Utilisateur:Jochano/Brouillon

Membre des Jeunesses communistes, issue d'une famille d'immigrés italiens, elle travaille avant la guerre comme assistante du metteur en scène Louis Jouvet. Elle s'engage en 1941 dans la Résistance avec son mari Georges Dudach qui sera arrêté avec elle et fusillé au Fort Mont Valérien en 1942. Elle est déportée à Auschwitz-Birkenau dans le convoi du 24 janvier 1943 dit « le convoi des 31000 » qui comprend 230 femmes, résistantes pour la majorité d'entre elles. Elle sera l'une des 49 rescapées de ce convoi. Pendant sa déportation, elle décide qu'à son retour, elle écrira une oeuvre sur la déportation qu'elle a traversée. Entre 1946 et 1982, elle écrit 6 livres, tous différents par leur point de vue et leur forme.

Revenue des camps, Charlotte Delbo reste une femme engagée, elle prendra notamment position contre la guerre menée par la France en Algérie et sera la première à réagir publiquement aux propos négationnistes de Faurisson.

L'oeuvre modifier

« Puisque j’ai eu le privilège d’être témoin de ce paroxysme de l’histoire, d’y participer, la chance d’en revenir et la capacité d’écrire, eh bien il n’y avait plus qu’à écrire.[1]

Pour Michael Rothberg, l'oeuvre de Charlotte Delbo « compte parmi les réponses les plus implacables aux camps nazis publiées dans quelque langue que ce soit.»[2]

« Charlotte Delbo a écrit avec une lucidité éprouvante les scènes vécues. Elle en a fait des tableaux aux arêtes coupantes. C’est un au-delà du monde, qui est dépeint, où ne s’entendent plus les cris d’épouvante de celles qui sont au bord des mourantes. L’épreuve de la lecture est métamorphosée par son écriture, le rythme, les mots choisis, ce qu’ils contiennent d'émotion, d’amour, de saisissante conscience. Les quelques images qui se détachent dans le récit agissent comme un baume sur le lecteur, au milieu du terrible qui est lu.[3]

Aucun de nous ne reviendra modifier

A son retour de déportation, dès qu’elle « a pu tenir debout et tenir une plume », comme elle le disait, elle écrit Aucun de nous ne reviendra, titre emprunté à un vers d’Apollinaire.[4]Encore imprégnée du traumatisme, elle y décrit avec une acuité saisissante, une suite de scènes de Birkenau dont la chronologie est éclatée. Son livre ne commence pas par leur arrivée, mais par l’arrivée d’un convoi de juifs de l’est de l’Europe dont elle s’attache à montrer l’humanité des personnes descendant du train.[5] Le titre qui inclut les rescapés "exprime l'idée selon laquelle les rescapés ne sont pas vraiment revenus".[6] Elle raconte celles qui étaient «nos camarades d’hier», ce qu’elles subissaient dans les commandos, derrière la vision des cadavres gelés entassés dans la cour du block. Des poèmes alternent avec les récits et scandent le rythme de la lecture. Elle rend les sensations éprouvées avec une langue précise, économe en mots, et des images saisissantes de force poétique. L’influence des mises en scène de Jouvet qui travaillait l’illusion poétique pour rendre l’action, se retrouve dans le caractère pictural des tableaux qu’elle décrit.[7]

Elle garde au secret son livre pendant 20 ans : «Ce livre répondait à tant et tant d’importance, ce serait peut-être la seule œuvre de ma vie, mais il fallait que ce fût une œuvre, mais pour m’assurer que s’en était une il faudrait que je le revoie après l’avoir mis de côté 20 ans.»[8]

Il est publié, en mars 1965, dans la collection de Colette Audry, chez Gonthier.

En 1948 modifier

A la suite d’une représentation du Dom Juan de Molière mis en scène par Jouvet, elle commence le récit de sa déportation sous la forme d’une lettre à Jouvet qui met en scène les personnages fictifs qui l’ont accompagné. Ce texte deviendra la première partie de Spectres, mes compagnons.

En 1959 modifier

Au retour de son séjour en Union soviétique, elle écrit ce qu’elle a vu, ses conversations avec des Soviétiques, ses promenades, le soir dans les villes, en fait un récit vivant qui montre sa sévère désillusion. Un métro nommé Lénine reste pour le moment inédit.[9]

Les Belles Lettres modifier

A son retour en France, "elle est à la recherche de la vérité sur la guerre d'Algérie. (...) Elle vise à établir la vérité objective sur le plan politique, fondée sur des faits".[10] Pour rendre compte de toutes les voix qui s’expriment sur la guerre d’Algérie, elle choisit de composer un livre avec des extraits de lettres ouvertes publiées dans la presse, qu’elle commente parfois avec ironie pour exprimer son opposition à la poursuite de la guerre d’Algérie. Elle le termine par deux lettres émouvantes d’Algériens. [11]

Les Belles Lettres (Les Editions de Minuit) est son premier livre publié, en 1961.

