10 500 en garnison dans les forts au sud et plusieurs milliers de réservistes dans les casernes[3]. Cependant pour l'historien Robert Tombs : « la totalité des forces ne furent jamais disponibles simultanément »[3]. Si la garde nationale compte dans ses rangs des soldats compétents, expérimentés et déterminés, d'autres font preuve de tiédeur, n'étant « pas profondément convaincus par une idéologie révolutionnaire »[3]. Elle souffre également d'indiscipline, avec notamment quelques cas spectaculaires d'ivrognerie[3]. L'état-major se rend aussi compte que de nombreux bataillons exagèrent leurs effectifs, parfois pour percevoir des soldes, des équipements ou des rations supplémentaires, dont les surplus sont revendus[3]. D'après le communard Gaston Da Costa, la Commune ne pouvait compter que sur 20 000 combattants actifs, ce qui semble assez crédible pour Robert Tombs : « mais il faut rappeler que le niveau d'implication variait beaucoup : certains se contentèrent de poser quelques pavés sur les barricades tandis que d'autres combattaient jour après jour »[4].

Déroulement

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Dimanche

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Du 21 au 22 mai 1871.
Versaillais à la porte de Saint Cloud.

Ce dimanche après-midi, les troupes versaillaises du général Douay pilonnent et assiègent le saillant que forme le rempart du Point-du-Jour. C'est alors qu'un piqueur des Ponts et Chaussées, Jules Ducatel, monte sur le bastion 64, entre la porte d'Auteuil barricadée et la porte de Saint-Cloud, pour les avertir que ce point n'est plus gardé et que la voie est libre.

Les Versaillais occupent les fortifications d'où ils échangent quelques coups de feu, puis le terrain jusqu'à la ligne de chemin de fer de petite ceinture. Le Conseil de la Commune, qui est en train de juger Cluseret, n'envoie aucun renfort, malgré la demande qu'avait formulée Dąbrowski qui commande le secteur.

Selon Émile Zola, alors chroniqueur parlementaire, des groupes se forment sur les grandes voies et une partie de la population salue les libérateurs, notamment sur les grands boulevards des quartiers aisés où de nombreux Parisiens hostiles à la Commune laissent éclater leur joie[12].

Le Comité de salut public dépêche un observateur qui est fait prisonnier par les Versaillais, qui occupent Auteuil et Passy. Ils fouillent systématiquement les maisons[13], procèdent sur dénonciation[14] à des arrestations et commencent à fusiller les Gardes nationaux du secteur[15] conduits au cimetière de Longchamp, à la lisière du bois de Boulogne dominant l'hippodrome. Femmes, enfants, malades, vieillards sont assassinés dans les hôpitaux[16].

Au même moment se déroule la dernière réunion du Conseil de la Commune. En fin de soirée, un concert a lieu au Louvre au bénéfice des « veuves et orphelins ».

Lundi

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Le 22 mai 1871.
Message du Comité de salut public le 22 mai 1871 (3 prairial an 79), demandant aux soldats de l'Armée de Versailles de ne pas tirer sur le peuple de Paris.

Au matin, les Versaillais occupent les 15e et 16e arrondissements, les portes d'Auteuil, de Passy, de Sèvres et de Versailles.

Ils installent de l'artillerie sur la colline de Chaillot et à l'Étoile. Le reste de Paris apprend enfin la nouvelle par une affiche signée de Charles Delescluze, délégué à La Guerre. À la suite de cette proclamation, une grande partie des combattants de la Commune se replient alors dans leur quartier pour le défendre, abandonnant toute lutte coordonnée. Des barricades sont édifiées au square Saint-Jacques, dans les rues Auber, de Châteaudun, du Faubourg Montmartre, de Notre-Dame de Lorette, à la Trinité, à La Chapelle, à la Bastille, aux Buttes Chaumont, au boulevard Saint-Michel, au Panthéon

Des combats ont lieu place de Clichy et aux Batignolles. Les Allemands autorisent les Versaillais à traverser la zone neutre au nord de Paris, ce qui leur permet de prendre les Batignolles à revers.

