Exorcisme

rituel religieux destiné à expulser une entité spirituelle maléfique qui se serait emparée d'un être humain ou animal et, plus rarement, un objet
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L'exorcisme est un rituel religieux destiné à expulser une esprit maléfique qui s'est emparée d'un être humain, ou plus rarement d'un animal, d'un lieu ou d'un objet. Le mot provient du grec ancien ἐξορκισμός (exorkismós) : « action d'obliger quelqu’un à accomplir une action en lui faisant prêter serment » passé directement en latin : exorcismus.

Saint François et les diables, œuvre de Giotto.

L'existence de cette pratique est supposée en Mésopotamie dès le IIe millénaire av. J.-C. et attestée au Ier millénaire av. J.-C.. Il est également présent dans le chamanisme caucasien, les rituels africains et le vaudou.

On la retrouve dans l'Ancien Testament, où le bouc émissaire chargé des fautes des Israélites est envoyé dans le désert (Lv 16,20-22).

Dans le Nouveau Testament, Jésus exorcise à plusieurs reprises des possédés. De même, ses disciples chassent en son nom les démons. L'exorcisme est pratiqué dans les diverses confessions chrétiennes.

Dans l'islam, le Coran a en lui-même valeur d'exorcisme contre les djinns dans la pratique de la Roqya (Ruqiya).

Dans le christianisme

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Les différentes confessions chrétiennes se réfèrent au commandement de Jésus-Christ : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. » Mt 10,8. L'exorcisme vise donc à libérer une personne d'une emprise démoniaque, par l'autorité qu'a lui-même le Christ sur les démons, qu'il a remise à son Église[1].

Les évangiles synoptiques relatent six exorcismes accomplis par Jésus[2] :

Selon Gilles Jeanguenin, prêtre exorciste, les évangélistes font la distinction dans leurs récits entre, d'une part, les guérisons des malades, et d'autre part, les exorcismes qui ont pour effet la guérison d'une maladie : « Jésus n'agit pas envers le possédé comme il le ferait avec un quelconque malade : il ne le touche pas, ne lui fait pas d'onction avec de l'huile, mais il intime l'ordre à Satan de s'en aller : "Sors de cet homme." (Mc 5,8 3 ; cf. Mc 1,25 ; 9,25) »[3]

Dans les évangiles, les douze apôtres reçoivent du Christ le pouvoir de chasser les démons. Dans Mc 3,14-15 : « Il en établit douze, pour les avoir avec lui, et pour les envoyer prêcher avec le pouvoir de chasser les démons. ». Également dans Mt 10,1 : « Puis, ayant appelé ses douze disciples, il leur donna le pouvoir de chasser les esprits impurs, et de guérir toute maladie et toute infirmité. ». Ce pouvoir est donné aussi aux soixante-douze disciples dont il est question dans Lc 10,17-20 : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! ». Paul de Tarse, qui n'est ni un apôtre, ni l'un des disciples de Jésus, est le premier converti qui accomplit plusieurs exorcismes dans les Actes des Apôtres[4].

La possession et l'exorcisme dans l'Église primitive

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Dans le christianisme primitif, l'exorcisme fait partie intégrante du baptême en ce qu'il vise à soustraire le catéchumène au pouvoir de Satan. Il est également utilisé pour libérer les possédés des démons des païens. Les textes des nombreux pères de l’Église qui font référence à la possession et à l'exorcisme abondent entre le IIe siècle et la première moitié du IIIe siècle[5]. Ils restent cependant discrets sur le contenu des exorcismes eux-mêmes, en dehors de ceux qui sont employés dans la liturgie baptismale[6].

François Borgia exorcise un possédé avec un crucifix.

Formalisation de l'exorcisme dans l’Église catholique

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Nature et ministère de l'exorcisme

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Dans le catholicisme, l'exorcisme fait partie des sacramentaux[7] destinés à écarter les obstacles au sacrement[8]. Le rituel du baptême comporte deux prières « d’exorcisme et de délivrance » prononcées par le prêtre ou le diacre officiant[9],[10].

L'exorcisme peut être réalisé soit par l'évêque du lieu, en tant que successeur des apôtres, soit par un prêtre avec sa permission selon le canon 1172 du Code de droit canonique[11]. Le plus souvent ce ministère est confié à un exorciste diocésain[7], « un prêtre pieux, éclairé, prudent et de vie intègre »[12]. Le pape, en tant qu'évêque de Rome, peut prononcer des exorcismes[13].

