Le droit colonial désigne les politiques juridiques des empires coloniaux. Ses caractéristiques diffèrent dans l'histoire et selon les colonisations considérées, mais il est globalement marqué par le traitement discriminatoire des ressortissants des peuples colonisés au sein du système judiciaire colonial. Un autre aspect important du droit colonial est son rapport avec les traditions juridiques des peuples colonisés, et les manières dont il tente de les gérer.

Tribunal colonial britannique en Chypre du Nord

Place du droit dans le colonialisme modifier

Le droit colonial a traditionnellement été compris comme l'« avant-garde du colonialisme », servant comme instrument de domination, mais aussi de moyen de résistance plus ou moins pacifiée pour les communautés colonisées. Ainsi, les études sur le droit colonial d'avant les années 1980 ont avant tout mis en lumière les manières dont le droit a façonné des domaines tels que l'ordre social, politique, économique et culturel des sociétés colonisées.

Plus généralement toutefois, le droit, en tant qu'ensemble d'idées, de technologies, de pratiques et de formes institutionnelles juridiques, a façonné les structures et les processus de la colonisation elle-même. Bien plus, loin d'être un monolithe imposé unilatéralement par les colonisateurs, le droit colonial, à l'examen attentif, est une matière mobile tissée par les rapports de pouvoir et de résistance à l'échelle transnationale, influençant les sociétés tant dans les colonies que dans les métropoles. En particulier, le « droit coutumier » est une catégorie produite par la colonisation et forgée à travers des luttes historiques spécifiques entre le pouvoir colonial et les groupes colonisés. Ces phénomènes ont été étudiés dans le cadre des études sur le pluralisme juridique, qui examinent la co-production des lois et des ordres juridiques dans les contextes coloniaux et post-coloniaux.

Le droit a aussi souvent été imaginé comme un « cadeau » de la colonisation, selon l'idée persistante que les colonisateurs européens, en particulier les Britanniques, auraient apporté le droit dans des pays auparavant anomiques, et l'auraient légué en héritage comme un moyen de se civiliser. Cette idée est liée au fait que la rule of law, ou l'État de droit, faisaient partie des objectifs primordiaux de la colonisation en tant que motifs et moyens de sa mission civilisatrice[1],[2].

Un autre rôle important du droit dans la colonisation tient à la manière dont il sert à soumettre les règles d'intendance de la terre au régime de propriété colonial[3].

Par empire modifier

Belgique modifier

Palais de Justice de Lubumbashi, construit dans les années 1910.

Le droit colonial belge s'est principalement construit sur le principe selon lequel les gens africaines ne seraient pas civilisées, et que ce serait la mission du royaume belge de les élever[4].

Au Congo modifier

Les Codes et lois du Congo belge regroupent l’ensemble des dispositions législatives adoptées durant la colonisation du Congo. Cet ouvrage est rédigé par Pierre Piron et Jacques Devos en 1959. Il se subdivise en trois tomes. Le premier tome est dédié aux matières civiles, commerciales et pénales. Le deuxième tome, à l’organisation administrative et judiciaire. Enfin, le troisième tome est consacré aux matières sociales et économiques [5].

Grande-Bretagne modifier

Juge et avocats en Côte-de-l'Or britannique.

Le droit colonial britannique est le droit appliqué historiquement dans l'empire britannique. La colonisation britannique a étendu l'administration du droit anglais commun et statutaire aux territoires nouvellement acquis en Amérique, en Asie, en Afrique et dans le Pacifique. La common law, en évolution depuis le XIIe siècle en Angleterre, repose sur la coutume et la jurisprudence. Il a constitué la base de la juridiction britannique dans les colonies d'exploitation, les comptoirs de l'océan Indien ainsi que les colonies de peuplement en Amérique du Nord, en Afrique du Sud et en Australie. Toutefois, les agents de l'administration britannique ont rapidement reconnu la nécessité d'adapter le droit aux circonstances locales, amendé par des lois coloniales en réponse à des situations spécifiques. Jusqu'à l'adoption de la Loi sur la validité des lois coloniales en 1865, ces lois n'étaient valables que si elles n'étaient pas incompatibles (en) avec les dispositions des ordres juridiques locaux. Ce principe de non-repugnancy (non-contrariété) a persisté jusqu'au Statut de Westminster de 1931, qui a accordé la validité aux lois des dominions. Il est encore valide au Nigeria ainsi que dans plusieurs autres pays africains.