En fin de journée, les Versaillais occupent l'Élysée, la gare Saint-Lazare, l'École militaire, où sont stationnés les canons de la Commune.

Leur progression est lente, dans ces quartiers qui leur sont acquis, car il semble que les officiers freinent leurs soldats pour faire monter la tension et pour procéder à des exécutions sommaires[réf. nécessaire], en particulier dans la caserne de la rue de Babylone.

Mardi

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Du 22 au 23 mai 1871.

Le Comité de salut public et le Comité central de la Garde nationale font placarder, à l'intention des soldats versaillais, des appels à la fraternisation. En vain. Les hostilités cessent aux Batignolles malgré les efforts des troupes communardes commandées par Benoît Malon, et la butte Montmartre tombe pratiquement sans combat du fait de la désorganisation. Selon le journaliste Lissagaray, quarante-deux hommes, trois femmes et quatre enfants ramassés au hasard sont conduits au no 6 de la rue des Rosiers, contraints de fléchir les genoux, tête nue, devant le mur au pied duquel les généraux ont été exécutés le 18 mars, puis ils sont fusillés. Dąbrowski est tué rue Myrha. La résistance persiste à la Butte-aux-Cailles (avec Walery Wroblewski), au Panthéon (avec Maxime Lisbonne), dans les rues de l'Université, Saint-Dominique, Vavin, de Rennes et à la gare de l'Est. Les Versaillais occupent l'Opéra, le faubourg Montmartre et la Concorde, ils atteignent l'Observatoire et procèdent à des exécutions massives à Montmartre, au parc Monceau et à la Madeleine. C’est le début des grands incendies qui vont ravager de nombreux monuments parisiens.

Mercredi

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Du 23 au 24 mai 1871.

Les incendies du 23 se poursuivent, y compris des immeubles d'habitation rue de Lille, Saint-Sulpice et du Bac. Les dirigeants communards évacuent et font incendier volontairement l'hôtel de ville, la préfecture de police et le palais de justice. Les Versaillais occupent la Banque de France, le Palais-Royal, le Louvre, la rue d'Assas et Notre-Dame des Champs. Le Quartier latin est attaqué ; il est occupé le soir et ses défenseurs (près de 700) sont exécutés rue Saint-Jacques. La poudrière du Luxembourg saute. À 12 h 30, le docteur Faneau, à la tête de l'ambulance établie au séminaire Saint-Sulpice, est passé par les armes avec 80 fédérés blessés.

À la prison de la Roquette, les communards exécutent l'archevêque de Paris Georges Darboy et cinq autres otages (dont le président Bonjean qui s'était illustré lors de la répression anti-populaire de ). La mort de l'archevêque, qui avait tenté de faciliter l'échange d'Auguste Blanqui contre des prisonniers fédérés, ôte le dernier espoir d'arrêter l'effusion de sang. Les communards ne tiennent plus que les 9e, 12e, 19e et 20e arrondissements, plus quelques îlots dans les 3e, 5e et 13e (bataille de la Butte-aux-Cailles).

Jeudi

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Du 24 au 25 mai 1871.

Combats acharnés à la Butte-aux-Cailles, où résiste Wroblewski, et place du Château d'Eau, où Charles Delescluze, délégué à la Guerre de la Commune, est tué.

Les cinq dominicains d'Arcueil et neuf de leurs employés sont soupçonnés de travailler pour « Versailles » et d'avoir mis le feu au siège de l'état-major du 101e bataillon proche de leur école. Le , ils sont arrêtés, incarcérés au fort de Bicêtre, puis transférés le lors de l'évacuation vers Paris et abattus le même jour après une certaine confusion dans la prison du secteur, 38 avenue d'Italie.

Vendredi

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Du 25 au 26 mai 1871.