Le convoi du 24 janvier modifier

En 1964-1965, elle veut reconstituer la vie souvent anonyme des 230 femmes qui composaient son convoi. En faisant ce livre, dit Charlotte Delbo, je voulais seulement répondre à la question : qui étaient ces femmes qui se trouvaient avec moi ? Qu'avaient-elles fait ? Dans la plupart des cas en effet, nous ne le savions pas, et elles sont mortes avant de nous l'avoir dit.[12]

Elle écrit en introduction un récit à la fois objectif et sensible pour raconter les quatre années d’emprisonnement et de déportation. En suivant l’ordre alphabétique, elle rédige 230 biographies. Chaque notice est écrite dans une approche à la fois sociologique, historique et littéraire. Elle y précise leur milieu d’origine, les activités qui ont abouti à leur arrestation, leurs semaines ou leurs mois à Birkenau, et les conditions du retour des 49 survivantes. L’ouvrage est autant un livre d’histoire et de sociologie, que de littérature par son écriture. Le convoi du 24 janvier est publié en novembre 1965 aux Editions de Minuit.[13]

Une connaissance inutile modifier

Une connaissance inutile est un ouvrage composé à partir de poèmes écrits en 1946 sur son amour pour Georges Dudach[14] et sur Auschwitz. Elle y ajoute des scènes à la Santé, à Birkenau, à Raisko, la pièce jouée de Molière, son transfert à Ravensbrück en train de voyageurs, sa dernière nuit au camp. "Charlotte Delbo emmêle son terrible séjour chez les morts d'Auschwitz et la mort qui a enlevé son amour. La cause, la barbarie nazie, est la même. le souvenir de son amour est douloureux, le souvenir du séjour chez les morts et du martyre de toutes celles qui sont parties ou de celles qui ont été martyrisées est une douleur. Pourtant il faut écrire la douleur, la livrer au langage et tenir à distance ce qui pourrait faire sortir des mots et nous laisser dans l'indicible. Et introduire du mouvement, de la vie, de la lumière en écrivant ce qu'elle a vécu aux camps parce que l'étreinte de la mort s'est desserrée, et dire la distance indispensable entre le souvenir du "séjour d'entre les morts" et le retour à la vie qui peut suivre."[15]

«Je reviens d’au-delà de la connaissance», est un des derniers vers du recueil. Les connaissances qu’elle a rapportées «ne peuvent pas servir parce que c’est une connaissance hors de la vie.»[16] Ce livre est publié aux Editions de Minuit en 1970 en même temps qu’est réédité Aucun de nous ne reviendra. Ces deux volumes portent en sur-titre «Auschwitz et Après».

Mesure de nos jours modifier

L‘année suivante, en 1971, paraîtra Mesure de nos jours. Dans ce troisième volume de la trilogie Auschwitz et Après, Charlotte Delbo écrit à la première personne le retour de douze déportés, en restituant leur voix, récits entrelacés de quelques poèmes. Dans Mesure de nos jours, Charlotte Delbo a "l'art de faire résonner la langue parlée à l'intérieur d'un récit (...). Et il y a des moments très brefs où intervient celle qui écoute, qui "a de la peine à croire", une petite remarque où un espace se crée, la personne qui écoute y est présente. Nous lisons le récit comme intégré à celui-ci."[17]

Qui rapportera ces paroles? modifier

Elle écrira une première pièce de théâtre pour transférer le contenu de son livre Aucun de nous ne reviendra. Pour que «les mots soient proférés sur une scène». Qui rapportera ces paroles est jouée en 1974 sur la scène du Théâtre de la Roquette, actuellement Théâtre de la Bastille, dans les costumes et le décor d’André Acquart et avec la musique d’Alain Kremski.

Charlotte Delbo dira à propos de sa pièce : "J'ai une grande foi dans la parole et dans la communication, je ne crois pas à l'incommunicable, je crois que les mots ont une force qui leur permet de toucher les gens au coeur et je crois que les gens qui vont voir la pièce Qui rapportera ces paroles sont touchés au coeur."[18]

Elle poursuivra l’écriture de pièces de théâtre en se saisissant des sujets politiques qui la prennent à partie : le Chili, le procès des séparatistes basques à Burgos, une tentative de coup d’état au Maroc, la Révolution des œillets au Portugal.

Chroniques dans Le Monde modifier

Elle écrit des chroniques publiées dans Le Monde. Elle est la première à dénoncer le négationnisme de Faurisson. Il lui avait écrit pour lui demander si elle avait des photos des chambres à gaz susceptibles de "présenter quelque garantie d'authenticité". "J'ai vu déferler sur Auschwitz, où je suis arrivée le 27 janvier 1943, des juifs de toute l'Europe, des populations entières que les SS poussaient vers ce hangar et qui y disparaissaient pour toujours. Excusez-moi Monsieur, à Birkenau j'étais privée de tout, même d'un appareil photo".[19]Elle n'aura pas que cette ironie dans son argumentation.