Actions des démons visées par l'exorcisme

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On distingue l'action ordinaire des démons de leurs actions extraordinaires. Leur action ordinaire consiste dans la simple tentation décrite ainsi par Thomas d'Aquin dans la Somme théologique : « Le diable n'est pas cause du péché d’une manière directe ou suffisante, mais uniquement de la façon de quelqu'un qui persuade, ou à la façon de quelqu'un qui propose une chose désirable. » Cependant « il est bien clair que le diable ne peut en aucune façon amener fatalement l'homme à pécher ; le diable n'est pas la cause de toutes les fautes des hommes, à ce point d'insinuer chacune d'elles en particulier. »[14]

L'exorcisme vise à délivrer des actions extraordinaires des démons :

  • l'infestation des lieux et des choses. Ainsi des lieux d'habitation où se sont déroulés des actes de sorcellerie ou des crimes ; des objets maléficiés.
  • la vexation est une attaque extérieure contre les hommes (parfois les animaux). Le démon tourmente la personne dans son corps.
  • l'obsession où le démon agit de manière externe sur l'imagination, la mémoire ou la sensibilité de la personne afin d'induire en elle des pensées envahissantes, hostiles à Dieu, à sa foi ou à sa loi.
  • la possession qui est la forme la plus grave : elle est une action interne du démon qui agit sur le corps de la personne. Elle se traduit par des contorsions du corps, des blasphèmes, et des maladies inexpliquées. Les troubles physiques et psychiques ne sont évidemment pas tous causés par une possession[15]. Aussi, dans son préambule, le rituel romain destiné à l'exorcisme fixe trois critères pour reconnaître un cas de possession : « le fait de parler ou de comprendre une langue inconnue ; de dévoiler des faits lointains ou cachés ; de faire preuve de forces qui dépassent, selon l’âge ou la condition, les forces naturelles. »[16]

Le rituel précise qu' « il faut de plus être attentif à d'autres signes, principalement d'ordre moral et spirituel qui, d'une autre manière, manifestent l'intervention diabolique, comme par exemple une aversion violente envers Dieu, le saint Nom de Jésus, la bienheureuse Vierge Marie et les Saints, l'Église, la Parole de Dieu, les choses et les rites, en particulier ceux qui touchent aux sacrements, les images saintes. »[16]

Le rituel d'exorcisme

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Le rituel romain de 1614 reprend les formules d'exorcisme utilisées à l'époque médiévale, comme celles qui sont contenues dans différents sacramentaires et le Pontifical romano-germanique. Le rituel a été modifié à plusieurs reprises, comme en 1925 où est ajouté l'Exorcismus in satanam et angelos apostaticos[17] publié en 1890 par le pape Léon XIII. Cette édition désigne également le ministre de l'exorcisme conformément au Code de droit canonique de 1917 : il est désormais un prêtre désigné par l'évêque du lieu. L'édition de 1952 modifie les critères de discernement de la possession en prenant en compte les maladies psychiques : l'exorciste doit avoir la certitude que les troubles observés n'en sont pas la conséquence. Par ailleurs les trois critères traditionnels ne sont plus exclusifs, d'autres signes sont pris en compte, comme l'aversion pour les choses sacrées. La dernière modification est la promulgation en novembre 1998 du nouveau rituel[6].

Avant le nouveau rituel de 1998, élaboré dans la suite du concile Vatican II, on distinguait les petits exorcismes du grand exorcisme. Les premiers pouvaient être récités par tout prêtre, et certaines de leurs formules par des laïcs, comme la prière à l'archange saint Michel de Léon XIII. Ils comprenaient exclusivement des prières déprécatoires, c'est à dire qui s'adressent à Dieu afin qu'il libère la personne des influences du démon[18],[19]. Le second, qualifié parfois de « grand exorcisme », était en revanche réservé au seul prêtre exorciste. Il incluait des formules imprécatoires, c'est à dire adressées directement au démon auquel on commande de sortir du possédé[19].

Le rituel de 1998 met fin à cette distinction et privilégie les prières déprécatoires par rapport aux prières imprécatoires. Il est en ce sens jugé comme moins théâtral[18]. Des prières dites de délivrance, qui ne constituent pas un exorcisme à proprement parler[11], mais peuvent être assimilées aux anciens petits exorcismes, sont récitées par des prêtres et des fidèles baptisés avec la permission de l'évêque[10]. En réponse cependant à la multiplication de « réunions de prière qui visent à obtenir la délivrance de l’influence des démons », la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé en 1984 que seul un prêtre expressément mandaté par l'évêque peut exorciser et qu'« il n’est pas même permis aux fidèles d’employer la formule d’exorcisme contre Satan et les anges déchus, qui est tirée de la formule publiée par mandat du Souverain Pontife Léon XIII »[11]. C'est dans de rares cas de possession avérée que le rituel d'exorcisme peut être utilisé sous sa forme solennelle[10].