Épisode de la « villa des Otages », rue Haxo : cinquante personnes (onze prêtres — parmi lesquels Pierre Olivaint —, trente-six gardes ou gendarmes versaillais et quatre civils travaillant ou manipulés par la police) sont transférées de la prison de la Roquette à la limite des fortifications, au 85 rue Haxo[17]. Là, elles sont fusillées par un peloton d'exécution, avec l'approbation de la population présente. D'après le livre de souvenirs de Maxime Vuillaume, Mes Cahiers Rouges au temps de la Commune, une autre personne est décédée à cet endroit (la plaque commémorative mentionne d'ailleurs cinquante-deux victimes). Ultérieurement, l'église Notre-Dame-des-Otages a été construite à cet emplacement au 85 de la rue Haxo.

Le député de la Seine Jean-Baptiste Millière, homonyme d'un colonel de la garde nationale de Paris, est arrêté par les Versaillais et exécuté sommairement sur les marches du Panthéon.

Le faubourg Saint-Antoine est contrôlé par les Versaillais.

Les émigrés polonais Adolf Rozwadowski et Michał Szweycer sont exécutés pour avoir hébergé des communards ; l'exécution est qualifiée de « l'une des plus horribles » par Ladislas Mickiewicz.

Les communards ne tiennent plus qu'un « quadrilatère » : canal de l'Ourcq, bassin de la Villette, canal Saint-Martin, boulevard Richard-Lenoir, rue du Faubourg-Saint-Antoine et porte de Vincennes.

Samedi

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Du 26 au 27 mai 1871.

Au cimetière du Père-Lachaise, on combat à l'arme blanche entre les tombes. 147 communards sont fusillés au mur des Fédérés.

C'est le lieu habituel de la commémoration de la Commune. Pendant la nuit, les artilleurs versaillais tirent pour tenter d'incendier Belleville.

Dimanche

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Les combats se poursuivent dans Belleville.

Du 27 au 28 mai 1871.

En début d'après-midi, les Versaillais prennent la dernière barricade des communards, dont l'emplacement reste incertain. Elle est commémorée par une plaque rue de la Fontaine-au-Roi dans le 11e arrondissement mais, dans ses mémoires, Gaston Da Costa précise que la dernière barricade à tomber est, non loin de là, celle du faubourg du Temple, à la limite entre le 10e et le 11e[18].

Mort d'Eugène Varlin, membre de l'Internationale, fusillé à Montmartre, au même endroit que les généraux Lecomte et Thomas fusillés le .

Lundi

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Le fort de Vincennes encerclé par les Allemands se rend. Les neuf officiers de la garnison sont fusillés dans les fossés près de l'endroit où fut exécuté le duc d'Enghien, prince de Bourbon, capturé outre-Rhin (affaire du duc d'Enghien).

L'un des communards, le colonel Delorme, se tourna vers le Versaillais qui commandait et lui dit : « Tâtez mon pouls, voyez si j'ai peur ».

Bilan humain

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Bilans de la fin du XIXe siècle

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Insurgés de Belleville gardés dans le parc des Buttes-Chaumont.

La répression de l'insurrection parisienne du a été particulièrement bien organisée par le gouvernement de Thiers. L'état de siège a été décrété et Paris divisé en quatre secteurs militaires. Si les soldats de première ligne sont chargés de faire le coup de feu contre les communards, les soldats de la deuxième ligne sont chargés de traquer ceux qui ne se rendent pas. Ils peuvent perquisitionner dans les maisons, les parcs et même les catacombes. Les « brassardiers », Parisiens partisans du gouvernement de Versailles munis d'un brassard, qui connaissent bien leurs quartiers, les aident. On assiste alors à de nombreuses dénonciations, près de 400 000, dont seulement cinq pour cent sont signées.

Exécution en masse de prisonniers communards dans la caserne Lobau, gravure de Frédéric Lix.
Cadavres d'insurgés dans leurs cercueils (photographie attribuée à Eugène Disderi).