Procès de U Saw devant une cour spéciale assemblée par le gouverneur colonial.
En ce qui concerne les comptoirs britanniques, les entreprises européennes appliquaient le droit consulaire (de) pour protéger leur commerce. Dans les colonies de peuplement, la common law anglaise était considérée comme le seul droit, privilège réservé à la caste blanche, tandis que dans les autres, une adaptation locale du droit anglais s'est faite, souvent façonnée par la codification. L'objectif principal du droit colonial était de préserver les intérêts des colons, garantissant la sécurité des investissements et des terres, régulant les relations maître-esclave et assurant la stabilité de la traite et du commerce. Ce système a laissé un héritage juridique européanisé dans de nombreuses colonies même après la décolonisation[6].

Italie modifier

Le droit colonial italien est le droit pratiqué historiquement par les agents de l'empire colonial italien. Lorsque les colonisateurs italiens ont doté leurs projets de domination d'une forme juridique, la revue Rivista di diritto coloniale a participé à l'invention d'un droit colonial autonome[7]. L'invention du droit colonial italien comme branche du droit a été motivée partiellement par un souci de légitimation scientifique de la part des professionnels du droit impliqués dans la colonisation de l'Érythrée italienne: en réalité toutefois, le traitement juridique des personnes dans les colonies constituait une sorte d'état d'exception permanent, avec des infractions systématiques aux principes appliqués dans la métropole[8].

France modifier

Lettre du ministre de la justice au ministre de la marine et des colonies concernant des documents sur les « hommes de couleur ».
Le droit colonial français est la partie du droit français historiquement pratiquée dans l'empire colonial français. Ce droit colonial était conçu dans l'ambition de la mission civilisatrice, mais il suivait en réalité généralement une logique de traitement discriminatoire des ressortissants des peuples colonisés[réf. nécessaire]. Parmi ses institutions comptent l'indigénat et l'esclavage légal. Il a souvent cherché à administrer les peuples colonisés à travers la compréhension de leurs organisation sociales comme des « coutumes ». Des professionnels se sont spécialisés dans le droit colonial français, dont des administrateurs, des juristes et des magistrats.

Espagne modifier

Le derecho indiano est le droit colonial appliqué historiquement dans l'empire espagnol américain. C'était un droit tourné vers l'évangélisation[9]. Il avait pour sources à la fois les ordres juridiques amérindiens, les lois créées spécialement par l'Espagne pour ses colonies, et le droit royal castillan, et le Conseil des Indes y jouait un rôle particulier[10]. De 1492 à 1499, il n'y avait que les Capitulations de Santa Fe, puis il y eut une période de restructuration jusqu'en 1511, après laquelle furent faites notamment les Leyes Nuevas et le Requerimiento, et enfin il y eut la phase principale d'élaboration du droit de l'empire hispanique de 1568 à 1680 avec les Lois des Indes[11].

Les colonisateurs espagnols reconnaissaient dans une certaine mesures les nations et dirigeants amérindiens, mais justifiaient leurs conquêtes par le principe médiéval selon lequel le monde appartiendrait aux princes chrétiens[12].

Le système juridique colonial de l'empire espagnol reposait sur une hiérarchisation raciste[13], qui discriminait les unions entre personnes noires, amérindiennes et blanches et déconsidérait les personnes considérées comme métisses et les esclaves affranchis, obligés de s'habiller différemment des colons[14]. Cependant, les mestizos étaient avantagés par rapport aux personnes classées comme inférieures: ainsi, ils avaient accès à l'enseignement primaire, alors que les amérindiens étaient censés obéir aux ordres de n'importe qui, sur le champ[15].

À Oaxaca, une forme de justice criminelle hybride entre droit catholique castillan et droit autochtone de langue zapotèque s'est créée[16].

Portugal modifier

Au Brésil modifier

Le droit colonial brésilien est le droit appliqué historiquement dans le Brésil colonial.