Dans le protestantisme

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Dans l'orthodoxie

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Dans l'islam

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Le Coran affirme l’existence des djinns : créatures de feu invisibles à l’œil humain. Certains d'entre eux sont des démons: c'est le cas de Satan et de sa descendance. Pour guérir le malade, possédé par un djinn, le raqui (exorciste islamique) utilise la lecture des versets du Coran. L’écoute par le malade des saintes sourates serait à même de le soulager et de le guérir de son mal[réf. nécessaire] :

« Et Nous faisons descendre (par révélation) du Coran, ce qui est une guérison et une miséricorde pour les croyants. Mais cela ne fait qu'accroître la perdition des injustes. »

— [17.82]

Dans d'autres religions

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Possession et psychiatrie

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La possession se présente comme un état dissociatif tel qu'il est décrit dans les psychoses schizophréniques ; mais la réponse à y apporter n'est jamais univoque et ne doit pas être dissociée du contexte culturel dans lequel elle apparaît.

Ainsi l'histoire des possédées de Loudun peut être rapportée à une schizophrénie (ou hystérie collective) présentée par toutes les religieuses d'un même couvent ; il en est de même des cas de possession présentée au sein même du territoire africain à comparer aux bouffées délirantes présentées par des africains transplantés en Europe par exemple et subissant les effets pathogènes de l'acculturation.

Mis à part sa signification théologique (ou culturelle) particulière, ainsi que les éventuels phénomènes parapsychologiques qui pourraient lui être associés, la crise de possession ne se distingue pas d'une crise d'hystérie au sens de Charcot ou des phénomènes de spasmophilie, de transe, voire des états de rebirth provoqués dans certaines thérapeutiques.

Pour les théologiens catholiques, le diagnostic différentiel entre maladie mentale et possession diabolique, s'est fondé pendant un certain temps[Combien ?] sur l'existence de phénomènes paranormaux. L'Église catholique a très nettement révisé sa position. Par exemple, dans le Praktisches Bibellexicon[20] : « Étant donné la ressemblance frappante entre la possession et les phénomènes décrits par la parapsychologie, aujourd'hui s'impose la plus extrême réserve. Ce qui, auparavant était considéré comme le signe certain de l'authenticité d'une possession ne peut plus aujourd'hui passer pour tel sans plus ample examen. »

En psychiatrie, la possession n'est pas envisagée comme un phénomène religieux, mais comme une forme de délire au cours duquel le malade se croit habité par un être surnaturel qui parle par sa bouche, mobilise sa langue malgré lui et dirige ses mouvements[21].

Cette forme de délire se retrouve dans différentes affections organiques (encéphalites, intoxication) ou non organiques : mélancolie, schizophrénie. Il semble se produire comme moyen d'expression occasionnel d'un désarroi organique ou culturel en Afrique et peut aussi révéler des phénomènes d'acculturation lors d'une émigration.

On définit le trouble « personnalité multiple par la coexistence, chez un même individu de deux ou plusieurs états de personnalités distincts qu'ils aient une mémoire propre, des modalités comportementales spécifiques et leurs propres styles de relation sociale ou qu'ils partagent une partie de ces différents items. Les deux esprits se combattent dans un même champ qui est le corps, et l'âme est comme partagée ; selon une partie de soi, elle est le sujet des impressions diaboliques, et, selon l'autre, des mouvements qui lui sont propres et que Dieu lui donne ». Ce type de trouble commence à s'installer dès l'enfance, mais n'est le plus souvent remarqué par les cliniciens que beaucoup plus tard ; il s'agit presque toujours de filles (60 à 90 %).

Le passage d'une personnalité à une autre est généralement brusque (quelques minutes). La transition est sous la dépendance du contexte relationnel. Les transitions peuvent survenir également lorsqu'il y a conflit entre les différentes personnalités ou lorsque ces dernières ont mis au point un plan commun. Les personnalités peuvent être diamétralement opposées dans leurs caractéristiques et différer même quant aux tests psychologiques et physiologiques : elles peuvent nécessiter par exemple des verres correcteurs différents, répondre de manière différente au même traitement et avoir des QI différents. On décrit l'existence de complications éventuelles, telles que suicide, automutilation, agression, viol, toxicomanie, etc.

La schizophrénie peut aboutir elle aussi au sentiment d'être possédé. Dans ce cas, l'entourage discerne plus facilement qu'il s'agit d'un trouble de la personnalité et non d'un phénomène mystique.