Des cours prévôtales, qui sont chargées de donner un semblant de légitimité aux exécutions sommaires, sont installées à l'École polytechnique, à la gare du Nord, à la gare de l'Est, au Châtelet et au Luxembourg. Des pelotons d'exécution fonctionnent, avec le système des « fournées », square Montholon, au parc Monceau, à l'École militaire, au cimetière du Montparnasse et en particulier à la caserne Lobau. En 1897, un charnier de huit cents communards est découvert dans le quartier de Charonne. Pour gagner du temps, on se servait de mitrailleuses[19].

Souvenirs de la Commune. Une exécution dans le jardin du luxembourg, gravure sur bois anonyme de 1871. Conservée au musée Carnavalet.

La plupart des prisonniers sont acheminés vers Versailles pour être internés au camp de Satory. Durant le voyage, il y a des exécutions : le , le journaliste du Times raconte que, devant lui, le général de Galliffet fait abattre 83 hommes et 12 femmes. Selon Lissagaray, durant le trajet, les prisonniers sont injuriés et battus par des habitants des environs, sans que les soldats escorteurs n'interviennent[20].

Le bilan officiel, rapporté par le général Appert devant l'Assemblée nationale en 1875, fait état de 43 522 arrestations, dont 819 femmes et 538 enfants, on en relâche près de 7 700 qui avaient été arrêtés par erreur. Au camp de Satory, le calvaire continue : aucune hygiène, peu de soins pour les blessés, les épidémies se développent. On abat 300 prisonniers pour tentative de fuite dans la nuit du au .

Des prisonniers fédérés furent transférés dans les pontons et ports de l'ouest de la France ; à Brest, Lorient, Cherbourg et Rochefort. Ces transferts eurent lieu dans des wagons à bestiaux dans des conditions sanitaires volontairement déplorables. Environ 20 000 y furent détenus pendant plusieurs mois, au moins 1 000 y moururent[21].

En face, l'armée versaillaise dénombre officiellement 877 tués, 6 454 blessés et 183 disparus pour l'ensemble des combats livrés contre les communards[22],[23]. Selon Robert Tombs, pour la période spécifique de la Semaine sanglante, le bilan est d'environ quatre cents soldats et officiers tués et trois mille blessés, dont mille sérieusement, soit environ cinq cents morts ou blessés par jour[4]. Neuf cents barricades ont été emportées mais seules une centaine étaient sérieusement défendues[4].

Environ 50 à 100 otages[5],[6] ont également été fusillés par les communards, principalement le [5].

Le bilan humain des victimes communardes fait quant à lui l'objet de débats et de controverses[24]. En 1876, le journaliste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, rapporte que le conseil municipal de la ville de Paris paye l'inhumation de 17 000 cadavres. En prenant en compte les tués hors de Paris, il estime à probablement vingt mille le nombre des fusillés de la semaine sanglante[25], sans compter trois mille fédérés tués ou blessés au combat[26],[24]. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste, élève le nombre des victimes à trente mille[27],[24]. Ce nombre est ensuite abondamment repris par les différents auteurs du XIXe et du XXe siècle[24]. En 2021, l'historien Éric Fournier indique cependant que ce bilan a un double niveau de lecture, car Camille Pelletan cherche ainsi à présenter la semaine sanglante comme plus meurtrière encore que la Terreur de 1792-1794 et ainsi réhabiliter les débuts de la Première République[24].

Bilans début XXIe siècle

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En 2009, l'historien Jacques Rougerie estime que probablement trois à quatre mille fédérés sont morts au combat[22]. Le nombre total des victimes de la semaine sanglante ne peut être connu avec précision, mais il est d'« au minimum dix mille, probablement vingt mille, davantage peut-être »[28]. Les principaux généraux versaillais responsables des tueries sont Ernest Courtot de Cissey, Joseph Vinoy et Gaston de Galliffet, couverts, « bon gré mal gré » par Adolphe Thiers et Patrice de Mac Mahon[21],[29]. En revanche les opérations conduites par le général Justin Clinchant se font presque sans massacres[11].

Exécution de communards par une troupe de soldats versaillais, attribué à Félix Philippoteaux.