L'historiographie traditionnelle a abordé le droit colonial portugais au Brésil comme un cas de transplantation juridique, valorisant l'étude de l'ordre royal dans le contexte du Portugal en tant qu'État centralisé précoce[17]. Cependant, une perspective plus récente se concentre sur le pluralisme juridique de l'époque, dans laquelle les ordres normatifs dépassaient la simples jonction des différents systèmes de droit en présence, en l'occurrence le ius commune européen, le droit canonique et les ordres de droit locaux. Dans ce contexte, les pratiques juridiques et les instituts établis pour combler les lacunes et résoudre les cas concrets sont valorisés[17].

L'historien du droit portugais Antonio Manuel Hespanha fut l'un des principaux partisans de la théorie d'un droit brésilien propre, se fondant sur un ensemble de décisions juridiques et de documents juridiques de l'époque. Des critiques, comme l'historienne Laura de Mello e Souza, soulignent un manque de contextualisation appropriée, en particulier dans l'application du concept d'Ancien Régime à la colonie brésilienne[18].

Allemagne modifier

Sceau du juge impérial de Swakopmund.
Le droit colonial allemand est le droit appliqué historiquement dans l'empire colonial allemand. Peu étudié et peu différent des autres ensembles de droit colonial, ce système avait étendu le pouvoir judiciaire allemand sur les nations colonisées. Il s'est accompagné de recherches intensives et promues par les pouvoirs publics, quoique infructeuses, à propos du « droit indigène » qu'il était censé intégrer à l'avenir.

Japon modifier

Le droit colonial japonais est le droit pratiqué historiquement dans l'empire du Japon. Ce droit colonial a procédé à l'intégration en son sein des pratiques juridiques locales, dès lors caractérisées comme « coutumes ». Dans le Mandchoukouo, le droit japonais a aussi joué un rôle colonial à travers sa pénétration profonde de l'organisation juridique locale.

Pays-Bas modifier

Le gouverneur de Java oriental dans le palais de justice de Surabaya vers 1935.

Le droit colonial néerlandais est le droit appliqué historiquement dans l'empire colonial néerlandais. Il a essentiellement eu cours dans les Indes orientales néerlandaises entre 1602 et 1942, et a ainsi eu une influence particulière sur le droit indonésien d'aujourd'hui.

Initialement, il n'y avait que le droit naval applicable principalement aux citoyens néerlandais dans les territoires acquis par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (1602-1799). Puis le droit fut complété par la pratique juridique néerlandaise à Batavia (Jakarta actuelle), concrétisée dans les Statuts de Batavia en 1642 (révisés en 1766). Ces derniers tentèrent d'incorporer le droit javanais, en particulier en ce qui concerne la place spéciale de l'islam dans le mariage, le divorce et l'héritage. Bien que le droit local soit resté valable en théorie, l'ingérence croissante de l'administration de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dans la vie politique et économique de l'île entraîna la disparition du droit écrit au profit du droit coutumier adat, plus facile à manipuler pour les juges néerlandais. Cela était la solution la plus économique et aisée pour les Néerlandais, car la justice et le droit dans les colonies et comptoirs leur importaient peu tant que cela ne touchait pas à leurs intérêts commerciaux[19].

Tribunal coutumier colonial.
Le développement du droit colonial fut entravé par les difficultés politique de la métropole. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle qu'un État néerlandais national fut créé. La Constitution des Indes orientales néerlandaises de 1854 établit deux principes fondamentaux : le principe de concordance, assurant que les Néerlandais résidant aux Indes étaient soumis aux mêmes lois que ceux vivant dans la métropole, et le principe de dualité, selon lequel les populations locales restaient sous le régime de leurs lois dites indigènes. Cette division des ordres judiciaires selon un statut personnel donnait lieu à un système démesurément complexe, avec dix-sept circonscriptions censées appliquer autant d'adat différents, et des exceptions pour la noblesse bureaucratique (priyayi) ainsi que pour les gens asiatiques non-indonésiens[20]. Ainsi, malgré la revendication d'un État de droit, l'utilisation opportuniste du droit prévalait souvent, notamment lorsque cela entravait les intérêts économiques occidentaux[21].

En droit international modifier

À travers le système du mandat de la Société des Nations, la colonisation a été poursuivie par les empires européens sous le couvert d'une représentation de la communauté mondiale qui était en fait contrôlée par les puissances occidentales[22].