Spectres, mes compagnons modifier

En 1969, elle poursuit, toujours comme une lettre à Jouvet, le récit de sa déportation à la manière d'un voyage en compagnie de personnages fictifs qui la rejoignent dans sa cellule de prison et dans le train vers Auschwitz : c'est Fabrice sorti de La Chartreuse de Parme, Alceste du Misanthrope. D’autres lui apparaîtront au camp, au-dessus de la ligne d'horizon des marais ou pendant les appels, Ondine, Antigone, la Princesse de Guermantes, Don Juan. Ce récit sera publié en deux parties d’abord aux Etats-Unis dans la Massachusetts Review, puis en 1977 sous le titre de Spectres, mes compagnons.

Ce livre est consacré à l'imaginaire, à son importance dans la chaîne qui lie les hommes à leur histoire. Avec Louis Jouvet, Charlotte Delbo a "appris à penser "le monde imaginaire" des livres, non comme séparé du monde où elle vit, mais comme une façon de l'appréhender."[20]

A partir de 1979 modifier

A partir de 1979, elle réunit des textes qu’elle écrit sur les drames politiques de plusieurs pays (Espagne, Grèce, Pologne, Argentine, URSS)1, sur les trajets de celles qui cherchent dans leur exil à se relever de la déportation, et sur la mémoire inaltérable d’Auschwitz qu’elle porte «à côté d’elle». Ce manuscrit, La Mémoire et les Jours, qu’elle aurait voulu faire paraître comme le quatrième volume d’Auschwitz et Après, sera édité après sa mort (1985) par son ami Georges Nataf, éditeur de Berg International.

  1. Radioscopie Jacques Chancel - Charlotte Delbo - 1974 - /search?q=radio+scopie+Charlotte+Delbo&rlz=1C5CHFA_enFR926FR927&oq=radio+scopie+Charlotte+Delbo&aqs=chrome..69i57j0i13i30.10049j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8l
  2. (en) Michael Rothberg, « Literature Doesn’t Stop at the Unspeakable », sur https://www.massreview.org, (consulté le )
  3. Ghislaine Dunant, « Ce que peut la littérature - Lire Charlotte Delbo », Cliniques méditerranéennes n° 103 - Editions Érès,‎ , P.11
  4. Radioscopie Charlotte Delbo - Jacques Chancel –1974 /search?q=radio+scopie+Charlotte+Delbo&rlz=1C5CHFA_enFR926FR927&oq=radio+scopie+Charlotte+Delbo&aqs=chrome..69i57j0i13i30.10049j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8
  5. Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo - La vie retrouvée, Paris, Grasset et Point Seuil, , 597 p. (ISBN 978-2-246-85995-6, lire en ligne), p. 78 à 86
  6. David Caron et Sharon Marquart, Les revenantes - Charlotte Delbo, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, , p.43 (ISBN 978-2-8107-0142-1), p.43
  7. Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, Paris, Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah - Petit cahier/3e série n°27, , 91 p., Pages 20 et 21
  8. Radioscopie Charlotte Delbo - Jacques Chancel –1974 /search?q=radio+scopie+Charlotte+Delbo&rlz=1C5CHFA_enFR926FR927&oq=radio+scopie+Charlotte+Delbo&aqs=chrome..69i57j0i13i30.10049j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8
  9. Un métro nommé Lénine - BNF-Fonfs Delbo, département des Arts et spectacles 4-COL-208-236
  10. Nicole Thatcher, Charlotte Delbo : une voix singulière, Paris, L'Harmattan, , 301 p. (ISBN 2-7475-4340-4), p.77
  11. Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo - La vie retrouvée, Paris, Grasset, , 597 p. (ISBN 978-2-246-85995-6), p.211 à 233
  12. David Caron et Sharon Marquart, Les Revenantes - Charlotte Delbo, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, , p. 19 (ISBN 978-2-8107-0142-1), p.19
  13. Sous la direction d’Elisabetta Ruffini – Catalogue de l’exposition - Une mémoire à mille voix Charlotte Delbo p.11 et 112 Associazzione Editoriale – Il filo di Arianna 2014
  14. Nicole Racine, « Dudach Georges Paul », sur https://fusillés-40-44.maitron.fr (consulté en )
  15. Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo- la vie retrouvée, Paris, Grasset, , 597 p. (ISBN 978-2-246-85995-6), P.358
  16. Entretien avec Madeleine Chapsal – l’Express 14-20 février 1966
  17. Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo, résistante, écrivain de la déportation, Paris, Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah - Petit cahier n°27, , 91 p. (lire en ligne), p.29
  18. Radioscopie Charlotte Delbo - Jacques Chancel –1974 /search?q=radio+scopie+Charlotte+Delbo&rlz=1C5CHFA_enFR926FR927&oq=radio+scopie+Charlotte+Delbo&aqs=chrome..69i57j0i13i30.10049j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8
  19. Charlotte Delbo, « Démythifier ou falsifier », Le Monde,‎ 11-12 août 1974
  20. Elisabetta Ruffini – Catalogue de l’exposition - Une mémoire à mille voix Charlotte Delbo p.11 et 112 Associazzione Editoriale – Il filo di Arianna 2014