Le bilan est cependant progressivement revu à la baisse par l'historien britannique Robert Tombs. En 1994, il estime le nombre de victimes de la semaine sanglante à dix mille. Tout en insistant sur la difficulté de déterminer un tel bilan, il souligne alors que ce nombre plus faible que des estimations « habituelles » invalide la thèse selon laquelle les exécutions auraient été dues au déchainement spontanée et indistinct de soldats versaillais hors de contrôle. Un chiffre de cet ordre serait plus cohérent au contraire avec la thèse qu'il développe selon laquelle la semaine sanglante aurait eu le caractère d'une « purge organisée et calculée ». Les exécutions auraient ainsi été conduites selon des critères issus de la représentation qu'avaient les chefs militaires versaillais de la figure de la « racaille » qu'ils considéraient comme constituant la Commune. Auraient ainsi été ciblés les prisonniers porteurs des traits caractéristiques des classes populaires en tant que perçues comme des « classes dangereuses » sauvages, du monde criminel ou encore des étrangers. Il conclut ainsi « qu'une très importante proportion des morts de la Semaine sanglante, voire la majorité des exécutés », ont été « les victimes de tueries organisées et quasi-légales »[30]. En 2012, Robert Tombs revoit son estimation à la baisse et donne comme fourchette 2 000 à 3 000 tués au combat ou exécutés sommairement, 1 200 à 3 000 exécutés après les combats et 1 700 à 2 800 morts des suites de leurs blessures[9]. En 2014, Robert Tombs écrit alors que : « des estimations très élevées du nombre des victimes apparaissent très tôt. Ces premières estimations ont été souvent répétées depuis les années 1870 sans examen critique, et les preuves supposées de leur exactitude s'avèrent faibles, invérifiables ou inexistantes. La plus notoire, et à première vue convaincante, est l'« aveu », de dix-sept mille fusillés fait par un général de l'armée cité par Prosper-Olivier Lissagaray, mais qui se trouve être tout au plus une estimation du nombre possible des tués et blessés insurgés pendant les deux mois de guerre civile. Il reste néanmoins que l'effusion de sang frappant les communards était effroyable »[7]. En effectuant de nouvelles recherches et en se fondant notamment sur les rapports des services de voirie sur le nombre de corps trouvés et enterrés à Paris, Robert Tombs arrive à la conclusion que probablement 5 700 à 7 400 personnes ont été tuées lors de la semaine sanglante[7],[9],[31], dont environ 1 400 fusillées après les combats[10].

Selon l'historien Quentin Deluermoz, qui cite en exemple la Terreur, la guerre de Vendée, la bataille de Montréjeau, la Révolution de Juillet et les Journées de Juin, « la révision à la baisse » des victimes de la semaine sanglante « s'inscrit en fait dans une tendance historiographique concernant les grands massacres du XIXe siècle »[24].

Cadavres de communards fusillés, déposés dans une salle des ambulances de la Presse, rue Oudinot, le 3 juin 1871, par Henri-Alfred Darjou.

En 2021, l'écrivaine et mathématicienne Michèle Audin publie La Semaine sanglante : Mai 1871 légendes et comptes dans lequel elle présente et analyse les documents qu'elle a pu consulter pour établir un bilan de la semaine sanglante dont un certain nombre n'a jamais été pris en compte dans les évaluations précédentes : les registres des cimetières, les dépôts d'archives (dont les comptes d'une entreprise de pompes funèbres), la presse, les correspondances privées, les rapports officiels. Elle compare les chiffres avancés par ses prédécesseurs (Lissagaray, Pelletan, Du Camp et, plus récemment, Tombs, qu'elle remet en cause)[32]. Elle estime qu'arrêter le décompte des morts de la semaine sanglante au ne prend pas en compte les exécutions qui se poursuivent jusqu'à mi-juin[32]. Elle soulève également les difficultés liées aux nombreuses exhumations-réinhumations des mois qui suivent la Commune, aux dénombrements parfois très vagues qui peuvent dans certains cas donner un ordre de grandeur plus qu'un chiffre réel[32]. Elle interroge les silences des documents administratifs : le registre du Père-Lachaise est interrompu pendant plus de 15 jours, passant sous silence la période la plus trouble, certains actes de décès comportent des incohérences manifestes (dates, causes)[32]. Elle tente d'éviter les doubles comptages. Elle ajoute également au décompte les morts enterrés à la va-vite sous les pavés et qui ne seront exhumés qu'au fur-et-à-mesure des travaux de voirie jusqu'en 1920[32]. Avec beaucoup de précautions, elle arrive au total de « certainement 15 000 morts »[32].