Articles connexes modifier

Références modifier

(es)/(pt)/(de) Cet article est partiellement ou en totalité issu de la page de Wikipédia en espagnol intitulée « Derecho indiano » (voir la liste des auteurs), de la page de Wikipédia en portugais intitulée « Direito colonial brasileiro » (voir la liste des auteurs) et de la page de Wikipédia en allemand intitulée « Kolonialrecht » (voir la liste des auteurs).

  1. Shane Chalmers, « Colonialism and Law », dans Elgar Encyclopedia of Comparative Law, Edward Elgar Publishing Limited, , 282–291 p. (ISBN 978-1-83910-560-9, DOI 10.4337/9781839105609.colonialism.and.law, lire en ligne) (consulté le )
  2. Boaventura de Sousa Santos, « Nine - Colonial Law and Imperial Law », dans Law and the Epistemologies of the South, Cambridge University Press, (ISBN 978-1-316-66244-1, 978-1-107-15786-6 et 978-1-316-61046-6, DOI 10.1017/9781316662441.010, lire en ligne)
  3. (en) Brenna Bhandar, Colonial Lives of Property: Law, Land, and Racial Regimes of Ownership, Duke University Press, (ISBN 978-0-8223-7157-1, lire en ligne)
  4. Wenceslas Busane Ruhana Mirindi, « La notion de civilisation en droit colonial belge postérieur à la Seconde Guerre mondiale et en droit congolais postérieur à l’indépendance », Revue interdisciplinaire d'études juridiques, vol. 83, no 2,‎ , p. 101–131 (ISSN 0770-2310, DOI 10.3917/riej.083.0101, lire en ligne, consulté le )
  5. Devos et Piron 1959.
  6. Wenzlhuemer 2007.
  7. Toussaint Réthoré, « La Rivista di diritto coloniale. Une revue au service de la fondation du droit colonial italien », Clio@Themis. Revue électronique d'histoire du droit, no 12,‎ (ISSN 2105-0929, DOI 10.35562/cliothemis.986, lire en ligne, consulté le )
  8. (it) Luciano Martone, « Il diritto coloniale », dans Il contributo italiano alla storia del pensiero. DIRITTO (ISBN 978-88-12-00089-0, lire en ligne)
  9. « Huellas del Derecho Indiano en la fundación de San Juan de Vera de las Siete Corrientes – Academia Nacional de la Historia de la República Argentina », (consulté le )
  10. Héctor Grenni, « Las Leyes de Indias: un intento por considerar a los indígenas como personas con derechos. », Teoría y Praxis, no 4,‎ , p. 103–122 (ISSN 1994-733X, DOI 10.5377/typ.v1i4.15460, lire en ligne, consulté le )
  11. José Manuel Pérez-Prendes y Muñoz de Arraco, Lecciones de historia del derecho español, Madrid : Centro de Estudios Ramón Areces, (ISBN 978-84-87191-17-6, lire en ligne)
  12. Beatriz Bernal, « Las características del derecho indiano », Historia Mexicana, vol. 38, no 4,‎ , p. 663–675 (ISSN 0185-0172, JSTOR 25138249, lire en ligne, consulté le )
  13. « ARTEHISTORIA - Historia de España - Ficha Estratificación social », (consulté le )
  14. « La sociedad colonial: el mestizaje en la ciudad de Cartago », (consulté le )
  15. « La colonización de los Austria », (consulté le )
  16. Yanna Yannakakis et Martina Schrader-Kniffki, « Between the “Old Law” And the New: Christian Translation, Indian Jurisdiction, and Criminal Justice in Colonial Oaxaca », Hispanic American Historical Review, vol. 96, no 3,‎ , p. 517–548 (ISSN 0018-2168, DOI 10.1215/00182168-3601670, lire en ligne, consulté le )
  17. a et b Victor Hugo Siqueira de Assis, « Ordens normativas e América Portuguesa: o caso do direito colonial brasileiro (Séculos XVI a XVIII) », Fontes do Direito na América Portuguesa: estudos sobre o fenômeno jurídico no Período Colonial (Séculos XVI-XVIII),‎ (DOI https://doi.org/10.22350/9786559171767, lire en ligne, consulté le )
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  19. Lev 2000.
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Bibliographie modifier

Notices encyclopédiques modifier

Monographies modifier

Articles de revues spécialisées modifier