Dans la culture

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Peinture

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Littérature

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Cinéma

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Télévision

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Bande dessinée

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Sources

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Références

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  1. Chiron 2024, p. 7
  2. Chiron 2024, p. 16-17
  3. Gilles Jeanguenin, Le diable existe ! : Un exorciste témoigne et répond aux interrogations, Salvator, , 119 p. (ISBN 978-2-7067-0384-3), p. 96-97 cité par Chiron 2024, p. 18
  4. Chiron 2024, p. 19-21
  5. Chiron 2024, p. 21-24
  6. a et b Marc-Antoine Fontelle, « L’enquête préalable dans le Rituel latin de l’exorcisme de 1998 », L'Année canonique, Société Internationale de Droit Canonique, no 51,‎ , p. 365-382 (lire en ligne)
  7. a et b Chiron 2024, p. 12
  8. Golfier 2018, p. 545
  9. Sébastien Schmitt, « Le rite de l’exorcisme lors du baptême d’un enfant », sur Service national de la pastorale liturgique et sacramentelle, (consulté le )
  10. a b et c Jean-Baptiste Golfier, « L’exorcisme et la prière de délivrance : Sacramentaux pour la nouvelle évangélisation », Communio, no 268,‎ , p. 72-82 (lire en ligne)
  11. a b et c Joseph Ratzinger, « Lettres aux ordinaires au sujet des normes sur l'exorcisme », sur vatican.va, (consulté le )
  12. Code de droit canonique, (lire en ligne), « Les sacramentaux (Cann. 1166 – 1172) »
  13. « Le pape a procédé à un exorcisme sur une jeune fille possédée », Cath.ch,‎ (lire en ligne)
  14. Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ia IIae, chap. q° 80 art. 1, 2 et 4 cité par Chiron 2024, p. 10-11
  15. Chiron 2024, p. 10-11
  16. a et b Rituel de l'exorcisme et prières de supplication, Paris, Desclée Mame, , p. 22 cité par Chiron 2024, p. 11-12
  17. (la) Exorcismus in Satanam et angelos apostaticos,  (Wikisource)
  18. a et b Jean Mercier, « Le Rituel d'exorcisme officiel de l’Église catholique », La Vie,‎ (lire en ligne)
  19. a et b Golfier 2018, p. 574
  20. (de) Praktisches Bibellexicon, , p. 126
  21. Henri Aubin, Manuel alphabétique de psychiatrie

Bibliographie

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Religions antiques

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  • Daniel Barbu et Anne-Caroline Rendu Loisel, « Démons et exorcismes en Mésopotamie et en Judée », I Quaderni del Ramo d’Oro, no 2,‎ , p. 304-366 (ISSN 2035-7524, lire en ligne)

Christianisme

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  • (en) Francis Young, A History of Exorcism in Catholic Christianity, Springer Publishing, coll. « Palgrave Historical Studies in Witchcraft and Magic », , 275 p. (ISBN 978-3-319-29111-6)
  • Yves Chiron, Exorcistes. Vingt siècles de lutte contre le diable, Mame, , 216 p. (ISBN 9782728933877, présentation en ligne)
  • Patrick Sbalchiero, Enquête sur les exorcismes. Une histoire du diable, Perrin, (ISBN 978-2-262-03764-2).
  • Marc-Antoine Fontelle, « L’enquête préalable dans le Rituel latin de l’exorcisme de 1998 », L'Année canonique, Société Internationale de Droit Canonique, no 51,‎ , p. 365-382 (lire en ligne)
  • Jean-Baptiste Golfier (préf. Philippe-Marie Margelidon), Tactiques du diable et délivrances : Dieu fait-il concourir les démons au salut des hommes ?, Éditions Artège, , 1056 p. (ISBN 9782249625893)
  • Éric Baratay, « L'excommunication et l'exorcisme des animaux aux XVIIe – XVIIIe siècles, une négociation entre bêtes, fidèles et clergé », Revue d'Histoire Ecclésiastique, nos 107, 1,‎ , p. 223-254 (lire en ligne)
  • Laurence Wuidar, « Les images et le diable. Pouvoir de séduction et destruction des images dans les pratiques d’exorcisme de la Renaissance », Bruniana & Campanelliana. Ricerche filosofiche e materiali storico-testuali, vol. 23, no 1,‎ , p. 73-88 (lire en ligne)
  • Laurence Wuidar, Fuga Satanae : musique et démonologie à l'aube des temps modernes, Genève, Droz, coll. « Cahiers d'Humanisme et Renaissance » (no 150), , 337 p. (ISBN 978-2-600-05868-1, présentation en ligne)

Approche psychiatrique

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  • Yves-Marie Bercé, Esprits et Démons : histoire des phénomènes d'hystérie collective, Paris, Librairie Vuibert,

Annexes

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Articles connexes

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