En 2021, l'historien Jacques Rougerie révise son bilan. Il considère que Robert Tombs néglige les inhumations sauvages, mais que le bilan de près de 30 000 morts donné par Camille Pelletan est « incontestablement une estimation excessive »[8]. Jacques Rougerie conclut qu'un bilan de 10 000 victimes semble le plus plausible et « reste énorme pour l'époque »[8].

Après la Semaine sanglante

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Des conseils de guerre sont tenus à Versailles pour juger les insurgés en 1871.

La répression est féroce[33]. Dès les premiers jours de juin, la justice « régulière » remplace les massacres de communards par les Versaillais et les exécutions sommaires massives avec la mise en place de conseils de guerre, qui siègent pendant quatre années consécutives[34].

La loi du porte à 15 le nombre de conseils de guerre chargés de juger les prisonniers de la Commune pour la division militaire de Paris[35], alors qu'ils sont limités à un ou deux pour les autres divisions militaires. Outre ces conseils de guerre, une commission des grâces est instituée par la loi du afin de statuer sur le sort des condamnés pour faits relatifs à l'insurrection du [36]. Composée de quinze membres, pour la plupart royalistes, et présidée par Louis Martel, député du Pas-de-Calais, elle se réunit pour la première fois le 16 octobre à Versailles[37],[38].

Le , la loi Dufaure interdit l'affiliation à l'Association internationale des travailleurs[39]. Le 22 mars est votée une loi sur le transport en Nouvelle-Calédonie des communards condamnés aux travaux forcés ou à la déportation, complétée par les décrets du , du et du [40].

Cette loi fixe plus précisément le lieu de déportation : la presqu'île Ducos est destinée à la déportation en enceinte fortifiée, l'île des Pins à la déportation simple et le bagne de l'île de Nou aux condamnés aux travaux forcés[41] tous situés en Nouvelle-Calédonie.

Le premier convoi, parti à bord de la frégate La Danaé de Brest le , arrive à Nouméa le 29 septembre[40]. Vingt convois se succèdent de 1872 à 1878, transportant un peu plus de 3 800 personnes, dans des conditions très pénibles. Les prisonniers sont enfermés dans de grandes cages dont ils ne sortent qu'une trentaine de minutes pour prendre l'air sur le pont avec des rations alimentaires faibles et de mauvaise qualité et des punitions fréquentes. En tenant compte des décès, évasions, disparitions, grâces, commutations et rapatriements, sans compter les forçats de l'île de Nou, il y aurait 3 350 à 3 630 déportés en Nouvelle-Calédonie le , après les premiers décrets de grâce d'octobre 1876[41].

Le , dans son rapport à l'Assemblée nationale[42], qui ne tient pas compte des condamnations prononcées en province[41], le général Appert dénombre 46 835 individus jugés, sur lesquels il y a 23 727 non-lieux, 10 137 condamnations prononcées contradictoirement, 3 313 condamnations prononcées par contumace, 2 445 acquittements et 7 213 refus d'informer[41],[43].

Sur les 10 137 condamnations prononcées contradictoirement, on compte 95 condamnations à mort, 251 aux travaux forcés à vie ou à temps, 4 586 à la déportation (dont 1 169 en enceinte fortifiée et 3 417 en Nouvelle-Calédonie[41], dont Louise Michel[44]), 1 247 à la réclusion perpétuelle et 3 359 à des peines de prison variables. 55 enfants de moins de 16 ans sont envoyés en maison de correction. En fait, il n'y a que 25 exécutés, dont Théophile Ferré et Louis Rossel, fusillés à Satory le [41].

Pour les contumaces, il y a 175 condamnés à mort, 159 aux travaux forcés, 2 910 à la déportation et 46 à la prison[45].

Les arrêtés se répartissent ainsi : 75 % d'« ouvriers » (ouvriers salariés et petits patrons artisans), 8 % d'employés, 7 % de domestiques, 10 % de petits commerçants, de professions libérales, voire des petits propriétaires rentiers. Le soulèvement du 18 mars est donc un soulèvement populaire.

À la charnière de 1871 et de 1872, deux propositions d'amnistie sont présentées au Parlement, par Henri Brisson et 47 parlementaires, d'une part, par Edmond de Pressensé, de l'autre.

En 1873, l'élection du radical lyonnais Désiré Barodet face à Charles de Rémusat fait de l'amnistie un thème électoral.

À l'automne 1874, Édouard Lockroy, soutenu par dix-neuf députés, émet un vœu amnistaire relayé par la presse.

Le , le député du Vaucluse, Alfred Naquet, dépose au nom de la gauche radicale une proposition d'amnistie qui est repoussée à main levée par l'Assemblée nationale.

Lors de la campagne électorale de 1876, de nombreux candidats républicains font de l'amnistie, formulée comme une politique de l'oubli, l'un des points forts de leur programme[46]. En mai 1876, les députés Raspail, Clemenceau, Naquet, Floquet et Lockroy récidivent en vain (377 contre, 99 pour)[47].

Détournée temporairement par la crise du 16 mai 1877, l'attention sur la question de l'amnistie se pose de nouveau en 1879. Le , le ministre de la Justice Le Royer fait voter un projet substituant une « grâce » partielle à l'amnistie par 345 pour et 104 contre[48].

Ce n'est que le qu'avec l'appui tardif de Gambetta, alors président de la Chambre, qui prononce un discours le 21 juin, l'amnistie pleine et entière est votée sur un projet du gouvernement déposé le 19 juin par 312 voix contre 136.

Les exilés et les déportés peuvent alors revenir en France[49].

Hommages

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Une plaque commémorative des derniers combats a été posée le sur l'immeuble du 17, rue de la Fontaine-au-Roi, dans le 11e arrondissement.

Un bas-relief et une autre plaque commémorative des derniers combats de la Commune se trouvent également à la jonction des rues de la Ferme-de-Savy et Jouye-Rouve, dans une entrée du parc de Belleville.

Une plaque, visible au 1 bis rue de la Solidarité dans le 19e arrondissement et signalée par L'Aurore du , rend hommage à ceux qui sont morts au combat dans le quartier des Carrières d'Amérique ou qui y ont ensuite été exécutés sommairement, ainsi qu'à ceux dont les corps y ont plus tard été jetés.

Notes et références

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Références

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  1. a et b Tombs 2014, p. 295.
  2. a et b Rougerie 2021, p. 113.
  3. a b c d e et f Tombs 2014, p. 280-281.
  4. a b c d e et f Tombs 2014, p. 303.
  5. a b et c Tombs 2014, p. 316.
  6. a et b Rougerie 2009, p. 108.
  7. a b c d et e Tombs 2014, p. 317-318.
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  12. Zola 2018, p. 248.
  13. Pierre Cabanne, Paris vous regarde, Paris, P. Bordas, , 627 p. (ISBN 978-2-86311-150-5, lire en ligne), p. 588.
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  17. Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, Éditions de Minuit, 1963 et rééd.
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  19. La Semaine littéraire, vol. 17, Paris, (lire en ligne), p. 263.
  20. Lissagaray 2004 : « Les prisonniers amenés à Versailles furent assaillis par cette tourbe qui accourait à tous les convois couvrir de coups et de crachats les défenseurs de Paris »
  21. a et b Rougerie 2009, p. 114.
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  23. 900 morts selon Michaël Bourlet, « L’Armée de Versailles pendant la semaine sanglante et les combats de rues (-) », Revue historique des armées, no 238,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  24. a b c d e et f Chloé Leprince, « La Commune de Paris, plus grand martyre de civils d'Europe ? Idée reçue n°3 », sur France Culture, .
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  30. Robert Tombs, « Victimes et bourreaux de la semaine sanglante », Revue d'histoire du XIXe siècle, no 10,‎ (ISSN 1265-1354 et 1777-5329, DOI 10.4000/rh19.78)
  31. H-France Salon, Commentaire de Quentin Deluermoz, Université Paris 13/Nord.
  32. a b c d e et f Jean-Luc Porquet, « Halte-là, citoyen ; on ne passe pas », Le Canard enchaîné,‎ .
  33. Sophie Wahnich, « Le débat sur les extradés italiens et le jeu des références historiques », dans Sophie Wahnich (dir.), Les territoires de l'amnistie entre clémence et tolérance zéro : entre clémence et tolérance zéro, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 99 (ISBN 2296031153).
  34. Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, Éditions Champ Vallon, 2004, 526 p. (ISBN 2876733900), p. 144.
  35. Edgar Zevort, Histoire de la Troisième République, F. Alcan, 1899, vol. 1, p. 275.
  36. « Thiers avait habilement rejeté sur les représentants le droit de commuer les peines » en faisant « nommer par la Chambre une commission des grâces » (Lissagaray 2004, p. 482) qualifiée de « commission des assassins » à « l'Assemblée par un député, M. Ordinaire fils » (Lissagaray 2004, p. 485).
  37. Voir la chronologie de Maxime Jourdan dans Le Cri du peuple : 22 février 1871-23 mai 1871, éd. L'Harmattan, Paris, 2005, 306 p. (ISBN 2747584054), p. 195.
  38. « À l'ordinaire, il ne s'écoulait pas plus de trois mois entre le jour de la condamnation et celui de la décision de la Commission des grâces » selon Gaston da Costa, La commune vécue (18 mars-26 mai 1871), Maison Quantin, 1905, vol. 3, p. 254.
  39. René Bidouze, Lissagaray, la plume et l'épée, Éditions ouvrières, 1991, 238 pages, p. 109.
  40. a et b Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, Éditions Champ Vallon, 2004, 526 pages, p. 499 (ISBN 2876733900).
  41. a b c d e et f Laure Godineau, « La répression légale, la déportation, l'amnistie », pp. 55-60.
  42. « Rapport d'ensemble de M. le général Appert sur les opérations de la justice militaire relatives à l'insurrection de 1871, présenté à l'Assemblée nationale par ordre de M. le maréchal de Mac-Mahon, duc de Magenta, président de la République française, par M. le général de Cissey, Ministre de la Guerre », Annales de l'Assemblée nationale, vol. XLIII, Paris, Cerf et fils, 1875.
  43. 36 309 personnes, dont 819 femmes et 538 enfants, ne sont pas concernées par ce refus d'informer, selon Christophe Monat, Gaston Alexandre Auguste de Gallifet : de la Commune à l'Affaire Dreyfus, J.-C. Godefroy, 1985, 208 pages, p. 84 (ISBN 2865530477), 34952 hommes, 819 femmes et 538 enfants, pour Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, Éditions Champ Vallon, 2004, 526 pages, p. 144 (ISBN 2876733900).
  44. « Extrait du procès de la communarde Louise Michel, Versailles, décembre 1871 », sur le site increvablesanarchistes.org, consulté le 15 octobre 2008.
  45. Jacques Rougerie, Paris libre, 1871, Éditions du Seuil, 1971, 284 pages, p. 257.
  46. Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, p. 291.
  47. Sophie Wahnich, Les territoires de l'amnistie entre clémence et tolérance zéro : entre clémence et tolérance zéro, p. 101.
  48. Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, pp. 292-293.
  49. Bertrand Tillier, La Commune de Paris, révolution sans image ?, p. 294.

Voir aussi

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Bibliographie

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Articles connexes

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Liens externes

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